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Chapitre
Ier. Tarse en Cilicie.
Chapitre II. Saul étudiant à
Jérusalem.
Chapitre III. Le chemin de Damas.
Chapitre IV. Auprès des apôtres.
Chapitre V. Saul devient Paul.
Chapitre VII. Le débat sur la
circoncision.
Alain Decaux a publié en 2003 un livre intéressant (comme tous ses livres d’ailleurs) sur saint Paul, intitulé « L’avorton de Dieu, une vie de saint Paul ». J’aurais bien des remarques, des critiques, à formuler sur cet ouvrage d’une de nos célébrités médiatiques.
Certes, je ne suis pas historien, ni exégète professionnel. Je ne suis qu’un modeste lecteur. Mais j’ai beaucoup de lectures, justement, et depuis longtemps je me suis intéressé, en amateur, à titre privé, à la chronologie du Nouveau Testament, à la chronologie du premier siècle de notre ère donc. Voir ICI sur mon site. Je me suis penché sur la formation du corpus néotestamentaire. Je me suis même hasardé à émettre une hypothèse originale sur la genèse de nos quatre évangiles canoniques : l’hypothèse dite « du diacre Philippe ». ICI. Certes cette hypothèse n’a pas eu beaucoup de succès. Elle a même été censurée quand j’ai voulu la signaler sur les pages appropriées de Wikipédia. On m’a rétorqué : quelles sont vos sources ? Je n’ai pu citer, hélas, que mon site. Ce n’est pas suffisant, m’a-t-on répondu ; pas de promotion d’idées personnelles sur une encyclopédie, même libre.
Pourtant j’en reste personnellement satisfait. J’estime, après une réflexion maintenant plus que décennale, qu’elle est la seule à résoudre convenablement les apories de la théorie dite « des deux sources », laquelle je reprends à mon compte, insère dans mon propre schéma, critique, corrige et complète.
J’ai même fabriqué, sous forme de petit manuel une « Synopse des quatre évangiles », composée seulement de références, que je considère très pratique. Je l’ai toujours sous la main, et je peux même l’envoyer gratuitement à quiconque me la demanderait, en me communiquant son adresse. Elle est devenue pour moi un outil de travail indispensable.
Je l’ai bâtie en supposant vraie la Théorie des deux sources, en donnant donc priorité à l’évangile de Marc pour l’ordre suivi, en y insérant Luc, puis Matthieu, dans des ordres un peu disparates ; puis Jean, en entier et dans son ordre intact. La séquence obtenue ainsi me donne entièrement satisfaction. Et après plus de 15 ans de réflexions, et de travaux en tous genres, je ne vois aucunes retouches, ou modifications, à lui apporter. J’ai même pu rédiger, selon cette synopse, une synthèse complète et très cohérente des quatre évangiles. Le résultat est même assez plaisant à lire (selon moi) et instructif. ICI.
A tous ces titres, j’ai bien le droit, même en qualité d’amateur, d’apporter la réplique à Alain Decaux, de proposer mon grain de sel à la chronologie de la vie de saint Paul, de censurer même, avec quelque vigueur, certaines des affabulations théologiques ou psychologiques, que j’estime pour ma part plus romanesques que véridiques.
Je reconnais qu’Alain Decaux est un historien consciencieux et aguerri, et lui-même professionnel. Il est allé aux sources. Il est au fait de la recherche exégétique et historique contemporaine. Il se fie avant tout aux spécialistes du Monde de la Bible, à leurs recherches d’avant-garde, à leur expertise scientifique, comme aussi à leurs préjugés.
Alain Decaux s’est efforcé de visiter lui-même les lieux dont il parle (comme l’avait fait Renan au XIXe siècle). Ce qui donne à son récit un côté plaisant, par moments presque autobiographique ; comme s’il mêlait sa vie à celle de saint Paul, après quelque vingt siècles.
Je pense qu’Alain Decaux s’est totalement fourvoyé sur la psychologie de saint Paul qu’il aborde presque comme un énergumène remarquable plutôt que comme en apôtre authentique de Jésus-Christ, champion de la charité, comme de la vérité et de l’unité.
Voici ce que j’écrivais de premier jet, en 2003, sur les pages de garde du livre et qui représente ma réaction spontanée, et que je ne renie pas.
« Le portait d’un Paul rancunier, vindicatif, haineux même, est tout à fait hors de propos. L’auteur n’a pas compris Paul ; effectivement, il l’a rabaissé à sa propre dimension, plutôt que de s’élever lui-même à sa hauteur, ou du moins s’y efforcer. Paul, il faut le comprendre, fut par essence un mystique, certes intolérant à l’égard de l’erreur, mais intérieurement très calme, toujours calme, adepte de cette charité dont il reste à ce jour l’apologiste le plus éminent (cf. 1 Co 12,31 – 13,13).
« De même l’histoire des rapports entre Paul et Jacques, et avec les chrétiens juifs en général, est fort mal traitée. Pierre, Jacques et Paul étaient des apôtres. Ils ne pouvaient pas se départir entre eux de cette charité fraternelle dont ils étaient les premiers protagonistes. N’oublions certes pas que Paul a rendu visite au moins trois fois à Jacques le mineur, l’un des Douze, frère du Seigneur et premier évêque de Jérusalem. A chaque reprise il fut reçu cordialement par lui. Comment dès lors concevoir une « haine » réciproque entre les deux hommes, une amère rancune…
« Dans sa chronologie de la vie de Paul, l’auteur a cru devoir faire un sort aux conclusions des exégètes contemporains… et il s’en trouve, cela va de soi, fort mal. Cette hypothèse, par exemple, d’un emprisonnement de Paul à Ephèse, dont Luc ne souffle mot, et au cours duquel il aurait expédié touts ses épîtres dites de captivité, est du dernier invraisemblable. Il y aurait bénéficié (dans la sinistre prison d’Ephèse) d’un régime de semi-liberté, aurait joui d’une permission de sortie pour aller visiter Corinthe, puis serait revenu se constituer sagement prisonnier : cela touche à l’absurde, au point que l’auteur lui-même en prend conscience : « Il faut reconnaître, dit-il page 223, que l’historien ne se retrouve guère dans cette période. » Et pour cause…
« Assimiler, d’autre part, Apollos aux chrétiens « psychiques », que Paul condamne, est impossible.
« Confondre ces juifs qui, à Jérusalem, voulaient assassiner Paul avec les chrétiens « judaïsants » confine au grotesque. Les chrétiens, même hébreux, n’ont jamais voulu attenter à la vie de Paul. Il les a secourus par le produit d’une collecte très abondante.
« Adopter pour décrire la fin de Paul les apocryphes « Actes de Paul » comme authentiques ne résite pas à une critique, tant externe qu’interne. Dès l’antiquité, ces « Actes de Paul » ont été désavoués comme falsifiés. Du point de vue interne, il reste fort peu vraisemblable que Paul eût été jugé par l’empereur en personne. L’histoire de l’enfant Patrocle mort pendant un prêche de Paul, puis ressuscité par lui, n’est qu’un mauvais doublet d’Ac 20,7-12. Comment d’ailleurs Néron eût-il pu déplorer la mort de son serviteur, s’il fut aussitôt ramené à la vie par Paul ? Il n’en aurait pas eu le temps !
« Si Luc termine les Actes de manière si abrupte, c’est tout simplement qu’il les a publiés du vivant de Paul, juste à la fin de la première captivité romaine, et non pas vers l’an 80, ou encore plus tard, comme le postule l’exégèse moderne. Selon moi, Théophile, le chrétien auquel Luc a dédicacé son évangile, aussi bien que les Actes, ne fut autre que le libraire, à Rome, qui s’est chargé de la publication.
« De toute évidence, la démarche de l’auteur, Alain Decaux, est agréable, mêlée d’autobiographie, facile à lire comme un roman, bien renseignée, au fait de la recherche contemporaine, mais elle manque d’esprit critique et de psychologie.
« Il faut encore noter qu’Alain Decaux fait l’impasse totale sur les Epîtres Pastorales, sur le dernier voyage de Paul à Ephèse, ainsi que sur la deuxième captivité romaine (celle justement de la deuxième Epître à Timothée). C’est là, selon moi, une grave lacune. Il est vrai qu’il y est induit par les actuels présupposée de la critique dite moderne…
Voilà quelle était ma réaction sur le vif, après une première lecture. Pour la justifier, la préciser, ou l’infirmer, il nous reste à rependre en détails, et la tête froide, avec méthode, le cheminement de l’auteur.
Page 11. L’an 34. Lapidation d’Etienne.
Dans ma chronologie néotestamentaire, ICI, je fixe comme plus vraisemblable la lapidation d’Etienne en 35. Un certain délai doit être accordé à la formation de la primitive Eglise, si l’on fait mourir le Christ en 33, comme admis par la grande tradition chrétienne.
Page 12. La petite communauté chrétienne l’a choisi pour être l’un des Sept, chargés de l’administrer.
Formule tendancieuse à bien des égards, et qui reflète déjà tous les préjugés de l’exégèse contemporaine. Les sept diacres, car c’étaient bien des diacres, des serviteurs, étaient choisis uniquement, au départ, pour le service des tables, en sous-ordre, naturellement, par rapport aux apôtres. Car si les Sept ont été élus par l’assemblée, sur la proposition des Douze, d’ailleurs, c’est bien par les Douze qu’ils furent ordonnés par imposition des mains, et après des prières. Ce fut bien là la première ordination qui se fit jamais, et celle qui servit de modèle à toutes les autres, jusqu’à nos jours.
Page 12. Apostolus furiosus.
L’auteur fait allusion au fameux passage du discours de Paul devant Agrippa, relaté par les Actes : « Et dans l’excès de ma fureur (ou folie) contre eux, je les poursuivais jusque dans les villes étrangères. » (Ac 26,11). Mais c’était le militant du judaïsme pur et dur qui était alors fou furieux, non l’Apôtre, ni le chrétien.
Paul a abandonné sa violence en se convertissant au christianisme (même s’il a regimbé sous l’aiguillon). Il est devenu l’apôtre de la non-violence. « Si ton ennemi a faim, donne lui à manger ; s’il a soif donne-lui à boire, écrira-t-il dans la grande épître ; ce faisant tu amasseras des charbons ardents sur sa tête » (Rm 12,20) reprenant les Proverbes. Il faut laisser la vengeance à Dieu.
Apostolus furiosus ! Cette locution placée en entrée va orienter tout l’ouvrage. Pour Decaux, Paul est un énergumène, je reprends le mot, qui marquera son temps et l’histoire en tapant du poing sur la table pour se faire mieux comprendre. Un rhéteur de cabaret, en quelque sorte.
Page 12. Apôtre autoproclamé. Mystique et stratège. Caractériel. Souffrant mille morts quand ses certitudes sont mises en doute.
Portrait surfait qui embraye sur « l’énergumène ». Raccourci contestable et trahison du biographe. Paul ne s’est pas autoproclamé. Il a été envoyé (sens du mot apôtre) officiellement par la jeune Eglise d’Antioche, en 45, en compagnie de Barnabé pour aller évangéliser les païens. « Alors, après avoir jeûné et prié, ils leur imposèrent les mains et les laissèrent à leur mission. Eux donc, envoyés en mission par le Saint Esprit, descendirent à Séleucie… » (Ac 13,3-4). A partir de ce moment-là, Barnabé et Paul seront dits apôtres par Luc (cf. Ac 14,4.14). Barnabé, pas plus que Paul, ne se sont autoproclamés.
L’entame de l’épître aux Galates ne contredit pas ce constat : « Paul, apôtre, non de la part des hommes ni par l’intermédiaire d’un homme, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père qui l’a ressuscité des morts… » (Ga 1,1). Paul a été missionné directement par l’Esprit Saint, qui est l’Esprit du Père et de Jésus-Christ. Certes Paul a été envoyé personnellement par le Christ au cours d’une vision dans le Temple. Il lui a dit : « Moi, je veux t’envoyer. » (Ac 22,21). Mais il fallait que cet envoi fût constaté par l’Eglise. Cela fut fait à Antioche.
Certes Paul fut mystique et stratège. Paul fut avant tout un mystique : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. » (Ga 2,20). Mais le stratège ne commandait pas d’armées. Il partit quasi seul et démuni, presque comme un mendiant, à la conquête du monde. Quelle différence avec Alexandre ! C’est comme si Diogène, sortant de son tonneau, avait voulu concurrencer tout à coup le grand conquérant.
Caractériel, souffrant mille morts s’il était contrarié. C’est bien mal comprendre à quelle hauteur était placée l’intransigeance de Paul quand il s’agissait de la foi : elle était ancrée au ciel, dans le souvenir de la vision de Dieu. Paul avait du caractère et il était prêt à souffrir mille morts. Il les a d’ailleurs subies puisque nous l’honorons comme martyr. Un caractériel est en réalité un lâche qui recule devant l’offrande suprême.
Page 13. Seul à comprendre que le christianisme n’avait d’avenir qu’en s’adressant aux païens.
Le Christ l’avait compris avant lui, qui, le jour de l’Ascension, enjoignait à ses disciples : « Allez dans le monde entier, proclamez l’évangile à toute la création » (Mc 16,15), y compris les nations païennes, bien entendu. D’après le témoignage des Actes, Pierre fut le premier à baptiser des païens : le centurion Corneille et ses commensaux (cf. Ac 10). Il est vrai qu’il eut à se justifier véhémentement dans le cénacle de l’Eglise-mère ! Pierre n’était-il pas un peu paulinien avant l’heure ? Le véritable combat de Paul, et son influence décisive dans l’histoire du christianisme, furent d’obtenir absolument la non obligation de la Loi juive pour les non-circonsis. C’est lui qui fit sauter la barrière. Il en eut la vision et le courage, incomparables pour un juif. Mais le véritable mérite de Paul fut de rester quand même d’Eglise, uni aux frères. Dans le cas contraire, il créait seulement un schisme… C’est dans ces conditions qu’il a pu léguer à l’Eglise de Dieu le témoignage inestimable de sa vie (racontée dans les Actes), de ses lettres, (le tout formant presque une moitié du Nouveau Testament !), mais aussi de son martyre, et de son tombeau dans l’Urbs. L’évêque de Rome n’est-il pas parmi nous le successeur attitré de Paul comme de Pierre ? Les deux apôtres continuent de nous enseigner par sa bouche. Et c’est bien typique de Pierre et Paul, qu’ils aient pour successeur une seule et unique personne. Ils sont comme fondus dans sa chair. L’étole rouge du pape, remarquez-le bien à la télévision, porte l’effigie des deux coryphées des apôtres, l’un muni de clefs, et l’autre armé du glaive de la parole.
Page 13. Architecte du christianisme, inventeur dit Reimarus, fondateur reprend Nietzsche.
Il faut tuer dans l’œuf cette légende. Architecte du christianisme, selon Decaux ! L’architecte fut l’Esprit Saint. Paul n’a pas établi les apôtres. Ils le furent par Jésus-Christ. Paul n’a pas inventé les diacres. Ils furent investis par les Douze. Paul n’a pas non plus inauguré les prêtres : ils existaient dans la primitive Eglise de Jérusalem. Quant aux évêques, ils furent historiquement institués dans toutes les Eglises de la diaspora chrétienne, même hors de l’influence du paulinisme, comme en Egypte, en Ethiopie, en Syrie, en Inde… C’est bien la preuve que l’épiscopat n’était pas d’invention paulinienne. Il faut se souvenir que les Actes des Apôtres ne racontent la légende, ou l’épopée, que de Pierre, puis de Paul. Ce qui peut fausser la perspective. Paul n’a créé aucun sacrement. Il n’a pas non plus inventé de liturgie. Paul fut un missionnaire.
On pourrait dire pourtant qu’il a inventé le Secours Catholique ! Puisqu’il a organisé par deux fois une collecte pour les pauvres de Jérusalem (cf. Ac 11,29-30 ; 24,17 ; 1 Co 16,1 ; 2 Co 8 --- 9 ; Rm 15, 25-28) et qu’il a par lui-même convoyé les fonds. Un vrai Jean Rodhain avant la lettre, mais sans jeep…
Cette légende de faire de saint Paul le fondateur du christianisme a la vie dure. Comme si Paul occupait tout le panorama chrétien ! Elle occulte tout l’héritage johannique, qui est indépendant du paulinisme, et qui suffirait à lui seul à fonder scripturairement parlant le christianisme. Elle occulte l’évangile de Matthieu, indépendant de Paul. Et même si Marc fut à plusieurs reprises le compagnon de Paul, il nous livre en priorité dans son évangile le témoignage pétrinien. Curieusement, on trouve peu de traces, dans cet évangile, du discours paulinien. D’après l’Apocalypse, l’Eglise éternelle de Dieu est fondée sur les douze apôtres de l’Agneau. Elle exclut donc Paul dans ce contexte. Paul n’a cessé de dire qu’il venait en surnombre et sûrement il l’a pensé. Mais « j’ai travaillé plus qu’eux tous » (1 Co 15,10) ajoutait-il. C’est là sa gloire.
Page 14. Je suis juif, de Tarse. Ainsi s’exprimera Paul en 51 de notre ère.
Non. En 57, selon ma chronologie. Paul monta pour la dernière fois à Jérusalem à l’été 57, pour remettre le produit de sa collecte. Et c’est là qu’il fut arrêté dans le Temple. (Cf. Ac 21,39). Decaux lui-même convient de cette date, ou à peu près, puisqu’il fait embarquer Paul, à la fin de son emprisonnement à Césarée maritime en 60 (page 272). A mon avis, un an trop tard, mais je m’expliquerai là-dessus.
Page 14. Certains s’arrêtent à une date intermédiaire, l’an 8.
Benoît XVI semble s’être rallié à cette opinion puisqu’il a promulgué une année sainte, consacrée à la mémoire de saint Paul : du 28 juin 2008 au 29 juin 2009. Le pape a-t-il lu Decaux ?
Nous savons seulement que lors de sa captivité romaine, vers 60-62, Paul s’estimait un vieillard. (Cf. Phm 9). S’il avait 60 ans en 60, il est né l’an - 1 (60 – 60 = - 1 ; il n’existe pas d’année 0). Paul aurait donc, selon ce comput, à peu près le même âge que le Christ, présumé né en – 2.
Mais à l’époque on se considérait comme un vieillard plus tôt que de nos jours. Si donc Paul avait 50 ans en 60 (et s’estimait déjà vieux à cet âge-là), il est né en 10. (60 – 50 = 10). Ce qui semble plausible.
D’autre part, il faut se souvenir que les Actes (7,58) qualifient de « jeune homme », le Saul qui gardait les vêtements des bourreaux, au moment de la lapidation d’Etienne, premier diacre et premier martyr, vers 35 de notre ère. Mais tout de suite après, (« En ce jour-là » Ac 8,1), on voit ce « jeune homme » se lancer dans une violente persécution contre l’Eglise de Jérusalem, et jeter les saints en prison. Il devait être largement sorti de l’enfance, quelque 25 ans sans doute, ce qui correspond à 10 de notre ère pour la date de sa naissance. Il était jeune homme en ce sens qu’il n’avait pas atteint l’âge de 30 ans, habituellement requis pour exercer une quelconque magistrature en Israël.
Paul a dû aller étudier à Jérusalem dès l’âge de 10 ans, de 20 à 30, ce qui explique qu’il n’a pas rencontré le Christ durant sa vie publique. Dans l’hypothèse contraire, s’il avait étudié de 25 à 35 par exemple, il n’aurait pas pu ne pas apercevoir Jésus-Christ de son vivant. La Palestine n’est qu’un petit pays ! Paul devait être absent de Judée, au moment de la Passion. De même Paul n’a pas assisté à la prédication de Jean-Baptiste. Il n’en parle que par ouï-dire (cf. Ac 19,4).
Page 14. Paul a moins parlé, mais beaucoup écrit.
Il est certain que Paul a beaucoup parlé. Les Actes en témoignent. Paul a prêché des nuits entières. Ainsi à Troas, où il endormit un adolescent par ses interminables propos ! (Cf. Ac 20,9-12). A Lystres, quand les Lycaoniens ébahis voulaient offrir un sacrifice à Barnabé et à Paul : « Ils appelaient Barnabé Zeus et Paul Hermès, puisque c’était lui qui avait la parole. » (Ac 14,12). Paul était le bavard, et Barnabé le silencieux.
Page 22. Confronté à la découverte de Jésus, Paul devra livrer un combai permanent pour la survie de son existence juive au sein du christianisme.
Absurdité – ou lapsus ! Paul a dû lutter toute sa vie contre l’influence judaïsante.
Certes Paul fut l’homme de deux cultures : hébraïque et grecque. Mais il n’a jamais pactisé avec le polythéisme, pas plus comme juif que comme chrétien. Il n’a guère mieux pactisé avec la philosophie, grecque ou romaine, qu’il méprise. « Dieu n’a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ? » (1 Co 1,20). Et plus loin : « Alors que les juifs demandent des signes et que les grecs sont en quête de sagesse, nous proclamons, nous, un messie crucifié. » (1 Co 1,22-23). Certes, il lui arrive de citer par bribes des auteurs païens, mais c’est plus à titre de proverbes, passés dans le langage courant, que de véritables arguments philosophiques, ou seulement didactiques. Paul ne fait pas de spéculations philosophiques, ni même théologiques. Il prêche : au sens noble. Il annonce. Il argumente.
Certes (encore) le propos de Paul suppose un substrat théologique et même philosophique, sans quoi il serait incohérent, et qu’on peut dégager. Sa pensée apparaît, à l’analyse, très solide, équilibrée, rationnelle même, malgré cette véhémence quasi volcanique avec laquelle elle s’exprime constamment, et qui est la marque de Paul. C’est Paul ainsi qui affirme le premier, et très nettement, qu’on peut connaître Dieu, au moyen de ses œuvres, par la seule intelligence humaine. (Cf. Rm 1,20). Voilà bien un principe indubitablement rationnel, et de fait philosophique.
La foi, sans un soubassement humain et intellectuel, serait tautologique, ou pur fidéisme. Paul le sait bien : il apporte certes le témoignage de la révélation, mais à des êtres pensants qu’il s’agit de convaincre. Dieu, à travers sa parole, vient ainsi à la rencontre de l’homme, mais l’homme à son tour accueille Dieu, ou doit l’accueillir. La foi est donc un dialogue ; elle est dialectique en ce sens-là.
Page 22. Dès la seconde année de son règne, l’empereur Auguste s’est fait dieu.
Première nouvelle ! Où Decaux prend-il cette référence ? J’ai toujours entendu dire qu’Auguste n’avait été divinisé qu’après sa mort. Le savant Mommsen, au XIXe siècle, dissertant sur l’inscription de Tibur, déclarait qu’elle ne pouvait être que postérieure à la mort d’Auguste, donc d’après le 19 août 14 ou même plus tard, puisqu’elle faisait allusion au divin Auguste.
Et d’abord Auguste n’a jamais été roi, mais seulement prince,
ou César, ou même imperator, ce dernier titre signifie commandant en chef des armées.
Où fait-il commencer le début de son « règne », en – 42, comme les anciens chroniqueurs ? En – 31, date de la victoire d’Actium ? En – 27, quand Octave fut déclaré Auguste ?
Les historiens modernes – et Wikipédia, bien sûr ! – veulent à tout prix faire commencer l’empire romain en – 27, quand Octave devint Auguste. Mais c’est une vue de l’esprit. Octave-Auguste respecta toujours formellement les institutions de la république romaine, avec Sénat, consuls, tribuns, censeurs, pontifes, etc… En réalité la forme proprement républicaine de Rome était morte, sans qu’on l’admette, depuis que Jules César avait franchi le Rubicon, en - 49 donc. César fut donc bien lui le premier des Césars, et pour cause. Il était lui-même imperator, général en chef, revêtu de la cape rouge. On peut donc le considérer comme le premier véritable « empereur romain ». Mais Octave dut batailler longtemps avant de récupérer tout l’héritage légué par son père adoptif.
Les anciens historiens ne s’y trompaient pas qui faisaient commencer l’empire avec Jules César. Les modernes obéissent à une pure convention. Ils cultivent un préjugé tenace que sans doute Decaux partage.
Page 24. La présence de Yahweh submerge l’enfant.
Sauf qu’on ne prononçait plus, familièrement parlant, le nom sacré de Yahweh. Il était réservé à la liturgie solennelle du Temple. Et son énoncé disparaîtra avec le Temple.
Page 27. Les Actes des apôtres admettent qu’il parlait aussi araméen.
Decaux lui-même semble l’admettre difficilement. Et pourtant c’est plus que probable. Les juifs de la diaspora, s’ils parlaient grec dans la rue et pour les affaires, conversaient volontiers, en famille, surtout avec les femmes qui sortaient peu, dans la langue du pays d’origine, alors l’araméen. De même les juifs d’Europe centrale, bien plus tard, utilisaient entre eux le yiddish. Et par ailleurs Paul a fait dix ans d’étude à Jérusalem, sous la houlette de Gamaliel. Comment alors n’aurait-il pas pratiqué la langue vernaculaire du peuple juif, l’araméen depuis l’exil ? Les études en latin, non : en hébreu, et la langue de tous les jours en français, non : en araméen. Cela coule de source. Les curés de chez nous, et les séminaristes, il n’y a pas si longtemps pratiquaient ainsi. Mon oncle prêtre avait fait son grand séminaire en latin, juste avant la guerre de 39. Il était trilingue, patois, français et latin. Patoisant pour parler aux animaux, et aux anciens, francisant avec les jeunes et les étrangers, latinisant avec le Bon Dieu. C’était tout naturel. Paul aussi devait être doué pour les langues.
C’est d’ailleurs en langue hébraïque, probablement en
araméen, la langue vernaculaire, celle que Jésus lui-même avait pratiquée
durant son ministère public, et dès sa jeunesse, que le même Jésus s’adressa à
Paul dans la fameuse vision de Damas : « J’entendis une voix qui
me disait en langue hébraïque : ‘Saoul, Saoul, pourquoi me
persécutes-tu ?’. » (Ac 26,14).
Page 27. Il a lu les bons auteurs (grecs) puisqu’il les cite.
Il n’en cite guère que des fragments, comme des locutions proverbiales, entrées dans le domaine public. Il n’a manifestement pour lesdits bons auteurs aucune considération. Ni pour Homère, ni pour Sophocle, ni pour Platon, ni pour Démosthène, ni pour Xénophon… Complètement inconnus. Citons de nouveau la première aux Corinthiens : « Où est-il, le sage ? Où est-il, l’homme cultivé ? Où est-il, le raisonneur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ? » (1 Co 1,20). Socrate en prend pour son grade.
On a pu peut-être discerner dans les parénèses de saint Paul, les parties morales de ses épîtres, des catégories de pensée stoïciennes. Mais je pense que c’est plutôt par osmose avec la culture ambiante, par la médiation des syntagmes de la langue, plutôt que par étude directe. C’est un fait qu’il ne cite jamais, à proprement parler, un seul auteur de cette immense littérature stoïcienne, presque entièrement disparue de nos jours, mais surabondante et omniprésente en son temps. Ne perdons pas de vue que la philosophie de cette époque, dans laquelle les tarsiotes étaient renommés dans le monde entier pour être experts, étaient surtout dominée par les stoïciens et les épicuriens, beaucoup plus, par exemple, que par les pythagoriciens, les platoniciens, ou les aristotéliciens, qui étaient à peu près passés de mode. Ce sont précisément eux, les philosophes stoïciens et épicuriens, que Paul croisera sur l’Aréopage d’Athènes (cf. Ac 17,18). On sait avec quel dédain ils ont accueilli ses sermons.
Complètement fermés. Totalement étrangers à la manière rabbinique dont Paul argumentait.
Bien que d’expression hellénique, Paul quant à lui restait juif jusqu’au bout des ongles.
Page 27. Des néologismes - les mêmes souvent que ceux de Cicéron !
Ce ne sont plus des néologismes si l’ami Cicéron, déjà, les avait inventés.
Page 28. On serait en grand péril si l’on absorbait l’âme d’une bête.
C’est mal comprendre l’interdit du sang.
Le sang appartenait à Dieu parce que c’est à lui qu’on l’offrait dans les sacrifices. Manger, ou boire, le sang ç’eût été voler quelque chose à Dieu. Et par conséquent commettre un péché ; non pas que le sang contînt en soi un principe mortifère !
Le sang représentait le principe vital, leur âme, de l’homme comme des animaux, tout simplement parce qu’une fois qu’on a versé son sang, on est mort. Donc le sang c’est la vie, ou l’âme. On le dit même en français : il a versé son sang pour la France, ou il a donné sa vie pour la France, c’est la même chose.
Page 30. Par voie de conséquence on retiendra l’an 23 pour un départ probable de Tarse.
Paul a dû monter à Jérusalem, dans sa « prime jeunesse » comme il le dit lui-même dans les Actes (26,4), « ek néotêtos ». Ailleurs, il précise : « J’ai cependant été élevé ici, dans cette ville, et c’est aux de Gamaliel que j’ai été formé… » (Ac 22,3). Il est probable que Paul est monté vers Jérusalem dès sa dixième année, et par conséquent qu’il a étudié à Jérusalem de 18 à 28 environ. Ce qui explique qu’ayant terminé ses études, et sans doute revenu à Tarse, il n’a pu rencontrer le Christ, ni même le Baptiste.
Page 30. Il (Jésus) doit avoir vingt-sept ans.
Si Paul est monté étudier à Jérusalem dès 18, alors Jésus n’avait guère que 19 ans, à peu près l’âge du siècle – et de son ère - , puisque né en – 2, selon nous.
Page 31. Cessons de rêver. Nous ne savons rien de ce qu’il est, rien de ce qu’il éprouve. Rien de ce qu’il pense.
Si. Il était zélé pour la Loi. Ecoutons Paul : « J’ai été formé à l’exacte observance de la Loi (Torah) de nos pères, et j’étais rempli du zèle de Dieu, comme vous l’êtes tous aujourd’hui. » (Ac 22,3). Comment imaginer que le jeune Saul ne fût pas monté pour la première fois, à Jérusalem, tout imprégné de la piété et de la ferveur ancestrales ? Il n’eût pas tenu longtemps sous la férule, même douce, d’un Gamaliel.
Page 32. Il s’est mis en route.
Il reste fort peu probable que le garçon Saul, âgé peut-être d’une dizaine d’années, se fût mis en route seul pour un si long voyage ; il dut partir en caravane. Les relations, commerciales ou religieuses, devaient être fréquentes entre la capitale de monde juif et les divers points de la dispersion. Le père de Saul, riche négociant en toiles de tentes de la ville de Tarse, devait avoir des correspondants, d’affaire ou de culte, des parents ou des amis, installés dans Jérusalem.
Et les voyageurs, surtout les jeunes, comme les commerçants, comme les pèlerins, faisaient route forcément par convois. D’autant plus que les brigands étaient toujours à craindre aux détours d’un si long trajet. Paul devait être confié à la conduite de quelque parent plus âgé, ou de quelque ami, en partance pour Sion. Aller à Jérusalem ? Mais c’était un pèlerinage, et quel ! On ne part pas seul en pèlerinage.
Page 39. Comment imaginer Saul devant les murs de Jérusalem ?
C’est facile ! Comme tout pèlerin il a dû chanter les psaumes des montées, et avec quelle ferveur. Comment ne l’aurait-il fait ? Le but de son voyage était religieux. S’instruire de la foi de ses pères, dans la capitale même du judaïsme, auprès de maîtres reconnus. Sans doute avait-il en main une recommandation auprès de Gamaliel en personne, puisqu’il devint son élève. Mais Paul, avant toutes choses, a dû se rendre au Temple, pour y adorer, pour y prier, pour y offrir en sacrifice. N’était-ce pas le but suprême de tout pèlerinage ? Il ne venait pas à Jérusalem en curieux, mais en croyant. Et Saul n’a pas dû tarder à découvrir les cérémonies solennelles, somptueuses, et interminables, des grandes fêtes religieuses.
Les Cantiques des montées ? Les psaumes 120 à 134, auxquels il faut ajouter le psaume 84.
« Vers Yahvé, quand l’angoisse me prend
« Je crie, il me répond.
« Yahvé, délivre-moi des lèvres fausses,
« De la langue perfide. »
Psaume 120, 1-2.
« Je lève les yeux vers les montagnes :
« Mon secours d’où viendra-t-il ?
« Le secours me vient de Yahvé
« Qui a fait le ciel et la terre. »
Psaume 121, 1-2.
« Quelle joie quand on m’a dit :
« Allons à la maison de Yahvé !
« Enfin nos pieds s’arrêtent
« Dans tes portes, Jérusalem ! »
Psaume 122, 1-2.
« Que tes demeures sont désirables,
« Yahvé Sabaot !
« Mon âme soupire et languit
« Après les parvis de Yahvé,
« Mon cœur et ma chair crient de joie
« Vers le Dieu vivant. »
Psaume 84, 2-3.
Mon cœur et ma chair crient de joie ! Voilà, à n’en pas douter, quels étaient les sentiments du jeune Saul entrant pour la première fois dans la Ville très sainte, objet des vœux ardents de tout israélite. Il ne faut pas oublier que, pour les juifs, Dieu résidait dans son Temple, et les prêtres le servaient jour et nuit. Et du temps de Saul, certes, le Temple n’était pas aboli !
« Yahvé a décidé d’habiter la nuée obscure.
« Oui, je t’ai construit une demeure princière,
« Une résidence où tu habites à jamais. » (1 R 8,12-13).
C’est ce qu’avait proclamé Salomon, à l’inauguration du premier Temple. Mais la promesse valait toujours.
Paul montait pour adorer.
Page 40. Le jour où, en 20 avant notre ère, il a posé la première pierre du Temple.
Ce n’est pas ainsi que les choses se sont produites. Le
Temple existait déjà, depuis le retour d’exil. Hérode n’a fait que le rebâtir
en plus grand. Et il s’est heurté à beaucoup de résistances, de réticences, on
le conçoit, avant de démolir l’ancien sanctuaire, même modeste.
Nous savons par Josèphe que la démolition de l’ancien Temple ne commença que lorsque tous les matériaux furent rassemblés. Hérode s’y était engagé solennellement devant le peuple.
Hérode n’a pas posé la première pierre. N’étant pas prêtre, il n’avait pas accès au chantier de construction du Temple proprement dit, le naos. Ce furent les prêtres, les sacrificateurs seuls, qui l’édifièrent en un an et demi. (Cf. Ant. Jud. XV, 14).
L’ensemble des portiques et des parvis fut achevé en 8 ans. (Cf. Idem).
On a continué de travailler au Temple pour des constructions annexes jusque sous Néron. Par conséquent on y travaillait encore au temps de saint Paul, ou de Jésus-Christ. Mais certainement pas, comme le dit Decaux, avec mille prêtres et dix mille ouvriers ! Le gros œuvre était terminé depuis longtemps.
Page 40. Un fragment en existe encore aujourd’hui : le Mur des Lamentations.
Un énorme fragment : tous les murs de soutènement de l'esplanade, ainsi que les restes des arches qui permettaient l'accès à l'esplanade.
Page 42. Familier des écrits apocalyptiques, il en citera souvent les thèmes primordiaux.
Première nouvelle ! Je voudrais bien que Decaux donne les références. On ne voit jamais Paul citer Hénoch (Jude le fera), Daniel, IV Esdras, encore moins les écrits quoumraniens. Par exemple Paul ne parle jamais du Fils de l’homme, qui est un thème apocalyptique majeur. Jésus lui-même semblerait plus imprégné d’essénisme, voire de littérature apocalyptique, que Paul…
Mais la question devrait être traitée par des biblistes mieux informés que moi. J’oublie peut-être des pans entiers de la pensée de Paul.
De fait, on trouve dans les premières en date des épîtres de Paul, celles aux Thessaloniciens, des allusions à la fin du monde, ou même à l’avenir imminent, qu’on pourrait qualifier d’apocalyptiques. Paul lutte avec abondance pour repousser l’idée que la fin du monde serait déjà là : « Que personne ne vous séduise d’aucune manière. » (2 Th 2,3). Auparavant doit venir l’homme impie, et les péripéties avec cet homme impie seront peut-être fort longues.
Pour moi cet homme impie qu’annonçait Paul, je l’ai dit ailleurs, n’était autre que Néron son futur assassin, dont le règne, vers 52, époque probable de rédaction de l’épître, devenait prévisible et menaçant.
Ces prophéties appartiennent-elles au genre apocalyptique ? Oui, si l’on veut.
Page 43. Des sectes pénitentielles voient le jour sous l’inspiration des disciples de feu Jean Jean le Baptiste, décapité en 28. Dans leur retraite de la mer Morte, les esséniens tentent d’atteindre l’absolu.
Belles phrases mais qui n’ont que peu de rapports avec la réalité. Feu Jean le Baptise ne mourra qu’en février 32. (Arthur Loth tient pour fin 31). Peu de temps avant la défaite d’Hérode Antipas face aux Nabatéens, vers 33/34, et l’opinion publique y verra une vengeance du ciel en réponse au crime commis à l’égard du Baptiste.
Si le forfait datait de 28, l’opinion publique l’aurait déjà oublié.
Le jeune Saul, séjournant à Jérusalem vers 18-28, y fut bien avant les sorties de Jean-Baptiste comme de Jésus ; il ne parle jamais d’eux comme les ayant personnellement connus, sinon en visions, s’il s’agit de Jésus-Christ. Contemporain de leurs vies publiques, il n’aurait pas pu ne pas les rencontrer dans un si petit pays.
Les esséniens avaient plus d’une retraite ; ils ne résidaient pas tous à Qumrân. C’était un parti des juifs de l’époque. Mais vers le premier siècle de notre ère, ils étaient en voie de disparition. On ne parlait plus guère d’eux. Le Nouveau Testament ne les nomme jamais. Ils ne recherchaient pas plus, ou pas moins, l’absolu que les autres. Ils étaient simplement en rupture avec la hiérarchie officielle du Temple, qu’ils estimaient usurpatrice ; en réalité, eux voulaient rester fidèles à la mémoire du grand prêtre Onias III, injustement déposé, puis assassiné. Ils le considéraient comme le dernier descendant légitime de Sadoq, dont ils se réclamaient.
Evidemment, ils gardaient la nostalgie du culte du Temple, et s’entretenaient volontiers de visions de revanche ou de fin du monde. Ceux-là donc cultivaient le genre apocalyptique, (comme on dira, assez sottement, bien plus tard). Paul, ou plutôt Saul, pharisien renforcé, faisait partie de leurs ennemis.
Page 44. Chez Gamaliel, l’étudiant Saul a-t-il seulement entendu parler…
Il est probable que Saul n’était plus à Jérusalem pendant la
vie publique de Jésus. Il aurait forcément entendu parler de lui.
Page 44. Ce Jésus de Nazareth qui, en Galilée, arpente maintenant routes et montagnes pour appeler les juifs à se rapprocher de Dieu et mieux observer la Loi.
Non. Il est venu apporter une autre Loi, celle promulguée sur la montagne. Mais elle englobe l’ancienne. Elle ne la révoque pas.
Page 44. A l’automne de l’an 27, Jésus reçoit le baptême des mains de Jean le Baptiste.
Non. Le ministère de Jean-Baptiste n’a commencé qu’en l’an XV de Tibère Auguste ; ce qui correspond à l’an 29 de notre ère. Jésus a dû être baptisé fin 29, et commencer son ministère public dans l’hiver 29/30, à l’âge de 30 ans passés. C’est donc à la Pâque 30 qu’il a chassé les vendeurs du Temple.
Page 44. Il fait scandale en prétendant chasser les vendeurs du Temple.
Non, il ne fit pas scandale, car il était parfaitement dans son droit. C’étaient les vendeurs qui, avec la complicité intéressée des prêtres, abusaient du Lieu saint. Jésus ne prétendit pas les chasser, il les chassa réellement. Et personne ne s’opposa à lui. Les chefs des prêtres lui demandèrent seulement de quoi il se mêlait. Il leur répondit : je me mêle de ce qui me regarde et tout le monde s’inclina. Pouvait-on s’opposer au Messie ?
Le Messie n’était-il pas chez lui dans le Temple de Dieu ?
Page 45. A la Pâque 30, Jésus revint à Jérusalem.
Non, à la Pâque 33, pour sa dernière Pâque, et la Passion. Le ministère de Jésus a duré au moins trois ans. Jésus fut crucifié un jour de Parascève, donc un vendredi (cf. Jn 19,31), suivi d’un Grand Sabbat (cf. Idem). Donc ce vendredi était le 14 Nisan, fête de la Pâque, et la veille au soir on mangeait l’agneau pascal (cf. Jn 18,28). Le Grand Sabbat, ou double sabbat, étant lui-même suivi immédiatement du « premier jour de la semaine » (Jn 20,1), où Jésus ressuscita.
Or de 29 à 35, le seul jour où, astronomiquement parlant, le 14 Nisan (jour de pleine lune) put tomber un vendredi fut le 3 avril de l’année 33, année donc de la Rédemption.
Les synoptiques ont suivi une autre tradition, car il y avait souvent désaccord entre les Galiléens et les Judéens pour le jour de la célébration de la Pâque. Le calendrier observé n’était pas forcément le même.
Page 46. Combien sont-ils ces « chrétiens » de Jérusalem ? Assurément fort peu.
Tableau invraisemblable donné de la première communauté chrétienne. Si les premiers chrétiens eussent été si peu nombreux, la communauté, qui est l’Eglise, née le jour de la Pentecôte n’aurait pas survécu. Elle se fût diluée dans la masse.
Et cette manie, avec l’exégèse de pointe, ici suivie aveuglement, de discréditer le témoignage du livre des Actes sur des points qu’on ne peut pas vérifier, au moyen d’arguments subjectifs, tels que : c’est exagéré, c’est invraisemblable. Alors que sur tous les points qu’on peut précisément vérifier, Luc se révèle toujours exact, et historique.
D’ailleurs, dans la suite, Decaux changera de position, en se défiant du jugement des exégètes modernes, et fera essentiellement confiance à saint Luc, (et comment aurait-il pu faire autrement ?) pour suivre dans tous ses méandres la vie de saint Paul. Attitude un peu illogique de sa part, et dont il ne s’explique guère. Ou bien le témoignage de Luc est vrai, et alors il faut l’accepter en entier, ou il est faux, et alors on doit le rejeter absolument.
Luc se pose en historien consciencieux, à la manière d’un Thucydide, ou d’un Xénophon, (et l’on sait avec quel goût de l’exactitude ces professionnels écrivaient l’histoire). De plus, Luc possède l’immense privilège (en compagnie de Xénophon, d’ailleurs, qui était lui-même le guide de la Retraite des 10.000) d’avoir été le compagnon de son héros et le témoin oculaire (ou auditif quand il s’agit des discours !) de la plupart des faits. Mettre en doute à la légère, et sans preuves, ses assertions, c’est plus que risqué. C’est un jeu trop facile !
Ensuite Luc, s’il n’a pas été le témoin immédiat de certains événements, comme ceux relatifs à la primitive Eglise, a pu interroger des témoins directs et identifiables : en premier lieu le diacre Philippe chez qui il a logé à Césarée maritime, mais aussi les saints de Jérusalem qu’il a visités, et surtout Paul lui-même dont il fut le compagnon attitré pendant de longues périodes.
Les chrétiens furent certainement très nombreux dès les commencements, puisqu’ils furent l’objet de persécutions sévères et que malgré cela, en un siècle, ils se sont répandus à travers le monde connu. On peut même parler d’un succès fulgurant, mais entravé par une hostilité récurrente (laquelle dure encore !).
Page 50. Il aurait exercé au cours des années 30, en tant que rabbin, dans l’une des synagogues de Jérusalem.
Pure hypothèse émise par André Chouraqui, et que rien, n’appuie, ni dans les Actes, ni dans les épîtres. Il y a peu de place dans la chronologie de la vie de Paul pour un tel ministère. Au moment de la lapidation d’Etienne, vers 35, il sera encore qualifié de « jeune homme », par saint Luc (cf. Ac 7,58). Il est probable que, ses études terminées, il était absent de Jérusalem au moment de la Passion de Jésus-Christ, et au moment des derniers mois de son ministère.
Page 51. Le souffle d’un Démosthène et la prestance d’un Moïse.
Pure illusion que Paul dément à maintes reprises.
« C’est moi, Paul en personne, qui vous en prie, par la douceur et l’indulgence du Christ, moi si humble avec vous face à face, mais, absent, si hardi à votre égard. » (2 Co 10,1).
Minable en apparence ; hardi dans ses lettres.
Que faisait-il, en arrivant dans un « poste » de mission ? Il se mettait à travailler de ses mains calleuses, pour n’être à charge à personne. Vous appelez ça du souffle et de la prestance ?
« Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous, afin de gagner le plus grand nombre. » (1 Co 9,19). Un esclave, pas un pontife.
« Les lettres, dit-on, sont énergiques et sévères ; mais, quand il est là, c’est un corps chétif, et sa parole est nul. » (2 Co 10,10). Rien de l’éloquence de Démosthène ou de Cicéron. Rien même de la majesté de Moïse. Les Lycaoniens d’Asie mineure le comparaît à Hermès, tandis qu’ils accordaient la dignité de Zeus à saint Barnabé. Or Hermès, bien que plein d’entregent, n’avait pas la réputation d’être très beau.
Les Actes de Paul, certainement apocryphes, ne font que confirmer la tradition unanime sur l’apparence physique de Paul. Il était chétif et sans prestance. D’ailleurs des découvertes récentes de portraits de Paul, à Ephèse, dans les catacombes mêmes, à Saint-Paul-hors-les-murs, semblent bien nous révéler une effigie authentique de son aspect physique. Elles sont d’ailleurs conformes à la tradition iconographique, à la tradition légendaire et même scripturaire.
Page 52. Une analyse serrée des textes, due à Jean-Robert Armogathe, permet de souligner, chez Paul, le rôle des mains.
Pur fantasme. Paul avait des mains, c’est sûr.
Page 53. Paul s’est-il marié ?
C’est presque grotesque de poser la question. On n’imagine même pas Saul ou Paul marié. Il eût été obligé de faire suivre son épouse, comme Pierre. Il se proclame fièrement agamos, ce qui signifie n’ayant jamais été marié.
Page 53. Quand les premiers sont dénoncés par les seconds comme hellénistes.
Psychodrame imaginaire. Il y avait à Jérusalem des juifs hellénistes ; ils disposaient même de synagogues, et personne ne s’en offusquait. Ces hellénistes, loin de se montrer ouverts pour le christianisme, pouvaient lui être fort hostiles. Ce sont eux, les hellénistes, qui ont fomenté la mort d’Etienne.
Lesdites synagogues sont expressément citées par Luc, dans les Actes, avec la précision qu’on lui connaît : « Alors intervinrent des gens de la synagogue dite des Affranchis, des Cyrénéens, des Alexandrins et d’autres de Cilicie et d’Asie. » (Ac 6,9).
Page 54. On crée, au sein de la première Eglise, un Etat dans l’Etat.
Pure invention des exégètes modernes ! Decaux subit leur lecture partisane avec délectation ; Il n’y eut jamais un Etat-diacre dans l’Eglise. Et les diacres, – des serviteurs ! -, furent toujours soumis aux apôtres, puis ensuite aux évêques. Tels les soldats parmi les abeilles, ils n’avaient pas la faculté de se reproduire eux-mêmes. Ils dépendaient de la « Reine », en l’occurrence ici l’apôtre, puis l’évêque.
Page 55. l’indépendance fracassante d’Etienne ne tarde pas à inquiéter les chrétiens hébreux.
Où Decaux a-t-il trouvé ça ? Aucune mention dans les Actes. Etienne aurait-il été désavoué par les Douze ?
Etienne ? Un fanatique. Préfiguration sans doute de saint Paul. S’il a été éliminé, c’est qu’il l’a bien cherché. Et les chrétiens de langue hébraïque se sont frotté les mains de satisfaction. Etrange déchiffrement des Actes de Luc !
Page 57. Un juif n’a pas le droit d’écrire son nom. On le désigne par des consonnes imprononçables.
Galimatias. C’est le nom de Yahvé qu’on n’avait pas le droit d’articuler ; mais on l’écrivait par les lettres sacrées du tétragramme.
Mais encore, au temps de Saul, on pouvait entendre le nom de Yahvé prononcé dans la liturgie du Temple. L’interdiction absolue, et parfaitement abusive, n’est venue que plus tard. Les commandements divins proscrivaient seulement de prononcer à tort, ou en vain, le nom de Yahvé. Mais non pas de le prononcer avec respect dans la prière, dans la lecture publique ou dans la prédication. A quoi donc alors aurait-il servi ? Mais Jésus est venu révéler le véritable nom de Dieu qui est : Père. Il a mis fin, une fois pour toutes, à cette interdiction ou restriction.
Page 57. « Qui s’en va servir d’autres dieux et se prosterner devant eux, devant le soleil, la lune ou toute l’armée des cieux. »
Decaux cite le Deutéronome à propos de la mort d’Etienne, comme si Etienne avait servi d’autres dieux, le soleil, la lune ou les étoiles ! Absurde.
Etienne n’a pas été lapidé pour motif d’idolâtrie mais pour blasphème. En réalité, il a été exécuté par pur lynchage. Il n’a même pas été jugé.
Page 59. On lui donne vingt-cinq ans.
Toujours à cause du « jeune homme » d’Ac 7,38. 25 ans vers l’an 35, date présumée du martyre d’Etienne. Et du « vieil homme » de Phi 9. L’épître à Philémon écrite en captivité, à Rome, entre 60 et 62. 50 ans ( ?) vers 60.On est coincé entre ces dates extrêmes. Né en 10 semble en effet la bonne moyenne.
Paul a donc à peine 25 ans quand il déclenche la première persécution drastique contre la jeune Eglise chrétienne, et que lui-même va succomber au Christ, sur le chemin de Damas.
Page 60. Luc dépeint Paul « excessivement fou de colère ».
Etrange manie de romancier, ou d’exégète, de ne pas rapporter les faits exacts. Ce n’est pas Luc, c’est Paul lui-même qui dans ses discours reproduits dans les Actes décrit sa propre psychologie, celle d’avant sa conversion.
Les discours de Paul dans les Actes sont bel et bien de style paulinien, et donc authentiques. Ils ne sont pas des inventions littéraires de Luc, qui a pu les noter, puisqu’il en fut souvent le témoin auditif.
Que Luc nous ait conservé le corpus des épîtres de Paul (c’est forcément quelqu’un qui nous l’a conservé) ou qu’il ait retranscrit ses discours dans les Actes, quelle différence ? C’est toujours le même Paul qui parle, avec la même pertinence de pensée, la même véhémence.
Prétendrait-on qu’on peut détecter des traces de style lucanien dans les propos de Paul tels que reproduits dans les Actes ? Comme s’il n’y en avait pas aussi dans les épîtres ! En particulier les Pastorales, qui ont été rédigées par Luc lui-même sous la dictée de Paul. « Seul Luc est avec moi. » (2 Tm 4,11).
Comment ne voyez-vous pas que les épîtres de Paul, les Actes des apôtres, et le troisième évangile, forment un seul ensemble littéraire, réuni par une seule et même personne ? Decaux l’a bien subodoré, quant à lui, mais il ne l’affirme pas positivement.
Page 62. A aucun moment ils ne se sont montrés partisans d’Etienne.
Comme si les apôtres eux-mêmes n’avaient pas ordonné les Sept ! Comme si Philippe et les autres diacres s’étaient révoltés contre les Douze ! Mais non, après l’évangélisation de la Samarie, Pierre et Jean iront eux-mêmes confirmer les nouveaux croyants.
« Apprenant que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu, les apôtres qui étaient à Jérusalem y envoyèrent Pierre et Jean. » (Ac 8,14). Je ne vois là aucun signe de schisme entre les Sept (ou ce qu’il en reste) et les Douze, aucune révolution. Toujours cette lecture tendancieuse de l’histoire de l’Eglise primitive, imposée par l’opinion exégétique dominante.
Page 63. L’étroite communauté chrétienne est surtout – pense-t-on – composée d’hellénistes. (Michel Quesnel).
Vous n’en savez rien ! Pure supposition. Les chrétiens de Damas que rencontrera Paul au moment de sa conversation : Judas, Ananie, n’ont pas du tout des noms à consonance hellénique, mais bien plutôt hébraïque. Et Ananie, quand il interpelle Paul, lui parle en araméen, non en grec : « Saoul, mon frère, celui qui m’envoie, c’est le Seigneur… » (Ac 9,17). De la même manière, le Christ s’était adressé à Paul en araméen, en le renversant sur le chemin de Damas : « Saoul, Saoul, pourquoi me persécutes-tu ? » (Ac 9,4). Cela tranche d’autant plus dans le grec des Actes. Et Luc a fait sentir volontairement la langue originale employée. Partout ailleurs, le jeune Saul est bel et bien dénommé : Saul (Saulos).
Page 63. C’est à tort que Luc l’a cru. Le Sanhédrin n’exerçait pas la moindre autorité sur les synagogues de Damas.
Encore les élucubrations de la prétendue historienne Marie-Françoise Baslez, que Decaux suit comme son ombre ! Mais Decaux se contredit ici, puisqu’il affirmait exactement le contraire page 21. Je le cite : « Au Ier siècle les juifs disposent dans l’empire romain d’une juridiction propre – quoique limitée. » Et cette juridiction leur fut accordée dès le temps de Jules César, qui était l’ami des juifs, ou que les juifs tenaient pour leur ami.
Il ne faut pas confondre le sort de la nation juive avant ou après la défaite de 70 et la ruine du Temple. Avant 70, les juifs, ayant leur nation propre, se considéraient comme quasiment indépendants dans l’empire pour leurs affaires internes, et le sanhédrin de Jérusalem – le sanhédrin du Temple ! – s’arrogeait naturellement une pleine autorité sur toute la dispersion des juifs. C’est à lui qu’on payait l’impôt du Temple, ce qui lui conférait une puissance économique énorme, un prestige intact.
Si le juif Paul n’était pas mandaté par le Sanhédrin, son voyage à Damas n’eût pas eu de sens.
Page 64. N’étant ni officier romain ni de la suite du roitelet Hérode Antipas, il ne peut que voyager à pied.
Mais il était l’agent du Sanhédrin et des grands prêtres de Jérusalem ! Il disposait de ses finances propres et de ses accompagnateurs. Il n’avait besoin de suivre aucune caravane. Saul bénéficiait certainement d’une monture, et voyageait très vite. Rubens, Caravage et Michel-Ange l’avaient mieux compris que vous.
Page 65. On remarquera que pas une fois dans les Actes, Luc ne donne à Paul la qualité d’apôtre.
Vous les avez mal lus ! « La population de la ville se partagea. Les uns étaient pour les juifs, les autres pour les apôtres. » (Ac 14,4). Et encore : « Informés de la chose, les apôtres Barnabé et Paul déchirèrent leurs vêtements. » (Ac 14,14).
On remarquera bien que pour Luc il ne s’agit pas d’un « treizième apôtre » (sic), expression que la tradition n’a jamais retenue, puisque aussi bien Barnabé que Paul sont désignés du nom d’apôtre. Le mot d’apôtre, même dans le Nouveau Testament, relève d’acceptions différentes. Il y a les apôtres au sens strict, ceux désignés par Jésus-Christ ; ce sont les Douze. Puis les apôtres, au sens plus large d’envoyés authentiques.
Paul l’expliquera lui-même. Dans l’épître aux Romains (dans cette finale qu’on pense destinée à l’Eglise d’Ephèse) : « Saluez Andronicus et Junias, mes parents et mes compagnons de captivité ; ce sont des apôtres marquants qui m’ont précédés dans le Christ. » (Rm 16,7). Avec Andronicus et Junias (parfaits inconnus par ailleurs), on parviendrait au total de 15 apôtres !
Aujourd’hui encore, on fait de l’apostolat. On est donc apôtre.
Page 66. Luc modifie chaque fois son récit.
Même impéritie ! Ce n’est pas Luc, c’est Paul qui dans sa vie et dans les Actes modifia chaque fois son récit. Pouvez-vous prouver, même, que c’est Luc qui a écrit les Actes ? Vous ne le pouvez pas ; il y a des exégètes qui le nient. Alors pourquoi écrivez-vous : Luc a écrit ? Soyez logique.
Page 68. Le plus ancien témoignage sur la Résurrection de Jésus.
Extrêmement douteux. D’abord il faudrait dire : le plus ancien témoignage écrit, et qui nous soit parvenu, ce qui est différent.
Ensuite, ce témoignage de la première aux Corinthiens n’est certainement pas le premier en date, le plus ancien, dans le Nouveau Testament. Les épîtres aux Thessaloniciens sont plus anciennes. Elles datent vraisemblablement des années 50 à 52. Elles ont été écrites à Corinthe même, justement. Tandis que la première aux Corinthiens, elle, fut envoyée d’Ephèse pendant le troisième voyage apostolique de Paul, vers 53-54, plus tôt même que ne le prétend Decaux, qui la date seulement de 55-57.
Or les épîtres aux Thessaloniciens, non seulement supposent : c’est évident, mais encore professent formellement la Résurrection du Christ.
Faut-il citer les textes ? « Puisque nous croyons que Jésus est mort et qu’il est ressuscité, de même, ceux qui se sont endormis en Jésus, Dieu les emmènera avec lui. » (1 Th 4,14). N’est-ce pas suffisamment clair ?
« Car lui-même, le Seigneur, au signal donné par la voix de l’archange et la trompette de Dieu, descendra du ciel… » (1 Th 4,16). S’il doit descendre du ciel, c’est qu’il y est déjà monté.
« Quand le Seigneur Jésus se révèlera du haut du ciel, avec les anges de sa puissance, au milieu d’une flamme brûlante, et qu’il tirera vengeance de ceux qui ne connaissent pas Dieu… » (2 Th 1,7-8). Le Seigneur Jésus est ce Fils de l’homme prophétisé aussi bien par Daniel que par Hénoch et Esdras. Il viendra sur les nuées du ciel. Donc, forcément, il est déjà ressuscité.
« La Venue de Notre Seigneur Jésus-Christ. » (2 Co 2,1) Sa venue, donc son retour.
« C’est à quoi il vous a appelés par notre Evangile, pour que vous entriez en possession de la gloire de notre Seigneur Jésus-Christ. » (2 Th 2,14). Ce Jésus est déjà dans la gloire ; il ne gît plus dans un tombeau.
L’épître aux Corinthiens, forcément plus tardive que les épîtres aux Thessaloniciens, n’est donc pas le plus ancien témoignage écrit sur la Résurrection de Jésus. De plus est-on sûr que l’évangile de Marc n’a pas été publié dès avant cette date de 50-52 ?
Page 68. L’évangile de Marc - le premier des quatre - sera écrit au plus tôt entre 65 et 70. Le texte reprendra fidèlement le schéma tracé par Paul.
Vous n’en savez rien. Quels repères avez-vous ? Vous n’en donnez aucun.
De plus, Marc ne reprend aucunement le schéma de Paul concernant la Résurrection de Jésus-Christ, puisqu’il ne mentionne pas à l’apparition à Céphas. Il ne parle même pas de l’apparition aux Douze (comme dit Paul) ou plutôt aux Onze, sinon dans une finale rajoutée après coup (Mc 16,9-20), puisqu’il s’interrompt brusquement (dans le texte de sa main) sur la fuite des femmes, toutes tremblantes, après la vision de l’ange.
De même, Marc ne fait aucune allusion à une apparition à l’apôtre Jacques le mineur, ainsi qu’à 500 frères à la fois, dont pourtant Paul nous parle dans le même passage de l’épître aux Corinthiens, et que Decaux passe sous silence.
Nous ne connaissons ces deux apparitions, à Jacques, ainsi qu’à 500 frères à la fois, que par le témoignage de saint Paul. Elles ne sont rapportées par aucun des quatre évangiles canoniques.
Marc n’a donc pas repris le schéma de Paul. Le Marc authentique, c’est le disciple de Pierre qui a reproduit fidèlement le kérygme du chef des apôtres. Car Marc fut aussi le disciple direct de saint Pierre.
On peut situer facilement la rédaction et la divulgation de son évangile dès les années 55-56, peut-être même avant, puisque les évangiles de Luc, puis de Matthieu, rédigés vers 60-62, le supposent.
Mais d’autre part l’évangile en langue hébraïque de l’apôtre Matthieu (les fameuses Logia du Seigneur, dont l’ancienne tradition témoigne) avait été écrit forcément avant celui de Luc et de Matthieu grec, qui l’utilisent. Peut-être du vivant même de Jésus, ou peu de temps après sa Résurrection. Ce devait être un recueil des paroles du Maître, à l’usage des missionnaires itinérants. Nous en possédons des extraits, par exemple dans le Sermon sur la montagne, aussi bien chez Luc que chez Matthieu grec.
Page 71. On ignore s’il est marié ou s’il l’a été.
Il a sans doute tué sa femme puisque, nous dit Decaux, depuis quelque temps il manifestait des sentiments violents.
Page 72. Les chrétiens se fondaient pour justifier leur transgression de la Loi.
Les chrétiens ne transgressent pas la Loi (celle des dix commandements). Ils l’observent toujours. Et même ils lisent la Torah tous les dimanches à la messe. Vous appelez ça transgresser ? Voila bien l’exégèse moderne, et plus qu’aventureuse. Elle ne manque pas d’un certain toupet.
Page 73. Le Dieu de la Loi est devenu le Père de Jésus-Christ.
Est devenu ? Donc il ne l’était pas. Etrange métamorphose.
Relisez donc le prophète Daniel, ou encore Hénoch. Jésus est ce Fils de l’homme DESCENDU DU CIEL et venu sur les nuées. Pas étonnant qu’il y soit tout à coup remonté.
Paul le voyant assis à la droite du Père l’aperçoit à sa
place ETERNELLE, qu’il avait pour un peu de temps désertée. Est-ce suffisamment
clair ?
Page 74. Des membranes !
Le texte original (Ac 9,18) est pourtant clair, qui parle de lépides, squamae, mot qui se traduit sans ambiguïté par « écailles », « coques ». Je ne sais quel plaisir l’on peut prendre à déformer sciemment le sens obvie des mots. Intempérance d’exégète à la mode, ou de romancier.
Page 75. Proclamée en 258, la sainteté.
En ce temps-là il n’existait pas encore de canonisation place Saint-Pierre. Si Paul est fêté le 29 juin, conjointement avec Pierre depuis l’an 258, c’est tout simplement parce qu’à cette date ses restes mortels ont été joints à ceux de saint Pierre, dans une catacombe pour les protéger des profanations. On était en pleine persécution. Saint Pierre aurait-il aussi été canonisé à cette date ? Voila qui est absurde.
Saint Pierre et saint Paul étaient canonisés du fait même qu’ils étaient apôtres authentiques de Jésus-Christ. Leurs paroles, comme leurs écrits, étaient inspirés de l’Esprit Saint. De plus ils sont restés fidèles à cette parole et en ont témoigné par le martyre. De quoi les canoniser d’office sans attendre l’an 258.
Voila comment s’exprime à leur sujet (les deux témoins, les deux oliviers) l’Apocalypse, rédigée bien avant 258 :
« Les habitants de la terre s’en réjouissent et s’en
félicitent ; ils échangent des présents, car ces deux prophètes leur
avaient causé bien des tourments. Mais, passés les trois jours et demi, Dieu leur
infusa un souffle de vie qui les remit sur pieds, au grand effroi de ceux qui
les regardaient. J’entendis alors une voix puissante leur crier du ciel :
‘Montez ici !’ Ils montèrent donc au ciel dans la nuée aux yeux de leurs
ennemis. » (Ap 11,10-12).
Saint Pierre et saint Paul ont donc été canonisés trois jours et demi après leur martyre, et non pas en 258.
Aujourd’hui encore on vénère « les chefs », ou « les crânes », de Pierre et Paul, réunis dans un même reliquaire au-dessus du maître-autel de la basilique du Latran. A supposer même que les restes mortels des grands apôtres ne fussent pas authentiques – ils ont pourtant été conservés avec un soin jaloux par l’Eglise romaine depuis l’antiquité – la vénération à leur endroit demeurerait, intacte.
Page 75. Luc veut croire que Saul proclamait dans les synagogues « que Jésus était le Fils de Dieu ». Vraiment ?
Puisqu’on vous le dit ! Cela n’a rien d’incroyable puisque le Fils de Dieu, et ce Fils de l’homme, c’est la même chose. Il venait de l’apercevoir en personne.
Page 75. Se précipiter dans un de ces temples de la foi juive… pour y prier.
C’est bien mal comprendre le rôle d’une synagogue au premier siècle de notre ère ! la synagogue n’est pas un Temple ; il n’y a qu’un seul Temple, celui de Jérusalem. Les autres temples sont strictement INTERDITS (verboten) par la Torah. Comme l’étymologie de son nom l’indique, la synagogue n’est qu’un lieu de rassemblement pour la communauté juive, destiné à l’écoute de la parole de Dieu, le jour du sabbat, utile pour l’éducation religieuse des enfants.
S’il n’existe pas de bâtiment de pierres, on se réunit au bord d’une rivière, pour les ablutions. On peut prier partout, du moment qu’on se tourne vers le saint lieu.
Si Paul se précipite dans une synagogue, comme il en est coutumier, ce n’est pas pour y prier, c’est pour rencontrer ses frères juifs, ou les prosélytes, et leur annoncer la Bonne Nouvelle du salut en Jésus-Christ. Il le faisait donc avant tout pour y prendre avec autorité la parole en public, car c’était le droit strict de tous les croyants. On a bien vu Jésus-Christ en user de même.
Paul ne quittera la synagogue, où il se considérait comme chez lui, que quand il en sera chassé. Cela ne tardera guère.
Page 76. Je gage que nous nous serions précipités à Jérusalem pour reconnaître notre erreur.
C’est bien mal apprécier la psychologie de Paul. Oubliez-vous qu’il vient d’être baptisé ? Or le baptême chrétien enlève radicalement tous les péchés, avec toutes leurs séquelles. Paul se trouvait pur, et innocent comme un enfant. Il n’éprouvait pas même le besoin de se rendre à Jérusalem pour y confesser ses péchés : il n’en avait plus ! Eût-il été-il un grand persécuteur.
Page 76. Les Actes des Apôtres observent un silence absolu sur le séjour de Saul en Arabie.
Pourquoi l’aurait-il tu délibérément ? Dans quel intérêt ? Peut-être Luc n’en a-t-il rien su. Peut-être n’avait-il rien à en dire. Peut-être a-t-il résumé, par endroit, la vie de saint Paul. De même les quatre évangélistes, donc Luc, ont omis bien des épisodes de la vie de Jésus. Ils ont utilisé des raccourcis flagrants.
L’historien antique n’éprouvait pas ce souci moderne d’exhaustivité. Pourvu que l’énoncé présent ne fût pas inexact, on s’en contentait. « Au bout d’un certain temps » disait Luc (Ac 9,23). Ce temps comprenait les trois ans passés en Arabie, et les deux séjours à Damas les encadrant, que l’on connaît par ailleurs, par les épîtres. On ne voit pas là de contradiction.
Page 77. Sans cet orgueil grandiose, Saul de Tarse ne serait pas devenu saint Paul.
Drôle de façon de pratiquer l’humilité ! Il est vrai que saint Paul a placé son orgueil dans le Christ. Il a pris ce parti et n’en démordra pas.
Page 77. L’épître (aux galates) a dû être écrite en 56 ou 57.
Entre fin 53 et début 56, selon ma chronologie probable du Nouveau Testament. Soit lors du séjour de Paul à Ephèse, où il résida pendant deux ans et demi. En tous cas avant fin 56 où se produisit la fameuse émeute d’Ephèse racontée dans les Actes et qui obligea Paul à rejoindre la Macédoine.
La rédaction de l’épître aux Galates se situerait, selon toute vraisemblance, entre la première (écrite à Ephèse) et la seconde (envoyée de Macédoine) épîtres aux Corinthiens.
Page 77. En 56-57, Paul dépassera la quarantaine.
Bon poids, s’il est né en 10. Paul aurait alors 46 ou 47 ans.
Page 77. L’Arabie des contemporains de Saul désigne une région précise : le pays des Nabatéens.
C’est une supposition, non une certitude. Néanmoins elle devient probable quand on apprend que plus tard Paul à Damas sera recherché par le représentant du roi des Nabatéens, qui depuis lors avait investi la ville. (Cf. 2 Co 11,32-33).
Page 79. Répudiée, la fille d’Arétas lui a été renvoyée sans autre forme de procès.
Erreur historique. Les choses ne se sont pas passées ainsi. Hérode Antipas, lors d’un voyage en Italie s’était épris d’Hérodiade, la femme de son demi-frère Philippe. Son épouse, restée au pays, en fut informée. Avant le retour d’Hérode, elle se réfugia d’elle-même chez son père et le mit au courant de son infortune.
Page 79. Arétas s’est contenté de causer mille ennuis aux juifs de la région.
Autre erreur historique. L’armée d’Arétas a bel et bien attaqué puis vaincu les troupes d’Antipas, vers 35/36 de notre ère. Les juifs ont vu dans cette cuisante défaite du tétrarche de Galilée une « vengeance divine » pour le crime encore récent (vers février 32) commis contre Jean-Baptiste.
Mais le roi Arétas eut des ennuis du côté des romains, car Antipas s’était plaint en haut lieu, auprès de Tibère. Toutefois, Arétas échappa de justesse à la punition des armées romaines… grâce à la mort de ce même Tibère, survenue en 37. Le général romain qui venait l’attaquer rebroussa chemin à cette nouvelle.
C’est dans de telles circonstances historiques que se place le séjour de Paul chez les Nabatéens.
Cela cadre tout à fait avec notre schéma chronologique, car Arétas a dû investir Damas vers fin 37, après la mort de Tibère donc. Et Paul, qui était retourné dans cette ville, eut maille à partir avec le représentant d’Arétas comme il nous l’apprend lui-même. (Cf. 2 Co 11,32-33, déjà allégué).
Je doute que cela cadre avec le schéma chronologique d’Alain Decaux, assez imprécis pour cette période, et qui place plus tôt la conversion de Paul et donc son séjour chez les Nabatéens.
Page 83. Luc montre son héros reprenant ses prédications à Damas comme s’il n’était parti que de la veille.
Et pourquoi pas ? Paul restait juif, et en tant que tel avait son entrée dans les synagogues. Il procédera ainsi toute sa vie. Il ne s’agit pas d’homélies à proprement parler, mais plutôt de témoignages, suivies de discussions serrées. Il ne s’adresse pas à des fidèles de sa secte (il n’en a pas encore) mais à des collègues en judaïsme, comme en études bibliques. Il s’agit de démontrer par la Torah, justement, que Jésus est le messie, le Fils de Dieu. Que les échanges eussent été vifs, cela va de soi.
Page 83. Personne n’a jamais laissé entendre que le Très-Haut pouvait avoir un fils.
Vous n’avez jamais lu la Bible !
« Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils. » (2 S 7,14).
« Je publierai le décret de Yahvé. Il m’a dit :’Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. » (Ps 2,7).
« Oracle de Yahvé à mon Seigneur : ‘Siège à ma droite, tant que j’aie fait de tes ennemis l’escabeau de tes pieds’. Ton sceptre de puissance, Yahvé l’étendra : depuis Sion, domine jusqu’au cœur de l’ennemi. A toi le principat au jour de ta naissance, les honneurs sacrés dès le sein, dès l’aurore de ta jeunesse. Yahvé l’a juré, il ne s’en dédira point : ‘Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech’. » (Ps 110,1-4).
Et dans le prophète Daniel n’avions-nous pas déjà la vision d’un Fils de Dieu ? « Voici, venant sur les nuées du ciel, comme un Fils d’homme. Il s’avança jusqu’à l’Ancien et fut conduit en sa présence. A lui fut conféré empire, honneur et royaume, et tous peuples, nations et langues le servirent. Son Empire est un empire éternel qui ne passera point, et son royaume ne sera point détruit.» (Dn 7,13-14).
Il n’est pas jusqu’à ses souffrances, ses humiliations, qui n’aient été clairement décrites d’avance, avec toute la précision désirable, par le prophète Isaïe (vrai prophète celui-là, s’il en fut).
Ce dossier ne vous donne-t-il pas à réfléchir ? Paul avait surabondamment de quoi amorcer le dialogue avec ses interlocuteurs juifs. Il ne s’est pas gêné.
Ce n’est pas qu’il existât un Fils de Dieu, d’ailleurs, qui rebutait ses contradicteurs. L’idée était dans l’air depuis longtemps. Ce qui les révulsait, c’était que ce Fils de Dieu fût précisément Jésus le Nazaréen, celui qu’ils avaient crucifié, il y a peu de temps.
Hénoch, IV Esdras, les Testaments des Douze patriarches, les écrits esséniens avaient préparé depuis longtemps Israël à l’idée du messie, comme Fils de David, Fils de l’Homme et Fils de Dieu. L’espérance d’un messie était plus vivace que jamais. Tout le monde, à l’image de Siméon, et surtout de Marie, attendait « la consolation d’Israël. » (Lc 2,25).
Page 83. La version de Paul est tout autre.
Comme s’il ne pouvait pas y avoir collusion entre le représentant d’Arétas et les juifs de Damas ! C’est même probable. Partout les juifs chercheront à se concilier le pouvoir en place. Le récit de Luc et celui de Paul sont même remarquablement concordants pour ce qui regarde la matérialité des faits. D’ailleurs Luc, en composant les Actes, tenait en main les lettres de Paul. C’est même lui qui en réuni le corpus et qui l’a transmis à la postérité. On ne voit pas pourquoi il les aurait contredites à plaisir.
Donc Paul, alors que toutes les portes de la ville étaient gardées, s’est évadé de nuit dans un panier, avec la complicité des disciples.
Paul Rocambole, on aura tout vu !
Page 84. Saul ne cesse de déconcerter.
Parce que vous avez de lui une idée toute faite qui ne correspond pas à la réalité. Vous refusez de comprendre la psychologie de Paul. Elle est pourtant bien simple : il était plein de Jésus-Christ, et c’est tout.
Cela explique aussi bien son silence (ne pouvait-il pas être un moine ou un ermite, avant la lettre), que ses paroles (pouvait-il taire, je vous le demande, ce qu’il avait vu ?).
Chez les Nabatéens, où devait se rencontrer des juifs, il a certainement débuté son apostolat. D’où la haine aussi bien de l’idolâtre Arétas IV, que des juifs. Cette coalition vous étonne ? Elle n’est pourtant pas plus romanesque que vos histoires de toiles de tente, ou de conflits d’argent, que vous inventez gratuitement.
Page 84. Que quelques-uns des témoins de la vie de Jésus aient conservé certains de ses propos, on ne peut l’exclure. A condition que cela ait été rédigé après coup.
Comment expliquez-vous donc que la sténographie ait été inventée des années avant Jésus-Christ, par Tiron, le secrétaire de Cicéron, qui notait ses longs discours, pris sur le vif, au moyen des fameuses notes tironiennes.
Tiron fut aussi l’inventeur de l’esperluette : &.
Le saviez-vous ? Moi non, Wikipédia vient de me l’apprendre à l’instant. C’est même la première fois que je tape l’esperluette, qui est bel et bien présente (genre féminin) sur mon clavier d’ordinateur. J’ignorais même l’existence du mot.
Les auditeurs de Jésus n’ont peut-être pas utilisé l’esperluette, mais plus malins que vous ne pensez, ils pouvaient fort bien noter des propos à la volée, ou tout au moins les consigner le soir. Les tablettes existaient, qui servaient de carnets pour l’écriture rapide. On les utilisait en Judée. En voulez-vous la preuve ? Zacharie, rendu muet par l’ange, se fit apporter une tablette pour écrire : « Son nom est Jean » (Lc 1,63). (Je note ce qui précède un 24 juin, jour de ma fête.)
Les contemporains de Jésus étaient loin d’être des analphabètes, et l’écriture, lente ou rapide, était inventée depuis fort longtemps. Les scribes existaient. C’était même une profession reconnue.
Comment expliquez-vous que les longs discours de saint Paul, retranscrits dans les Actes, ressemblent trait pour trait, par le style, par la pensée, par la doctrine, j’allais dire par la théologie, à ses écrits authentiques, les épîtres, qui elles-mêmes s’apparentent étrangement à des discours pleins de véhémence. Il faut bien que les discours de Paul aient été saisis à la volée. On évoque la mémoire. Mais la mémoire, il n’est pas interdit de l’aider.
Ce qui précède est tellement vrai que lorsqu’on cite saint Paul, on le fait aussi bien en se référant à ses épîtres qu’à ses discours dans les Actes. Pour ma part, c’est ainsi que j’en use couramment. Et je ne vois pas de différence.
Prenons un exemple, je vous prie. A quel endroit saint Paul a-t-il cité Aratus, poète originaire de Cilicie comme lui, son compatriote donc, en disant : « Car nous sommes aussi de sa race » ? Eh bien, c’est dans les Actes (17,28). Ce discours de Paul devant l’aréopage d’Athènes (prononcé sans doute en l’an 50) a toute l’apparence d’être authentique, et noté sur le vif. Il rappelle de fort près, par son mode d’argumentation, l’épître aux Romains (rédigée sans doute en 57).
A moins que Luc ait composé à lui tout seul, à la fois les épîtres et les Actes ! Ce serait une bonne explication. Une explication qui est d’ailleurs en partie valable, car certaines épîtres, par exemple les Pastorales, sont visiblement sorties du stylet de Luc. Et c’est Luc, comme je l’ai déjà dit, qui a rassemblé tout le corpus paulinien.
Page 85. La datation des évangiles.
La datation des évangiles que vous proposez résulte d’un consensus assez général. Mais ce consensus ne repose pas sur des preuves convaincantes, et peut être remis en question. Il est faux, par exemple, d’avancer que l’évangile de Marc ait été rédigé après la mort de Pierre et Paul. La prédication de l’apôtre Pierre, à Rome, a certainement été notée de son vivant, et diffusée dans les milieux chrétiens avec son approbation. C’est d’ailleurs ce que raconte la tradition, et elle est vraisemblable sur ce point.
D’après Eusèbe cette tradition nous serait parvenue par l’intermédiaire de Clément d’Alexandrie, dans ses Hypotyposes, et par l’intermédiaire de Papias, l’évêque d’Hiérapolis. (Cf. Hist. Eccl. II, 15, 2).
Or Clément de l’école d’Alexandrie était fort bien placé pour recueillir la tradition provenant de saint Marc, qui aurait été le premier évêque d’Alexandrie. C’est en Egypte, d’ailleurs, que l’évangile de Marc s’est le plus vite répandu, sous la forme du codex, qui était alors un mode tout à fait nouveau d’édition de manuscrits.
Quant à l’évangile de Luc il a certainement été écrit, puis publié, à Rome, comme celui de Marc, mais vers les années 60-62, au moment du séjour de Paul et Luc dans la capitale de l’empire.
L’évangile de Matthieu grec est contemporain de celui de Luc car il ne le connaît pas mais utilise pourtant des sources identiques : l’évangile de Marc, bien sûr, qui sert de trame aux deux autres synoptiques, mais aussi les logia du Seigneur, l’évangile en langue hébraïque (araméen très certainement) que la tradition attribue formellement à l’apôtre Matthieu, et qui devait être très ancien, très primitif, peut-être noté du vivant du Christ.
Quant à l’évangile de Jean la date avancée ici, de 90, est trop tardive. Il a été rédigé, certes, postérieurement à l’Apocalypse, qui le prophétise avec précision (cf. Ap 10), après la destruction de Jérusalem, vers les années 70-80, sous Vespasien ou Titus, dans une période d’apaisement donc, pour la communauté chrétienne. Les épîtres de Jean doivent être un peu postérieures à l’évangile. L’apôtre Jean, quant à lui, aurait vécu jusque sous Trajan. Mais l’on n’est pas obligé de voir dans tous les écrits qu’il nous légués des œuvres de vieillesse. Ce serait une erreur de perspective.
La description très détaillée du IVe évangile qu’on trouve par avance dans l’Apocalypse, avec entre autres son plan septénaire, prouve que Jean l’avait pratiquement dans la tête au moment de la chute de Jérusalem. Mais il a dû pourtant le méditer longuement (ce que lui conseillait explicitement l’ange !), le peaufiner, le reprendre avant de le coucher lui-même sur le papyrus, ou de le dicter au scribe. On trouve la trace de ces longues méditations dans l’évangile, quand on l’étudie de près.
« Quand les sept tonnerres eurent parlé, j’allais écrire, mais j’entendis du ciel une voix me dire : ‘Tiens secrètes les paroles des sept tonnerres et ne les écris pas’. » (Ap 10,4).
Jean avait l’ordre de ne pas écrire encore son petit livre en sept chapitres (les sept tonnerres, ou révélations), tant que durait la persécution néronienne, dont l’issue à l’époque était imprévisible. Il le ferait plus tard.
Les Actes des Apôtres, qui prennent fin à l’issue de la première captivité romaine de Paul, ont dû être publiés en même temps que l’évangile de Luc, vers 62, donc.
Il reste fort possible que l’évangile de Luc, comme les Actes, aient connu une seconde édition en Grèce, où était retourné Luc, car ils nous sont parvenus sous deux formes (surtout les Actes) légèrement différentes : le texte dit alexandrin, car fixé en Egypte, et le texte dit occidental, car surtout répandu en Occident. Ces deux éditions paraissent authentiques, de la main même de Luc.
Le scénario que je propose ici vaut bien le vôtre.
Page 86. Le premier manuscrit des évangiles, le Vaticanus est daté de 331.
C’est négliger l’existence des papyri, bien plus anciens, qui attestent la présence antérieure des évangiles. Le Vaticanus n’est que le plus ancien manuscrit complet du Nouveau Testament qui nous soit parvenu. Et encore avec quelques lacunes, puisqu’il y manque : 1 Tm, Phm, He 9,14 -- 13,25.
Mais les papyri, dont certains contiennent des livres presque entiers, sont plus anciens. Le fragment de l’évangile de saint Jean, le plus antique, le P 52, est daté des environs de 125, ce qui prouve la diffusion rapide de cet évangile en Egypte, peu de temps après sa publication.
Decaux le dit lui-même, mieux que moi, page suivante. Je ne l’avais pas encore lue ! « J’ajouterai qu’une collection de papyrus grecs, copiés autour de l’an 200 – les Papyrus Chester Beaty -, nous restitue une Bible [Decaux veut dire un Nouveau Testament] presque complète, y compris les épîtres de Paul. »
Page 87. La fragilité extrême [relative] du support de ces textes les a à peu près fait disparaître.
Il faut compter aussi avec les persécutions.
Tertullien témoigne quelque part qu’à Rome dans la bibliothèque officielle de l’Eglise romaine on possédait encore, de son temps, les originaux des textes apostoliques (au moins de certains, j’imagine). Mais la bibliothèque de l’Eglise romaine, avec toutes ses archives, fut entièrement été détruite lors de la persécution de Dioclétien.
Il ne faut jamais oublier que le persécuteur organisait la réquisition et la destruction systématique des livres saints. Si les textes du Nouveau Testament nous sont quand même parvenus, cela prouve qu’ils étaient recopiés à d’innombrables exemplaires.
Page 87. Paul mourra avant d’avoir pu lire un seul évangile.
Ce n’est pas sûr. Lui-même laisse supposer le contraire à plusieurs reprises.
« Nous envoyons avec lui le frère dont toutes les Eglises font l’éloge au sujet de l’évangile » dit-il dans la deuxième aux Corinthiens (8,18), vers fin 56 sans doute.
Il ne peut s’agir que de saint Marc, déjà célèbre donc, dans toutes les Eglises pour la publication de son évangile, lequel servira de canevas aussi bien à Luc qu’à Matthieu grec (probablement le diacre Philippe, vivant à Césarée maritime).
Paul lui-même a pu, et dû, participer à la confection de l’évangile de Luc – comme des Actes, d’ailleurs ! Il en eut tout le temps, pendant ses longues années de captivité, tant à Césarée maritime qu’à Rome, de 57 à 62. Il nous est rapporté expressément qu’on pouvait le visiter dans ses fers, aussi bien à Césarée maritime qu’à Rome. Le diacre Philippe, résidant précisément à Césarée maritime, n’a pas dû se gêner. Encore moins Luc, le compagnon fidèle, qui le suivit de près, aussi bien en Palestine que dans la capitale de l’empire.
Paul parle quelque part de « mon évangile » (je n’ai plus la référence en tête). Il fait allusion à celui de Luc, confectionné de conserve - avec les Actes, encore une fois - aussi bien par Luc que par Paul.
Page 87. Intégrées à l’évangile, ces lignes de Paul sont maintenant prononcées chaque jour.
Ce n’est pas étonnant, si Paul les a lui-même intégrées ! Les récits de l’Institution, dans Luc et dans Paul, sont étroitement similaires.
La Bible de Jérusalem note, au verset 11,25 de la première aux Corinthiens : « Le texte de Paul est proche de celui de Luc 22,19-20 ».
C’est la même tradition reçue du Seigneur, en particulier grâce au témoignage de Pierre, recueilli par Marc (14, 22-25) et par Paul (1 Co 11,23-25).
Repris de Marc et de Paul, par Luc (22, 19-20).
Repris de Marc, par Matthieu grec (26,26-29), qui ne disposait pas des textes de Luc, ni de Paul.
Mais Matthieu grec, certainement le diacre Philippe, ou quelqu’un de similaire en Palestine, (forcément un helléniste), avait pu interroger de son côté l’apôtre Pierre.
Page 88. Trois ans ajoutés aux trois années d’Arabie ?
Qui vous dit qu’il a passé trois en Arabie ? Vous l’avez inventé. Il n’y a peut-être fait qu’un court séjour, puisque Luc lui-même n’en parle pas.
Page 88. Les trois ans devraient se compter à partir de sa conversion.
C’est probable mais non certain. La Bible de Jérusalem ne l’entend pas ainsi. Elle note au verset Ga 1,18 : « {Trois ans] Passés à Damas après son retour d’Arabie. Quand les Nabatéens eurent pris le contrôle de Damas, probablement à la fin de 37, Paul fut contraint de s’enfuir.» On ignore la durée du séjour en Arabie. Peut-être pris seulement quinze jours. La chronologie qu’on peut tirer de ces propos (de Luc et de Paul) est incertaine, il faut le reconnaître. Voilà tout.
Page 88. Car il marche vers Jérusalem, Saul. Enfin.
Etrange compréhension de la psychologie de son héros. C’est tout juste s’il ne l’engueule pas. Comme si Paul ne connaissait pas encore le Christ ! Il l’a vu, oui et cela lui suffit. Christ lui a parlé. Il lui a révélé d’un coup les mystères du Royaume. Que chercher de plus ? On dirait que dans votre longue vie vous n’avez jamais interrogé de voyant. Vous auriez pu pourtant en croiser sur votre route. Un voyant ne doute pas : il a vu.
Si Paul monte à Jérusalem, c’est avant tout pour s’intégrer à la Grande Eglise. Il ne veut surtout pas créer sa propre secte. Cela lui serait si facile ! Etrange que vous ne saisissiez pas cet aspect communautaire de l’Eglise. Cet aspect catholique, présent dès l’origine, et que nient arbitrairement et avec trop de désinvolture les exégètes à la mode.
La Grande Eglise a été fondée par l’Esprit Saint le jour de la Pentecôte, au moyen de Pierre, d’André, de Jean, des deux Jacques, de Matthieu etc.… et de la Vierge Marie, et des 120 personnes au total, présentes dans le Cénacle.
Malheur à qui ne s’agrège pas à elle !
C’était vrai hier, comme ça l’est aujourd’hui.
Il n’existe pas plusieurs Esprits Saints ; il n’en est qu’un seul. Et par conséquent une seule Eglise. Le théorème est pourtant simple. C.Q.F.D.
Malheur à qui (même Paul) ne se serait pas joint à Pierre.
Malheur à qui, aujourd’hui ne se joindrait pas au pape Benoît XVI. « Il est absolument nécessaire au salut pour toute créature humaine d’être soumise au Pontife romain. » (Boniface VIII, bulle Unam Sanctam, 1302).
D’expérience, le joug du pontife romain est très doux et libérateur, motif d’une joie intense. Je ne comprends pourquoi les gens rechignent à s’y soumettre.
Tel un gamin qui se révolterait contre son père, ou contre sa mère ! Il n’irait pas loin. Il se précipiterait sous la première voiture venue.
Page 89. Ainsi se confirme peu à peu la prophétie de Jésus adressée aux Douze au jour de l’Ascencion.
Ce n’est pas là une prophétie, plus ou moins mollassonne. C’est un ordre. « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples. » (Mt 28,18-19).La jeune communauté hérite de tous les pouvoirs du Maître. C’est dit expressément. Des pouvoirs divins. Bien d’autres paroles évangéliques confirment cette délégation. L’Esprit Saint, âme de l’Eglise, aurait-il une limite ?
Page 89. Barnabas. Littéralement : l’homme du réconfort.
Non, littéralement : « fils d’encouragement ». C’est Luc lui-même (cf. Ac 4,36) qui nous livre cette étymologie. Pourquoi chercher ailleurs ?
La Bible de Jérusalem commente savamment (note ad locum) : « Le mot grec veut dire à la fois consolation et exhortation. ‘Fils de ‘ sémitisme ayant ici le sens de ‘habile à’ ».
Ce qu’on pourrait traduire, en bon français certes, mais non littéralement : ‘l’homme du réconfort’, mais tout aussi bien ‘l’homme de l’encouragement’, ou encore ‘habile à l’exhortation’.
L’épître aux Hébreux, qu’on attribue avec vraisemblance à saint Barnabé (depuis Tertullien), se présente à nous comme une immense exhortation.
Page 89. « Sans voir cependant aucun autre apôtre, mais seulement Jacques le frère du Seigneur. »
Traduction tendancieuse, comme toute l’exégèse de Decaux, dûment endoctriné par les professionnels de service.
Le texte grec porte « ei mê » (Ga 1,19), en latin « nisi ». Ce qui se traduit en bon français par « sinon », et non pas par « mais seulement », qui est un contresens !
Consultez votre Bailly, ou votre Gaffiot.
Mais ce n’est pas à proprement parler un contresens. C’est plutôt, comme je le disais, une traduction volontairement tendancieuse, pour faire dire au texte que saint Jacques, le frère du Seigneur, n’était pas apôtre. Ce qui est un comble. Et contraire à toute la tradition.
Cette traduction fautive de l’épître aux Galates est d’ailleurs contredite par saint Luc qui nous dit : « Alors Barnabé le prit avec lui, l’amena aux apôtres et leur raconta comment, sur le chemin, Saul avait vu le Seigneur. » (Ac 9,27). Les apôtres Pierre et Jacques, c’est clair comme de l’eau de roche.
La tradition de l’Eglise a toujours compris que Jacques, frère du Seigneur, faisait parti des douze apôtres. Elle le fête encore comme tel. Le Concile de Trente l’affirme positivement.
Les modernes tiennent absolument – et inconsidérément – à dédoubler non seulement Jacques, mais encore Simon et Jude. C’est une manie. On en reviendra.
Page 89. Quinze jours seulement pour connaître Jésus !
Mais il le connaissait déjà ! Il l’avait vu, il lui avait parlé. Que voulez-vous de plus ? Paul apprend seulement des détails (importants) sur la vie terrestre de Jésus. Il accueille la tradition vivante de l’Eglise. Le récit par exemple de l’institution de l’Eucharistie, qu’il nous transmettra fidèlement dans la première aux Corinthiens, de concert avec Matthieu, Marc et Luc mais à l’exclusion de Jean. Il manifeste son union aux « colonnes de l’Eglise » ; à la fois Pierre et Jacques ; à la fois l’Eglise pétrinienne, universelle, et l’Eglise jacobine, hiérosolomytaine ; laquelle, hélas, périclitera.
Puis il s’en va. Cette Eglise de Jérusalem, ou de Palestine, il reviendra la visiter, au moins trois fois. Il organisera en sa faveur, quand elle sera dans la détresse, d’immenses collectes, à deux reprises. On ne peut pas dire qu’il ne l’aime pas.
Ce n’est pas Jésus qu’il recherche à Jérusalem. Mais seulement l’Eglise ; c’est important pour lui, certes, mais non premier.
Etrange erreur de perspective, ou de théologie, du biographe. On pourrait dire, un peu sévèrement, qu’il n’a rien compris à son héros. Il le cherche avec obstination là où il n’est pas. Ce qui est frustrant pour l’esprit.
S’il y a quelqu’un de christocentrique dans la Bible, c’est bien Paul ! Mais en fait on pourrait en dire autant de Matthieu, de Marc, de Luc, de Jean, de Pierre, etc.…
Page 91. Le jour viendra où il le trouvera sur sa route, acharné à anéantir les effets de sa mission.
Déformation grotesque de l’histoire, telle que racontée par Luc et Paul lui-même. Comment se fait-il que Paul et Jacques se retrouvèrent unis au concile de Jérusalem ? Pure hypocrisie sans doute.
Comment se fait-il que Paul organisa par deux fois des collectes en faveur de l’Eglise-mère ? Comment se fait-il surtout qu’il revint à Jérusalem au terme de ses trois voyages apostoliques et qu’il y trouva chaque fois un accueil cordial ? Les faits parlent d’eux-mêmes. Mais les exégètes modernes veulent absolument découvrir des conflits, des discordes, des séparations, des schismes, dans l’Eglise primitive… par reflet rétroactif de l’Eglise moderne, sans doute.
Il est un fait certain, cependant, que la doctrine paulinienne de la justification par la foi seule pouvait prêter à une interprétation fallacieuse. Plus besoin des œuvres ? Alors on fait ce qu’on veut, ou encore mieux rien du tout. Il est patent que Jacques a senti, divinement inspiré, ce danger, et il y a remédié par son épître et par son enseignement. « A quoi cela sert-il, mes frères, que quelqu’un dise : ‘J’ai la foi’, s’il n’a pas les œuvres ? La foi peut-elle le sauver ? […} Ainsi en est-il de la foi : si elle n’a pas les œuvres, elle est tout à fait morte. » (Jc 2,14.17).
Mais doit-on se prononcer pour une contradiction entre les théologies de Jacques et de Paul ? Decaux d’ailleurs, en romancier superficiel, n’y fait aucune allusion. Il n’y a pas de contradiction. Il s’agissait d’une erreur grossière d’interprétation de la pensée de Paul, contre laquelle lui-même n’a cessé de s’élever, non seulement en paroles, mais, comme il se devait, en actes. Il a inventé pour cela le Secours Catholique, et au profit de qui ? Des saints de Jérusalem, justement.
Page 91. « Il s’entretenait avec les hellénistes et discutait avec eux ; mais eux chercher à le faire périr. »
Quelle confusion, insupportable et orientée ! Il s’agit des hellénistes juifs, les mêmes qui avaient lynché le diacre Etienne (avec l’approbation du jeune Saul, d’ailleurs). Et non pas des hellénistes chrétiens. Quels drôles de chrétiens, qui voudraient assassiner Paul !
Page 91. Echec à Damas, échec à Jérusalem, échec à Césarée, c’est beaucoup.
Ne vous inquiétez pas. Il y en aura encore d’autres. Il échouera à Rome aussi, avec la tête tranchée. Decaux ne situe toujours pas l’attitude intérieure de Paul. Depuis le moment de sa conversion, il était devenu d’une intransigeance absolue de pensée à l’égard de ses anciens coreligionnaires. Pas étonnant que, le considérant comme un traître, ils cherchassent à l’assassiner. Il ne pouvait être sauvé que par la fuite. De Damas. De Jérusalem. De Césarée. Considérez-vous l’évasion du général Giraud comme un échec ? Ce fut une brillante réussite. De même pour Paul. On lui a sauvé la vie de justesse. A Damas comme à Jérusalem.
Page 91. S’étant rallié Pierre et Jacques, il aurait obtenu une sorte de mission apostolique.
Il ne s’est pas rallié Pierre et Jacques. Il s’est rallié à Pierre et à Jacques, en tant que colonnes de l’Eglise. Il a fait acte de déférence ; ce qu’il fera toujours. Paul est catholique ; il n’est pas un Luther insubordonné et raisonneur. L’unité avant tout. Comprenez-vous cela ? L’unité et la charité, c’est tout un. Paul ne cessera de le proclamer dans ses épîtres. Comment aurait-il pu ne pas en donner l’exemple le plus retentissant. Sans cela il n’eût eu aucune autorité. Il n’aurait pas pu, plus tard, écrire l’hymne à la charité.
Quant à la mission apostolique que lui auraient confiée Pierre et Jacques, c’est un bobard, inventé de toutes pièces. Paul a été exfiltré en urgence de Damas (dans un panier !), puis de Jérusalem, puis de Césarée. On n’a pas eu le temps de réfléchir à une mission quelconque, dont les sources ne parlent pas.
Voyez-vous Paul recevoir une mission ? C’est contraire à tous ses principes. Il était apôtre par mandat du Christ, directement, et non par l’intermédiaire d’aucune personne humaine, fût-ce Pierre ou Jacques. Il le proclame à tout bout de champ. C’est à croire que vous n’avez pas même lu les épîtres de Paul. Ou alors vous les avez lues de travers.
La catholicité n’empêche pas l’apostolicité. Bien au contraire, elle la suppose. Catholique, apostolique et romaine, dit-on …
Voulez-vous des preuves ?
« Paul, apôtre, non de la part des hommes ni par l’intermédiaire d’un homme, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père qui l’a ressuscité des morts, et tous les frères qui sont avec moi… » (Ga 1,1-2).
Est-ce suffisamment explicite ? Paul est apôtre non de la part de Pierre ou Jacques, ou par l’intermédiaire de Pierre ou Jacques, mais de la part de Jésus-Christ seul, et de son Père. Cela n’empêche pas l’union avec Pierre et Jacques, ni même la soumission déférente qu’il montrera au Concile de Jérusalem. Bien au contraire : l’apostolat implique la catholicité.
Cette arithmétique est pourtant simple à saisir.
« Paul, apôtre du Christ Jésus, par la volonté de Dieu, aux saints et fidèles dans le Christ Jésus. » (Ep 1,1).
« Paul, apôtre du Christ Jésus selon l’ordre de Dieu notre sauveur et du Christ Jésus, notre espérance, à Timothée, mon véritable enfant dans la foi… » (1 Tm 1,1).
Il suffit pratiquement pour vous confondre de reprendre l’en-tête de chacune des épîtres.
Pour votre prochain livre sur saint Paul vous devriez les relire, afin de les avoir bien en mémoire.
Page 92. « Parcourant sa province pour vendre ses marchandises et annoncer l’évangile » (Jean-Robert Armogathe).
Pur roman. Biographie fantaisiste. Pourvu qu’il ne se soit pas fourvoyé, qu’il n’ait vendu l’évangile et annoncé ses marchandises. Saint Paul colporteur ! Pourquoi pas bonimenteur et voleur, comme le dieu Hermès auquel on le comparera dans peu de temps, en Lycaonie. En effet, il en avait bien un peu le profil !
Chaque fois, dans la suite, qu’on verra Paul travailler, c’est seulement comme ouvrier, ou comme employé. Non comme entrepreneur. Il lui suffisait de « gagner sa croûte », de toucher un salaire modeste pour n’être pas à charge de la communauté. S’il fabriquait des tentes, d’autres les vendaient.
Pourquoi donc est-il revenu dans sa famille ? Ecoutons le Christ dire au démoniaque guéri qui voulait se mettre à sa suite : « Comme il montait dans la barque, l’homme qui avait été possédé le priait pour reste en sa compagnie. Il ne le lui accorda pas, mais il lui dit : ‘Va chez toi, auprès des tiens et rapporte leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde’. Il s’en alla donc et se mit à proclamer dans la Décapole tout ce que Jésus avait fait pour lui, et tout le monde était dans l’étonnement. » (Mc 5,18-20).
Voilà exactement la situation morale où se trouvait Paul. C’est à croire que Marc a songé à lui en rédigeant cette péricope. Il est revenu chez les siens, leur annonçant sa nouvelle foi, mais ne reprenant pas forcément sa place au foyer, car elle eût entraîné, pour lui, des compromissions. Il n’aurait pu manqué d’aller à la synagogue le samedi, et d’y proclamer Jésus-Christ, au risque d’en être rapidement expulsé, et même, conséquence logique, d’être rejeté par sa propre famille comme renégat.
De notre temps, on voit ça tous les jours, en Irak comme en Iran. Essayez donc d’aller proclamer Jésus-Christ dans les mosquées de ces pays : vous encourrez la peine de mort.
Quelle fut l’attitude exacte de Paul à l’égard de sa parenté ? Quelle fut surtout l’attitude de sa parenté à l’égard du nouveau converti ? Nous l’ignorons. Luc, le biographe attitré, et Paul lui-même, ne l’ont pas révélé. Respectons leur silence.
J’avoue pour ma part que je suis assez sceptique sur la réussite de Paul dans son propre pays. Le proverbe dit vrai : un prophète n’est méprisé que dans sa famille et dans sa patrie. Paul a dû se réfugier, après avoir cherché un travail modeste, dans la prière et la méditation, tel un Charles de Foucauld chez les Touaregs. L’évangile ne doit être annoncé qu’aux esprits préparés à l’accueillir.
Sinon, ce serait les précipiter dans la damnation. Sans compter le risque mortel pour soi, en pure perte. Cette règle s’applique aujourd’hui, en ce début de XXIe siècle, plus qu’elle ne s’est jamais appliquée. Pas de Polyeucte à la pointe du combat.
La famille de Paul, engoncée dans son judaïsme ancestral, ne pouvait sans doute pas se retourner d’un bloc, et adhérer à une nouvelle foi. Cela me paraît l’évidence même. C’est Barnabé qui, se souvenant de lui, ira le chercher et le relancera dans l’apostolat. Mais à Antioche, la grande ville cosmopolite, ouverte à toutes les propagandes.
Toutefois, l’analyse donnée ci-dessus reste-t-elle peut-être un peu courte. Paul a dû conserver l’estime de sa famille, et même y opérer quelques conversions individuelles. Nous en avons la preuve par le fait qu’il avait une sœur résidant à Jérusalem, et même un jeune neveu qui, à la Pentecôte 57, peu après son arrestation mouvementée dans le Temple, lui sauvera la vie (une fois de plus) en dénonçant aux autorités romaines un guet-apens ourdi contre lui.
Page 92. La question reste entière : pourquoi Paul s’éternise-t-il à Tarse ?
L’incompréhension à l’égard de Paul continue de plus belle. Vous devriez changer de sujet de biographie, et passer plutôt à Turlupin. Vous auriez sans doute plus de sympathie pour votre héros.
Rappelez-vous seulement la parole évangélique déjà citée (bis repetita placent) : « Va chez les tiens, et raconte-leur les merveilles que le Seigneur a fait pour toi. »
Page 92. Tibère est mort en 37 – enfin - , un empereur fou lui succède.
Etrange raccourci historique. C’est ce qu’on appelle sans doute tomber de Charybde en Scylla !
Decaux rattrape ici la mort de Tibère, alors que pour moi, en 37, Paul était encore à Damas.
Accordéon chronologique. Qui a raison ?
Page 93. Caligula – en 40 – exige que l’on dresse sa statue dans l’enceinte du Temple.
Decaux oublie de préciser que l’affaire traîna en longueur jusqu’à la mort de Caligula, grâce au gouverneur de Syrie et au roi Agrippa. La statue ne fut pas érigée.
Page 93. Claude – épileptique, bègue, dénué de toute volonté.
C’est caricaturer ce prince dont la politique fut très cohérente, et efficace. Il est vrai que sur le plan personnel, à Rome même, il fit toujours figure d’un fantoche, mené par ses femmes successives, les célèbres Messaline puis Agrippine la jeune, mère de Néron.
Page 93. Tout porte à croire que c’est l’un des Sept, Nicolas, qui y a fondé une communauté chrétienne.
C’est bien possible, mais vous n’en savez rien, il n’y a aucune preuve. Il est vrai que les Actes (6,5) le désignent comme prosélyte originaire d’Antioche. Rien n’indique positivement qu’il soit retourné dans sa ville natale, même si cela paraît a priori probable.
En tout cas, lors de l’ordination de Saul, pour son envoi en mission, on ne verra pas figurer Nicolas, il est vrai simple diacre, mais Barnabé, Syméon, Lucius de Cyrène, Manaën et Saul lui-même (cf. Ac 13,1). Nicolas était-il parti ? Il n’est plus jamais question de lui.
Page 95. Une odeur de soufre aux yeux de Jacques.
Une vision des choses complètement déformée, et même incohérente. Le sourcilleux Jacques mourra martyr, faut-il le rappeler. De plus au concile de Jérusalem il APPROUVERA l’œuvre de Barnabé et de Paul. Faut-il le souligner davantage ?
« C’est pourquoi je juge, moi, qu’il ne faut pas tracasser ceux des païens qui se convertissent à Dieu. Qu’on leur mande seulement de s’abstenir de ce qui a été souillé par les idoles, des unions illégitimes, des chairs étouffés et du sang. » (Ac 15,19-20).
C’est clair. Pas de circoncision. Pas de synagogue. Pas de Bar Mitsva. Pas de tallis. Plus de judaïtés. Seulement les prescriptions de l’alliance noachique qui paraissaient indispensables. Vous appelez cela de l’intégrisme ? Ou du fanatisme borné ? Dans son épître adressée à toutes les tribus de la dispersion, Jacques n’exigera pas autre chose, que je sache,
« La religion pure et sans tache devant Dieu notre Père – écrira-t-il – consiste en ceci : visiter les orphelins et les veuves dans leurs épreuves, se garder de toute souillure du monde. » (Jc 1,27).
C’est tout. C’est un peu court, ne trouvez-vous pas ? Là non plus pas de circoncision, pas de longues prières, pas d’ablutions, pas de jeunes. Rien.
Pourquoi alimenter ces romans, chers à l’exégèse contemporaine, d’un conflit violent entre Paul et Jacques, puis entre Paul et Pierre, puis entre Pierre et Jean ? Ce sont des chimères successives, suggérées par les philosophies dialectiques, et mieux par le marxisme. On veut voir du conflit partout.
« Thèse. Antithèse. Synthèse ».
Ce slogan est dépassé. Il y a mieux.
Quoi mieux ?
La charité.
Page 95. Mais il tient - pour percer à jour la sincérité des engagements – à rencontrer chaque nouveau chrétien.
Pure invention romanesque. Comme si Barnabé enquêtait sur chaque nouveau chrétien. Ce n’est pas ce qui dit le texte. Luc dit seulement « qu’il les encouragea tous » (Ac 11,23), en public, bien sûr, et dans l’assemblée. Barnabé ne fut pas envoyé sur place comme inspecteur, mais bel et bien comme chef, car la jeune communauté en train de naître, presque spontanément, manquait de direction. En plus, il fallait quelqu’un de mandaté officiellement par les apôtres, pour présider ce que nous appellerions la vie sacramentelle. Exactement comme le feront Pierre et Jean en Samarie, qui imposeront les mains aux nouveaux convertis.
Barnabé à Antioche, en encourageant les disciples, ne faisait que mettre en application son surnom de « fils d’exhortation », c’est dire qu’il était habile dans la prédication, mais non pas dans la perquisition ! Il les encourageait en public, ou en assemblées, « à demeurer d’un cœur ferme, fidèles au Seigneur. » (Ac 11,23).
Je sais bien. L’exégèse moderne veut lire entre les lignes du texte sacré pour y découvrir des conflits habilement cachés par le narrateur, sous des formules lénifiantes.
A ce petit jeu, on peut tout inventer, selon son parti pris.
Barnabé a pris la tête, envoyé par les apôtres, de la jeune Eglise d’Antioche. Et c’est pour cela que, ne pouvant suffire à la tâche, surtout celle de la prédication, et plus largement de l’instruction, il songe tout à coup à Saul. Mais que fait donc ce dernier à se morfondre en Cilicie ? Un message n’eût peut-être pas suffi pour le décider. Pour plus de sûreté, il ira le chercher lui-même. Le jeune évêque Barnabé a besoin d’un évêque auxiliaire : Saul est tout indiqué pour cette fonction.
C’est ce même Barnabé, d’ailleurs, le « fils d’encouragement », qui plus tard enverra d’Italie, sans doute en 64, et peu avant l’incendie de Rome, l’épître dite « aux Hébreux », en réalité adressée aux judéo-chrétiens d’Antioche, mais de langue grecque, puisque l’épître est rédigée dans cette langue.
Les chrétiens juifs, ou prosélytes, d’Antioche, parlaient grec. C’étaient donc, de fait, des hellénistes chrétiens. Toute la prédication à Antioche, la ville cosmopolite, semble s’être faite en grec. Les fidèles de cette Eglise n’en étaient pas moins, en majorité, des « Hébreux ».
« Je vous en prie, frères, faites bon accueil à ces paroles d’exhortation ; aussi bien vous ai-je écrit brièvement. Apprenez que notre frère Timothée a été libéré. S’il arrive assez tôt, c’est avec lui que je viendrai vous voir. Saluez tous vos chefs et tous les saints. Ceux d’Italie vous saluent. La grâce soit avec vous tous. » (Finale de l’épître aux Hébreux : 13,22-25).
Page 96. Les hellénistes. Ceux-ci, depuis l’affaire d’Etienne, le haïssent.
Toujours cette confusion insupportable entre les hellénistes juifs et les hellénistes chrétiens. Les hellénistes chrétiens – et surtout Jacques, qui écrira son épître en grec - n’entretenaient pas de haine, Mr Decaux. Sans cela ils n’eussent pas été chrétiens, ni apôtre de Jésus-Christ.
Paul était lui-même, de fait, par sa culture et par sa nouvelle foi, un helléniste chrétien. Et ce sont des hellénistes chrétiens qu’il s’apprête à évangéliser à Antioche. Aucune rancune ne s’exerce contre lui, bien au contraire. Comment expliqueriez-vous donc son immense succès dans cette ville ?
Page 97. Flavius Josèphe n’a pas eu vent de la même mort.
Remarquable coïncidence, cependant, entre le récit de Luc et celui de Flavius Josèphe. Il en fut de même, d’ailleurs, pour la narration de la mort de Jean-Baptiste. Les points de vue sont différents, comme celui de deux journalistes rapportant le même événement. Mais le fond de l’histoire est le même. Ce qui est bien la meilleure garantie d’authenticité.
« Il fut pris de maux d’intestin et mourut trois jours après » dit Flavius. « L’ange du Seigneur le frappa » dit Luc « et rongé de vers, il rendit l’âme ». (Ac 12,23). Comme si l’ange n’avait pu le frapper par des maux d’entrailles !
La Bible de Jérusalem commente ainsi ce verset : « Josèphe offre aussi une notice sur l’apothéose et la mort d’Agrippa qui complète celle du livre des Actes. »
Qui complète et non qui contredit. On ne saurait mieux dire.
Page 99. Les disciples d’Etienne sont loin d’avoir oublié leur persécuteur de Jérusalem.
Erreur récurrente. Les disciples d’Etienne ont pardonné à leur persécuteur puisqu’il s’est converti. Comment en serait-t-il autrement, puisque ce sont les hellénistes chrétiens qui ont créé l’Eglise d’Antioche où Paul devait si bien réussir ? Les chrétiens savent pardonner, que je sache.
Page 100. Il prêche dans les synagogues.
Où voyez-vous ça ? Luc dit expressément « dans l’Eglise » (Ac 11,26), c’est-à-dire que la jeune communauté avait déjà ses lieux de culte, ne serait-ce qu’au domicile de chrétiens plus aisés. Elle était séparée de la synagogue, comme d’ailleurs à Jérusalem. Saul eût été expulsé avec perte et fracas des synagogues ; cela se conçoit.
Dans toutes ses missions, il ne fera souvent que de brèves apparitions dans les synagogues, avant de s’en séparer pour fonder sur place une communauté indépendante. C’était ça la première évangélisation apostolique ; et vous semblez ne pas l’avoir compris. L’apôtre Jean adopta la même attitude. Voyez avec quelle sévérité il parle de la synagogue, dans l’Apocalypse.
La jeune Eglise d’Antioche vivait déjà de sa propre vie. Le mariage avec la synagogue eût été impossible.
Page 100. L’amitié qui les unira longtemps.
L’amitié qui les unira toujours. Encore la recherche de conflits ! Malgré le léger différend, au sujet de Marc, qui les fera se séparer, ils resteront unis par l’amitié. Il n’est qu’à voir la déférence avec laquelle Paul s’exprime au sujet de Barnabé dans ses épîtres. Et Marc, qui avait d’abord suivi son cousin Barnabé pour l’évangélisation de Chypre, redeviendra plus tard le disciple de Paul, qui en parle avec la plus grande affection. C’est bien la preuve que le différend n’était pas si grave !
Page 100. Barnabé a droit à la première place, Saul à la dernière.
Rien de plus normal. Barnabé était le délégué des apôtres, et par conséquent le chef. Saul, l’ancien persécuteur, figurait à la dernière place, mais parmi les dirigeants. Quelle promotion déjà ! Il n’en réclamait pas tant, et se considérait sincèrement comme le dernier des apôtres. Il le répétera cent fois – et sans hypocrisie, ou langue de bois !
Seulement, il revendiquera bientôt une pleine indépendance dans ses courses apostoliques, et c’était normal, fût-ce aux dépens de son grand ami et bienfaiteur Barnabé.
C’est pourtant bien simple à comprendre. Je ne vois poindre là aucun conflit sanglant.
C’est comme dans une crise d’adolescence. Elle ne signifie pas – heureusement ! – la rupture entre le jeune et ses parents. Elle est une période de transition normale. Même Jésus a manifesté cette crise d’adolescence, à l’égard des plus saints des parents : Marie et Joseph !
Dans l’Eglise de Dieu, il y aura toujours des crises d’adolescence. Elles l’aideront à grandir.
Page 101. Arthrose, tendinite, sciatique…
Vous oubliez la schizophrénie, la neurasthénie, ou encore la mégalomanie. Cela correspondrait mieux à votre héros idéal, tel que vous l’imaginez.
Ce dont souffrait Paul, nous l’ignorons. Mais ancien pécheur, quoique baptisé il était normal que son corps, ou son âme, lui rappelât son ancienne condition. Comme pour nous les séquelles du péché originel nous rappellent notre ancienne condition.
Paul dit lui-même : « une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter. » (2 Co 12,7). Peut-être seulement une ancienne blessure ?
Page 101. Dernière hypothèse à la mode – mais s’agit-il d’une maladie ? - l’homosexualité.
Attention, Decaux, si vous dites aujourd’hui que l’homosexualité est une maladie, vous risquez un procès, et une forte amende. L’hypothèse d’homosexualité est bien la dernière à envisager au sujet de Paul. Il faut se souvenir de la sévérité avec laquelle il en parle. Il n’a pour elle aucune complaisance.
Page 104. L’un des évangiles lui sera attribué.
Pourquoi mettre en doute ? Il est certain que Marc a écrit le second évangile. Lequel fut même le premier en date. Celui qui a donné son nom aux autres.
Certes les logia du Seigneur notées en araméen par le douanier Matthieu étaient antérieurs, et peut-être de beaucoup. Mais ils ne portaient pas le nom d’évangile. La tradition (saint Irénée) leur a attribué ce titre rétrospectivement, en songeant à Marc. Irénée voulait dire tout simplement : une forme ancienne d’évangile.
Vous faites une erreur typographique récurrente, Decaux. On doit écrire, ou taper, Evangile avec une majuscule, seulement quand il s’agit du kérygme évangélique en général, autrement dit de l’annonce primordiale de Jésus-Christ, ou du contenu des évangiles. On écrit : évangile, avec une minuscule, quand on parle d’un seul évangile qui, d’ailleurs, peut être canonique ou apocryphe, car il existe aussi des évangiles apocryphes.
Page 104. Nous sommes au printemps 45.
Sans doute. Pour une fois nous sommes d’accord. Car il faut que Barnabé et Saul soient de retour à Antioche, après le premier voyage apostolique, avant le Concile de Jérusalem, qui se tiendra en 49 (très probablement).
Page 104. Renan : « Homme incomparable, si grand que je ne veux pas contredire ceux qui, frappés par le caractère exceptionnel de son œuvre, l’appelleront Dieu. »
Piètre théologie pour un ex-séminariste ! Un homme qui se grandit jusqu’à se faire Dieu, et même il accomplit des miracles, et même, comme un Dieu, il meurt sur une croix. Etrange pataquès. Un Dieu à l’envers, en somme.
S’il n’est pas Dieu, le Christ n’est qu’un pauvre imposteur, justement puni de la crucifixion. Et un pauvre imposteur sans intérêt. Je ne vois guère pourquoi on en cultiverait le souvenir, sinon par une nostalgie secrète, un espèce de remords. Pourquoi ne pas plutôt encenser Pythagore ?
Page 105. Les historiens modernes avides d’extirper la vérité de la contemplation des lieux.
En fait de vérité, Renan n’aura pas extirpé grand-chose. Quant à Decaux il passe toujours presque systématiquement à côté. Les lieux ont tellement changé que souvent ils nous induisent en erreur, plus qu’en « vérité ». Par conscience, il est cependant nécessaire, pour un historien, d’avoir visité les lieux, mais en faisant abstraction du contexte présent.
Les lieux présents ne nous restituent pas les hommes d’autrefois, qui ont disparu corps et bien. Et les lieux mêmes changent très vite.
Faites le test pour une période très courte. Demandez à un ex-pied noir, revenu en Algérie à l’endroit où il avait vécu, ce qu’il pense de son expérience : la plupart du temps, il n’a même pas reconnu les lieux.
Page 105. Simple observation : Saul et Ernest ont été, l’un et l’autre, traités de renégats.
L’un le méritait.
Page 106. Barnabé – chef d’expédition.
Il n’y a pas de chef à proprement parler. En tout cas pas de chef désigné. L’Esprit Saint (qui est le véritable chef) a dit seulement : « Mettez moi donc à part Barnabé et Saul en vue de l’œuvre à laquelle je les ai appelés. » (Ac 13,2). Naturellement, Barnabé est le plus ancien dans l’apostolat. En plus il était mandaté à Antioche par l’Eglise fondatrice de Jérusalem. En plus il est nommé le premier des deux. Il prend naturellement la tête du groupe, sans en être le chef. On aurait pu fort bien imaginer que, dès l’arrivée sur Chypre, les deux collègues s’attelassent à des missions différentes. Evidemment, Marc eût dès lors dû choisir. Mais la règle implicite des missionnaires, depuis Jésus-Christ, c’était d’aller toujours au moins par deux… Quant à la règle proclamée de la charité elle commandait l’obéissance réciproque : « Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ » (Ep 5,21) édictera plus tard Paul. Aucun doute que Barnabé et Saul n’aient pratiqué par avance cette maxime. (Ou alors Paul ferait un bel hypocrite !)
Page 107. Il va retentir sur deux continents.
Si l’on veut. L’île de Chypre est plutôt cataloguée, aujourd’hui, d’Europe que d’Asie. Au surplus, la notion de continent n’existait pas encore au Ier siècle de notre ère. Barnabé et Saul missionnèrent toujours à l’intérieur de l’empire romain, alors que d’autres apôtres dont les exploits restent moins connus s’exonérèrent de cette limite.
Page 107. Jusqu’à l’Occident extrême.
Non, jusqu’à Rome seulement. A moins que Paul n’eût eu le temps de mettre à exécution le voyage qu’il projetait pour l’Espagne, à la fin de l’épître aux Romains (15,24). Ce qui paraît peu probable car Paul n’avait pas prévu son arrestation à Jérusalem, et les plus de quatre années de prison qui s’ensuivirent (plus de deux années à Césarée maritime ; deux années à Rome ; entre-temps une navigation avec un naufrage spectaculaire !).
Page 107. Lui qui vient, pendant des années, de se préoccuper seulement de tissage, de la manière de faire des tentes et du bénéfice qu’il pouvait en tirer.
Pur roman-feuilleton, inventé de toutes pièces. Mais à force de mettre ça dans sa tête, on finit par y croire. Comme s’il avait pu oublier un instant sa conversion, et son baptême, et ses premières armes – même infructueuses - dans l’apostolat. Paul, pardon Saul, était bouillant du Christ, et cette pression ne pouvait se relâcher.
N’oubliez pas que Saul vient de passer quelque trois ans à Antioche, à évangéliser en compagnie de Barnabé. Il n’a guère eu le temps de faire du commerce, même si, là comme ailleurs, il a exercé un travail manuel (dont les sources d’ailleurs ne disent rien). Dans les Eglises qu’il fondera plus tard, il mettra sa fierté à gagner lui-même son pain pour ne pas être à charge de communautés naissantes, souvent fort pauvres. Etait-ce le cas à Antioche ? Ce n’est pas sûr.
Page 108. Son propre langage parfois si abscons que l’on se demande comment tant de gens l’ont compris.
Les gens de ce temps-là n’étaient pas si bêtes que vous ne pensez. Ils étaient même exercés à une subtilité de pensée qu’on ne soupçonne pas, ou qu’on a perdue. Songez aux philosophes si nombreux, habiles dans toutes les finesses de la dialectique. Les stoïciens, les épicuriens, les académiciens, les lycéens, les pythagoriciens, les sophistes de tout poil, et j’en passe.
Et puis faites la contre-épreuve. Aujourd’hui encore les épîtres de saint Paul sont entendues quotidiennement dans toutes les églises du monde. Or elles passent fort bien la rampe, à la seule condition d’être bien lues (et même mal lues, elles retentissent encore). Elles sont comprises de tout le monde, au moins en courts extraits. En tout cas, facilement commentées. Elles sont surtout ardues, et sources de polémiques, pour les théologiens, ou les exégètes, qui se demandent ce qu’il a bien voulu dire.
D’ailleurs, saint Pierre avait exactement prévu cette difficulté : « Il s’y rencontre des points obscurs, que les gens sans instruction et sans fermeté détournent de leur sens, comme d’ailleurs les autres Ecritures. » (2 P 3,16).
Mais le même Pierre, et dans la même épître, donne la clef pour comprendre les écrits de Paul.
« Avant tout, sachez-le : aucune prophétie d’Ecriture n’est objet d’explication personnelle. » (2 P 1,20). Les épîtres de Paul, comme toute l’Ecriture, doivent être lues et interprétées en Eglise (catholique et romaine). Alors elles coulent de source. Alors elles s’harmonisent sans difficulté.
Page 108. On se demande comment tant de gens l’ont compris et reçu. Voilà un autre mystère.
Un paradoxe, mais surtout pour les niais.
Page 108. Abstenus de manger du poisson et de se livrer à des rapports sexuels.
Decaux ne manque pas d’un certain humour. Heureusement que Barnabé, Paul et Marc, au moins sur le bateau, se sont abstenus de rapports sexuels. On parlerait alors de débauchés plutôt que d’apôtres. Se seraient-ils précipités dans les lupanars, dès leur arrivée ? La mission chrétienne eût bien mal commencé.
Page 109. Pour évangéliser les païens, on commencera toujours par prêcher les juifs.
Vous ne voyez pas qu’il y a là une nécessité dogmatique, et pas seulement tactique ? Jésus-Christ faisait de même « car le salut vient des juifs » (Jn 4,22), et passe obligatoirement par les juifs. Ce n’est qu’en cas de refus, ou de rebuffade, que Paul, et Barnabé, se tourneront vers les païens.
Aujourd’hui encore, nous ex-païens, nous devons – d’obligation – nous sentir comme greffés sur les juifs. Saint Paul l’a expliqué mieux (sans peine) que je ne saurais faire. L’Eglise romaine de notre temps, toute ambiguïté levée, met ce principe en application d’une manière admirable.
Page 109. De ce fait, la Diaspora va se révéler l’agent principal de l’expansion du christianisme.
Comme aurait dit Péguy : la Diaspora a marché pour lui. Et de même les légions romaines. Mais c’est presque un lieu commun de poser cela. L’homo sapiens aussi, en conquérant la future Europe, a marché pour lui, pour le Christ
C’est une erreur de perspective totale de croire que Paul, ou Barnabé, ont utilisé sciemment le monde juif comme un simple tremplin tactique d’apostolat. Ce n’était pas un moyen tactique. C’était, je le répète, une nécessité vitale, théologique, posée par Dieu lui-même dès la vocation d’Abraham : « Par toi se béniront tous les clans de la terre. » (Gn 12,3). Saint Paul ne faisait qu’accomplir, sciemment car il connaissait la Bible, cette prophétie de Yahvé.
Si saint Paul, ou même Jésus-Christ, s’étaient passés du peuple juif pour accomplir leur mission, ils auraient violé – à Dieu ne plaise ! – l’ordre divin. Nous sommes tous les descendants spirituels d’Abraham, Alain Decaux. Il faut bien vous mettre ça dans le crâne, avant de faire de l’exégèse savante (et erronée).
Page 109. Barnabé et Saul se gardent de parler trop tôt d’un Messie nommé Jésus. Mieux vaut laisser passer une semaine.
C’est ce que vous auriez fait à leur place, ayant un peu honte de votre messie, et ne voulant pas causer trop tôt de « clash ».
Rien n’indique que Barnabé et Saul en eussent usé ainsi. Ils n’étaient pas couards. Ils n’apportaient pas Jésus-Christ comme un corps étranger au judaïsme, mais bien comme le messie promis et attendu par tout Israël. C’est ce que vous devriez bien comprendre. En ce sens-là, pourquoi en avoir honte ? Ce messie comblait l’attente de tout juif pieux, comme par exemple celle de Zacharie, le père de Jean-Baptiste, un pur juif s’il en fut, un pur descendant d’Aaron, et prêtre de la huitième classe, celle d’Abia.
Voici ce que racontent laconiquement les Actes : « Arrivés à Salamine, ils se mirent à annoncer la parole de Dieu dans les synagogues des juifs. » (Ac 13,5). Rien n’indique qu’ils aient tergiversé. Pour eux la parole de Dieu, c’était Jésus-Christ. Mais cette parole ne pouvait être proposée qu’en partant, bien sûr, de l’acquis biblique, familier aux israélites. C’est ainsi que procèdera explicitement Paul dans le premier discours retranscrit par Luc, celui d’Antioche de Pisidie (cf. Ac 13,16b-41).
Page 109. Je ne puis croire à l’émerveillement général qui aurait accompagné leur prise de parole.
On vous annoncerait le messie et vous ne seriez pas émerveillés ? Allons réveillez-vous, Alain Decaux. Mettez-vous dans la peau d’un juif qui attend le messie depuis 2000 ans, et à qui l’on dit brusquement : il est là, il est apparu.
Il n’a le choix qu’entre deux sentiments : l’enthousiasme, ou alors la colère du rejet.
Page 109. Et dont Luc s’est fait l’écho.
Luc n’en dit rien d’ailleurs, et Decaux le suppose. Luc ne parle que de la conversion du proconsul Paulus, l’homonyme de Paul, et du magicien Bar-Jésus. On ne sait rien de la réussite ou non de l’évangélisation de Chypre. Sans doute, on ne doit pas lire les mêmes Actes.
Page 111. Les orangers offrent des fruits que l’on pressent juteux.
J’en doute au temps de saint Paul, car l’oranger ne fut exporté de Chine que vers le XVe siècle de notre ère.
Le nom de l’orange en arabe algérien – j’ignore s’il en est de même dans tout le monde arabe – porte encore la trace de cette origine chinoise, on l’appelle : tchina. J’ai toujours compris (pendant mes dix ans passés en Algérie) que cela voulait dire : fruit originaire de Chine.
Page 112. Ce petit homme qui bafouille parce que sa foi est trop forte.
Dans ses discours rapportés par Luc, Saul ne donnera pas l’impression de bafouiller. Il avait déjà une longue expérience de la prédication en langue grecque. Et ses auditeurs de Lycaonie le compareront très bientôt à Hermès, qui est le dieu de l’éloquence, ce qui est un beau compliment, tandis que Barnabé qui se taisait fut plutôt assimilé à Jupiter, à cause de sa prestance.
Voila qui ne ressemble guère au crayon, tracé un peu à l’aveuglette par Decaux, des évangélisateurs de Chypre.
Page 113. La rencontre de Sergius et de Saul se situe donc logiquement entre juillet 44 et juillet 45.
Effectivement. Notre chronologie est bonne, et trouve là un bon point d’ancrage. Je situe, pour ma part, le premier voyage apostolique de Paul dans les années 45 à 48, juste avant le Concile de Jérusalem.
Decaux a placé (page 104) le départ des trois voyageurs au printemps de 45, ce qui est bien la meilleure saison. Ils ont dû rencontrer le proconsul Sergius Paulus en fonction, donc avant juillet 45.
Page 113. Le mandat durait un an.
Dit Decaux. Mais il faut savoir qu’à Rome les mandats des magistrats prenaient effet au premier janvier, comme pour les consuls. Il est vrai que lesdits magistrats ne prenaient leur fonction sur place que plusieurs mois plus tard, le temps de rejoindre leur poste.
Page 114. Tous les hypnotiseurs de quelque expérience obtiennent des résultats similaires.
Paul hypnotiseur ! On aura tout vu. Voila que notre Decaux joue au petit Renan, et cherche des explications naturelles pour les miracles.
Ne fermez pas les yeux. Il y a là un vrai miracle. Car se trouvaient aux prises magicien contre magicien. La magie de Paul est plus forte que celle de Bar-Jésus, puisque Bar-Jésus ne réussit pas à hypnotiser Paul. En d’autres termes, Jésus-Christ se trouve plus fort que Satan.
Page 114. Admirable à lire mais peu convaincant.
Et pourquoi donc Saul aurait-il désormais, en souvenir de ce jour, porté le nom de Paul ? On nous apprend incidemment que le proconsul embrassa la foi. On ne nous dit pas positivement qu’il se fit baptiser.
C'est affirmer qu’il fut convaincu, et de l’imposture d’Elymas, et de la sincérité des missionnaires. Ce qui n’a rien que de très plausible.
Page 115. A Chypre, on voit Paul passer insensiblement du second rôle à celui de chef de mission.
Non, dès Chypre. A partir de l’embarquement pour l’Anatolie. Non pas insensiblement mais brusquement. Dès que Saul a emprunté le nom de Paul, il est nommé en tête de l’expédition : « De Paphos, où ils embarquèrent, Paul et ses compagnons gagnèrent Pergé. » (Ac 13,13). Ce qui montre bien, comme nous le disions, que Barnabé n’était pas le chef désigné. De même Paul n’a pas pris le pouvoir par un coup d’Etat. Il s’agit de compagnons évangéliques, qui vont deux par deux, selon la consigne de Jésus-Christ : « {Il] les envoya deux par deux en avant de lui dans toute ville et tout endroit où lui-même devait aller. » (Lc 10,1). Que l’un ou l’autre prenne à tour de rôle l’initiative, quoi de plus usuel ? Jésus lui-même ne désignait pas de chef parmi ses envoyés.
Il est vrai que Barnabé était chez lui dans l’île de Chypre. Cela serait peut-être moins vrai en Anatolie.
Page 118. La personnalité de plus en plus égocentrique de Paul.
Toujours le même refrain. Si Marc a été rebuté par le comportement égocentrique de Paul, comment expliquer qu’il soit redevenu son disciple dans l’âge mûr de Paul : à ce moment-là, ses instincts égocentriques devaient être encore bien plus exacerbés, étant données les dures épreuves qu’ils avaient subies. Et comment expliquer que Paul, à son tour, fasse les plus grands éloges de Marc ?
Faut-il citer les textes ? Il suffit de consulter à la fin des épîtres, surtout les dernières : « Prends Marc et amène-le avec toi, car il m’est précieux pour le ministère. » (2 Tm 4,11). « Tu as les salutations d’Epaphras, mon compagnon de captivité dans le Chrit Jésus, ainsi que de Marc, Aristarque, Démas et Luc, mes collaborateurs. » (Phm 23). « Aristarque vous salue, ainsi que Marc, le cousin de Barnabé, au sujet duquel vous avez reçu des instructions : s’il vient chez vous, faites-lui bon accueil. » (Col 4,10). Là, on est bien certain qu’il ne s’agit pas d’un homonyme, puisqu’il est précisé qu’il est cousin de Barnabé. On ne décèle pas la moindre trace d’amertume dans les propos de l’ « acariâtre » et « vindicatif » Paul. C’est à croire qu’il s’est converti !
Page 118. Les larmes de Marc, les propos conciliants de Barnabé, les cris de Paul.
Une scène de jalousie, quoi ! Pur pataquès. Mélodrame invraisemblable. Romantisme hors de propos.
Avez-vous oublié que nous sommes dans les premières heures de l’ère chrétienne ? La charité, et la simplicité, gardaient encore toute leur fraîcheur, ainsi que la pudeur des sentiments.
Marc était peut-être malade. Voila tout.
Page 119. Sur des chemins à peine tracés.
Vous oubliez les romains et leurs réseaux routiers perfectionnés. Ils s’y sont attelés partout, en particulier en Anatolie, ne serait-ce que pour faciliter l’accès des légions. Pensez à la Via Sébaste, inaugurée en 6 av. J.-C. pour relier les colonies romaines fondées derrière les monts du Taurus, sur les plateaux de l’Anatolie.
Page 120. Ce ne peuvent être que des prières juives : il n’en existe pas encore de chrétiennes.
Invraisemblable. Les chrétiens d’Antioche, ou de Jérusalem, coupés de la synagogue depuis longtemps, n’ont pas pu ne pas composer très tôt des prières, des cantiques, des actions de grâces. Si la lettre de nos évangiles canoniques n’existait pas encore, on conservait la tradition orale, bien plus vivace que vous ne pensez ; bien plus riche. Si riche même, qu’on n’éprouvait pas le besoin de textes écrits. Heureuse époque ! Et qui a dû connaître très tôt une forme de Notre Père, car on savait que le Christ avait donné une formule de prière, comme Jean-Baptiste pour ses disciples.
Le Notre Père figure en toutes lettres dans la fameuse source Q, telle qu’on peut la reconstituer à partir des évangiles de Matthieu grec et de Luc. Cette source Q ne fut autre, sans doute, que l’évangile en langue hébraïque attribué par l’ancienne tradition à l’apôtre Matthieu, autrement dit les logia du Seigneur.
On a là une preuve de la haute ancienneté du Pater. Il est vrai qu’il nous est parvenu sous deux formes, une brève qu’on trouve dans saint Luc, et une longue rapportée par saint Matthieu. Mais l’existence même de cette double forme prouve l’ancienneté du fond commun, qui ne peut remonter qu’à Jésus-Christ.
Page 123. L’une des réalisations ayant le mieux marqué son règne.
Non son principat. Auguste, officiellement, n’était que prince, ou encore imperator (général en chef), mais non pas roi. Car la République romaine ne fut jamais officiellement abolie. Théoriquement, c’était toujours les consuls qui exerçaient le pouvoir exécutif, et le Sénat qui légiférait. Dans le domaine religieux, c’était différent, car Auguste assumait en même temps le souverain pontificat, depuis 12 av. J.-C. Mais il ne fut officiellement divinisé qu’après sa mort.
Page 127. Refuser aux juifs d’être le peuple élu.
Quelle erreur d’interprétation ! Car enfin, les juifs restent le peuple élu. Jésus lui-même l’a proclamé ! « Le salut vient des juifs. » (Jn 4,22).
Saint Paul, dans son discours d’Antioche de Pisidie, n’a rien proclamé d’autre. Relisons-le. « Le Dieu de ce peuple, le Dieu d’Israël élut nos pères et fit grandir ce peuple durant son exil en terre d’Egypte. » (Ac 13,17).
Mais l’élection d’Israël n’allait que jusqu’au Messie. Elle n’existait que pour nous apporter le Messie, pour le prophétiser, et préparer sa venue. Une fois le Messie venu, et la fin des temps avec lui, elle devenait caduque.
En réalité ce que les juifs refusent, c’est la Résurrection de Jésus, qui, attestée par des témoins authentiques, prouvaient sa messianité, et la caducité de la Loi, une fois le Messie advenu.
Page 130. A la fin du règne d’Auguste (-25).
Erreur typographique sans doute. Decaux a dû vouloir écrire : « à la fin du règne d’Amyntas (- 25) ».
Auguste, le prince, est mort en 14 de notre ère, rappelons-le.
Effectivement, la Galatie a été annexée par Rome à la mort du roi Amyntas, en 25 avant notre ère.
Page 130. Pourquoi se charger d’alliés quand on peut règner en maître.
Sentence rapide, mais peu exacte. Partout ailleurs, par exemple en Palestine, Rome gardera longtemps des alliés. Elle ne prenait possession qu’en cas de nécessité, par exemple pour fait de révolte, ou d’incurie.
En particulier la Galatie fut annexée par Rome, en – 25, parce que les habitants s’étaient révoltés contre leur propre roi, Amyntas, allié de Rome, et l’avaient mis à mort.
Page 131. Le Tekke de Mevlana.
Qu’est-ce que c’est ? Decaux devrait m’éviter de consulter encore et toujours Google. Je ne suis pas si érudit que cela.
Le Tekke de Mevlâna, couvent des derviches tourneurs, aujourd’hui musée, à Konya, ancien Iconium.
Page 132. Paul et Barnabé ont réédité la manœuvre.
Pas une manœuvre, Decaux. Une nécessité. N’oublions pas que nous ne suivons pas une armée en campagne. Mais bien trois pauvres missionnaires, qui annoncent la foi au péril de leur vie, en pays presque hostile. La suite immédiate confirmera ce propos. Paul et Barnabé, à la suite de leur « manœuvre », ont bien failli être lapidés sans autre forme de procès.
Croyez-vous que nos missionnaires risquaient leur vie par une espèce de pile ou face permanent (et suicidaire) ? Non, mais par une nécessité impérieuse de leur mandat apostolique. Le salut devait absolument être annoncé aux juifs, en priorité. Ils y AVAIENT DROIT ! Du fait même de leur antique élection.
Comprenez-vous enfin cela, Decaux ?
Page 133. Comment prêcher la Bonne Nouvelle à une population qui ne parle ni grec, ni latin, ni hébreu ?
Il restait le patchouli. Ou encore la traduction automatique de Google.
Page 133. L’enchaînement balancé des phrases et le ton enflammé qui les soutient.
Paul n’était donc pas si mauvais orateur que ça. Il avait de la conviction, à défaut de coffre. Pour le moins.
Page 133. Il obéit. Il bondit. Il marche !
Encore un coup de l’hypnotiseur !
Page 136. Relève de la méconnaissance de la gravité des blessures.
Puisqu’on vous dit qu’il y a miracle ! « Il se releva et rentra dans la ville. Et le lendemain, avec Barnabé, il partit pour Derbé. » (Ac 14,20). L’hypnose, Decaux, poussée à l’extrême, permet de survivre impunément à la lapidation. Ne le saviez-vous pas ?
Abandonnez tout à fait Luc, je vous prie. Ou alors, si vous ne pouvez pas vous en passer, suivez-le fidèlement.
Page 136. On lit dans les Actes que les deux missionnaires y ont réuni « d’assez nombreux disciples. »
Ah bon ! Vous les croyez maintenant, les Actes ?
Page 136. Mais ses mises en synchronie sont souvent fautives.
Attaque gratuite. Donnez des exemples, je vous prie. Moi, je n’en ai trouvée aucune, de fautive. Au contraire. Ses synchronies, quoique rares, et souvent délicates à interpréter, sont celles d’un historien consciencieux. Je pense à l’an XV de Tibère, par exemple, dans l’évangile, (cf. Lc 3,1). Synchronie ou je ne m’y connais pas. Mais de celle-là, on en a fourni vingt explications ! Au lieu de dire tout simplement : l’an 29 de notre ère.
Page 136. Le silence de Luc (sur la durée du séjour).
S’il l’avait précisé, vous n’y auriez pas cru. C’est exagéré ! C’est invraisemblable ! Auriez-vous dit. Nous sommes au rouet.
Page 136. La notion en soi mettra longtemps à voir le jour.
Non. Elle date d’Hérodote. Historien averti. Et Thucydide l’a mise en application, de façon parfaite. On n’a pas fait mieux depuis.
Page 136. Combien de temps faut-il pour guérir les plaies d’un lapidé ?
Une seconde et trois dixièmes suffisent. C’est bien connu.
Page 137. « Dans chaque Eglise, ils leur désignèrent des anciens. »
Dit sagement le texte (cf. Ac 14,23). Voila pourquoi ils n’ont pas franchi le Taurus pour aller directement à Tarse (et embrasser papa et maman). Ils sont revenus sur leur pas. Implanter une jeune communauté ne suffit pas. Il faut encore la consolider, l’encourager, lui donner des cadres, C’est d’instinct ce qu’ont fait Paul et Barnabé, qui voulaient construire sur du roc et non sur du sable.
Ces fameux anciens (les presbutéroi) ne sont autres que nos prêtres. Ils ne sont pas seulement désignés comme des agents administratifs. On les voit dûment installés, ordonnés, dirions-nous, au cours d’une belle cérémonie de prières. Si l’imposition des mains n’est pas mentionnée ici, elle est du moins suggérée. Et nous savons par ailleurs qu’elle était pratiquée.
Barnabé et Saul, eux-mêmes, avaient été ordonnés par l’imposition des mains (cf. Ac 13,3). Les premiers diacres de même (cf. Ac 6,6). Timothée fut ordonné par Paul en personne : « Je t’invite à raviver le don spirituel que Dieu a déposé en toi par l’imposition de mes mains. » (2 Tm 1,6). Ce sera toujours la pratique universelle de l’Eglise, en Orient comme en Occident, aussi bien dans les traditions pétrinienne, que paulinienne, que johannique, que thomiste (de saint Thomas, en Perse ou en Inde), que marcienne (de saint Marc en Egypte) etc.… preuve de son origine apostolique.
Page 139. On peut estimer que leur mission aura duré deux ans.
Deux à trois ans. Dans ma chronologie je l’estime de 45 à 48. Juste avant le Concile de Jérusalem, en 49. Dates probables, estimées, sans certitude absolue. Etant donnée la longueur des voyages dans l’antiquité, il vaut mieux compter trois ans. Les attentes d’un bateau, ou de conditions maritimes favorables, pouvaient être longues. Les maladies de l’un ou de l’autre membre pouvaient retarder la marche. On ne pensait pas à battre des records. En eux-mêmes pourtant, l’ensemble des voyages apostoliques de Paul – j’en compte au moins quatre, en plus du voyage de captivité, de Césarée maritime à Rome – constitue une espèce de record. Mais dans l’antiquité, on avait l’humeur voyageuse… Déjà Ulysse, dans ses périples, avait battu des records.
Page 142. Toujours brutal quand il polémique ?
Non, Paul n’est pas brutal, il est vrai. Il ne polémique pas (de polemos, la guerre), il argumente. Il défend sa cause. Avec véhémence et charité.
Page 142. Une réunion d’ordre privé.
Une réunion d’ordre privé qui réunit officiellement les délégués de toutes les Eglises, et qui voit les plus grands apôtres à Jérusalem : vous plaisantez ! Ce fut une réunion capitale, cruciale j’allais dire, pour l’avenir du christianisme, tout ce qu’il y a de plus officiel dans la jeune Eglise. Une réunion délicate et grave car, je le répète, les deux points de vue pouvaient se défendre honorablement. Une réunion qui, après délibération, va promulguer un décret et envoyer sur place, à Antioche, en dehors même de Paul et Barnabé, des délégués dûment mandatés pour expliquer le sens de ce qu’on pouvait appeler une nouvelle Loi, plus libérale, exigeant seulement l’observance des prescriptions noachiques, que tout le monde, y compris les ex-païens, pouvaient pratiquer.
Page 142. « Faux-frères intrus ».
Non encore. A Jérusalem, ces frères n’étaient pas intrus, mais libres. Leur point de vue pouvait se défendre. Les lois du Sinaï n’avaient-elles pas été promulguées par Dieu lui-même et pour l’éternité ? Pourquoi donc n’obligeraient-elles pas les nouveaux convertis ? Qu’avez-vous à répondre à cela ?
Les intrus, faux frères, seront ceux qui, dans l’avenir, après la décision prise par le Concile continueront, en se réclamant FAUSSEMENT de l’Eglise-mère, en particulier de Jacques, d’exiger la circoncision et les autres rites juifs. On pourra désormais les appeler, avec vérité, à la fois (ex-)frères, intrus et faux.
Ne déformez pas sciemment, je vous prie, la pensée de Paul. Et si vous voulez insinuer que Jacques les soutenait malgré tout en secret, et comme hypocritement, vous n’en pouvez fournir aucune preuve. En somme, vous calomniez un apôtre.
Page 142. Les évangiles le montrent, comme la plupart des membres de la famille de Jésus, réservé et plutôt hostile à celui-ci durant son apostolat.
Roman tendancieux comme d’habitude. Dans les évangiles vous ne pouvez mettre en cause aucun témoignage citant nommément Jacques.
Bien au contraire, Jésus a nommé parmi les douze apôtres, lors du Sermon sur la Montagne, trois de ses frères ou cousins : Jacques, Simon et Jude lesquels deviendront, après la Résurrection, et après la dispersion des autres apôtres, en 44, les piliers de l’Eglise de Jérusalem.
Il n’y eut pas effacement du rôle de Pierre comme vous l’insinuez. Il y eut son départ de Jérusalem en direction de la dispersion chrétienne. Avec ce départ, qu’on peut qualifier de providentiel, l’Eglise devenait universelle, et non plus seulement locale, ou judéo-chrétienne. Il est vrai qu’à Jérusalem même Jacques a pris la place - laissée vide – et après lui son frère Simon, ou Siméon, fera de même. Ils sont devenus, comme le note l’historien de l’Eglise Eusèbe de Césarée, les premiers évêques de Jérusalem. Il en fallait bien !
Jésus-Christ n’avait pas dit solennellement à Jacques : tu es Jacques, et sur ce Jacques je construirai mon Eglise. Non, il l’avait dit à Pierre.
Page 142. Dès lors, on voit Jacques persuadé que le retour de Jésus est imminent.
Pur fantasme, et qui ne bénéficie d’aucun appui textuel. Pure imagination des exégètes, plus entendus que la moyenne des lecteurs. Prenez l’épître de Jacques, et vous ne trouverez rien qui ressemble à cette lubie. « Soyez donc patients, frères, jusqu’à l’Avènement du Seigneur. Voyez le laboureur : il attend patiemment le précieux fruit de la terre jusqu’aux pluies de la première et de l’arrière-saison. Soyez patients, vous aussi ; affermissez vos cœurs, car l’Avènement du Seigneur est proche. » (Jc 5,7-8). Et alors ? Pierre professe la même chose dans sa première épître : « La fin de toutes choses est proche. » (1 P 4,7).
L’Avènement est proche, mais pas dans les cinq minutes qui suivent ! Car alors il faudrait tout abandonner. Bien au contraire, Jacques recommande la patience, et le travail, à l’exemple du laboureur.
L’Avènement du Christ est toujours proche, et les moines l’attendent tous les matins. Rien n’a changé, à cet égard, depuis la primitive Eglise. Il semble tarder, dira Pierre ? C’est que le Christ lui aussi prend patience. Que sont les siècles, à l’aune de l’éternité ?
Page 143. Luc présente cette lettre comme un document d’archives, fait exceptionnel dans les Actes.
Donc elle émanait bien d’un véritable concile, promulguant un décret. Vous l’avouez vous-mêmes, en vous rendant à l’évidence.
Page 144. Bien qu’écrivant plusieurs années après la réunion, il est clair que celle-ci a profondément marqué le Tarsiote.
Je veux ! Il écrivait aux Galates lors de son séjour à Ephèse, vers 53-54. Donc assez peu d’années après le Concile de 49. Je veux que cette assemblée ait profondément marqué sa vie, ainsi que la vie de toute l’Eglise de Dieu. Nous en vivons encore. Et nous n’imaginons même pas qu’une option différente eût pu être prise, ou seulement proposée.
Page 144. Nous avons beau relire son épitre et les Actes de Luc, nous ne constatons, de la part de l’Eglise-mère qu’une sorte de tolérance.
Parce que vos préjugés exégétiques sont tenaces. Vous voulez à toute force faire dire aux textes ce qu’ils n’avancent pas. Vous voulez absolument lire entre les lignes des conflits cachés (toujours Hegel sans doute !), Mais à ce prix vous allez devenir myope, en plus de votre presbytie sénile.
Page 145. « Ce n’est pas parce que certains païens ont reconnu YHWH et son Messie qu’ils deviennent des membres à part entière du peuple de Dieu. »
Cette appréciation de Pierre-Antoine Bernheim est tout à fait en opposition avec le décret du Concile de Jérusalem et avec l’épître de saint Jacques, adressée par lui à tout l’œcoumène : « Aux douze tribus de la Dispersion, salut ! » (Jc 1,1).
« Parlez et agissez comme des gens qui doivent être jugés par une loi de liberté. » (Jc 2,12). « La religion pure et sans tache devant Dieu notre Père consiste en ceci : visiter les orphelins et les veuves dans leurs épreuves, se garder de toute souillure du monde. » (Jc 1,27). Pas question de circoncision, de prière au Temple, de châle de prière ou de manger cacher.
L’erreur de Pierre à Antioche provoquée par des gens de l’entourage de Jacques, dit le texte, et non pas par Jacques lui-même, ce n’était pas d’imposer aux ex-païens les pratiques du judaïsme : la question était réglée définitivement. Elle portait simplement sur l’attitude pratique que devaient adopter les circoncis, soumis de naissance à la Loi juive. Pouvaient-ils transgresser impunément les interdits alimentaires, même si les ex-païens, quant à eux, étaient libres ?
Pierre et peut-être Jacques, pour lequel la question ne se posait guère, et sûrement Barnabé lui-même ont pu hésiter. Mais c’était revenir insidieusement, et comme par mégarde, sur la loi de liberté promulguée par le Concile de Jérusalem, et bien avant lui par Jésus lui-même. C’était tolérer l’existence, dans l’Eglise, de deux communautés de frères, séparées par des interdits alimentaires.
Paul a donc eu tout à fait raison de s’opposer énergiquement à cette attitude. C’était son charisme. Tout indique que Pierre s’est soumis humblement à la vérité (l’autorité ecclésiastique n’a aucun pouvoir contre la vérité, mais seulement pour son service). Tout indique également que Jacques, s’il a appris cet incident, n’en a pas tenu rigueur à Paul. Il l’accueillera avec déférence lors de ses différents séjours à Jérusalem, et il n’y fait même pas allusion dans son épître (alors qu’il insiste longuement sur la nécessité des œuvres pour le salut). « La religion pure et sans tache devant Dieu… » (Jc 1,27).
Page 146. On le sent au comble du désespoir.
Bien mauvaise appréciation de l’attitude psychologique de Paul. Il n’est pas au bord du désespoir. Il est sûr de son fait. Sûr aussi de l’attitude bienveillante de l’humble Pierre. Rappelons-nous que Pierre était celui qui avait trahi par trois fois le Christ. Il ne cessait de vivre dans le souvenir de sa faiblesse passagère. Il s’en est expliqué très longuement auprès de Marc qui l’a détaillée dans son évangile ; cette aventure, si peu glorieuse, l’a brisé moralement. Le bravache Pierre est devenu l’humilité faite homme. De plus, à Antioche, il est l’hôte de l’Eglise qu’il ne connaissait pas. Paul par contre était chez lui. D’où l’attitude humble et déférente de Pierre, même s’il a toujours conscience d’être le pasteur suprême de l’Eglise, le roc sur laquelle elle repose. La correction de son attitude était d’autant plus essentielle, car elle engageait toute la communauté. Et Paul ne l’ignorait pas. C’est même pour cette raison qu’il a réagi.
Page 146. Paul contre Pierre ? Qui aurait pu croire que cela adviendrait jamais ?
Etonnement bien naïf. Paul n’avait pas froid aux yeux. Il n’avait peur de personne. Ni de Jacques, ni de Pierre. Tout en gardant la déférence, il saurait dire la vérité. Mais sans causer de schisme, ce qui est primordial. Quant à Pierre, dans sa seconde épître, il parlera de Paul avec la plus extrême vénération.
D’ailleurs Marc, et peut-être d’autres, furent aussi bien les compagnons de Paul que de Pierre. Ce qui prouve les relations infiniment cordiales entre eux. Les chercheurs de querelles en sont pour leur frais. Et Pierre et Paul, pour l’éternité, sont fêtés le même jour dans un commun souvenir. (J’écris ça un 29 juin, fête des saints Pierre et Paul.)
Page 147. Quelle dialectique ! On y discerne déjà les prémices de l’épître aux Romains.
L’épître aux Galates, écrite à Ephèse, se date de 53 ou 54, Et l’épître aux Romains, envoyée de Corinthe, se date de l’hiver 56/57. Il n’y a pas entre elles une grande différence d’époque. Pas étonnant qu’elles soient si proches par la pensée. L’épître aux Galates se présente comme une première ébauche, rédigée sous le coup de l’émotion. Tandis que l’épître aux Romains sera calmement dictée au scribe, durant les longues veillées de l’hiver.
Page 147. L’épître aux Romains, testament de la pensée paulinienne.
Le mot est exagéré, et même inexact. Le testament de Paul, c’est évidemment, et de son propre aveu, les épîtres qu’on appelle Pastorales. Comme par hasard, Decaux les télescope. Mais sans doute n’est-ce pas là un véritable hasard ; c’est pour obéir au dictat de l’exégèse dominante : les épîtres Pastorales ne seraient pas authentiques. Elles reflèteraient une situation ecclésiale beaucoup trop tardive. Pensez donc ! Elles parlent d’épiscopes, de presbytres, et de diacres !
Non, monsieur Decaux. Les Pastorales sont bel et bien authentiques, et elles nous livrent la pensée ultime du « vieux » Paul, son testament spirituel en quelque sorte.
« Si je t’ai laissé en Crète, c’est pour y achever l’organisation et pour établir dans chaque ville des presbytres. » (Tt 1,5).
Et pourtant Paul n’a pas commencé en Crète, à établir des presbytres. Il l’a fait dès le premier voyage missionnaire en Anatolie. Et il l’a fait à l’imitation de l’Eglise-mère de Jérusalem, et bien entendu à l’imitation de l’Eglise d’Antioche, qui était sa communauté de départ.
« Quant à moi, je suis déjà répandu en libation et le moment de mon départ est proche. J’ai combattu jusqu’au bout le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. » (2 Tm 4,6-7).
Voila bien une formule de testament spirituel. Les ultimes considérations de Paul quand il jette un regard sur sa carrière.
Certes l’épître aux Romains, sans être un testament proprement dit, est l’épître majeure, déjà par sa longueur. L’œuvre maîtresse. La Bible de Jérusalem écrit pertinemment : « L’épître aux Romains représente ainsi l’une des plus belles synthèses de la doctrine paulinienne. Ce n’est pourtant pas une synthèse complète, ce n’est pas toute la doctrine. »
« L’intérêt de premier plan – ajoute la Bible de Jérusalem – que lui a valu la controverse luthérienne serait dommageable s’il fallait négliger de la compléter par les autres épîtres, en l’intégrant dans une synthèse plus vaste. »
(Bible de Jérusalem, édition de 1998, page 1932).
Page 147. La position de Paul à Antioche sortira affaiblie de l’affrontement.
Je ne vois pas en quoi. Bien au contraire. Son prestige en sera pour toujours accru. C’est plutôt la position de Pierre, le vaincu tacite, l’humilié, qui pourrait paraître amoindrie. Et pourtant il n’en est rien. Pierre, après un séjour à Antioche, gagnera Corinthe, puis la capitale du monde romain, qu’il avait déjà sans doute évangélisée dès avant le Concile de Jérusalem. Là il y mourra, et son prestige post mortem ne fera que grandir.
Page 147. L’Eglise toute entière apparaît littéralement fractionnée.
Dramatisation hors de propos, bien dans la ligne hégélienne, ou exégétique moderne, que vous voulez nous imposer. Au contraire, après cet incident l’Eglise apparaît définitivement réconciliée avec elle-même. Plus de juifs, ni de grecs. Plus de Pierre, de Paul ou de Jacques ou de Barnabé. Plus de cacher ou de non cacher. Plus d’intégristes ou de progressistes. Plus de traditionalistes ou d’aventuristes. Mais une seule Eglise de Dieu, celle de la charité et de la paix.
Page 147. On voit les hellénistes, anciens partisans d’Etienne – quoique se proclamant toujours juifs -, se détacher toujours plus des pratiques de la Torah et accentuer leur pessimisme quant à la perspective d’une conversion de tous les juifs.
Où voyez-vous ça ? Moi je ne vois pas. J’ai beau chercher. Sans doute l’avez-vous lu entre les lignes ?
Page 147. Juifs et païens ont le même Seigneur et que Dieu n’a jamais rejeté Israël.
Alléluia ! C’est bien ce je pense. Heureusement qu’il en est ainsi. C’est plus qu’évident, Mr Decaux, il faut vous y faire. Répétez-le je vous prie : juifs et païens ont le Seigneur et le bon Dieu n’a jamais rejeté Israël. C’est sûr, sans quoi il ne serait plus le bon Dieu. On a là, si l’on peut dire, toute la synthèse paulinienne. Mais c’est assez difficile de la faire bien entrer dans tous les crânes.
Page 148. Il le lui a dit et – nous le connaissons – a sans doute dépassé les bornes. Barnabé ne l’a pas supporté. Leur amitié est morte.
Toujours la lecture entre les lignes. Pure invention sans appui dans les sources. Le Paul vindicatif et excessif (au mépris de la charité). Le Barnabé susceptible et excédé (au mépris toujours de la charité). Dispute d’ambitieux plus que d’apôtres.
L’affaire de Marc, serait donc un pur prétexte, et hypocrite de surcroît !
Il faut savoir que Marc, après avoir suivi Barnabé son cousin, redeviendra disciple de Paul, puis de Pierre, dont il se fera l’interprète, selon l’expression de saint Irénée. Il mettra par écrit son témoignage sur Jésus, rédigeant ainsi le second évangile canonique (en réalité le premier par la date).
Tout cela ne conforte guère le schéma – hégélien – d’une brouille entre les apôtres. Ces derniers restaient totalement unis, comme ils le devaient d’ailleurs, et nous vivons encore de cette unité, qui s’appelle Eglise catholique et apostolique (elle porte bien son nom !)
« N’avons-nous pas le droit d’emmener avec nous une épouse croyante, comme les autres apôtres, et les frères du Seigneur, et Céphas ? Ou bien, est-ce que moi seul et Barnabé, nous n’avons pas le droit de ne pas travailler ? » (1 Co 9,5-6) Ainsi s’exprimait Paul dans la première aux Corinthiens, qui est postérieure de trois ou quatre ans à l’incident d’Antioche. On ne discerne là aucune rancune, aucune scission entre les apôtres. Paul se compare même à Barnabé pour le zèle à travailler de leurs mains, afin de ne pas être à charge à la communauté. Ce qui prouve que Barnabé exerçait lui aussi un métier manuel.
Une tradition – Tertullien – attribue avec vraisemblance à saint Barnabé l’épître aux Hébreux. Il l’aurait ainsi envoyée d’Italie, c’est-à-dire de Rome, où il aurait rejoint Pierre et Paul. L’épître cite en effet Timothée, compagnon bien connu de Paul, et la finale de l’épître paraît bien avoir été mise en forme épistolaire par le secrétariat de Paul. Ladite épître a dû être expédiée par les soins de ce même secrétariat. Dans la tradition manuscrite, l’épître aux Hébreux sera toujours étroitement mêlée au corpus paulinien.
Page 149. Ce jour-là, l’Orient s’est ouvert à la pensée hellène.
Pas seulement à la pensée. Mais aussi à la domination durable des royaumes séleucide, ou lagide etc.… Auxquels succèderont les romains.
Page 149. Les Perses, les grecs d’Alexandre, les romains de César.
Sans parler des Croisés de la première croisade qui descendaient des plateaux d’Anatolie vers la Cilicie et vers Antioche. Eux aussi ont connu dans ces passes des sueurs froides.
Page 150. Le piteux état dans lequel il est arrivé dans la bourgade (de Derbé).
Un piteux état que vous avez inventé de toutes pièces, suite d’une lapidation dont Paul sortit indemne.
Combien estimez-vous qu’il faille de temps pour se relever d’une bonne et franche lapidation ? Trois mois ou six mois ? Selon la vraisemblance, Paul en serait sorti tout brisé, tout moulu, et sur un brancard, immobilisé au moins pour trois ans. En ce cas la mission eût été interrompue. Ou alors Barnabé aurait continué seul…
Page 150. A la rectitude reçue de Paul.
Et à la foi en Jésus-Christ. Saint Paul n’est pas en train de fonder sa secte, comme vous semblez l’insinuer.
Page 150. C’est en pays galate qu’une maladie va clouer Paul sur place.
Cette maladie-là, vous ne l’avez pas inventée. C’est Paul qui la raconte dans l’épître aux Galates. Il est étrange que Luc n’en parle pas. Mais Luc joue à l’historien de grande classe, à la mode antique, souvent avare de détails, ou même laconique. Pourtant, en rédigeant les Actes, il disposait du corpus des lettres pauliniennes.
Page 150. Etait considéré comme de mauvais augure. On se hâtait de l’éviter.
C’étaient là les réflexes païens, surtout quand on se trouvait impuissant devant la maladie. Mais justement Paul veut souligner que ses ouailles ont acquis les réflexes chrétiens. Ils ont assimilé les béatitudes, qu’il leur a enseignées sous une forme quelconque.
« Vous vous seriez arraché les yeux pour me les donner. » (Ga 4,15).
C’est étonnant que vous n’émettiez pas de supputation sur la nature de cette maladie. Combien de temps a-t-il mis pour guérir ? Il faudrait connaître d’abord le diagnostic de son mal.
Disons une crise de paludisme. Non. Le paludisme est une maladie des régions tropicales.
Page 151. A Lystres, chacun tient à oublier la lapidation.
Surtout Paul, qui en gardait un souvenir cuisant. Il fut traîné comme mort hors de la ville. Mais il se releva et rentra dans la ville… pour aller boire un cordial au café du coin, et rassurer ses amis. J’allais dire : il se releva mort. Non, il se releva plus vivace que jamais.
Lystres avec un s, Mr Decaux. Mon logiciel Word me rappelle à l’ordre.
Page 151. Circoncire Timothée !
Mettez-vous bien dans la tête, Decaux, que Paul n’a rien, mais rien, contre la circoncision. Il fut circoncis lui-même, à l’âge de huit jours, tout comme le petit Jésus. Pas de honte à cela ! C’était un signe d’alliance avec Yahvé, d’appartenance à la race élue, un motif de fierté.
Caduc depuis l’avènement du Messie, certes, mais non pas déshonoré ! Timothée : son père était grec, mais sa mère était juive. Or l’on devenait juif par la mère et non par le père. Donc, selon la Torah, et selon les juifs, il devait être circoncis. Ainsi pour ne pas créer de polémique, Paul accède à leur point de vue, sans se renier.
Faut-il vous le répéter ? « La circoncision n’est rien et l’incirconcision n’est rien ; ce qui compte, c’est de garder les commandements de Dieu. » (1 Co 7,19).
Vous me copierez cent fois cette maxime, Decaux, avant d’écrire un nouveau livre sur saint Paul : « La circoncision n’est rien et l’incirconcision… »
Comment ne percevez-vous pas qu’elle s’applique, suréminemment, au cas ici évoqué ? Timothée sera circoncis ? La belle affaire ; si c’est pour faire plaisir aux juifs, et peut-être faciliter le dialogue avec eux. Saint Paul en partance pour la Palestine, à l’été 52, à Cenchrées, port de Corinthe, vers la fin de son second voyage apostolique, ne se fera-t-il pas raser la tête en accomplissement d’un vœu, pour devenir nazir, comme d’ailleurs l’était Jacques de naissance, et peut-être bien Jésus aussi ? N’était-ce pas là un retour à des pratiques cultuelles de la Loi ? N’était-ce pas, Decaux, recourir à une forme d’indulgences ? Hé bien, non. Paul était juif, en même temps que chrétien. Il pouvait impunément, et en toute liberté, jouer sur les deux tableaux, pour lui-même et pour Timothée.
Paul n’était-il pas le grand libre ? Mais non pas comme
on l’entendrait aujourd’hui. Une liberté pour Dieu.
Page 151. Pourquoi nous déçois-tu ?
Prosopopée des lois ? Non : du fantôme de Decaux. Du fantôme, acteur de théâtre.
Prosopopée inutile, et même ridicule. Paul n’a de compte à rendre à personne de ses décisions, même pas au lecteur moderne. Il est qui il est. Que cela plaise ou non. Il a répété cent fois qu’il ne cherchait pas à plaire, même pas à son auditoire futur dans les siècles.
Chateaubriand, quant à lui, recherchait l’éloge (bien vain) de la postérité en écrivant ses Mémoires d’Outre-Tombe. Pas Paul. Il ne cherche que la vérité.
Beaucoup, aujourd’hui encore, se plaignent de Paul. Hé oui. Il n’est pas très complaisant pour toutes nos tendances.
Page 151. « Dans les villes où ils passaient, dit Luc, Paul et Silas transmettaient les décisions… »
Hé oui, les décisions du Concile sont irréversibles, et Paul et Silas ont bien raison de les promulguer dans toute l’œcumène, au profit des ex-païens.
Elles seront répétées solennellement, ces décisions, devinez par qui ? Par l’Eglise de Jérusalem à l’occasion du dernier voyage de Paul dans la Ville sainte. « Quant aux païens qui ont embrassé la foi, nous leur avons mandé nos décisions : se garder des viandes immolées aux idoles, du sang, des chairs étouffées et des unions illégitimes. » (Ac 21,25). Point final. Le débat est clos. L’entente est désormais parfaite entre Paul et Jacques, entre les Eglises pauliniennes et l’Eglise-mère de Jérusalem. Pas le moindre petit conflit à l’horizon. De quoi décourager tous les prospecteurs de sous-entendus…
Page 152. Il écrira à Tite.
Tiens donc. Vous citez maintenant les épîtres Pastorales ? Je croyais que vous les considériez comme pseudépigraphiques et non historiques, en accord avec la critique moderne, si chère à vos yeux. Vous lui faites là une infidélité notoire.
Elles ne sont pas authentiques, Mr Decaux. Vous n’avez donc pas le droit de les alléguer ici. Allons. Soyez conséquents. Vous allez bien les escamoter complètement en votre fin d’ouvrage, comme si elles n’avaient rien à nous dire sur la dernière étape de la vie de Paul, juste avant son martyre, que d’ailleurs elles pressentent.
Page 152. L’épiscope – qui deviendra plus tard l’évêque.
Non, Mr Decaux. L’épiscope ne deviendra pas plus tard l’évêque. Il l’est déjà. C’est seulement la forme de ce mot qui a évolué dans les traductions françaises, ou autres versions en langues vernaculaires.
Pas dans l’original grec ou latin. L’épiskopos, ou l’episcopus, c’est l’évêque, uniquement l’évêque. Les théories évolutives n’ont pas cours ici.
Dans l’Eglise grecque, aujourd’hui encore, il n’y a pas d’autre mot qu’épiskopos pour désigner l’évêque. Ne vous fiez pas les notes tendancieuses, qui accompagnent le texte sacré dans nos bibles modernes : TOB, Bible de Jérusalem, Bible du chanoine Osty, etc… Elles sont erronées.
J’entends bien que vous ne jurez que par la TOB, Mr Decaux. Mais elle-même n’est pas infaillible. D’ailleurs, elle est en perpétuel chantier.
Compulsez plutôt les anciens Pères de l’Eglise : les saint Ignace d’Antioche, les saint Irénée, les saint Cyprien de Carthage. Et vous avouerez que de leur temps la hiérarchie à trois degrés : l’évêque, les prêtres et les diacres, était déjà solidement implantée, sans l’ombre d’une variation. C’est cette solidité épiscopale et sacerdotale, Mr Decaux, qui a constitué l’armature de l’Eglise primitive et lui a permis de résister à trois siècles de persécution.
Sans cet appareil elle ne serait pas parvenue jusqu’à nous. Vous parlez d’un épiscope gringalet, vous ? Non, il est tout dans l’Eglise depuis l’origine. Lisez donc les Constitutions Apostoliques, datées du IVe siècle, et vous m’en direz des nouvelles.
Page 152. Ce n’est pas d’emblée.
Si Monsieur ! Dès l’origine. Par le truchement des apôtres. Elle est présente dans toutes les traditions apostoliques sans exception, de l’Inde à l’Angleterre. Preuve que cette triple hiérarchie n’est pas d’invention paulinienne ; mais bel et bien d’invention apostolique. La hiérarchie actuelle de notre Eglise reproduit celle de l’Eglise primitive de Jérusalem, laquelle était calquée sur la hiérarchie du Temple : avec grand prêtre (archiéreus), prêtres (hiéreis), et lévites (lévitai).
Lisez l’épître de saint Clément de Rome, je vous prie. Vous verrez cette assimilation à la hiérarchie du Temple clairement suggérée.
Page 153. L’essentiel est de convertir et, en second lieu, de constater la fermeté des convictions des nouveaux chrétiens. Le rete viendra.
Quelle profonde erreur d’appréciation sur l’attitude et la pensée de Paul ! Dès le principe, c’est-à-dire dès son premier voyage apostolique, il songe à établir partout des presbytres (qui n’étaient pas encore des prêtres… Mais si, Mr Decaux, qui l’étaient déjà). Ces presbytres qui seront la colonne vertébrale de l’organisme ecclésiastique.
« Ils leur désignèrent des anciens dans chaque Eglise, et, après avoir fait des prières accompagnées de jeûne, ils les confièrent au Seigneur en qui ils avaient mis leur foi. » (Ac 14,23) . Sous-entendu par l’imposition des mains.
Le reste est déjà présent, Mr Decaux.
Page 153. L’origine de cette attitude à l’égard de la femme découle exclusivement du livre de la Genèse.
Pourquoi exclusivement ? L’attitude de Paul découle de toute la Torah. Dans le Temple, souvenez-vous, les femmes n’avaient accès qu’au parvis des femmes, et pas, par conséquent, au parvis réservé aux hommes.
Vous voulez dire que Paul fait dépendre exclusivement son attitude à l’égard des femmes du livre de la Genèse, c’est-à-dire du récit de la création ? En un sens c’est vrai. Rappelez-vous. Jésus-Christ a raisonné de même en établissant la règle de la monogamie. « N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme, et qu’il a dit : Ainsi donc l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront plus qu’une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Hé bien ! Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit point le séparer. » (Mt 19,4-6).
Page 153. Lequel a été écrit sept siècles avant Paul.
Vous n’en savez rien ! Au sixième siècle avant notre ère donc ? D’autres disent après l’exil. Il est fort probable que le fond de la Genèse, comme du reste de la Torah, est bien plus ancien que le sixième siècle, et remonte, sous une forme ou sous une autre aux origines du peuple élu. Les traditions bibliques sont constitutives du judaïsme. On ne peut pas l’imaginer sans elles.
Page 154. Une soudaine répulsion – il sera sûr qu’elle lui est venue du Saint-Esprit.
Oui, puisque Luc nous le dit. Il fallait qu’il passe finalement en Europe (donc chez nous) et qu’il évangélise Corinthe. Il fallait d’abord qu’il parcoure une fois de plus, en partant d’Antioche, son port d’attache, la Phrygie et la région galate pour y affermir les Eglises. La persévérance des communautés chrétiennes demeure un souci premier chez Paul, prioritaire même par rapport à une primo-évangélisation d’une grande ville comme Ephèse.
Plus tard, passant rapidement à Ephèse au long à la fin de ce second voyage apostolique et s’entretenant avec les juifs de la synagogue qui ne refusaient pas le dialogue, Paul leur dit : « ‘Je reviendrai chez vous une autre fois, s’il plaît à Dieu.’ Et d’Ephèse il gagna le large. » (Ac 18,21).
Il fallait que les esprits soient mûrs. En son temps, la ville d’Ephèse sera longuement évangélisée, pendant près de trois ans.
Ephèse, dit Decaux, avait déjà reçu quelques missionnaires chrétiens. Fort peu apparemment. Paul, en fin 53, n’y trouvera que quelques disciples, dont Aquila et Priscille qu’il y avait laissés et qui deviendront ses précieux auxiliaires. Curieusement il y trouvera aussi quelques johannites, formés semble-t-il par Apollos.
Paul devra d’abord les baptiser du baptême trinitaire.
Page 154. Pour admettre un tel orgueil.
Qualifier d’orgueil l’inspiration divine est bien téméraire. Il faut vous y faire, Decaux. Les apôtres, tous les apôtres, avaient reçu un charisme spécial d’inspiration de l’Esprit Saint, aussi bien pour leurs actes que pour leurs paroles, et pour leurs écrits. C’est pour ça, et pour ça seulement, que nous recevons comme inspiré ce corpus apostolique que nous appelons le Nouveau Testament.
Mais accueillons aussi toute la tradition vivante qui nous vient d’eux, ne serait-ce que le témoignage de leur martyre et le souvenir lié à leurs tombeaux.
Page 154. ils l’ont haranguée sans résultat.
Vous n’en savez rien. Luc ne le dit pas. Je préfère le consciencieux Luc au romancier Decaux.
Page 154. Des Temples superbes. Ils ont dû laisser Paul indifférent.
Pas du tout. Ils ont dû l’irriter profondément. Il n’était pas touriste. Il était apôtre.
Page 155. « De superbes cépées d’arbres. »
Une cépée, touffe de tiges, ou rejets de bois sortant du même tronc. Renan eût mieux fait d’appliquer ses subtils talents de styliste à une meilleure cause. Châtiment posthume pour lui : il n’est lu par personne, sauf par Decaux, qui nous le transmet ses phrases bien balancées.
Page 157. L’un de ses collaborateurs, fort peu important il est vrai.
Oui, mais il le deviendra de plus en plus, sur la fin de la carrière de Paul, au point que l’apôtre pourra écrire dans sa deuxième à Timothée : « Seul Luc est avec moi. » (2 Tm 4,11).
A mon humble avis, Luc fut le secrétaire de Paul, en même temps que son historien. C’est lui qui a réuni et fait publier tout le corpus des lettres pauliniennes. C’est grâce à lui que nous le possédons. On voit donc quel immense service il a rendu à la postérité.
Le « staff » de Paul était être assez fourni. Il le décrit ainsi dans l’épître à Philémon, donc au cours de sa première captivité romaine, vers 62 : « Tu as les salutations d’Epaphras, mon compagnon de captivité dans le Christ Jésus, ainsi que de Marc, Aristarque, Démas et Luc, mes collaborateurs. » (Phm 23-24).
Cinq personnes. Mais quelles personnes ! Deux évangélistes (dont les noms seront retenus dans le canon des Ecritures). Luc est nommé en dernier. Il avait une personnalité effacée, mais très efficace. Il était la cheville ouvrière du groupe, et sans doute l’archiviste, mais aussi le publiciste, ou l’éditeur.
En ce temps même, il s’apprêtait à faire publier à Rome, par un libraire de ses amis, l’ « excellent Théophile » (Lc 1,3) (cf. Ac 1,1), aussi bien son évangile que les Actes des Apôtres. En effet ces derniers s’achèvent vers la fin de la première captivité romaine de Paul, qui a duré deux ans, et qui s’est terminée sans doute par un non-lieu.
Luc n’avait pas les qualités d’un romancier, comme le prétend Decaux, mais plutôt celles d’un historien ou biographe consciencieux. Mais à la mode antique, non à la mode moderne, ou moderniste.
La mode antique tolérait volontiers l’ellipse ou le raccourcis. Elle répugnait au détail concret. Elle se voulait plus littéraire, amatrice de beaux discours, que strictement chronologique. Elle pouvait, comme on en a maintes fois la preuve dans l’évangile, rapporter et regrouper des paroles importantes sans attache chronologique précise ; tout simplement parce que l’écrivain, ignorant la date exacte des propos tenus, ne voulait pas cependant les laisser perdre, car il les estimait, de bonne source, authentiques.
Page 157. « Puisque beaucoup ont entrepris. »
Non. Le grec « polloi » doit plutôt se traduire ici par « plusieurs » et non par « beaucoup ». Plusieurs ont entrepris de composer une évangile . On peut les citer : Matthieu (en langue hébraïque), Marc, présent aux côtés de Luc, auprès de saint Paul, et dont il reproduit en grande partie les propos. Le diacre Philippe, enfin, à Césarée maritime, qui entreprend lui aussi de composer un évangile, non encore publié quand Luc écrit. Le diacre Philippe s’inspirera à la fois de l’évangile de Marc, que lui a transmis Luc, et des logia du Seigneur de l’apôtre Matthieu, qu’il traduit de l’araméen. Il laissera son évangile sous le nom de Matthieu.
Si beaucoup plus avaient écrits, on en aurait gardé le souvenir. Or on ne possède aucunes traces, d’autres évangiles, hormis celles des apocryphes, qui sont tardifs et sans intérêt.
Page 158. Doté de cette qualité rare qu’est l’admiration.
Vous semblez oublier que Luc est également l’auteur de l’évangile, et c’est pour cela d’abord qu’il est connu. Son nom brille à jamais dans les cieux. Faire partie des quatre évangélistes du Christ, quelle gloire plus impérissable ?
Le char de Yahvé, dans la vision d’Ezéchiel, était porté symboliquement par quatre animaux célestes : Luc, par son évangile, prend rang parmi ces quatre animaux, et pour l’éternité. Quelle gloire peut se comparer à la sienne et à celle de ses compagnons ?
De ce fait Luc surpasse, mais oui, la gloire de Paul.
« Au centre, je discernai quelque chose qui
ressemblait à quatre êtres vivants dont voici l’aspect : ils avaient une
forme humaine. Ils avaient chacun quatre faces et chacun quatre ailes ;
leurs jambes étaient droites et leurs sabots étaient comme des sabots de bœuf,
étincelants comme l’éclat de l’airain poli. Sous leurs ailes, il y avait des
mains humaines tournées vers les quatre directions, de même que leurs faces et
leurs ailes à eux quatre. Leurs ailes étaient jointes l’une à l’autre ;
ils ne tournaient pas en marchant ; ils allaient chacun devant soi. Quant
à la forme de leurs faces, ils avaient une face d’homme, et tous les quatre
avaient une face de lion à droite, et tous les quatre avaient une face de
taureau à gauche, et tous les quatre avaient une face d’aigle. Leurs ailes
étaient déployées vers le haut ; chacun avait deux ailes se joignant et
deux ailes lui couvrant le corps ; et ils allaient chacun devant
soi ; ils allaient où l’esprit les poussait, ils ne se tournaient pas en
marchant. »
« Ils ressemblaient à des êtres vivants. Leur aspect
était celui de charbons ardents ayant l’aspect de torches, allant et venant
entre les êtres vivants ; le feu jetait une lueur, et du feu sortaient des
éclairs. Les êtres vivants couraient en tout sens comme le font les
éclairs. »
« Je regardai les êtres vivants ; et voici qu’il
y avait une roue à terre, à côté des êtres vivants aux quatre faces. L’aspect
de ces roues et leur structure avait l’éclat de la chrysolithe. Toutes les
quatre avaient même forme ; quant à leur aspect et leur structure :
c’était comme si une roue se trouvait au milieu de l’autre. Elles avançaient
dans les quatre directions et ne se tournaient pas en marchant. Leur
circonférence était de grande taille et effrayante, et leur circonférence, à
toutes les quatre, était pleine de reflets tout autour. Lorsque les êtres
vivants avançaient, les roues avançaient à côté d’eux, et lorsque les êtres
vivants s’élevaient de terre, les roues s’élevaient. Là où l’esprit les
poussait, les roues allaient, et elles s’élevaient également, car l’esprit du
vivant était dans les roues. »
« Quand ils avançaient, elles avançaient, quand ils
s’arrêtaient, elles s’arrêtaient, et quand ils s’élevaient de terre, les roues
s’élevaient également, car l’esprit du vivant était dans les roues. Il y avait
sur les têtes du vivant quelque chose qui ressemblait à un firmament éclatant
comme le cristal, tendu sur leurs têtes, au-dessus, et sous le firmament, leurs
ailes étaient dressées l’une vers l’autre ; chacun en avait deux lui
couvrant le corps. »
« Et j’entendis le bruit de leurs ailes, comme le
bruit des grandes eaux, comme la voix de Shaddaï ; lorsqu’ils marchaient,
c’était un bruit de tempête, comme un bruit de camp ; lorsqu’ils s’arrêtaient,
ils repliaient leurs ailes. Et il se produisit un bruit. »
« Au-dessus du firmament qui était sur leurs têtes,
il y avait quelque chose qui avait l’aspect d’une pierre de saphir en forme de
trône, et sur cette forme de trône, dessus, tout en haut, une forme ayant une
apparence humaine. »
« Et je vis comme l’éclat du vermeil, quelque chose comme du feu près de lui, tout autour, depuis ce qui paraissait être ses reins et au-dessus ; et depuis ce qui paraissait être ses reins et au-dessous, je vis quelque chose comme du feu et une lueur tout autour ; l’aspect de cette lueur tout autour, était comme l’aspect de l’arc qui apparaît dans les nuages, les jours de pluie. C’était quelque chose qui ressemblait à la gloire de Yahvé. Je regardai et je tombai la face contre terre ; et j’entendis la voix de quelqu’un qui me parlait. » (Ez 1,5-28).
La gloire de Yahvé !
Page 159. Le cap Malée.
L’une des extrémités du Péloponnèse que l’on était obligé de contourner, dans l’antiquité, quand l’isthme de Corinthe n’était pas encore percé. Le cap Horn, il ne faut rien exagérer !
Page 159. Apollonios de Tyane.
Tout le monde sait que la vie d’Apollonios de Tyane est un roman, composé par Philostrate, entre 217 et 245.
Le contraire même des Actes de Luc conjugués à, et contrôlés par, le corpus paulinien.
La biographie de Philostrate est infiniment plus tardive par rapport aux faits, que les évangiles, ou les Actes. De plus elle se présente isolée. Elle recèle sans doute un fond de vérité, mais difficile à discerner du faux, ou du romancé.
Apollonios de Tyane (en Cappadoce) vécut de 16 à 97. Il fut élève à Tarse, à l’âge de 14 ans. Il ne semble pas avoir rencontré de chrétiens.
Page 160. S’embarquant à Troas au printemps 49.
Ou plutôt au printemps 50, selon ma chronologie ; Partis d’Antioche à l’automne 49, après le Concile de Jérusalem, il leur fallut bien plusieurs mois pour rejoindre les bords de la mer Egée.
Page 160. Un simple aviron planté à l’arrière servait de gouvernail.
Ou plutôt un double aviron, non ?
Page 160. L’orgueilleux Tarsiote.
Orgueilleux en Christ, oui. Comment ne serait-il pas conscient de l’importance et de l’originalité de sa mission ?
Pourtant, il ne fut pas le premier à évangéliser ce que nous appelons l’Occident. Saint Pierre avait déjà touché Rome, semble-t-il, avant le Concile de Jérusalem.
Page 160. Il évitera les zones dont la première lettre attribuée à Pierre annonce qu’elles ont déjà été évangélisées.
Effectivement, la première lettre de saint Pierre, dans son envoi, parle du Pont (près de la mer Noire), de la Galatie, de la Cappadoce, de l’Asie et de la Bithynie, toutes régions que Paul semble alors éviter, ou traverser rapidement, comme la région galate.
Page 161. « Ce qu’éprouve un amant sur les cendres de celle qu’il aima. » (Byron).
En effet, la civilisation classique, d’Athènes comme de Rome, est bel et bien morte.
Page 161. Dans un tel état d’esprit.
C’est plutôt votre état d’esprit à vous, Decaux, qui est déplorable. Vous n’auriez certes pas entrepris de convertir la Grèce !
Page 161. Equivaut à une autoflagellation.
Mais non, entre autres qualités, Paul n’est pas sadique, ou masochiste. Il est plein d’enthousiasme et de certitude. Il lui en faut.
Page 161. La Via Egnatia s’offre à lui.
Avec tous vos moyens modernes de transport, vous n’arrivez que poussivement à le suivre. Attention à votre électrocardiogramme.
Page 162. A la conquête des âmes, Paul s’avance armé.
Armé de la seule croix du Christ, et non pas de son orgueil ou de sa vanité. Sinon il se serait effondré. Bâtir une biographie en totale discordance avec la pensée réelle du héros est une véritable gageure.
Ou bien il se serait continuellement travesti dans ses lettres ! Ce qui deviendrait ici paradoxal et intenable.
Combien de sentences pauliniennes ne faut-il pas rappeler ?
« C’est dans la faiblesse, que je suis fort. »
« Je ne veux connaître que Jésus-Christ, et
Jésus-Christ crucifié. »
« On est justifié par la foi seule, et non par les
œuvres. »
Paul, Mr Decaux, était un autre Grignion de Montfort, armé de la seule croix et parcourant l’Europe à pied. Oui, il a imité Grignion de Montfort. Euh, à moins que ce ne soit le contraire…
Page 162. En 42 avant Jésus-Christ, une bataille mémorable.
En octobre 42 av. J.-C., à la bataille de Philippes en Grèce, Octave et Antoine écrasèrent Brutus et Cassius, âmes de la conjuration anticésarienne de 44 av. J.-C.
Voilà. Wikipédia est incollable.
Ils ont marché pour lui (pour le Christ) pourrait-on s’écrier avec Péguy. En effet cette bataille, avant même Actium, a réuni l’Orient et l’Occident dans un seul empire.
Page 163. Il s’agit du ruisseau Cangitès.
Les pèlerins le visitent. Le père Foucher, de Nantes, nous a
dit : j’ai célébré la messe à cet endroit.
Page 163. Chemin facile.
Ironie facile, et bête.
Page 163. Des responsabilités non négligeables à des femmes.
Quelles responsabilités ? On sait qu’il existait des femmes diaconesses, servantes titulaires, en quelque sorte. Mais le service n’est-il pas le summum de la responsabilité, au sens chrétien ? On se rappelle le mot de Jésus : « Je suis venu, non pour être servi, mais pour servir. »
Et aussi des veuves, qui étaient des femmes assistées par l’Eglise.
Page 164. Paul finit par soupçonner.
Il est plus perspicace que vous ne pensez. Un esprit opposé à la croix du Christ ne peut être que mauvais. C’est vrai pour aujourd’hui encore.
Page 164. Au nom de Jésus-Christ.
Vous ne parlez pas cette fois de magie, Decaux, c’est étonnant ! Seriez-vous soudain captivé par le récit de Luc ? Et par sa simplesse ?
Page 165. Par un tumulte de protestations.
Vous avez mal lu ! « Vers minuit, Paul et Silas, en prière, chantaient les louanges de Dieu ; les prisonniers les écoutaient. » (Ac 16,25). Ils les écoutaient, et non pas : ils les accueillirent par un concert de protestations. Toujours cette déformation systématique du texte sacré ou, sans doute, cette lecture entre les lignes.
Que Paul et Silas eussent voulu braver les protestations, ainsi que le sommeil, de leurs codétenus, est invraisemblable. Ils eussent mérité deux ou trois coups de bâton en sus. Mais non. Leurs compagnons connaissaient le supplice affreux que Paul et Silas venaient d’endurer. Surpris de ne pas entendre pendant la nuit les gémissements et les plaintes, usuelles en pareil cas, ils admiraient leur foi et leur courage.
Page 166. Et, selon Luc.
Vous avez peine à croire au récit de Luc, et pourtant vous venez de le reprendre presque intégralement. Vous auriez pu apposer des guillemets. La narration est vraiment haletante – dans Luc ! Vous ne pouvez faire autrement que d’y croire, ou alors de rejeter tout en bloc.
N’est-ce pas que Paul, décidemment, est un magicien ? Il contrôle même les phénomènes telluriques…
Page 166. Présenter leurs excuses.
Commettre le délit, en l’espèce administrer une bonne bastonnade, puis s’excuser après, c’était de bonne guerre. En ce temps-là, on ne regardait pas de si près aux droits de l’homme et du citoyen.
De toute façon, il fallait châtier l’accusé. Et si jamais il était coupable ?
Page 166. « Un compte de doit et avoir. »
Et alors ! On était moderne en ce temps-là. On pouvait déposer ses fonds au Crédit Agricole du patelin, et même ouvrir un compte au nom de Paul. Le débit, ce seront les chèques de Paul. Mais le crédit sera les avances ou les dons qu’on lui versera généreusement.
Page 167. Un voyage de six à sept jours. L’état de Paul et Silas oblige à doubler le chiffre.
Ils auront peut-être loué un âne.
Page 167. « On se croirait au règne de la mort. »
Presque en enfer.
Page 167. Enveloppant d’un regard négligent, voire méprisant.
Le royaume de Satan. D’un regard défiant et sûr de lui, quoique dans la prière. En effet, Zeus n’allait pas tarder à tomber de son piédestal, sous les coups de boutoir de l’apôtre. Que reste-t-il de Zeus en Grèce, je vous le demande ? Des ruines, sur lesquelles Renan pourra prier.
Il est vrai qu’aujourd’hui aussi le règne du Christ, inauguré en Grèce par saint Paul, paraît tomber. Mais au profit du néant, pas de Zeus. On ne refera pas le Parthénon.
Page 169. S’est rendu chez Jason, son parent.
Effectivement, si ce Jason est le même que celui de Rm 16,21 : « Timothée, mon coopérateur vous salue, ainsi que Lucius, Jason et Sosipatros, mes parents », il est le parent de Paul. Mais ce n’est pas sûr. Il peut s’agir d’un homonyme.
On sait que, très vraisemblablement le chapitre 16 fut ajouté à l’épître aux Romains, dans l’exemplaire destiné à l’Eglise d’Ephèse. Les nombreux noms de personnes citées, à commencer par « Prisca et Aquilas », à continuer par « Epénète, les prémices de l’Asie », appartiennent à l’Eglise d’Ephèse. Paul, par contre, ne connaissait pas grand monde dans l’Eglise de Rome, qu’il n’avait pas encore visitée.
L’épître aux Romains, et son appendice, datent de l’hiver 56/57. Elle fut envoyée de Corinthe. Jason à cette date avait-il rejoint Paul, son parent, à Corinthe, en compagnie de Lucius et de Sosipatros? C’est en effet possible. Et que ces parents de Paul fussent en même temps connus à Ephèse n’est pas non plus impossible.
Page 169. Laisse espérer une récolte de conversions fructueuse.
Comme si Paul n’avait qu’à ramasser ! En réalité Paul était sans illusion (positive ou négative) ; mais il se devait d’annoncer d’abord Jésus aux juifs, car le Messie (n’est-ce pas ?) était attendu par les juifs depuis toujours. Jésus n’était-il pas le roi des juifs, reconnu comme tel par Pilate ? N’était-il pas le fils de David que les foules avaient acclamé ?
Le Messie ? Mais il était d’abord le Messie des juifs, s’appelât-il Jésus.
Etudiez, je vous prie, Decaux, l’épître aux Hébreux, l’épître aux juifs. Elle démontre que Jésus-Christ réalise l’attente d’Israël.
Paul lui-même n’était-il pas un juif ? Ne vivait-il pas entouré de juifs ?
Page 169. Un Jésus qu’ils ne connaissaient pas.
Comme s’ils en connaissaient un autre, peut-être par ouï-dire. Non. Apparemment ils ignoraient tout de Jésus, à commencer par son nom.
Page 169. On estime que moins d’un pour cent.
Vous n’en savez strictement rien. Et ces estimations sont fausses, comme d’habitude, et largement dues à des préjugés. Ce qui est plus probable, c’est une énorme émotion à travers la ville, car les nouvelles circulaient vite. D’ailleurs Luc dit bien : « une multitude de grecs adorateurs de Dieu et de grecs et bon nombre de dames de qualité. » (Ac 17,4). Comme d’habitude c’est Luc qui a raison, et ses contradicteurs sont dans le faux. Ce sport de la contradiction est tellement facile ! Sans aucune preuve à l’appui.
Au contraire un crédit total doit être ouvert à Luc, historien consciencieux et souvent témoin direct des faits. Au surplus, généralement mesuré dans ses appréciations.
Page 170. Chaque fois qu’un « craignant-Dieu » réclame le baptême, Paul y voit légitimement la justification de l’option qu’il a défendue à Jérusalem.
Une option nécessaire. Inhérente à l’évangile même.
Page 170. Il prêche que ce retour est imminent. Annonce qui émerveille.
Comme si le retour du Christ n’était pas toujours imminent ! Il l’est de plus en plus. Peut-être demain à l’aube ? Quel rapport y-a-t-il, je vous le demande, entre l’éternité (du Christ) et le temps éphémère d’aujourd’hui ? Aucun, Decaux.
Et un jour est comme mille ans.
« La fin de toutes choses est proche » (1 P 4,7) proclame saint Pierre.
Et saint Jacques n’est pas en reste : « l’Avènement du Seigneur est proche. » (Jc 5,8).
Voilà la doctrine apostolique dans toute sa pureté, et non pas seulement la doctrine de Paul.
Et dans sa deuxième encyclique, le premier pape, saint Pierre, se croira obligé d’expliquer le retard apparent de la parousie. Elle est sans doute comme l’Arlésienne, on en parle toujours, mais on ne la voit jamais. « Mais voici un point, très chers, que vous ne devez pas ignorer : c’est que devant le Seigneur, un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne retarde pas l’accomplissement de ce qu’il a promis, comme certains l’accusent de retard, mais il use de patience envers vous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir. » (2 P 3,8-9).
Et voila l’explication, Decaux : c’était simple comme bonjour !
Le Seigneur retarde encore de cinq minutes l’irruption de la parousie. (Il y avait une série télévisée célèbre : Les cinq dernières minutes, vous en souvenez-vous ?).
Page 171. Imagé mais exact.
Oppidum devium, a dit Cicéron. Oppidum situé hors de la route. Je ne vois pas en quoi c’est imagé. C’est exact. C’est tout.
Page 171. Celui-là même qu’a poignardé, au cours de l’été – 336, son garde du corps Pausanias.
Pas de chance pour le poignardé ! Un homme si riche ! Avec tous ses trésors. Et de plus dévalisé après sa mort par des archéologues irrespectueux. Il me fait penser à la pauvre Martine Carol, dépouillée dans sa tombe par des voleurs de bijoux.
Page 172. A-t-il pu demeurer indifférent ?
Je n’allais pas dire qu’il s’en moque. Mais Paul est indifférent aux vanités humaines ; surtout aux tombes royales. Les anciens rois, y compris Hérode le Grand d’ailleurs, plaçaient leur orgueil dans leur gloire posthume : une pyramide, un mausolée, un Hérodion. Les tombes, même archi-protégées, ne pouvaient qu’un jour être violées, ne serait-ce que par des archéologues plus ou moins vandales.
Paul quant à lui les laissait reposer ces gens-là dans leur tombe, en attendant le jour du jugement. Il n’allait pas se mêler, fût-ce en touriste, au culte païen qui, le plus souvent, entourait leurs restes.
Page 172. Plus courtois que ceux de Thessalonique.
Luc nous dit qu’ils avaient l’âme plus noble. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Il ne s’agit pas seulement de politesse. Il s’agit d’ouverture d’esprit.
Page 172. « Ils examinaient les Ecritures. »
Non seulement Paul devait s’adresser aux juifs, mais encore il devait (c’était vraiment une obligation) leur prouver par leurs Ecritures (celles lues tous les sabbats à la synagogue) que Jésus était bien le Messie promis. Sinon sa prédication eût été vaine.
Reprenez le discours d’Etienne, et tous les discours subséquents de Paul : ils allèguent le même argumentaire.
Comprenez-vous bien ça, Decaux ?
Le devoir, devant Dieu, des juifs pieux et sincères, c’était de vérifier dans les Ecritures, tels livres, tels versets, si les allégations de Paul étaient fondées ou non. Si oui on les acceptait, et même avec joie. Mais si l’on détectait la fraude ou l’imposture, alors on les rejetait, et même avec virulence.
Voila ce qu’on pourrait appeler la dialectique rabbinique, dans laquelle Paul était passé maître, et dans laquelle il s’engageait.
« Chaque jour, ils examinaient les Ecritures pour voir si tout était exact. » (Ac 17,11).
Page 172. Le succès qui en a découlé ne peut être mis en doute.
Tiens ! Pour une fois vous acceptez le témoignage de Luc. A l’avenir sans doute deviendrez-vous lucaniens, et suivrez fidèlement son récit. Vous ne pourrez guère, d’ailleurs, faire autrement.
Page 172. la fin de l’automne 49 approche. Il aura fallu trois saisons.
Oula ! Plutôt automne 50. Car Paul sera à Corinthe pour l’hiver 50, après le court passage à Athènes. Vous allez vite, Decaux, sur les étapes du voyage. Les apôtres ne circulaient pas en turbotrain.
Page 172. Il n’a reçu aucune aide de l’Eglise d’Antioche de Syrie.
Mais il n’en attendait pas. Antioche de Syrie, son port d’attache, était loin. D’autre part, on ignorait où Paul était rendu dans ses courses apostoliques. Les envois de fonds eussent été aléatoires.
Paul, après la fondation de l’Eglise de Corinthe, qui lui prendra du temps, repassera bien par Antioche, pour terminer son second voyage apostolique et entreprendre « après y avoir passé quelque temps » (Ac 18,23), c’est-à-dire presque aussitôt, son troisième.
Là, il a pu se ressourcer en fonds, si tel était sa politique (ce dont je doute).
Page 173. Cette mission de Macédoine fut peut-être « la plus féconde de celle que Paul avait entreprises jusque là. »
Enthousiasme suspect. Provenant sans doute des soi-disant exégètes modernes. Les missions de Galatie et du plateau central de l’Anatolie paraissent avoir été tout aussi florissantes, puisqu’il y retournera au moins deux fois. Mais il est vrai, il aura moins de problèmes avec les Eglises de Macédoine, qu’il donnera comme modèle à tout l’univers, et à la générosité desquelles il fera souvent appel.
Mais attendons Corinthe, puis Ephèse, puis même Rome, puis la Crète, etc.…
Page 173. Les poètes qu’il a lus, les philosophes qu’il a étudiés, ses rêves mêmes, tout le porte vers Athènes.
Attention ! il ne faut pas confondre la culture de Decaux, avec celle de Paul de Tarse, ni les centres d’intérêt d’un biographe de mondanités, avec celle d’un apôtre de Jésus-Christ.
Tout à fait douteux, on l’a déjà dit, que Paul ait étudié dans sa jeunesse les poètes païens, et encore moins les philosophes païens. Car il ne faut pas l’oublier, pour lui, juif, et élevé à la juive, ils n’étaient que des païens.
Il ne les cite jamais par leurs noms. Et quand, très rarement, il fait appel à leur témoignage, « votre prophète », dit-il, c’est plutôt par des locutions proverbiales, des lieux communs.
Paul a suivi, même dans la langue des hellènes, des études essentiellement rabbiniques, dans lesquelles la civilisation dite classique, mais pour lui païenne, n’avait aucune part.
Certes, il aurait pu lire à titre personnel les grands auteurs, comme éléments de culture, ou comme documentation.
Il ne semble pas qu’il l’ait fait le moins du monde. Il n’y fait jamais allusion. On n’en trouve aucune trace dans tous ses écrits.
Son mode de pensée est entièrement pénétré de judaïté et, bien sûr, avant tout de biblicisme.
Paul est un juif parlant grec, un juif ayant soudain reconnu Jésus.
Page 173. Le poids réel que représentaient ces dieux d’Athènes.
Une bulle de savon. Mais qui mettra trois siècles à crever complètement. Et qui emprisonnait le monde antique, les esprits, et les corps, avec une intensité qu’on a du mal à se représenter aujourd’hui. C’est bien simple : on n’y croit même pas, à cette puissance prégnante du paganisme. Et je me demande si Decaux lui-même en est conscient.
Ce n’était rien d’autres que le règne officiel de Satan, et de ses acolytes, incarnés dans des divinités innombrables, et plus impures les unes que les autres. La politique même se mettait officiellement au service, de ces divinités, quand elle ne se divinisait pas elle-même. Et ce règne satanique enveloppait toute la vie sociale : la vie politique, on l’a dit, l’éducation, la religion, les mœurs, la famille, l’individu lui-même, de son berceau à sa tombe, l’argent et le commerce, la guerre et la paix, les villes et les campagnes, les cieux et les abîmes, l’air même qu’on respirait. C’est dans ce conglomérat d’iniquité, gigantesque, que s’enfonçait Paul, et avec lui l’Eglise du Christ naissante. Le paganisme résistera pendant trois siècles, avec de violents soubresauts, à leur pénétration pacifique et désarmée.
C’est très simple : même morte et enterrée, la culture antique, en réalité le paganisme, continuera d’empoisonner à titre de nostalgie invétérée même le monde chrétien, mettons l’Occident, jusqu’à une période récente, disons jusqu’à la révolution française. Il a fallu que la chrétienté meure pour qu’enfin le souvenir de la civilisation païenne disparaisse complètement.
Prenez par exemple les auteurs classiques du XVIIe siècle : les Corneille, les Racine, les Molière, les La Fontaine, ils sont tout imbus de souvenirs de la culture païenne, bien que celle-ci pour eux soit morte. C’était une forme de nostalgie.
Ouvrons les fables de La Fontaine.
La besace.
Jupiter dit un jour : Que tout ce qui respire
S’en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur :
Si dans son composé quelqu’un trouve à redire,
Il peut le déclarer sans peur ;
Je mettrai remède à la chose.
Venez, singe ; parlez le premier, et pour cause.
Voyez ces animaux, faites comparaison
De leurs beautés avec les vôtres.
Êtes-vous satisfait ?
- Moi ? dit-il ; pourquoi non ?
N’ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?
Mon portrait jusqu’ici ne m’a rien reproché ;
Mais pour mon frère l’ours, on ne l’a qu’ébauché :
Jamais, s’il me veut croire, il ne se fera peindre. "
L’ours venant là-dessus, on crut qu’il
s’allait plaindre.
Tant s’en faut : de sa forme il se loua très fort ;
Glosa sur l’éléphant, dit qu’on pourrait encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
Que c’était une masse informe et sans beauté.
L’éléphant étant écouté,
Tout sage qu’il était, dit des choses pareilles :
Il jugea qu’à son appétit
Dame baleine était trop grosse.
Dame fourmi trouva le ciron trop petit,
Se croyant, pour elle, un colosse.
Jupin les renvoya s’étant censurés tous,
Du reste, contents d’eux. Mais parmi les plus fous
Notre espèce excella ; car tout ce que nous sommes,
Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous,
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes :
On se voit d’un autre œil qu’on ne voit
son prochain.
Le fabricateur souverain
Nous créa besaciers tous de même manière
Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui :
Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d’autrui.
Jean de La Fontaine.
C’est bien envoyé, certes, mais c’est païen. Au siècle de Bossuet !
Page 173. Nul ne peut en ce temps se targuer d’esprit pholosophique sans en appeler à cette cité.
Comme si Paul se targuait d’esprit philosophique ! Vraiment, c’est mettre à côté de la plaque. C’est méconnaître absolument son personnage. Plus grave, c’est confondre, je l’ai dit, Decaux et saint Paul. Drôle de mésaventure pour un biographe ! Laissez plutôt Luc naviguer en haute mer : il ne se confond jamais avec son héros, lui, puisque tout bonnement il se met à son service. Et pourtant, par l’évangile, dans l’histoire humaine, il est plus grand que lui.
Il faut se souvenir avec quelle vigueur Paul condamnera (et oui Decaux, c’est dur à entendre) la philosophie et tous ses adeptes. Leur sagesse ? (Philo-sophia), une pure folie ! Pour Pascal, la philosophie ne vaudra pas une heure de peine. Pour Paul, encore moins. Zéro patate. Moins que rien.
C’est toute l’épître aux Romains qui reviendrait ici en mémoire et qu’il faudrait évoquer.
Mais citons ce résumé incontournable, envoyé de Rome vers l’an 60 à l’adresse des Colossiens: « Prenez garde qu’il ne se trouve quelqu’un pour vous réduire en esclavage par le vain leurre de la philosophie, selon une tradition toute humaine, selon les éléments du monde, et non selon le Christ. » (Col 2,8).
Reprenons la première aux Corinthiens, antérieure de quelques années à l’épître aux Romains : « Où est-il, le sage ? Où est-il, l’homme cultivé ? Où est-il, le raisonneur de ce monde ? Dieu n’a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ? Puisqu’en effet le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie du message qu’il a plu à Dieu de sauver les croyants. Alors que les juifs demandent des signes et que les grecs sont en quête de sagesse, nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, juifs et grecs, c’est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. » (1 Co 1,20-25).
Terrible réquisitoire. Implacable logique.
Inutile maintenant de citer l’épître aux Romains. Il faut mieux y renvoyer.
Page 173. Prétendre que le seul vrai Dieu est le fils d’un charpentier juif.
Pourquoi pas ? Les grecs étaient habitués à croire à des élucubrations encore plus bizarres.
Mais d’abord, il faut dire : le fils adoptif, et non pas le fils réel. Le Fils unique de Yahvé ne pouvait être le fils d’un homme charnel. Nuance très importante, et que Paul faisait. Il n’a jamais proclamé, au grand jamais, que le Christ était le fils de Joseph, le menuisier de Nazareth. Cherchez bien.
« Mais quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la Loi. » (Ga 4,4). Il n’a pas dit : né d’un homme, cet homme fût-il descendant de David !
N’importe quoi, pourvu que ça passe !
Ensuite, vous n’énoncez pas la vérité « catholique ». Le Dieu des juifs, Yahvé, subsistait dans le ciel de toute éternité, avant que Jésus ne vînt sur la terre dans la famille d’un charpentier juif.
Jésus lui-même a toujours vénéré, et même par deux fois purifié, le Temple de Jérusalem qui était la demeure officielle de son Père.
Dieu, selon Jésus-Christ, ne laisse pas de résider dans le ciel. « Notre Père qui es dans les cieux. » (Mt 6,9).
Et selon saint Paul lui-même :
« Le Dieu qui a fait le monde et tout ce qui s’y trouve, lui, le Seigneur du ciel et de la terre, n’habite pas dans des temples faits de main d’homme. Il n’est pas non plus servi par des mains humaines. » (Ac 17,24-25). Telle est l’exorde du discours que saint Paul va prononcer à Athènes dans quelques jours, et qu’il a déjà évidemment dans la tête à son départ de Bérée.
Il ne dira pas : le Dieu qui habite dans une maison de Nazareth.
Soyons sérieux. Il s’adresse à des païens, et les prend au sérieux.
Page 173. Que son humeur s’en soit assombrie et que ses fidèles aient eu à supporter davantage les foucades de son mauvais caractère.
Il devait sans doute donner des coups de pied à son chien, s’il en avait un, pour passer sa colère. Ou cracher par terre en jurant.
Attitude psychologique invraisemblable. Il faut pressentir le courage qu’il fallait à Paul pour affronter la grande ville païenne, la capitale mondiale, pour ainsi dire, de l’intelligence. Même si le rôle de cette cité commençait passablement à décliner, et son prestige à pâlir. Néanmoins devoir l’affronter ne devait pas laisser d’être impressionnant.
Même si l’aventure paraissait hasardeuse, Paul se faisait un impératif de l’entreprendre. Car il se devait à lui-même, et à la vérité évangélique, de témoigner aussi bien devant la sagesse du monde païen que devant la tradition judaïque. Les deux avaient droit alternativement à la vérité. Le rejet éventuel de l’Athènes philosophique ne serait pas pire pour lui que le rejet de la synagogue.
Paul ne tenait pas en lui-même, ou à l’égard de son entourage, des propos rageurs, mais il se voulait plutôt dans une grande concentration, tel un athlète à la veille d’un rude combat.
Ne serait que par respect pour son adversaire, même s’il n’en avait pas vraiment peur.
Il devait prier.
Les commentaires mesquins de Decaux obligent à une réfutation sommaire, et qui tient d’ailleurs du bon sens. Mais en réalité ils détournent du vrai débat. Ils occultent les véritables principes en jeu.
Car enfin l’Athènes que Paul allait aborder, il était sans illusion sur elle, illusion positive ou négative d’ailleurs. Il se gardait dans un calme intérieur parfait, nécessairement. Mais se tenait résolu. Car l’entreprise n’était pas sans risques, le pire des risques étant celui de la dérision.
Mais Paul devait apprendre aussi à échouer, comme le Christ avait apparemment échoué. S’il échouait, hé bien il irait ailleurs, vers les pauvres et non vers les riches, vers les fous et non vers les sages.
Auparavant, il aurait fait son devoir. Non pas son devoir personnel, encore une fois. Mais celui de la vérité. Le service de la vérité.
Le véritable amour de la véritable Sagesse. La vraie philosophie.
Page 173. On voudrait que le cap Sounion et les colonnes de marbre du temple de Poséidon aient ému Paul.
On voudrait que Paul eût conservé la nostalgie du paganisme. Leurre. Il n’en gardait aucune. Les temples ? Il rêvait de les démolir de fond en comble, ou alors de les consacrer au vrai Dieu. Et c’est lui qui, finalement, aura raison. Les tremblements de terre, le déroulement des siècles, et le christianisme, lui donneront raison. Quelques attardés du romantisme, comme Renan, iront pleurer sur l’Acropole. Le monde sans Dieu édifiera des mastodontes à la gloire de l’homme. Mais il ne relèvera pas les temples.
Page 174. Les quinze kilomètres.
Vous pourriez parler en stades, Mr Decaux. Soit 83 stades, environ. Mais j’ai été obligé de consulter Wikipédia, l’université des médiocres (dont je suis). Mais bien pratique, et constamment mise à jour. J’en ai eu la preuve récemment.
Je vous le donne en mille (en marge de saint Paul). Qu’est-ce qu’une Panenka ? En football, c’est un penalty marqué au ralenti, en trompant le goal. Pouf !
Page 174. Il n’y a plus de Grèce.
Sans parler de la constante division entre elles des cités grecques, Athènes ne pouvait être qu’absorbée par les grands empires. Si ce n’était Rome ç’eussent été les royaumes grecs, issus d’Alexandre. Ou encore les Perses.
Rome n’a pas vraiment sonné le glas de l’atticisme, puisqu’elle en a préservé la culture et la langue. L’empire romain lui-même deviendra grec sous le nom d’empire byzantin, au IVe siècle de notre ère..
Page 175. Ici Luc est un miroir.
Pourquoi ? Ailleurs serait-il un verre dépoli ? Luc est toujours limpide et humble. Par conséquent il est partout un miroir. Il sera aussi le miroir du Christ.
« J’ai décidé, moi aussi, après m’être informé exactement de tout depuis les origines d’en écrire pour toi l’exposé suivi, excellent Théophile. » (Lc 1,3).
Pas un miroir déformant.
Page 175. On devine un Paul déconcerté, accablé.
Comme s’il n’avait déjà visité d’autres métropoles païennes, telle Antioche ! Il n’était pas accablé. Mais certes il était bouleversé par le spectacle impudique, à ses yeux, du paganisme. Que spirituellement parlant, il devait affronter et renverser.
C’était le règne intellectuel de Satan qu’il abordait.
Paul va foncer dans le mille, tête baissée. A ses risques et périls.
Page 175. A moins que ce ne soit de Denys l’Aréopagite.
Il vous fait rêver celui-là. Il en a fait rêver bien d’autres. Son nom est devenu légendaire. Théologien mystique ? Premier évêque de Paris ?
Non, Luc fut longtemps le compagnon de Paul. Et c’est de lui qu’il a recueilli toutes ses confidences et ses souvenirs qu’il nous transmet. Dans les Actes, c’est autant Paul qui parle que Luc. Ainsi Paul a collaboré à sa propre biographie, et sans doute même à la rédaction de l’évangile, ça vous en bouche un coin ? Mais comment aurait-il pu en être autrement ?
Pendant plus de deux ans, Paul sera prisonnier à Césarée maritime, recevant librement Luc, futur auteur du second évangile, et le diacre Philippe, résidant de la même ville, et futur auteur du premier évangile, placé sous le nom de Matthieu. En outre Marc, l’auteur du second évangile, en réalité le premier par la date, fut longtemps le compagnon de Paul. Comment voulez-vous que saint Paul, commensal de trois évangélistes, n’ait pas collaboré à la rédaction du corpus évangélique ? Ce serait invraisemblable, contre-nature, presque monstrueux.
Et surtout de la part d’un Paul très longtemps immobilisé. Paul serait-il resté inactif ? Non, il a écrit, et fait écrire.
Ses épîtres. Les évangiles. Les Actes.
Tiens, que je vous signale un fait patent, pour un exégète averti.
C’est Paul certainement qui a donné l’ordre à Luc d’insérer la généalogie mariale – je dis bien généalogie mariale – de Jésus, juste après le récit du baptême dans le Jourdain (cf. Lc 3,23-38), pour prouver à l’Eglise future, dont nous sommes, que Jésus était bien le descendant de David, mais né d’une femme, non d’un homme.
L’auriez-vous deviné ? Etudiez bien le dossier scripturaire ci-dessous. Tous les mots comptent.
« Paul, serviteur du Christ Jésus, apôtre par
vocation, mis à part pour annoncer l’Evangile de Dieu,
« Que d’avance il avait promis par ses prophètes dans
les saintes Ecritures,
« Concernant son Fils, issu de la lignée de David selon la chair. » (Rm 1,1-3)
« Mais quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme, né sujet de la Loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l’adoption filiale. » (Ga 4,4).
Page 176. Luc est à son affaire. Rédiger le discours de Paul.
La théorie bien connue de l’historien antique, qui prête à ses héros des discours fictifs, réinventés de toutes pièces, mais plus éloquents, ou grandiloquents, les uns que les autres.
Non, Decaux. Luc est un historien modeste et fidèle qui ne s’amuse pas – pure vanité littéraire – à inventer de belles harangues. Il les tient soit d’Etienne à travers le diacre Philippe, soit de Paul lui-même.
Les discours de Paul dans les Actes prennent rang de véritables pièces d’anthologie paulinienne. En particulier le discours d’Athènes. Toute l’épître aux Romains, en ultra-condensé, y est déjà contenue. Le Dieu unique déjà connu par la raison – quelle audace de pensée typiquement paulinienne ! La race humaine issue d’un seul principe, autre audace paulinienne que, fait unique, on ne trouve que dans les Actes. La citation d’un auteur, tarsiote comme Paul, mais non pas comme Luc. Voilà bien autant d’indices que le discours est de Paul, et non fabriqué par Luc
« Dieu fait maintenant savoir aux hommes d’avoir tous et partout à se repentir. » (Ac 17,30). Cette phrase nous livre le kérygme apostolique dans toute sa pureté.
Et cet embrayage typiquement de Paul, sa spécialité en quelque sorte, sur la Résurrection de Jésus. « Par un homme qu’il y a destiné, offrant à tous une garantie en le ressuscitant des morts. » (Ac 17,31).
L’attaque ne pouvait être plus directe. Plus elliptique, je dirais. Plus paulinienne…
Passer en quelque mots, de la création du monde à la Résurrection de Jésus-Christ, il fallait le faire.
Dialectique irréfutable rationnellement, sauf par la dérision…
C’est comme le pari de Pascal. On s’en est moqué. On ne l’a pas encore réfuté.
Page 177. Pourquoi jugé.
Réflexion impertinente de Decaux. Pourquoi jugé ? Et pourquoi pas ? La notion de jugement des âmes n’était pas inconnue de la mythologie antique. C’était même, pour elle, un lieu commun. Quant au jugement du monde à la fin des temps, voici ce qu’en écrit la Bible de Jérusalem, dans une note à la deuxième épître de Pierre : « Cette destruction du monde par le feu est un thème courant chez les philosophes de l’époque gréco-romaine comme dans les apocalypses juives ou certains textes de Qumrân. » En somme rien de plus classique, tant du côté juif que païen. Paul, encore, a été bien gentil de ne pas parler de feu. Saint Pierre, lui, ne se gênait pas.
Page 177. Le climat recomposé par le talent de Luc nous paraît si évident.
Du moment que Luc parle d’un échec, ou même d’une dérision de Paul, alors là Decaux se délecte. Pour une fois il ne doute pas de la narration. Il en rajoute même.
Page 177. Ses épaules s’affaissent, il semble que tout son corps se délite.
L’ectoplasme va tomber dans le néant. L’énergumène a soudain vieilli de dix ans. Il sera à l’avenir moins bravache. Bien fait pour lui.
Page 178. On a blessé son amour-propre.
Pour ne pas dire son orgueil. Mais non, Decaux. Il n’a pas échoué. Il a recruté quelques disciples. « Quelques hommes cependant s’attachèrent à lui et devinrent croyants. Denys l’Aréopagite fut du nombre ; il y eut aussi une femme nommée Damaris, et d’autres avec eux. » (Ac 17,34).
Ce Denys devait être un personnage important, puisqu’il faisait partie du tribunal de l’Aréopage. Apparemment, il sera connu de la première génération chrétienne. Il laissera après lui, on l’a dit, une légende tenace.
Moins de trois siècles après, la pensée de Paul, nolens volens, s’imposera à la Grèce. Y compris à la ville d’Athènes.
On a dit et répété – mais pas Decaux – que l’argumentation de Paul devant l’Aréopage s’étant soldée un échec, Paul ne la reprendra pas. Il ne fera plus appel désormais à la sagesse humaine, mais à la folie de la croix.
Or, cela n’est pas exact. L’argumentation du discours d’Athènes on la retrouve typiquement dans l’épître aux Romains, voire même dans l’épître aux Hébreux, qui pourtant ne serait pourtant pas sortie du calame de Paul (ou du calame de son scribe).
« En effet, la colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui tiennent la vérité captive dans l’injustice ; car ce qu’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu en effet le leur a manifesté. Ce qu’il a d’invisible depuis la création du monde se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres, son éternelle puissance et sa divinité, en sorte qu’ils sont inexcusables ; puisque, ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas rendu comme à un Dieu gloire ou actions de grâces, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements et leur cœur inintelligent s’est enténébré : dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles. » (Rm 1,18-23).
Même appel insistant à la raison humaine.
Mais aussi Paul dégage, visiblement, les leçons de son échec devant l’Aréopage. Terrible réquisitoire, à la fois contre la sagesse païenne et contre l’idolâtrie, lesquelles selon Paul se rejoignent. Sa mésaventure d’Athènes n’aura pas été inutile, s’il en a tiré de tels accents.
Page 178. Jamais il ne voudra revoir Athènes.
Cependant il reviendra à Corinthe pendant son troisième voyage apostolique, venant de la Macédoine et retournant par la Macédoine. A l’aller ou au retour, il est peut-être passé par Athènes.
Page 179. Perdu dans l’amertume de son humiliation.
Un Maradona effondré après la défaite de son équipe. Mais non : Paul n’est amère que de la perte éternelle des âmes. Qui vous dit qu’il ne ressent pas du soulagement du devoir accompli ?
Page 180. « Les montagnes d’Argolide couvertes de bois de pins. »
Avant que les incendies de forêts de ces derniers étés ne les aient anéantis (les bois de pins).
Page 180. Néron a nourri le projet de percer l’isthme.
Mais il n’en a pas eu le temps. S’il est venu donner le premier coup de pioche, au cours de son séjour en Hellade, vers 66/67, il a été renversé presque aussitôt rentré en Italie, en 68.
Page 181. Lorsque l’empereur Claude, en l’an 49, a promulgué un édit.
Donc la ville de Rome a été évangélisée avant même le Concile de Jérusalem, en 49. Probablement par l’apôtre Pierre. Paul n’est donc pas celui qui a le premier touché l’Occident.
Page 182. De cette déesse effrontée, s’est-il imaginé poursuivi ?
Paul ne souffrait pas de complexes. Le paganisme était l’ennemi, certes. Mais Paul était armé pour se défendre, moralement s’entend.
Page 183. Paul a dû resté bouche bée
Il n’arrivait pas en touriste. Mais en apôtre. Il ne fut ébahi qu’une fois, sur le chemin de Damas.
Page 184. Que Paul ait assisté aux jeux Isthmiques d’avril - mai 51.
En effet, c’est probable. Selon moi, Paul aurait séjourné à Corinthe de l’hiver 50 à l’été 52. Avant d’y revenir passer l’hiver 56/57 pour rédiger tranquillement l’épître aux Romains.
Page 184. Séduit par les poètes.
C’est beaucoup moins probable. Ces poètes étaient imprégnés d’esprit païen, et leurs vers étaient souvent licencieux.
Page 185. Affliger un homme qui prêche l’ascèse et la continence.
Paul n’a pas l’ascèse triste. Il n’est pas bégueule.
Page 186. Bien plus tard, Paul la recommandera aux Romains.
Ou plutôt aux Ephésiens. Car il semble bien que le chapitre 16 de l’épître aux Romains soit un appendice destiné à l’Eglise d’Ephèse. Le port de Cenchrées se trouvait en face d’Ephèse, dans la mer Egée, et les échanges, commerciaux, ou autres, devaient être nombreux entre les deux rives. Pas étonnant que Phoebé soit connue, ou attendue, à Ephèse. A Rome c’était beaucoup moins probable.
Page 187. Des répliques furieuses de la sienne.
Ils ne se sont pas tapés sur la gueule, non ? Ecrire des hymnes à la charité dans la colère et l’irritation, c’est le comble du paradoxe. A qui ferez-vous croire cela, Decaux ?
Page 187. « Pas de document plus ancien. »
Vous n’en savez goutte. L’évangile de Marc a peut-être été rédigé avant cette date. Et sûrement aussi les logia du Seigneur de l’apôtre Matthieu.
Page 187. « C’est en toute simplicité que le christianisme adresse son salut à l’humanité. »
Donc le christianisme aurait été inventé vers 51 de notre ère.
Page 188. La première génération du christianisme a vécu dans la certitude – et surtout l’attente - de la fin du monde qui suivrait le retour de Jésus.
Comme c’est curieux ! Je dois être naïf. J’y crois encore dur comme fer, puisque je le lis dans la Bible. « La fin de toutes choses est proche. » (1 P 4,7).
Illusion exégétique tenace, et partout répétée. Ils n’y croyaient pas plus et pas moins que nous n’y croyons nous-mêmes. L’Apocalypse parlait de délais de mille ans, ce qui était déjà considérable, vu de cette époque.
S’ils eussent cru à la fin du monde, ils ne se seraient pas mariés. Ils n’auraient pas cultivé la terre. Ils n’auraient pas fait de commerce. Bien plutôt, ils se seraient retirés en groupes sur les montagnes pour attendre en chantant la parousie. Balivernes que tout cela !
L’Eglise a été fondée comme une demeure provisoire, pour attendre dans la paix la Venue du Seigneur. Preuve que cette Venue n’est pas si imminente que cela.
Il n’empêche que, hier comme aujourd’hui, nul ne sait l’heure ni le jour. Elle peut surgir à tout moment.
Paul n’eût pas entrepris de missions. A quoi bon, puisque le Seigneur allait surgir à l’improviste. Que chacun se débrouillât comme il put !
Page 190. Ne craignons pas de les supposer, ces convertis, tendant l’oreille vers les moindres altérations qui peuvent affecter le silence de la nuit et, chaque fois, déçus.
Paranoïa ! Pauvres chrétiens ! Un peu comme le savetier du bon La Fontaine :
Et la nuit,
Si quelque chat faisait du bruit,
Le chat prenait l’argent.
Hallucinés, quoi. Et benêts, par dessus le marché !
Je le répète. Ces affabulations sur les premiers chrétiens, qui traînent partout, qu’on entend même dans la bouche de certains prédicateurs, sont surfaites, et inadmissibles. Elles ne correspondent pas à la réalité. Les chrétiens ne se fussent pas mariés ; ils n’eussent pas fait de commerce ; ils ne se seraient pas mêlés à la vie civile. Ils se seraient retirés dans les déserts, les yeux tournés vers le ciel, attendant la venue immédiate de Jésus.
Non. Les textes qui annoncent le retour imminent du Seigneur subsistent tels quels, en bonne place, dans nos livres sacrés. Leur force prégnante reste d’actualité, pour nous comme pour les saints de la première génération. Et pour autant nous n’en vivons pas moins normalement. «Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? Ce Jésus qui, d’auprès de vous, a été enlevé au ciel viendra comme cela, de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. » (Ac 1,11).
Quand ? Nous ne savons pas, pas plus hier qu’aujourd’hui.
Page 190. N’en doutons pas : les lettres de Paul tendent à fixer une prédication orale qui par essence risque d’être mal comprise, mal retenue, mal transmise.
Ah ça, oui ! Decaux tombe en plein dans le mille.
(Pour une fois qu’il ne dit pas de sottise, ça fait plaisir.)
Le Nouveau Testament a pour but de léguer aux générations futures la prédication originale du christianisme qui, sans cela, se fût perdue, ou se fût lamentablement déformée. Malgré cette précaution, la transmission ne s’est pas accomplie sans heurts, ni malentendus. Qu’en eût-il été sans elle ? On a peine à l’imaginer.
Aujourd’hui, deux mille ans après, faisons la contre-épreuve : Entre chrétiens des diverses confessions, les textes du Nouveau Testament restent la seule référence incontestable, référence nécessaire en même temps que suffisante.
Page 190. Partout et en tout temps, les épîtres affirment la foi sans limite de Paul.
Je ne vous le fais pas dire ! Partout et jusqu’à la fin du monde, les épîtres de Paul retentiront dans toutes les églises pour proclamer le kérygme originel, pur de toute altération.
Lisez les Testaments des Douze Patriarches. Ils l’avaient prédit d’une manière qu’on peut dire suffocante.
(Ayons bien à l’esprit que Paul appartient à la tribu de Benjamin, cette tribu dont il fera la gloire.)
« Je ne serai plus ‘loup rapace’ à cause de vos rapines, mais ‘ouvrier du Seigneur’, distribuant la nourriture à ceux qui travaillent à faire le bien. De ma descendance se lèvera, dans les derniers temps, l’Aimé du Seigneur, écoutant sa voix, faisant le bon plaisir de sa volonté, illuminant d’une nouvelle connaissance toutes les nations. Lumière de connaissance, il foulera Israël aux pieds, le dépouillant comme un loup de ce qu’il donnera à la synagogue des nations. Jusqu’à la consommation des temps, il sera, dans les synagogues des nations et parmi leurs chefs, comme un chant dans la bouche de tous. Il exposera dans les livres saints son œuvre et son message, et il sera l’élu de Dieu à jamais. A cause de lui, Jacob, mon père, m’apprit ce qui suit : ‘C’est lui qui comblera les manques de ta tribu.’ » (Testament de Benjamin, XI).
Page 191. Il s’est mis à déchirer ses vêtements en hurlant.
Inexact et tendancieux, comme accoutumé. Paul n’a pas déchiré ses vêtements en hurlant (comme le loup des Testaments ?), il les a simplement secoués en déclarant avec calme : « Que votre sang retombe sur votre tête ! Pour moi, je suis pur, et désormais c’est aux païens que j’irai. » (Ac 18,6).
Le calme, ici, est plus terrible que la tempête.
Page 195. Gallio, que les textes du Nouveau Testament appellent Gallion.
Gallio en latin. Gallion en Grec. Nero en latin, Néron en grec, comme en français.
Pas tout le Nouveau Testament, Decaux. Seulement les Actes.
Page 195. A pris son poste à Corinthe à la fin d’avril 51.
Remarquable coïncidence de Luc (comme toujours quand on peut vérifier) avec l’épigraphie et l’histoire romaines. C’est dans les années 50 - 52 que Paul a vécu à Corinthe. Et c’est à l’été 52 qu’il en est parti.
Page 197. En faisant tondre à Cenchrées ce qui lui reste de chevelure, Paul marque une nouvelle fois sa dualité.
Paul n’a pas cessé d’être à la fois juif et chrétien. Vous avez du mal à le comprendre. Il fut rejeté de la synagogue. Ce n’est pas lui qui l’a rejetée.
Page 197. Destination Antioche.
Antioche de Syrie, pour la fin de son second voyage apostolique et le début de son troisième. Antioche de Syrie, d’où il a été envoyé, restait sa base.
Page 199. Paul ne peut qu’exhumer de son esprit les images surgies des lectures ou de l’enseignement de maîtres révérés.
Plus que douteux que le juif Saul ait suivi des études païennes : ni Homère, ni Héraclite, ni Pythagore, ni Thalès ne font partie de son monde. Il n’y fait jamais allusion. La dialectique de leur pensée est étrangère à son mode de raisonnement.
Il ne cite, on l’a dit, que des bribes de poètes païens, dont les aphorismes étaient passés dans la langue courante, à titres de proverbes.
Page 200. Quant à Pierre, il parcourt la Syrie pour évangéliser les juifs - et eux seuls.
On ne voit guère Pierre arpenter la Syrie, à part son séjour à Antioche qui, peut-être, fut bref. Mais plutôt Corinthe, l’Italie, et, d’après sa première épître, le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l’Asie et la Bithynie.
Page 201. De la mémoire de Pierre, les paroles du Seigneur passeront dans celle de Marc. Après la mort de Pierre, c’est à ce disciple hors de pair que les fidèles demanderont de les mettre par écrit.
Genèse romancée de notre second évangile.
Et d’abord il faut maintenir que les Paroles du Seigneur, les fameux logia, furent notées par l’apôtre Matthieu en araméen, peu de temps après l’Ascension du Maître.
Ensuite l’enseignement de Pierre, si l’on s’en tient à la teneur de Marc, devait contenir surtout des récits, plus que des paroles. Et avant tout le récit très circonstancié de la Passion. Beaucoup de miracles. Quelques paraboles. Le choix des Douze, mais pas de Sermon sur la montagne.
Et c’est bien avant la mort de Pierre que fut rédigé le second évangile. S’il est vrai qu’il a servi de canevas à l’évangile de Luc aussi bien qu’à celui de Matthieu grec (très probablement le diacre Philippe), il n’a pu qu’être écrit avant 57, date de la rencontre à Césarée maritime de Luc, compagnon de Paul, et du diacre Philippe. Luc aurait fait part au diacre Philippe d’un exemplaire de l’évangile de Marc (autre compagnon de Paul). Et Philippe, en retour, aurait traduit à l’intention de Luc, de l’araméen en grec, les logia du Seigneur, notés par l’apôtre Matthieu avant son départ présumé pour l’Abyssinie, en 44.
Le diacre Philippe, quant à lui, aurait laissé volontairement le premier évangile sous le nom de Matthieu, car de fait il utilisait largement ses logia. Mais il ne l’aurait publié qu’après le départ de Luc et de Paul de Palestine. Après 59 donc. En effet les évangiles de Luc et de Matthieu grec, bien qu’utilisant les mêmes sources, s’ignorent mutuellement, malgré un nombre assez considérable de rencontres d’expression, qui peuvent s’expliquer par une longue préparation en commun et de fréquents entretiens préalables entre les deux auteurs présumés.
Page 201. De cet affrontement avec Pierre qui a si mal tourné.
L’affrontement n’a pas si mal tourné, puisque Pierre, l’humble Pierre, reconnaissant ses torts, a cédé sur toute la ligne, accréditant ainsi le point de vue de Paul.
Il faut avoir à l’esprit les grands éloges qu’il accordera à Paul dans sa seconde épître. « Tenez la longanimité de notre Seigneur pour salutaire, comme notre cher frère Paul vous l’a aussi écrit selon la sagesse qui lui a été donnée. » (2 P 3,15). Aucune trace d’acrimonie dans ces propos.
Page 201. Quelle inquiétude quand il découvre que Priscilla et Aquilas y rencontrent de réelles difficultés. Un certain Apollos.
Et voilà ! Après le conflit imaginaire avec Jacques, puis avec Pierre, maintenant le conflit avec Apollos ! Décidemment Paul est un forcené qui ne peut vivre sans batailles.
Relisons pourtant ce que Paul écrira d’Apollos dans sa première aux Corinthiens : « Qu’est-ce donc qu’Apollos ? Et qu’est-ce que Paul ? Des serviteurs par qui vous avez embrassé la foi, et chacun d’eux selon ce que le Seigneur lui a donné. Moi, j’ai planté, Apollos a arrosé ; mais c’est Dieu qui donnait la croissance. » (1 Co 3,5-6). Aucune trace, là non plus, d’amertume. Aucune trace de jalousie. Aucune trace de conflit. Paul aurait pu, pourtant, se considérer comme chez lui à Corinthe, cette communauté qu’il avait fondée dans les douleurs et dans les travaux. Pas le moins du monde. Le Christ, seul, était chez lui à Corinthe, et Paul y acceptait tous les ouvriers qui se mettaient au service de l’évangile.
Decaux devrait imiter la tolérance de son héros, et ne pas lui prêter, sans aucune preuve, sans aucun indice, des sentiments mesquins.
Page 202. Au cœur de l’été 52.
Disons plutôt 53.
Page 202. De sa ville natale il s’arrache.
Nous savons depuis longtemps que les Tarsiotes, dont Paul, n’étaient pas attachés à leur ville natale. Ils s’en expatriaient volontiers. C’est Antioche de Syrie, d’où il a été envoyé, qui représente pour Paul le véritable port d’attache.
Page 202. Il frôle les quarante-cinq ans.
53 – 8 = 45. Si Paul est né en 8, il atteint effectivement les 45 ans.
Page 203. L’enseignement d’Apollos semble avoir laissé des traces dans le haut pays.
Mais peu. Il ne s’agit que d’une douzaine de disciples, à peine chrétiens, puisqu’ils n’ont reçu que le baptême de Jean.
Page 203. Convaincus, ces braves gens ont demandé à recevoir un nouveau baptême, cette fois « au nom du Seigneur Jésus ».
Et au nom du Saint Esprit, puisque, jusque là, ils n’en avaient pas entendu parler.
C’était donc bien le baptême trinitaire, le véritable baptême, que Paul conférait à ces nouveaux chrétiens.
Et ce baptême était aussitôt suivi de ce que nous appelons la
confirmation. « A ces mots, ils se firent baptiser au nom du Seigneur
Jésus ; et quand Paul leur eut imposé les mains, l’Esprit Saint vint sur
eux, et ils se mirent à parler en langues et à prophétiser. » (Ac
19,5-6).
Page 203. L’Artémision.
Le temple d’Artémis ne se trouvait pas dans le port d’Ephèse même, mais quelques kilomètres à l’intérieur des terres, dans la ville qui s’appelle aujourd’hui Selçuk.
C’est là, curieusement, près du temple d’Artémis, que s’installera saint Jean, puisque on y trouve encore aujourd’hui la basilique de son tombeau. Mais non pas Paul qui est resté constamment dans le port d’Ephèse, aujourd’hui en ruine.
Il est peu probable qu’il ait visité l’Artémision, malgré la révolte des orfèvres qui se fera contre lui. Il n’aurait pu que l’anathématiser, ce qui eût été une provocation inutile.
Page 204. Par chance, l’énorme statue de marbre nous a été conservée.
Et même en plusieurs exemplaires. Elle ne se trouve pas à Ephèse même, mais dans le musée de Selçuk.
Page 204. Testicules de taureaux.
Les protubérances de la statue font penser à des seins multiples. Si ce sont des testicules de taureaux, ce n’est guère mieux. C’est dire l’avilissement du culte païen qui magnifiait les symboles sexuels.
Page 204. Une seule colonne de marbre blanc.
Gisant à terre, ou relevée par les archéologues, je ne sais plus. Les autres ont été prélevées par l’empereur Justinien pour édifier Sainte Sophie de Constantinople.
Souvenir personnel : c’est dans ce champ de l’Artémision que voulant m’approcher imprudemment d’une pouliche attachée à un pieu, et de son poulain, j’ai reçu un coup de sabot en plein front. Mes lunettes auraient bien pu être écrasées sur mon visage.
Page 204. De l’irritation que traduisent ses épîtres, il a dû passer à la haine.
Et pourquoi pas au meurtre.
Saint Paul ne se promenait pas dans les rues à la recherche du chaland. Dès l’aube il travaillait dans son atelier de confection, pour gagner sa vie. Il se rendit d’abord à la synagogue des juifs pendant trois mois, pour y enseigner. Puis comme d’habitude il rompit avec eux. Il loua l’école de Tyrannos, et là, pendant les après-midi, il entretenait les disciples. Paul ne se comportait pas en bonimenteur de foire, mais bien plutôt en maître d’école qui instruit ses élèves. « Il en fut ainsi deux années durant, - ajoute Luc – en sorte que tous les habitants de l’Asie, juifs et grecs, purent entendre la parole du Seigneur. » (Ac 19,10).
Page 205. Même si nous mettons parfois en doute les indications qu’il propose, comment ne pas reconnaître que les Actes des Apôtres renferment une documentation irremplaçable ?
Contradiction assez insoutenable. Comment faire le tri ? Ou bien Luc est un auteur fiable, ou bien il ne l’est pas. Il faut, ou le rejeter, ou l’admettre entièrement. Pas le choix.
Merci Luc, en effet, qui a interrogé saint Paul lui-même, et qui l’a suivi pendant une grande partie de son périple. Et qui a collectionné ses écrits. Comment imaginer auteur mieux renseigné ? Le mettre en doute est devenu un sport à la mode, parmi les exégètes contemporains. Mais un sport futile, et chaque fois démenti.
Page 206. Paul a-t-il oublié qu’il avait déchiré ses vêtements dans la synagogue de Corinthe ?
Non, seulement secoué. C’est moi qui vous le rappelle. (Cf. Ac 18,6).
A force de le répéter vous allez finir par y croire.
La rupture avec la synagogue de Corinthe ne signifiait pas la rupture avec toutes les synagogues, pas la rupture avec la Synagogue, avec un S majuscule.
Page 206. « Le christianisme germa dans ce qu’on appelle la corruption des grandes villes », dixit Renan.
Donc il était lui-même corrompu ! Syllogisme implicite.
Jugement de pauvre type.
Comme si la bonne graine ne pouvait pas germer dans le fumier ! Allons, Renan, faites un effort.
Page 206. Les trois années du séjour de Paul à Ephèse.
Plutôt deux ans et demi. De fin 53 à début 56.
Page 207. On signale des relations accrues avec la Macédoine.
Attention. Il ne faut pas confondre l’activité mentionnée dans les épîtres Pastorales, avec celle du long séjour à Ephèse de Paul, de 53 à 56.
Les Pastorales sont postérieures à la première captivité romaine de Paul. Elles doivent donc être situées dans les années 62 – 64, presque à la fin de la vie de Paul. Elles décrivent une période de consolidation de l’Eglise naissante, plus tardive que celle des grandes épîtres.
Page 207. On voit Apollos, revenu de Corinthe, si totalement réconcilié avec Paul.
Avec lequel il n’a jamais été fâché, sauf dans l’imagination de Decaux, et sans doute de maint exégète un peu aventureux.
Page 207. Paul a-t-il vraiment admis un tel comportement confinant à l’hystérie et correspondant si peu à son caractère ?
Et pourquoi pas ? Le Christ l’avait admis, lui, ce comportement quasi hystérique. Ce n’est pas de l’hystérie, Mr Decaux, c’est de la foi. Allez donc à Lourdes, vous en verrez de semblables, des comportements.
Page 207. On se demande si Luc n’a pas laissé galoper la folle de son logis.
Et quand il racontera les miracles du Christ, aussi, il laissera galoper la folle de son logis ? Faites comme Renan, gommez tous les miracles.
Page 208. Le temple d’Artémis est décidemment bien loin du Parthénon.
Comme si le Parthénon était lui-même le temple de la sagesse !
Page 209. Le lendemain il recommence à prêcher. Sans illusion : ceux qui lui en veulent ne le lâcheront plus.
Pur roman ! Entièrement contraire aux faits. Paul ayant échappé de justesse à la très grave émeute des orfèvres est parti dès le lendemain. « Après que le tumulte eut pris fin, Paul convoqua les disciples, leur adressa une exhortation et, après avoir fait ses adieux, partit pour la Macédoine. » (Ac 20,1).
Il faut lire dans la deuxième aux Corinthiens, écrite de Macédoine peu après les événements d’Ephèse le récit étonnant de la frayeur qu’il avait alors éprouvée.
« Car nous ne voulons pas que vous l’ignoriez, frères : la tribulation qui nous est survenue en Asie nous a accablés à l’excès, au-delà de nos forces, à tel point que nous désespérions même de conserver la vie. Vraiment, nous avons porté en nous-mêmes notre arrêt de mort, afin d’apprendre à ne pas mettre notre confiance en nous-mêmes mais en Dieu, qui ressuscite les morts. C’est lui qui nous a délivrés d’une telle mort et nous en délivrera ; en lui nous avons cette espérance qu’il nous en délivrera encore. » (2 Co 1, 8-10).
Si Paul lui-même a éprouvé la frousse, c’est que le danger était pressant !
Decaux et les exégètes méconnaissent absolument l’importance de cette émeute des orfèvres dans la vie de Paul. Ils y voient un épisode mineur, obnubilés qu’ils sont par un séjour de Paul en prison, à Ephèse, qu’ils ont inventé de toutes pièces ! Dont Paul lui-même ne parle jamais, ni les Actes.
Page 209. Ce n’est pas rien, à Ephèse, la prison. La tradition la situe dans une énorme tour carrée.
Pure fantaisie ! Et sur laquelle on va broder indéfiniment. Ne le fera-t-on pas même s’évader d’Ephèse, pour aller visiter Corinthe, et ensuite revenir se constituer prisonnier ? Le comble de l’invraisemblance.
Je ne conçois pas par quelle nécessité exégétique on a voulu inventer à tout prix ce séjour carcéral. Sans doute pour justifier certaines épîtres, écrites de prison.
Mais Paul a passé suffisamment de temps en prison, en d’autres lieux, pour expliquer lesdites épîtres : la captivité à Jérusalem, puis à Césarée maritime ; la double captivité romaine….
Page 210. Silence absolu des Actes des Apôtres.
Et pour cause ! Luc n’avait pas l’âme d’un romancier. Encore moins d’un exégète moderne !
Page 210. De plusieurs de celles-ci, il faut isoler des phrases, les juxtaposer, en extirper le suc.
Les torturer en tous sens, pour leur faire dire n’importe quoi, du moment que cela sorte du vraisemblable, ou de l’historique.
Page 210. « Oui, moi, Paul qui suis un vieillard, moi qui suis maintenant prisonnier de Jésus-Christ. »
Paul à Ephèse n’était pas encore un vieillard, et il n’y fut jamais prisonnier. Même si c’est à Ephèse qu’il semble bien avoir été arrêté après sa première captivité romaine, sans doute en 63. Mais pour être aussitôt reconduit à Rome, d’où il expédiera son ultime lettre à Timothée. « Alexandre le fondeur m’a fait beaucoup de mal. Le Seigneur lui rendra selon ses œuvres. Toi, aussi, méfie-toi de lui, car il a été un adversaire acharné de notre prédication. La première fois que j’ai eu à présenter ma défense, personne ne m’a soutenu. » (2 Tm 4,14-16).
Alors (à Rome) il était un vieillard ; alors il était sur le point d’être répandu en libation.
L’épître à Philémon, quant à elle, semble avoir été écrite pendant la première captivité romaine de Paul, vers 60 – 62.
Page 211. « Dans tout le prétoire, en effet, et partout ailleurs, il est maintenant bien connu que je suis en captivité pour Christ. »
Comme s’il y avait un prétoire à Ephèse ! Ce prétoire désigne le camp prétorien, à Rome, près duquel Paul fut retenu prisonnier pendant deux ans, sous le régime de la custodia militaris. De là, il a pu expédier beaucoup de lettres.
Page 212. Chacun implore Artémis dans ses prières comme – bien plus tard – les chrétiens prieront Marie.
Comme s’il y avait un quelconque rapport entre Artémis et Marie ! Mais, ma parole, Decaux, vous jouez au petit Renan.
Page 213. L’explication de sa captivité est ailleurs. Partout en Asie, commencent à se répandre les judaïsants.
Et voilà, après le crime avéré (la prison de Paul), il faut un coupable, ou des coupables : ce sont les intégristes ! En l’espèce les chrétiens judaïsants. Mêlons-y Jacques et Pierre, et le cocktail sera complet. Ces grands ennemis invétérés de Paul. On vous l’avait bien dit. On l’avait assez insinué tout au long du récit. Maintenant le fait est patent. On les prend sur le fait.
Page 213. Agrippine, sa seconde épouse, l’a fait empoisonner.
C’est loin d’être avéré. Il ne faut pas prendre à la lettre les ragots des historiens romains. Un empoisonnement d’un empereur romain, même par sa seconde épouse, et même par Agrippine (aidé de Néron comme de bien entendu), sort de la vraisemblance. Un empereur romain était un personnage public, qui mourait en public, entouré d’une nombreuse domesticité. Son empoisonnement, avec les symptômes connus, ne pouvait passer inaperçu. Il eût été fatal à ce que recherchaient Néron, aussi bien qu’Agrippine : la succession à l’empire.
Page 213. Ainsi commence dans l’illégalité – Claude avait un fils légitime.
Pas tout à fait. Néron avait été adopté par Claude, et reconnu comme héritier légitime, au détriment de Britannicus, qui pouvait cependant passer pour un concurrent dangereux, et comme un recours pour l’opposition. D’où son futur assassinat raconté, entre autres, par Racine.
Que l’empereur Claude ait été berné et chambré par sa seconde épouse, profitant de sa sénilité, c’est plus que probable.
Page 214. L’arrivée à Corinthe de missionnaires judaïsants décidés à contrecarrer l’évangélisation de Paul.
Pur roman. Affabulation. Lecture tendancieuse. Les fidèles de Corinthe sont pour la plupart d’origine païenne. Ils n’ont que faire des querelles judaïsantes. Il n’est pas question, sinon très incidemment, de circoncision, ni de sabbat dans les épîtres aux Corinthiens. Il ne faut pas confondre avec l’épître que Paul, d’Ephèse, a dès lors envoyée aux Galates, ni avec la grande épître aux Romains que Paul expédiera, précisément, de Corinthe dans l’hiver 56-57.
Certes les chrétiens de Corinthe avaient tendance à se diviser en factions rivales. Lieu de passage, en particulier vers Rome, Corinthe a pu accueillir plusieurs missionnaires de l’évangile, chacun avec sa personnalité propre. Citons Apollos, Pierre, et peut-être d’autres. A son corps défendant, chacun pouvait créer une école de pensée, avec ses fidèles, au détriment de l’unité de l’Evangile. Si bien que Paul sera amené à faire son propre éloge. Le christianisme, qu’il a apporté le premier, n’est pas inférieur à celui des apôtres même les plus réputés.
De quoi est-il amplement question dans la seconde épître aux Corinthiens ? D’une large collecte en faveur de l’Eglise-mère de Jérusalem. Je ne vois pas là l’indice d’un conflit quelconque. Déjà Paul est, en esprit, sur le chemin de Jérusalem, d’où il espère être mis en route vers Rome, la capitale de l’empire païen.
Page 216. Apollos s’inspire davantage de la philosophie platonicienne que de l’enseignement paulinien.
Fantaisie ! Aucune preuve. On pourrait peut-être le penser s’il était démontré qu’Apollos était le futur auteur de l’épître aux Hébreux, qui laisse entrevoir un disciple de Philon converti au christianisme.
Mais ce n’est pas certain.
Je vois plutôt saint Barnabé, originaire de Chypre, et comme tel de culture alexandrine, comme auteur probable de ladite épître.
Simple remarque : Apollos n’avait pas à enseigner Paul plutôt que Platon, mais bien plutôt Jésus-Christ plutôt que Platon. Paul ne s’est jamais considéré comme le fondateur du christianisme, que je sache. « Serait-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Ou bien serait-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ? » (1 Co 1,13). Etc. Etc.
Paul, autant qu’on peut le conjecturer, ne reproche strictement rien à Apollos. Bien au contraire. On voit même Paul supplier Apollos de retourner à Corinthe, et celui-ci refuser, de crainte sans doute de créer malgré lui une coterie. « Quant à notre frère Apollos, je l’ai vivement exhorté à aller chez vous avec les frères, mais il ne veut absolument pas y aller maintenant ; il ira lorsqu’il en trouvera l’occasion. » (1 Co 16,12).
De quoi fermer définitivement la bouche aux partisans d’une sourde rivalité entre les deux missionnaires.
Page 217. Le coût du parchemin.
Ou plutôt du papyrus. C’était moins onéreux. C’était plus
pratique.
Page 217. Revenons aux disciples d’Apollos que Paul appelle psuchikoï, les « psychiques ».
La fantaisie continue. De plus en plus grossière. Que les disciples d’Apollos fussent visés par l’appellation de « psychiques », c’est un comble. Rien ne le laisse seulement entrevoir.
Ce sont les philosophes païens qui sont ici visés. Rien n’indique qu’Apollos eût été partisan, ou même tributaire, des philosophes païens.
Reprocherait-on à Apollos d’être originaire d’Alexandrie ? Mais Paul lui-même était bien originaire de Tarse. Ce n’était guère mieux. Les philosophes tarsiotes, non plus, n’avaient pas très bonne réputation.
Tout indique qu’Apollos, bien que de culture alexandrine, était resté juif jusqu’au bout des ongles, comme Paul lui-même d’ailleurs.
Relisons la notice des Actes sur Apollos : « Un juif nommé Apollos, originaire d’Alexandrie, était arrivé à Ephèse. C’était un homme éloquent, versé dans les Ecritures. […] Il réfutait vigoureusement les juifs en public, démontrant par les Ecritures que Jésus est le Christ. » (Ac 18, 24.28).
Il n’est pas dit : versé dans Platon ! Pas plus que Paul n’était versé dans Homère.
Decaux se donne à pourfendre de faux épouvantails. Il en triomphe trop facilement.
Page 217. Rien n’a de sens hors la certitude qui les obsède tous, lui et eux : le Seigneur va reparaître bientôt.
Sans doute dans les cinq minutes qui viennent. Obsession, non pas de Paul ou des premiers chrétiens, mais de Decaux. A force de la répéter, il finit par y croire dur comme fer, et peut-être le lecteur avec lui ?
Le mariage comme le travail eussent été stupides. Or c’est tout le contraire qu’enseignait Paul.
Page 218. Quel sens faut-il donner à hommes comme moi ?
Le sens ne fait aucun doute. Paul n’a jamais été marié. Et il souhaiterait que tous fussent comme lui. Sans en faire une règle le moins du monde. La virginité consacrée reste un idéal. Dans la pure ligne de Jésus-Christ, non marié lui-même.
Comparez par exemple avec la religion de Mahomet, et vous verrez la différence.
Page 219. Si, pour des hommes et des femmes du XXIe siècle, de telles positions sont inadmissibles.
Si elles sont inadmissibles, vous n’avez qu’à déchirer les pages du Nouveau Testament qui les contiennent, ou faire interdire les bibles. Elles ne sont inadmissibles que pour les esprits faux, ou qui rejettent l’enseignement divin. S’ils représentent la majorité, qu’importe : l’on n’est pas obligé de suivre la majorité.
Page 220. Il en était de même dans les synagogues.
Il en était de même, surtout, dans le Temple, où les femmes ne pouvaient franchir les limites du parvis qui portait leur nom.
Mais là n’est pas la question. Paul aurait pu passer outre. Nous sommes désormais sous la Loi nouvelle où n’existe plus, comme il le dira lui-même, ni homme ni femme, ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre.
C’est une logique de service. Tous sont égaux, mais tous doivent se mettre au service les uns des autres, au service de la communauté, et de Dieu même.
Les enfants se placent au service des parents. La femme de l’homme. Et tous le font du Christ.
Ca y est ? Vous avez compris ?
C’est une question de bon ordre, et de bon sens. La liberté chrétienne ne conduit pas à l’anarchie (absence de chef). L’ordre chrétien respecte et assume l’ordre naturel. Bien plus il le relève, il l’élève. Car l’ordre chrétien préconise la monogamie. Il a horreur de la répudiation, tolérée encore par le judaïsme, et réglementée par la loi naturelle.
Egalité dans la dignité, mais diversité des fonctions, comme des ministères. Qui dirait mieux ?
« Que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis de prendre la parole ; qu’elles se tiennent dans la soumission, selon que la Loi même le dit. Si elles veulent s’instruire sur quelque point, qu’elles interrogent leur mari à la maison ; car il est inconvenant pour une femme de parler dans une assemblée. Est-ce de chez vous qu’est sortie la parole de Dieu ? Ou bien est-ce à vous seuls qu’elle est parvenue ? Si quelqu’un croit être prophète ou inspiré par l’Esprit, qu’il reconnaisse en ce que je vous écris un commandement du Seigneur. S’il l’ignore, c’est qu’il est ignoré. » (1 Co 14,34-38).
Page 222. « L’amour prend patience ».
Dit Paul. Sans doute Paul, d’après Decaux, devait manquer de beaucoup d’amour.
Mais, ironie mise à part, faire du héraut de la charité un modèle de hargne et d’impatience, relève pour le moins du paradoxe.
Page 223. Les païens qui se ruent sous le couteau du rabbin démontrent que le christianisme de Jacques est plus convaincant que celui de Paul.
On se demande où Decaux va chercher de telles affabulations.
Page 223. Il faut reconnaître que l’historien ne se retrouve guère dans cette période.
Et pour cause ! A vouloir suivre les imaginations débridées des exégètes, sans le moindre effort de véritable critique, l’historien ne peut que s’égarer. Tout est faux, en effet, dans la reconstitution de cette période de la vie de Paul. Il a quitté Ephèse dès le lendemain même de l’émeute des orfèvres. Sans le moindre séjour en prison.
Que d’Ephèse, pendant les deux ans et demi de son ministère, il ait pu faire une courte visite à Corinthe, par aller et retour, c’est possible. Cela expliquerait l’histoire de ses trois visites dans cette ville du Péloponnèse, que Paul lui-même nous annonce : « C’est la troisième fois que je vais me rendre chez vous. » (2 Co 13,1).
Page 223. Un frère contestataire l’agresse à la face de tous et il n’apparaît pas que la communauté ait soutenu l’apôtre.
Rien n’indique que ce frère contestataire ait été un judaïsant. C’est fort peu probable dans cette communauté issue en très grande majorité du paganisme.
Page 224. La simple logique – et je m’y rallierai – conduit à penser que la deuxième épître fut composée après que Paul eut quitté Ephèse.
Enfin un appel à la logique ! Enfin un peu de bon sens ! Il ne fait pas de doute, en effet, que la deuxième aux Corinthiens a été écrite en Macédoine, après le départ précipité de Paul, au début de l’année 56.
Il est encore tout ému, comme nous l’avons dit, du grave danger qu’il vient de courir pendant l’émeute des orfèvres, qui en voulait à sa vie, et à laquelle il a échappé comme par miracle, grâce à l’aide d’Aquila et de Priscille, qui sans doute l’ont caché.
C’est en Macédoine que Tite le rejoint et lui donne des nouvelles réconfortantes de Corinthe. Le conflit, dont on ignore la cause réelle, semble s’être apaisé. Et Paul lui-même va bientôt rejoindre Corinthe pour l’hiver 56-57, où il rédigera sa lettre aux Romains.
Voici ce qu’écrit la Bible de Jérusalem sur cet incident de Corinthe (note au verset 2 Co 7,12) : « L’’offensé’ était probablement un envoyé de Paul. Sur sa personne, sur celle de l’offenseur, et sur la nature de l’offense, nous ne savons rien. »
C’est la sagesse même. Pourquoi vouloir à tout prix impliquer des judaïsants ?
Pae 229. Il faudrait tout citer de cette épître aux Galates.
Notons d’abord que l’épître aux Galates a été envoyée pendant le séjour à Ephèse, donc avant fin 56, donc avant la seconde aux Corinthiens. Il y a chez Decaux un décalage chronologique qui déforme les faits, qui déforme l’histoire. Elle ne fut pas écrite en prison, mais en état de parfaite liberté. Elle fut rédigée sans doute dans cette école de Tyrannos dont Luc nous parle.
Page 231. De même, à Corinthe, l’Eglise, avec un incroyable cynisme, jurera que c’est à Pierre, en même temps qu’à Paul, qu’elle doit son origine.
Jugement téméraire et à l’emporte-pièce, comme de coutume.
Vous ne connaissez pas toute l’histoire des origines. Les écrivains du second siècle étaient plus proches des événements que nous.
La lecture des seuls Actes risque de nous donner une version déformée des faits, car ils ne relatent que la première partie de la vie de Pierre, et non la seconde, pour s’attacher ensuite presque exclusivement à saint Paul.
Il est certain que Pierre est passé à Corinthe. Peut-être s’y est-il attardé longuement. Paul lui-même en atteste indirectement dans la première aux Corinthiens : « J’entends par là que chacun de vous dit : ‘Moi, je suis à Paul’ – ‘Et moi, à Apollos’ – ‘Et moi, à Céphas’ – ‘Et moi au Christ’ » (1 Co 1,12). Involontairement, comme on l’a dit, chacun de ces leaders avait tendance à former un groupe, au détriment de l’unité chrétienne.
Page 232. L’auraient-ils fait évader ? Certains le pensent.
Ils ne l’ont pas fait évader, monsieur, ils lui ont tout simplement sauver la vie pendant l’émeute d’Ephèse, en le cachant sans doute, pendant qu’on s’affrontait au théâtre.
Ensuite ils l’ont fait partir pour la Macédoine dès le lendemain matin, muni d’un viatique. Car non seulement sa vie était désormais en danger à Ephèse, mais encore il mettait par sa seule présence toute la communauté en danger.
C’est ce que Paul rappellera dans le chapitre XVI de l’épître aux Romains, destinée en réalité à l’Eglise d’ Ephèse. « Saluez Prisca et Aquilas, mes coopérateurs dans le Christ Jésus ; pour me sauver la vie ils ont risqué leur tête, et je ne suis pas seul à leur devoir de la gratitude : c’est le cas de toutes les Eglises de la gentilité ; saluez aussi l’Eglise qui se réunit chez eux. » (Rm 16,3-5).
Voilà qui ne laisse pas place au doute.
Où l’ont-ils caché ? Paul avait écrit dans la seconde aux Corinthiens : « Il m’est arrivé de passer un jour et une nuit dans le fond. » (2 Co 11,25). On s’est toujours demandé ce que pouvait bien signifier cet abyme, ou ce fond. Il pourrait s’agir de cette grotte saint Paul, connue depuis le siècle dernier à Ephèse, et qui semble remonter aux origines du christianisme. On y a découvert récemment des fresques qui attestent que depuis la plus haute antiquité chrétienne elle faisait l’objet d’un pèlerinage paulinien.
C’est peut-être bien là, dans cette grotte, dans ce fond, que Paul aurait passé un jour et une nuit en tremblant, caché par ses fidèles amis Aquila et Priscille au péril de leur propre vie.
Page 232. C’est au moment où l’Eglise se préoccupera de faire le tri entre les textes authentiques de son histoire et les apocryphes qu’elle redonnera à Paul son importance.
Vision déformée de la formation du Canon des Ecritures. Il est certain que la théologie de Paul, peut-être trop complexe, n’a pas été reprise par les premiers Pères apostoliques. Il faudra attendre saint Augustin, en Occident, puis plus tard la réforme protestante, pour que la doctrine paulinienne du salut par la grâce, et non par les œuvres, reprenne toute son importance.
En Orient, d’ailleurs, la théologie paulinienne a-t-elle jamais été exploitée dans son fond ? On peut légitimement se poser la question.
Il n’empêche que si la pensée paulinienne a été un temps occultée dans l’Eglise ancienne, ses écrits, eux, pas plus que les Actes de Luc, ne le furent jamais. Comment d’ailleurs seraient-ils arrivés jusqu’à nous, s’ils n’avaient été reproduits depuis le début à de nombreux exemplaires ? N’oublions surtout pas que l’Eglise chrétienne fut, pendant les trois premiers siècles une Eglise persécutée, ne possédant pas de statut officiel. Très souvent les autorités faisaient rechercher et détruisaient systématiquement les livres des chrétiens. Les textes sacrés, disons les textes apostoliques, ne nous sont parvenus que grâce à des copies foisonnantes et répandues partout.
Page 233. Pressentirait-il que l’Urbs, un jour, serait le point de ralliement des chrétiens ?
Il ne le pressentait pas. Elle l’était déjà. Evangélisée d’abord par Pierre, aidé de saint Marc, la capitale de l’empire romain devenait déjà le point de ralliement naturel de tous les chrétiens, au détriment de Jérusalem. La preuve, c’est qu’elle attirait irrésistiblement les plus grands chefs de la nouvelle religion, comme Pierre, et Paul lui-même. La preuve de l’importance de cette communauté, c’est cette grande épître que Paul n’allait pas tarder de lui adresser. Il l’écrira précisément de Corinthe, dans l’hiver 56 – 57.
Quand Jérusalem s’effondrera lors de la catastrophe de 70, à la fois comme métropole du monde juif, et comme Eglise-mère de la chrétienté, il ne restera plus, définitivement, que Rome.
Page 234. Que l’Eglise de Jérusalem soit à l’origine de ses derniers malheurs, Paul veut l’oublier.
Il a le pardon facile ! En réalité le comportement de Paul ne serait pas très cohérent, s’il s’obstinait à venir en aide à une Eglise qui ne lui témoigne que de la malveillance.
Mais cette malveillance est surfaite. Il ne s’agit que de quelques judaïsants, sans aucun mandat. Le Concile de Jérusalem a définitivement réglé le problème de la circoncision. On ne peut revenir là-dessus.
Page 240. Le couple ami a regagné Rome.
Decaux le suppose d’après le chapitre XVI de l’épître aux Romains. Mais tout indique que ce chapitre XVI fut un appendice destiné, avec une copie de la lettre elle-même, à l’Eglise d’Ephèse, appendice et copie convoyés par Phébée, diaconesse de l’Eglise de Cenchrées. Les relations étaient fréquentes, en effet, à travers la mer Egée, entre Corinthe et Ephèse.
Priscille et Aquila étaient donc toujours à Ephèse. C’était même dans leur maison, sans doute grande, que se réunissait l’Eglise de cette ville.
Page 241. L’Eglise romaine n’existe pas encore.
Quel paradoxe ! L’Eglise romaine était déjà à cette époque-là, la principale du nouveau monde chrétien, prête à supplanter Jérusalem quand cette dernière s’effondrerait.
Page 241. Qui a importé le christianisme à Rome ?
Il ne fait aucun doute que c’est Pierre lui-même, aidé de Marc, dès avant le Concile de Jérusalem.
Page 242. Dieter Hildebrandt : « Par son titre, elle est un des plus grands bluffs de la littérature de son temps. »
Pure sottise ! Pure invention ! Sottise et invention bien dignes du ‘grand’ romancier cité.
Ce paradoxe fait droit, sans doute, à ceux des exégètes qui ne tiennent aucun compte de l’histoire de l’Eglise transmise en dehors des Actes des Apôtres, par exemple par Eusèbe de Césarée. Qui voudraient nier toute existence de l’Eglise romaine dans les premiers siècles, afin, sans doute, de mieux contrer sa primauté ultérieure. Mais c’est en vain. C’est sortir de la vraisemblance.
Au début du second siècle, les lettres de saint Ignace
d’Antioche témoigneront, également, de l’importance acquise par l’Eglise de
Rome, dès cette haute époque. Dés alors, elle ‘présidait à la charité’, en
d’autres termes à l’œkoumène.
Page 246. Or quinze siècles de christianisme vont mettre cette position capitale entre parenthèses.
Et saint Augustin ? Vous oubliez saint Augustin ? Et le concile d’Orange qui entérinera les positions de saint Augustin. Et l’Eglise romaine qui approuvera et restera toujours fidèle à la pensée de saint Augustin.
Le moyen âge lui-même, avec saint Thomas d’Aquin en premier, ne fera guère que commenter saint Augustin.
Tout cela n’est pas rien.
Soutenir que la doctrine du salut par la foi et non par les œuvres ait été mise sous le boisseau par l’Eglise d’Occident pendant quinze siècles relève d’un paradoxe insoutenable.
Dois-je citer le concile d’Orange ?
« Ainsi, selon les sentences de la sainte Ecriture et les définitions des anciens Pères alléguées plus haut, nous devons, avec l’aide de Dieu, prêcher et croire que le péché du premier homme a tellement dévié et affaibli le libre arbitre que personne, depuis, ne puisse aimer Dieu comme il faut ni croire ni faire le bien pour Dieu, si la grâce de la miséricorde divine ne l’a prévenu. »
« C’est pourquoi nous croyons qu’Abel le juste et Noé et Abraham et Isaac et Jacob et toute la multitude des saints d’autrefois n’ont pas reçu cette admirable foi, dont saint Paul les loue dans sa prédication, par la bonté de la nature donnée primitivement à Adam, mais par la grâce de Dieu. Nous savons et nous croyons que pour tous ceux qui désirent être baptisés, cette grâce, même après la venue du Seigneur, ne se trouve pas dans le libre arbitre, mais qu’elle est conférée par la libéralité du Christ, selon la parole, déjà souvent répétée, que saint Paul prêche : ‘Il vous a été donné, non seulement de croire au Christ, mais encore de souffrir pour lui’ et ceci : ’Dieu qui a commencé en vous cette belle œuvre la mènera à son terme jusqu’au jour de Notre Seigneur’, et ceci : ‘C’est par la grâce que vous êtes sauvés, moyennant la foi, et cela ne vient pas de vous ; c’est le don de Dieu’, et ce que l’Apôtre dit de lui-même : ‘Il m’a été fait miséricorde, pour que je sois fidèle’, il ne dit pas ‘parce que j’étais’, mais ‘pour que je sois’. Et ce texte : ‘Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?’, et celui-ci : ‘Tout don de valeur et tout cadeau parfait descend du Père des lumières’, et ceci : ‘Personne n’a rien qui ne lui ait été donné d’en haut’. Innombrables sont les témoignages des Saintes Ecritures, qu’on pourrait citer pour prouver la grâce. Le souci de la brièveté les a fait omettre ; à vrai dire, beaucoup de textes ne seront pas utiles à qui un petit nombre ne suffit pas. » (DZ 199).
N’est-ce pas là du pur paulinisme ? La quintessence du paulinisme ?
Or le concile d’Orange règle, encore aujourd’hui, et sans interruption dans le temps, la foi catholique.
Page 247. Il faut toujours en revenir à Talleyrand : « Tout ce qui est exagéré est insignifiant. »
Ou sot.
Page 248. « Que l’amour soit sincère. Fuyez le mal avec horreur, attachez-vous au bien. » (Rm 12,9).
Ne sont-ce pas là des œuvres ?
Page 249. Les judaïsants le haïssent, ils sont tout-puissants à Jérusalem. Et c’est à Jérusalem qu’il va.
Il ne faut tout de même pas confondre les juifs de Jérusalem qui haïssent Paul en le prétendant hostile à la Loi de Moïse, et les chrétiens de Jérusalem !
Les premiers ne vont pas tarder à persécuter les seconds et à faire périr Jacques lui-même, le frère du Seigneur, sans doute dès 62, quand Paul achèvera le temps de sa première captivité romaine.
Page 250. Dans l’épître aux Galates, Paul a condamné avec force le calendrier des fêtes hébraïques.
Mais vous confondez religion chrétienne et religion juive ! Or en 57, que je sache, le Temple de Jérusalem était toujours debout, avec son calendrier et ses fêtes liturgiques. Et Paul ne les condamnait pas en bloc. (Il eût alors donné raison aux pires de ses ennemis !).
Paul condamnait seulement le retour des chrétiens, au sein de leurs Eglises respectives, aux fêtes de la religion juive.
Nous voilà désormais régis par la Loi nouvelle, la Loi d’amour.
Comprenez-vous ?
Page 250. Ecrivant longtemps après la mort de Paul.
Vous n’en savez rien ! Tout indique au contraire que Luc, qui faisait suivre ses carnets de voyage, a rédigé le texte des Actes, à Rome, pendant la première captivité de Paul dans cette ville.
La preuve ? C’est qu’il les a publiés dès 62, à la fin de la première captivité romaine, par l’intermédiaire d’un éditeur romain qui devait s’appeler Théophile, auquel les Actes, comme le troisième évangile d’ailleurs, sont dédicacés.
La preuve qu’il les a publiés dès 62 ? C’est qu’il ne nous raconte pas la fin de la vie de Paul, ni son martyre. Il n’eût pu nous laisser ainsi sur notre faim.
Page 250. J’avoue franchement trouver chez Luc une vérité qui me satisfait. L’enchaînement des circonstances, les précisions livrées sans cesse, les petits détails qui sonnent juste m’incite à le prendre pour guide principal.
Enfin un aveu qui sonne juste ! Enfin l’historien de métier, même s’il fut surtout un généraliste, qui se rebiffe contre la tyrannie des exégètes prétentieux, et sans cohérence, qui mettent à mal en tout sens la vérité de Luc. Plus ils sont excessifs, dirait-on, mieux c’est. Plus ils sont aberrants, mieux c’est crédible. (On l’a constaté abondamment avec la chimère de la prétendue incarcération de Paul à Ephèse.)
Page 250. Quitte, naturellement, à tenter de contrôler au maximum ses dires.
Précaution oratoire.
Les contrôler par quoi ? Par les épîtres ?
Mais considérons que les épîtres ne sont pas l’œuvre d’un historien professionnel. Elles peuvent donner lieu (sans parler d’oublis) à des raccourcis, ou au contraire à des développements littéraires qui peuvent déformer les faits, même des faits autobiographiques, s’ils ne sont pas pris avec critique.
Entre les lettres de Napoléon, et un historien averti de Napoléon, il faut dans certains cas préférer le second aux premières. C’est d’expérience courante.
Page 251. Luc s’applique à reconstituer, une fois encore, les propos qu’il aurait tenus.
Je ne vois pas pourquoi il aurait reconstitué ses discours, plus que ses diverses épîtres. C’est le même éditeur, Luc, qui nous a transmis les uns et les autres. On ne peut pas plus suspecter les uns que les autres.
Page 251. « Maintenant, prisonnier de l’Esprit. » (Ac 20,22).
Traduction très approximative.
« Kai nun idou dédéménos egô tô pneumati. »
« Et nunc ecce alligatus ego Spiritu. »
Littéralement : « Et voici que maintenant moi, enchaîné par l’Esprit. »
Le grec et le latin ne font aucun doute. C’est l’Esprit qui l’enchaîne et le conduit, et non pas le pousse.
Page 252. Paul s’est tu.
Discours (cf. Ac 20,18-35) typiquement paulinien, tout autant que les grandes épîtres.
Page 253. L’un des Sept d’Etienne.
Non. L’un des Sept, dont Etienne.
Page 253. Voici donc les ennemis irréductibles réconciliés.
Phrase incohérente en elle-même : ou bien ennemis irréductibles, ou bien ennemis réconciliés. Pas les deux à la fois.
Ennemis surtout dans l’imagination de Decaux, et des exégètes acharnés à subodorer partout des dialectiques de conflits.
Certes, Paul a collaboré à la mort d’Etienne. Mais c’était avant sa conversion. Depuis ne lui aurait-on pas pardonné ? Quels drôles de chrétiens cela ferait.
Pas un mot de réconciliation n’est prononcé. Pas un geste n’est esquissé : il n’en était pas besoin.
En réalité, c’est une grande amitié qui va se nouer entre les frères Philippe, Paul et Luc. Elle sera déterminante pour l’avenir du christianisme.
D’abord Luc interrogera longuement Philippe, témoin oculaire. Il le fera parler sur la première Eglise de Jérusalem, sur l’ordination de sept diacres, sur le martyre d’Etienne, sur le ministère de Pierre, de Jean et de Philippe en Samarie et dans le reste de la Palestine. D’après ce témoignage de première main, Luc pourra composer cette première moitié des Actes des Apôtres, qu’on pourrait appeler en toute vérité les Actes de Pierre.
Ensuite, Luc lui-même communiquera à Philippe un exemplaire de l’évangile de Marc, autre compagnon de Paul. Et Philippe en retour traduira à l’attention de Luc les paroles du Seigneur, ces logia, rédigées en araméen par l’apôtre Matthieu avant son départ pour l’Abyssinie.
De cette étroite collaboration qui s’étendra sur près de trois ans, de 57 à 59, naîtront pas moins de trois ouvrages majeurs pour la tradition chrétienne : l’évangile selon saint Matthieu (en réalité composé par le diacre Philippe, aidé de ses quatre filles qui étaient prophétesses), l’évangile selon saint Luc et les Actes des Apôtres. Qui dit mieux ?
Page 254. Durant quelques instants, règne une vraie cordialité.
Une réconciliation parfaitement hypocrite, en quelque sorte ! Entre deux apôtres de Jésus-Christ qui dans moins de 10 ans vont verser tous les deux leur sang pour la même cause. Au milieu d’un peuple ennemi qui les suspecte autant l’un que l’autre.
Page 254. Ait érigé en règle la simple tolérance qui lui avait été accordée.
Où avez-vous inventé cela ? Quels arguments produisez-vous ? Il n’était certes pas question de revenir sur les décisions irrévocables du Concile de Jérusalem. Elles engagaient l’avenir du christianisme dans la Diaspora. Jacques lui-même va les réaffirmer dans les Actes en des termes qui ne laissent place à aucune ambiguïté. « Quant aux païens qui ont embrassé la foi, nous leur avons mandé nos décisions : se garder des viandes immolées aux idoles, du sang, des chairs étouffées et des unions illégitimes. » (Ac 21,25). Rien d’autre. Rien que le rappel des prescriptions de la loi noachique, pour permettre la commensalité avec les juifs de naissance.
Que si l’on ne se fie pas aux Actes (comme de coutume), il n’est qu’à lire l’épître, emphatique dit-on, mais authentique au moins indirectement, prêtée à saint Jacques comme apôtre et chef de l’Eglise de Jérusalem : « La religion pure et sans tache devant Dieu notre Père consiste en ceci : visiter les orphelins et les veuves dans leurs épreuves, se garder de toute souillure du monde. » (Jc 1,27). Ni sabbat, ni circoncision, ni Torah, ni tallis, ni phylactères. Le pur sermon sur la Montagne.
Je ne vois pas là-dedans le moindre assaut de judaïté.
Page 255. Que faire ? Ils vont sans aucun doute apprendre que tu es là.
Le fait est que Paul était haï par les juifs de Jérusalem qui, par leurs émissaires, connaissaient son enseignement dans toute la dispersion. Par les juifs, pas par les chrétiens !
Ne comprenez-vous que Paul, par sa seule présence, mettait toute la communauté chrétienne de Jérusalem en danger ? D’où les précautions qu’on leur voit prendre, mais qui, hélas, ne suffiront pas.
Page 256. Luc qui, en matière de chiffres,
aime à amplifier, nous dit que « la ville entière s’ameuta »
et que « le peuple arriva en masse. »
C’est tout à fait vraisemblable, au contraire. L’émotion devait être immense. Jacques et son entourage l’avaient justement pressenti.
Jérusalem n’était pas une ville si étendue, mais plutôt une petite capitale provinciale. L’incident de Paul n’a pu passer inaperçu.
Page 262. La colère des judaïsants.
Non. La colère des juifs non chrétiens, naturellement. Pourquoi entretenir volontairement la confusion ?
Page 263. Le neveu de Paul qui réside à Jérusalem. Comment a-t-il eu vent du complot ?
Le complot devait être de notoriété publique parmi les juifs. Pas étonnant que les chrétiens en eussent été avertis.
L’incident prouve, au passage, que la famille de Paul lui était restée fidèle et l’avait probablement imité dans sa conversion. Ce qui n’était pas de soi évident. Elle aurait pu le renier par attachement au judaïsme.
Page 264. Ananias avait bizarrement confondu Paul.
Non. Le tribun Lysias (voir page 258).
Page 269. S’esquisse alors une incroyable alliance entre les juifs pour qui Jésus n’est rien et ces autres qui considèrent le Nazôréen comme le messie annoncé par Dieu. Les rapports déjà étroits que l’on voit se resserrer entre le grand prêtre et Jacques.
Pure calomnie que rien n’étaie. Indigne d’un historien. Sortie sans doute de l’imagination des exégètes malveillants.
En 62, rappelons-le, le grand prêtre Anan fera lapider Jacques, frère du Seigneur, profitant de l’absence du gouverneur romain.
Page 269. Face à la mer dont la beauté lui apparaît désormais telle une insulte.
Et le roman-feuilleton de reprendre de plus belle. L’attitude psychologique prêtée à Paul est de la plus haute invraisemblance. Que faisait Paul en prison ? Hé bien, il rédigeait certaines épîtres, dites de captivité. Il aidait le diacre Philippe, qu’il recevait régulièrement (n’habitait-il pas la même ville de Césarée maritime ?), et son secrétaire Luc à se documenter en vue de la rédaction de leurs évangiles respectifs. Il priait aussi. Il n’en avait pas fini des prisons. Il préparait, tel un bon avocat, sa défense devant le gouverneur, ou les princes devant lesquels il était appelé à comparaître.
En aucune manière, il ne se rendait à la synagogue pour y prier ! Une synagogue dans une prison romaine ? L’idée est saugrenue. Un vrai juif ne priait qu’au Temple, ou en direction du Temple. Le chrétien, lui, prie dans son cœur.
Page 269. Il parvient à sauver la vie de son frère qui, en 59 ou 60 – la date est discutée – est remplacé par Porcius Festus.
Très probablement en 59.
Page 270. Avec une promptitude qui impressionne, Paul déjoue le piège.
Preuve qu’il avait conservé en prison la pleine maîtrise de lui-même. Il n’avait rien d’un énergumène en colère, tournant dans sa cellule comme un ours en cage.
Page 271. Des exégètes ont mis en doute le récit du procès que nous devons à Luc.
Que n’ont-ils mis en doute ? Belle défense de Luc, avec des exemples historiques, par l’historien consciencieux.
Page 271. Nous connaissons le discours du Tarsiote, fort long et naturellement sorti du stylet de Luc.
Mais certes très paulinien.
Page 272. Paul s’énerve.
Si un prisonnier s’énerve, surtout comparaissant devant de tels personnages, il est perdu.
Non. Paul garde le plus grand calme. La plus grande dignité. Il se permet même de l’humour, ce qui est une preuve de sang-froid, s’il en fallait une.
Page 272. L’an 60 s’achève.
Non, l’an 59.
Page 273. L’amiral Nelson, familier lui-même de la Méditerranée, ira jusqu’à prétendre qu’il y avait appris son métier.
Le récit de Luc n’est donc pas un roman imité d’Homère, comme l’on prétendu certains exégètes.
Page 274. Il a dû nager pendant « un jour et une nuit sur l’abîme. »
Encore ce serpent de mer qu’on a déjà rencontré !
Mais d’abord le passage de la deuxième aux Corinthiens est mal traduit. Il faut lire littéralement : « J’ai fait un jour et une nuit dans le fond. » (2 Co 11,25). Et non pas dans l’abyme (sans fond) comme on l’interprète habituellement, par contresens.
Quel était ce fond dont parlait Paul, peu après sa fuite précipitée d’Ephèse en 56 ? Nous avons vu que c’était probablement la grotte, que l’on montre encore à Ephèse, dans laquelle ses amis Aquila et Priscille avaient dû le cacher précipitamment pendant la fameuse émeute des orfèvres.
Dès le lendemain de l’émeute, Paul avait fait ses adieux, puis était parti pour la Macédoine d’où il enverra cette seconde aux Corinthiens qu’on vient de citer.
Page 278. Paul a cinquante-trois ans quand, au début de mars 61, il s’embarque.
Paul a cinquante-deux ans (s’il est né en 8) quand, au début de mars 60, il s’embarque à destination de Rome.
Page 279. Paul a-t-il évoqué les Géorgiques que Virgile a composé sur ces rivages ?
Il ne lisait pas le latin.
Page 279. Trois ans plus tôt, il adressait aux Romains l’épître.
Exact. Envoyée début 57. Il arrivait début 60.
Page 281. Je répondrai avec une grande simplicité à ces incrédules : et pourquoi pas ?
Et toc.
Page 284. Du premier empereur.
Non. Le premier empereur fut César qui, dès le franchissement du Rubicon, imposa son imperium à la république romaine. Auguste, fils adoptif de César, s’est toujours considéré comme l’héritier et successeur de César dont il a repris tous les titres, ainsi que le dessein politique.
Faire d’Auguste le premier empereur romain est une lubie des historiens modernes que les anciens n’ont pas partagée.
Page 288. Il referme son livre sans l’achever.
Illusion d’optique. Le livre était bel et bien achevé à la fin des deux ans de la custodia militaris de Paul, puisque Luc le publia à cette date-là. Comment, autrement, justifier son silence ?
Toutes les explications recherchées par les exégètes, en dehors de celle-là, sont vaines.
Page 289. L’amère rancune que nous ne nous sentons pas en droit de lui reprocher.
D’autant plus que vous l’avez inventée de toutes pièces. Le roman noir de Jacques contre Paul, tous deux frères martyrs dans le Christ, est une triste chose. Se seront-ils au moins réconciliés dans le ciel ?
Page 294. Paul, du fait de sa résidence forcée hors de la capitale, a échappé à l’incendie.
La custodia militaris de Paul a dû se terminer par un non-lieu, au début de l’année 62. De là il était reparti en Orient, comme en témoignent les Epîtres Pastorales. Il a dû visiter la Crète, l’Asie, la Macédoine.
Et c’est d’Orient qu’il sera ramené une seconde fois prisonnier à Rome, pour y être jugé et pour y mourir.
Où se trouvait-il pendant l’incendie de Rome ? Nous l’ignorons. Toujours est-il que son dernier procès tournera court. Paul sera rapidement condamné, puis exécuté, dans le climat de terreur qui s’était instauré à Rome contre les chrétiens, suite à cet incendie.
Page 295. Le 16 juillet 1823.
Le pape Pie VII, malade, qui mourra le 20 août suivant, fut tenu dans l’ignorance de l’incendie.
Page 295. Le courant judaïsant semble d’ailleurs l’avoir emporté.
Mais qu’appelez-vous donc le courant judaïsant ? Sans doute le courant pétrinien. Comme si ce n’était pas saint Pierre, et non pas saint Paul, qui avait fondé l’Eglise romaine !
Page 295. Que reste-t-il de la tendance paulinienne ?
Comme si saint Paul, en dépit de ses plus grandes épîtres, avait choisi de former un groupe de pression dans l’Eglise, un lobbying avant la lettre. Il se serait condamné lui-même.
Prétendre que le souvenir de Paul s’est perdu, y compris dans l’Eglise romaine, qui s’est toujours revendiquée de Paul, relève du défit historique, ou du contresens. N’est-ce pas que votre philosophie paulinienne serait fausse ? Utopique ?
Paul n’a jamais voulu former qu’un seul courant : celui de la grande Eglise, chrétienne, universelle et apostolique. Il a survécu plus que jamais. Ou alors il périt avec le christianisme. Quel auteur est plus lu que Paul dans l’Eglise, mis à part les quatre évangélistes ? Ses épîtres ne sont pas expurgées. Vatican II a remis en vigueur leur lecture intégrale dans l’année liturgique.
Page 295. Celles de Corinthe et d’Ephèse passent sous l’autorité de ceux qu’il avait ardemment combattus.
Les disciples de Jean, sans doute ? Tiens ! Un nouveau conflit qu’on n’avait pas aperçu de son vivant : entre les traditions johannique et paulinienne.
Page 296. Tout ce qui a survécu est « le point d’aboutissement d’une longue histoire de transmission matérielle. »
Comme s’il eût pu en être autrement ! N’est-ce pas là enfoncer une porte ouverte ? Heureusement que cette transmission matérielle, que pour ma part j’appelle tradition, s’est produite. Autrement, nous ne serions pas là pour parler de Paul.
Page 296. Que sont devenus les chrétiens de Jérusalem ? Eusèbe de Césarée affirme qu’ils ont quitté la ville avant la guerre.
C’est bien la preuve qu’ils ne se mêlaient pas de la rébellion, ni du fanatisme judaïsant. C’est peu conciliable avec le propos constant de notre Decaux.
Page 296. Que l’on est fait une différence entre les juifs de tradition et les juifs chrétiens est peu vraisemblable.
Mais si ! Car les judéo-chrétiens ne faisaient pas partie des insurgés. Ils ne se soulevaient pas contre Rome. Vous venez de le dire vous-mêmes.
Page 296. Lors de la seconde révolte de Judée (132 – 135), on « faisait subir aux chrétiens, et à eux seuls, les derniers supplices ».
Le « on », c’étaient les juifs !
C’est bien la preuve, encore une fois, qu’il n’y avait aucune connivence entre les juifs et les judéo-chrétiens.
Page 297. Peu à peu, les disciples de Paul reprennent confiance : ils rassemblent et font paraître les épîtres que nous connaisssons.
Scénario très flou et sans consistance. A quelle époque ? A quel endroit parurent-elles ? Sinon dès l’origine.
Comme si le même homme, Luc, n’était pas à la fois l’auteur d’un des quatre évangiles canoniques, l’auteur des Actes, et le très probable collectionneur, puis éditeur, des épîtres de Paul !
Voilà un scénario précis, daté, intelligible, que vous auriez du mal à le remettre en cause. Trouvez-en un plus pertinent.
Page 298. En publiant les Actes des Apôtres dix ans après la chute de Jérusalem, Luc se présente comme un élément actif du « retour » à Paul.
Vous auriez bien du mal à étayer, ne serait-ce qu’un peu, l’affirmation que vous posez là.
Page 299. On n’étudie plus les épîtres que dans quelques monastères.
C’était déjà pas mal, car au Moyen Age les monastères représentaient les pôles de la pensée. C’est grâce à eux, d’ailleurs, qu’on a conservé les monuments littéraires de l’antiquité, même profane.
Page 300. Michel Quesnel convient que le discours de Paul est « construit sur des concepts philosophiques et théologiques empruntés au monde grec ».
Ineptie renversante ! Comme si Paul n’était pas resté juif, et rabbin juif, et seulement juif.
Quels concepts philosophiques et théologiques païens dans saint Paul ? Vous seriez bien en peine d’en citer un seul, bien en peine de les énumérer.
Paul est resté totalement étranger au monde philosophique païen. Il n’a cessé de condamner la philosophie, et son influence. Ma parole, vous n’auriez pas lu Paul ?
Page 301. Jésus et Paul n’avait pas exactement la même religion.
Paul, quant à lui, n’a jamais cessé, presque à chaque ligne, d’affirmer le contraire. La religion de Paul c’est la religion de Jésus-Christ.
Paul eût envisagé avec horreur une religion de Paul. « Serait-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? » (1 Co 1,13).
Page 301. Nul ne peut nier que Paul ait contribué, plus que tout autre, à l’expansion, non pas de la parole de Jésus mais de l’idée qu’il s’en faisait.
Une pure idéologie, en somme.
C’est oublier que Luc, et même Marc, compagnons de Paul, furent les auteurs de deux de ces évangiles canoniques par lesquels nous connaissons les paroles du Maître. Peut-on penser que Paul n’y ait pas contribué, peu ou prou ?
Page 302. De contredire l’image du saint traditionnel.
L’image de sainte nitouche que vous vous en faites.
Comme si Paul n’était pas de la trempe des grands prophètes de l’Ancien Testament ! Ou même de la trempe d’un Jean-Baptiste, pourfendeur des « races de vipères. »
Page 302. Des peintres l’ont même affublé d’une épée.
L’épée de la Parole de Dieu. Ils ne tentaient pas de l’affadir, eux.
Page 303. Quoi que l’on dise, quoi que l’on pense : humain.
Et un peu balourd, selon vous.
Page 303. Il m’a irrité et je l’ai dit. Il m’a déçu et je l’ai dit.
Parce que vous n’avez pas compris sa psychologie, transcendée par la grâce. Vous n’avez même pas essayé de la comprendre. Vous n’avez aperçu qu’un furieux, là où il aurait fallu voir un saint authentique.
Un apôtre, quoi.
Comme si la sainteté n’était pas exigeante !
Page 303. Sa personnalité écrase.
Comme si dans l’histoire des origines du christianisme, il n’existait pas une autre personnalité tout aussi importante, et dont vous ne faites même pas mention : celle de Jean. Les traditions johannique et paulinienne ne se doivent presque rien l’une à l’autre. Elles n’en sont pas moins, et parallèlement, des piliers essentiels de notre foi.
Nantes. Le 5 août 2010.