Note 47

Lecture commentée de l’Apocalypse :

Septième partie :

VII. Sept visions finales de l’avenir.

Ap 19,11 --- 22,5

Recommandations finales.

Ap  22,6-21

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VII. Sept visions finales de l’avenir : Ap 19,11 --- 22,5

1 – Vision du ciel ouvert et du Verbe de Dieu : 19,11-16

(19,11) Et je vis [Sept ‘Kai eidon’, « Et je vis », telles des rubriques très visibles, très lisibles :

- cf. 19,11

- cf. 19,17

- cf. 19 ,19

- cf. 20,1

- cf. 20,4

- cf. 20,11

- cf. 21,1

 allaient rythmer ce septième et dernier cycle de l’Apocalypse ; ils ouvraient les  sept visions finales (voir le plan de l’Apocalypse : Note 35). C’étaient les mots-charnières.

L’objet du cycle paraissait clair, et bien circonscrit : illustrer la phase ultime de l’histoire humaine, celle qui devait suivre le jugement de Rome, lequel venait de nous être longuement décrit (cf. VI e cycle).

En somme l’auteur se proposait de prophétiser ce qui adviendrait après la chute de l’empire romain (et païen).] le ciel ouvert et voici : [Comme les autres, ce VII e cycle s’enracinait dans les cieux. Il démarrait du ciel ouvert.

Déjà la vision précédente (cf. 19,1-10) nous avait montré un prélude à la parousie : elle entrouvrait pour nous les fenêtres de l’avenir ultime.

Cependant, on y entendait (cf. 19,1.3.5.6.9.10) bien plus encore qu’on n’y voyait ; on y entendait l’alléluia et l’allégresse éternels des élus.

Ici le ciel allait s’ouvrir plus largement encore, et l’on allait voir :] un cheval blanc ; [Déjà aperçu au verset 6,2, quand l’ange avait ouvert le premier des sept sceaux. Le cheval blanc du chef de guerre. Le cheval du nouvel Alexandre. Le cheval du vainqueur.] et celui qui le montait s’appelait Fidèle et Vrai ; [Mots typiquement johanniques. Ce « Fidèle » et ce « Vrai » n’était autre que Jésus-Christ, le Verbe (cf. 19,13).] il juge selon la justice et fait la guerre. (19,12) Ses yeux sont comme une flamme du feu, et sur sa tête il y a plusieurs diadèmes. [Car il était le Roi des rois, l’empereur des empereurs, et le Seigneur des seigneurs (cf. 19,16).  

Il arborait une vraie tiare, formée de trois couronnes : « plusieurs diadèmes », car par avance il était le Pape.

Ce personnage monté sur une haquenée blanche (cf. 19,11), couronné d’une tiare (ici même), enveloppé d’un manteau rouge (cf. 19,13), mais revêtu d’une tunique blanche (cf. 19,14), préfigurait étrangement la silhouette de ces papes du Moyen Age, qui  parcouraient la chrétienté pour rameuter les fidèles.

A moins que les papes du Moyen Age n’eussent eux-mêmes reproduit, consciemment ou inconsciemment, ce modèle…]  Il porte un nom inscrit sur lui, que personne ne peut lire, sinon lui-même. (19,13) Il est couvert d’un manteau trempé de sang. [Image empruntée au prophète Isaïe (cf. Is 63,2).

La tunique des vendangeurs, au sortir du fouloir, semblait tachée de sang comme celle des guerriers survivants du combat. La vendange évoquait des idées de vengeance. C’était là l’un des lieux communs du prophétisme.

Ici pourtant, on songeait plutôt au sang du Christ répandu sur la croix, sang de miséricorde (cf. 7,14) plus que de vengeance.] Son nom s’épelle : le Verbe de Dieu. [Le Logos du IV e évangile. 

Premier emploi du mot, dans ce sens précis, dans la littérature néotestamentaire, pour désigner le Christ.

L’Apocalypse (ici même), le IV e évangile (cf. 1,1.14) et la première épître de saint Jean (cf. 1 Jn 1,1) restaient les seuls écrits du Nouveau Testament à qualifier le Christ de ce nom de Logos. On touchait là du doigt l’unité des écrits johanniques.

C’était donc dans l’Apocalypse que Jean avait utilisé pour la première fois cette notion de Logos de Dieu. Or manifestement, ici, il l’avait empruntée au livre de la Sagesse (cf. Sg 18,15), c’était dire à une source biblique, et non pas à une source extrabiblique (Philon, ou les philosophes grecs) comme on l’a quelques fois supposé.   

Le cavalier de l’Apocalypse descendait du ciel, comme autrefois la Parole de Dieu était descendue du ciel pour exterminer les premiers-nés d’Egypte (cf. Sg 18,14-16). Cette Parole de Yahvé semblait personnifiée, comme étant l’exécuteur des jugements divins.

Par ailleurs, il fallait noter que ce thème de la Parole de Dieu n’était pas propre à la Bible hellénique ; on le trouvait fréquemment dans la Bible hébraïque, et ceci dès les premiers versets de la Genèse (cf. Gn 1,3).

Il était probable que Philon lui-même, philosophe à la fois juif et helléniste, avait puisé sa notion de Logos dans la Bible, spécialement dans les livres sapientiaux. 

Il n’en demeurait pas moins vrai qu’on trouvait dans la pensée grecque, chez les Stoïciens, chez Platon, même chez des présocratiques, tel Héraclite, le thème récurrent du Logos comme Parole divine. Peut-être eux-mêmes l’avaient-ils repris de la Bible (comme le pensait saint Justin), par des voies qu’on ignore.

En grec, l’étymologie du mot ‘Logos’ s’avérait fort éclairante : elle était voisine de l’idée de ‘lien’, ou de ‘collecte’. Le logos, en effet, la parole, n’était pas seulement le phonème, ou l’émission de voix, Mais il était le mot chargé de sens, parce que lié au reste du discours, par la syntaxe. La Parole de Dieu faisait le lien entre la réalité divine et l’ordre créé issu d’elle, ou tout au moins agencé par elle. Cette notion de Parole de Dieu était voisine de celle de démiurge. Le Logos pouvait être considéré comme l’essence divine des choses : ce qui leur donnait un sens, ce qui les organisait en cosmos.

Le mot de Logos était donc particulièrement bien choisi pour décrire la fonction du Fils de Dieu, aussi bien dans l’économie ad intra, à l’intérieur de la Sainte Trinité, que dans l’économie ad extra : dans l’œuvre de la création.

Au sein des processions divines, le Fils jouait un rôle de Médium, autrement dit de lien, ou de moyen, puisque la procession de l’Esprit s’opérait à partir du Père, par l’intermédiaire du Fils. Voilà pourquoi saint Thomas d’Aquin avait pu parler de procession ‘médiate’ de l’Esprit par le Fils.

En tant que créateur, le Fils assumait une fonction de Médium, ou de Parole souverainement efficace du Père. Il se présentait comme le modèle selon lequel Dieu avait conçu le monde, puisque aussi bien on devait reconnaître en lui l’Intelligence, ou la Sagesse, du Père, comme l’Esprit en était la Volonté.

Du fait de son incarnation, le Fils devenait encore plus médiateur entre Dieu et les hommes, entre le créateur et sa créature. En sa Personne, en effet, en vertu de l’union hypostatique (union de l’humain et du divin dans son hypostase) s’accomplissaient les noces éternelles de Dieu et du cosmos.

Toutefois le Fils mettait le comble à sa mission de médiateur, ou d’intercesseur, en devenant, par sa passion et par sa mort, le Sauveur de l’humanité.

Survenant dans notre monde, le Fils avait tenu à se définir par ce seul mot : « Jésus », c’était dire ‘Yahvé sauve’ (cf. Mt 1,21). Le pont rompu par la faute de l’homme entre le ciel et la terre, entre Dieu et l’homme, était rétabli, à l’initiative divine, en la personne du Christ et par la mort du seul Christ. 

Ressuscité et monté au ciel, le Fils, à la fois lien et médiateur, voulait nous entraîner à sa suite, dans son cortège divin. Il nous rouvrait les portes du paradis perdu.] (19,14) Et les armées qui sont dans le ciel le suivaient sur des chevaux blancs, vêtues de lin blanc et pur. [Dieu était dit le Dieu des armées (cf. 1 S 1,3) et Jésus, s’il l’eût voulu, aurait pu disposer de toutes les légions célestes, autrement dit des anges (cf. Mt 26,53).

On pouvait reconnaître, plutôt, dans ces « armées qui sont dans le ciel », la troupe des saints et des compagnons de l’Agneau, ceux qui avaient lavé leur robe dans son sang (cf. 7,14 ; 22,14).] (19,15) Et de sa bouche sort un glaive aiguisé, afin que par lui il frappe les nations, et lui-même les paîtra avec une verge de fer. Lui-même foule le pressoir du vin de la fureur et de la colère de Dieu, le Tout-puissant. (19,16) Et il porte sur son vêtement, et sur sa cuisse, [Sans doute faudrait-il traduire « sur son étendard » (Bible de Jérusalem, édition de 1956 : note ad locum). La confusion viendrait de la similitude des deux mots en hébreu. Encore un nouvel indice de l’hébreu souvent sous-jacent dans le texte.] un nom écrit : Roi des rois et Seigneur des seigneurs.

2 – Vision de l’ange exterminateur : 19,17-18

(19,17) Et je vis un ange [En 14,15 l’ange qui venait après le Fils de l’homme était qualifié d’ « autre ange ». De même, ici, celui survenant après le Verbe de Dieu (cf. 19,13) pourrait être dit « autre ange ».

Le Christ même était un ange, au sens étymologique d’ « envoyé ». Mais il était bien plus qu’un ange (cf. He 1,4 --- 2,18).] debout dans le soleil, [Comme la Femme de 12,1 était debout sur la lune.

Cet ange dominait toutes les puissances cosmiques. Il rayonnait, parlait et agissait dans la lumière de Dieu.] et il cria d’une voix forte, disant à tous les oiseaux qui volaient au milieu du ciel : « Venez, rassemblez-vous pour le grand festin de Dieu [La description de l’horrible festin, qui allait suivre (cf. 19,18), n’était qu’un pastiche du festin entrevu par Ezéchiel (cf. Ez 39,17-20).

Dans la vision de l’ancien prophète, on invitait les oiseaux du ciel à se réjouir par avance de la défaite certaine de Gog, le roi légendaire de Magog (cf. Ez 38 --- 39).

L’Apocalypse ne montrerait cette défaite de Gog et Magog, en un combat ultime et gigantesque, qu’en 20,7-10 : dans la cinquième section de ce VII e et dernier cycle.] (19,18) afin que vous mangiez la chair des rois, la chair des tribuns, la chair des forts, la chair des chevaux et de leurs cavaliers, la chair de tous les hommes libres, des esclaves, des petits et des grands.

3 – Vision de la Bête et de sa défaite : 19,19-21

(19,19) Et je vis la bête, et les rois de la terre avec leurs armées, rassemblés pour faire la guerre à celui qui siège sur le cheval, et à son armée. [Derniers soubresauts du pouvoir impérial romain, même après l’anéantissement de la Rome païenne (cf. 18,21).

La Bête, c’était dire César ou l’empereur romain (cf. 17,11), coalisée avec tous les souverains de la terre (dans l’espace comme dans le temps) montait à l’assaut du Logos de Dieu (le cavalier de 19,11), de ses anges et de ses saints.

Mais elle serait maîtrisée.] (19,20) Et elle fut écrasée, la bête, et avec elle le faux prophète [Le faux prophète était Néron (cf. 13,11-18 ; 16,13 ; 20,10) revenu des enfers. Le même qui faisait autrefois parler la Bête (cf. 13,15). Pour nous, c’était une vieille connaissance.

Une dernière vision du couple infernal, la Bête et son prophète, nous serait encore montrée en 20,10. Associés avec Satan, ils formaient un beau trio…] celui qui accomplissait des signes devant elle, par lesquels il séduisit ceux qui portaient la marque de la bête et qui se prosternaient devant son icone. [Long rappel de 13,12-17. Aucun doute n’était possible sur l’identité dudit « pseudoprophète ».] Les deux ont été jetés vivants dans l’étang de feu, celui qui brûle dans le soufre. [César et Néron étaient précipités vivants – et non pas morts – dans l’enfer. Ceci expliquait leur capacité de resurgir dans l’histoire, en quelque sorte miraculeusement, en la personne de leurs successeurs, de leurs héritiers.

Malgré son appellation mystique de seconde mort (cf. 20,14), l’étang de feu ne recevait que des êtres conscients, des âmes sans doute. Il devrait les rendre, au moins provisoirement, au moment du jugement final (cf. 20,13).] (19,21) Et les autres furent occis par le glaive de celui qui siège sur le cheval, [Ce glaive nous le vîmes déjà en 19,15 sortant de la bouche du Logos. Il n’était autre que l’Evangile de Jésus-Christ, avec son double tranchant : celui des Béatitudes (cf. Mt 5,3-12 ; Lc 6,20-23) et celui des Malédictions (cf. Lc 6,24-26).] ce glaive qui sort de sa bouche. Et tous les oiseaux se rassasièrent de leurs chairs.

4 – Vision du règne de mille ans : 20,1-3

(20,1) Et je vis un ange descendant du ciel, détenant la clef de l’abîme, avec une chaîne énorme dans la main. (20,2) Et il maîtrisa le dragon, l’antique serpent, qui est le Diable et le Satan ; et il l’enchaîna pour mille ans. [Après la chute de Rome et de l’empire païen (cf. 18,21), après un dernier soubresaut d’outre-tombe de César et Néron (cf. 19,19-20), s’ouvrait une période de mille années précédant un ultime combat eschatologique (cf. 20,7-10) d’une durée indéterminée (et peut-être fort longue). Voici que Satan se trouvait provisoirement maîtrisé (ici même), tandis que le Christ régnait avec les siens (cf. 20,4).

On se rendait compte combien était complexe le déroulement futur de l’histoire, tel que l’envisageait Jean. Ce règne de mille ans, ici pronostiqué (cf.20, 1-3), pouvait correspondre à un temps de chrétienté pendant lequel le paganisme se verrait plus ou moins vaincu, tout au moins refoulé.

Les spéculations millénaristes, qui se firent jour à la suite de cette notice de l’Apocalypse, étaient fondées sur une interprétation erronée du livre, même pris dans son sens le plus littéral.

Malheureusement, ces spéculations avaient pu tromper des gens aussi avertis que saint Irénée, Père de l’Eglise.

Ce même Père de l’Eglise accumulait d’ailleurs les méprises, au sujet de l’Apocalypse :

- erreur portant sur la date de rédaction du livre, qu’il semblait fixer au temps de Domitien ;

- ignorance de l’identité réelle de l’Antéchrist, proposée par Jean ;

- erreur millénariste enfin.

Par bonheur cette hérésie ne fut pas acceptée par l’ensemble des Pères de l’Eglise, ni par l’Eglise en tant que telle. L’erreur se trouva condamnée dès l’antiquité, donc bien avant l’échéance des mille ans.

L’hérésie eut pourtant la fâcheuse conséquence de jeter le discrédit sur le livre qui était considéré comme sa source. Ce fut pourquoi l’Apocalypse eut bien du mal à se faire accepter dans le canon des Saintes Ecritures. L’historien Eusèbe de Césarée, au début du IV e siècle, la tenait encore en grande suspicion. Pour sa part, ce ne fut qu’au XIV e siècle que l’Eglise byzantine la mit définitivement au rang des livres inspirés.] (20,3) et il l’envoya dans l’abîme ; il le ferma et le scella sur lui, afin qu’il ne séduisît plus les gens, jusqu’à ce que fussent consommés les mille ans ; [Cet abîme était celui de 9,1 : l’enfer d’où s’étaient échappés tous les démons du paganisme.

Le renvoi de Satan dans l’abîme marquait donc la fin provisoire du paganisme et la victoire – encore mal assurée de l’Eglise. Le temps dirions-nous d’une chrétienté.] après quoi il faut qu’il soit relâché [Jean prévoyait que les temps de chrétienté auraient une fin, que la victoire du christ serait contestée. Pourtant ce ne serait pas encore de sitôt la fin du monde.] pour un peu de temps. [Le retour offensif de Satan – et du paganisme – serait bref, au regard de la foi. Ce qui ne préjugeait rien de sa durée réelle.

5 – Vision de la première résurrection. Le second et dernier combat eschatologique : 20,4-10

(20,4) Et je vis [Cette vision de la première résurrection, et du règne effectif de mille ans (cf. 20,5), était contemporaine de la vision précédente (cf. 20,1-3). Mais tandis que l’une était une vue de l’en bas : l’enfer (!), l’autre était une vue de l’en haut : le ciel.

Que se passait-il donc au ciel, tandis que Satan gisait enchaîné dans les enfers ?] des trônes, et s’assirent dessus, et le jugement leur fut donné, [Les trônes promis par le Christ à ses apôtres, pour le jour du jugement : « Vous siègerez vous aussi sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël. » (Mt 19,28).

Déjà ces trônes étaient avancés sur la scène, en vue du jugement des nations (cf. 20,11-15), car l’échéance se rapprochait.

Pour autant les corps des bienheureux n’y siégeaient pas encore, mais seulement leurs âmes (voir la suite du verset). Sans doute leurs anges siégeaient-ils à leur place, ces anges de 19,14 qu’on avait vus tout de blanc vêtus.

Le décor de l’acte final se mettait lentement en place, même si tous les acteurs n’étaient pas encore présents sur le plateau.] les âmes de ceux qui furent décapités [Si les corps n’étaient pas encore là, car la résurrection de la chair n’était pas encore intervenue, les âmes répondaient présent : les âmes de tous les martyrs, de tous les bienheureux.

Parmi ces décapités fameux, sans doute fallait-il reconnaître saint Paul, s’apprêtant à siéger sur son trône de gloire : « J’estime en effet que les souffrances de ce temps ne sont pas à comparer avec la gloire qui doit se révéler en nous. » (Rm 8,18).] à cause du témoignage de Jésus et de la parole de Dieu, [Association de mots typiquement johannique.

Comparons par exemple avec ces quelques lignes du IV e évangile : « Qui reçoit son témoignage [celui de Jésus] certifie que Dieu est véridique. En effet celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu» (Jn 3,33-34)] et qui n’adorèrent pas la bête ni son icone, et ne reçurent pas sa marque sur leurs fronts, ni dans leurs mains. [Avant tout : les victimes de la persécution de Néron, encore fraîche au temps où Jean écrivait.

Tous ceux qui refusèrent d’adorer la Bête (César) et son image (ses statues ou sa monnaie), de se faire marquer sur leurs fronts (inclinés jusqu’à terre), ou sur la main (par l’usage de la monnaie romaine).] Ils vécurent et ils régnèrent avec le Christ mille années. [Leurs âmes avaient repris vie. Ils étaient montés au ciel en esprit, à la suite de Pierre et de Paul (cf. 11,12).

En somme tous les saints du paradis, les canonisés et les autres. Ils accompagnaient le Christ partout où il allait (cf. 14,4). Ils se trouvaient avec lui jusque dans l’eucharistie, qui était sa propre chair (cf. Jn 6,51) !

Les mille ans dont on nous parlait, et le dernier combat qui suivait (cf. 20,7-10), n’étaient autres que les temps que nous vivions actuellement, nous les lecteurs de l’Apocalypse.] (20,5) Les autres morts ne reprirent pas vie avant que ne fussent accomplies les mille années. Cela est la première résurrection. [Première résurrection, mais de nature spirituelle et non pas physique, car elle n’intéressait que les âmes (cf. 20,4). De plus cette première résurrection « en esprit », cette entrée anticipée dans la gloire, était-elle réservée à une élite, en quelque sorte une élite triée sur le volet : ceux qui avaient entièrement lavé leur robe dans le sang de l’Agneau (cf. 7,14). Ou mieux encore ceux qui n’avaient même pas commis de péché personnel : les « prémices pour Dieu et pour l’Agneau » (14,4).

Les autres morts, même sauvés, ne pouvaient reprendre vie dans l’instant. Sans doute devaient-ils subir encore un temps d’épreuve. Ils gardaient cependant l’espoir d’être jugés au dernier jour selon leurs actes (cf. 20,12), leurs actes méritoires.

Jean ne prononçait certes pas dans cet endroit le mot de ‘purgatoire’ ; mais la doctrine y était.] (20,6) Bienheureux et saint celui qui a part à la première résurrection ! [Mais quelle n’était pas la gloire des saints, admis en la présence du Christ ! Ils avaient déjà accès sur les marches du trône de Dieu.] Sur eux la seconde mort [Celle que l’on retrouverait en 20,14 et qui n’était autre que l’enfer.

La première mort était la mort physique ; elle n’était que provisoire.

La seconde mort était la mort spirituelle : elle était définitive.] n’a aucun pouvoir, mais ils seront prêtres de Dieu et du Christ, et ils règneront avec lui pendant mille ans. [Prêtres au sens de ‘liturges’, ou de ‘sacerdotes’, et non d’Anciens (presbuteroi).

Tous les baptisés seraient ‘sacerdotes’, comme l’avait enseigné saint Pierre (cf. 1 P 2,9), chef des apôtres et ‘Ancien’ lui-même (cf. 1 P 5,1). Tous les baptisés officieraient à l’autel de l’Agneau (cf. 7,9).

Il restait vrai toutefois que les ‘Anciens’ du Nouveau Testament, ceux que Paul appelait des « apôtres », des « prophètes », des « évangélistes », des « pasteurs » et des « docteurs » (cf. Ep 4,11), figureraient au premier rang parmi les privilégiés du Christ.] (20,7) Les mille ans écoulés, Satan serait relâché de sa prison [Fin d’un temps de chrétienté, coïncidant avec un retour offensif du paganisme. Satan ressortait de sa prison, animé d’une fureur accrue, dans le but de livrer le dernier combat qui serait décisif : celui d’Harmagedôn (cf. 16,16).

Mais combien de temps durerait cette lutte ultime ? Nul ne pouvait le savoir, car, selon le mot du Christ, « personne ne connaît ni ce jour ni l’heure. » (Mt 24,36).] (20,8) et il sortirait pour séduire les nations qui habitent aux quatre angles de la terre, [Il s’agissait bien ici des quatre points cardinaux, les « quatre angles de la terre ».

Satan prétendait régner sur toute la surface de la terre (cf. Lc 4,6), à l’instar du Christ qui, lui, pouvait dire à ses disciples : « Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant… » (Mt 28,19).] Gog et Magog, [Gog, roi, avec son pays de Magog, évoquaient pour Ezéchiel (cf. Ez 38,15) un roi et une nation siégeant dans le grand nord, peut-être les Scythes.

Les quatre points cardinaux étaient donc menaçants ; mais plus encore, semblait-il, le nord !

Ezéchiel avait prophétisé pour la fin des temps un assaut terrible de Gog contre Israël. Mais Gog finalement serait défait, et les ossements de son peuple reposeraient dans la vallée des Abarim, à l’est de la Mer Morte (cf. Ez 39,11).

Chez Jean les mots de « Gog et Magog » résonnaient comme l’annonce de la ‘lutte finale’ ! ] et les rassembler pour la guerre, [Redite de 16,14. Alors, on en était à la sixième coupe, et au sixième fléau du châtiment de Rome.

Rome alors était aux abois, peu avant sa condamnation (cf. 16,17), peu avant son jugement (cf. 17,1 --- 19,10).

Maintenant, c’était l’humanité entière qui se voyait menacée : « les quatre angles de la terre. »] aussi nombreux que le sable de la mer. (20,9) Et ils montèrent sur toute l’étendue de la terre, et ils encerclèrent [Le suprême assaut, dont la description était encore empruntée au prophète Ezéchiel (cf. Ez 4,2 ; 38,9).

On pensait aux prédictions du Christ annonçant le châtiment de Jérusalem (cf. Lc 19,43 ; 21,20). On pensait au siège terrible que devait effectivement subir Jérusalem, en 70, peu de temps après que ne fut écrite et expédiée l’Apocalypse.] le camp des saints et la cité bien-aimée. [L’Eglise catholique, c’était dire universelle. La ‘Cité de Dieu’ comme dirait saint Augustin. Elle serait en butte à l’assaut suprême des forces du mal, peu de temps avant que ne survînt la fin du monde.

Mais l’Evangile nous avertissait que l’enfer ne saurait l’emporter sur elle : « Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise, et les portes de l’Hadès ne l’emporteront pas sur elle. » (Mt 16,18).

Ce « camp des saints », celui qui campait sur la terre (nommée en 20,8) et non pas dans le ciel d’où devait descendre le feu (cf. suite du verset), n’était autre que les sept Eglises d’Asie, auxquelles Jean destinait l’Apocalypse (cf. 1,4), chacune gouvernée par son ange (cf. 1,20), c’était dire son évêque. Il n’était autre que l’ensemble des Eglises du monde, bâties sur le même modèle que celles d’Asie.] Mais un feu descendit du ciel et les dévora. [L’issue du combat serait ici bien différente de celle du siège de l’an 70, puisque les assiégeants subiraient une défaite totale, pareille à celle de Gog devant Israël (cf. Ez 38 --- 39).] (20,10) Et le Diable qui les séduisait fut jeté dans l’étang de feu et de soufre, là où sont la bête et le faux prophète. [A la fin des temps, Satan ayant définitivement perdu la bataille d’Harmagedôn se voyait refoulé dans l’enfer. Il y rejoignait César et Néron, tombés là avant lui (cf. 19,20). Ainsi le sinistre trio, qui singeait la Sainte Trinité, se trouvait-il à jamais reconstitué.] Et ils seront tourmentés jour et nuit pour les siècles des siècles. [Eternité des peines de l’enfer, nettement enseignée par l’Apocalypse.

On sait qu’un théologien comme Origène, et bien d’autres après lui, n’admettraient pas cette doctrine. Ils imagineraient un salut final, une récupération en quelque sorte, des damnés et même de Satan à la fin des temps : l’‘anakatabasis’ !

Origène avait certes mal lu l’Apocalypse ; peut-être même ne l’acceptait-il pas comme écriture inspirée. Il avait mal lu l’Evangile. (Cf. par exemple : Mt 25,46).

Les mots : « pour les siècles des siècles » reviendraient comme un leitmotiv, en 22,5, en conclusion de la grande vision de la Jérusalem céleste. Le sort des élus, et le sort des réprouvés, auraient en effet quelque chose de comparable : la durée.

Seul l’esprit des élus, par le médium de la vision béatifique, entrerait dans l’éternité divine, en laquelle il n’existait pas de temps, ni de durée.

6 – Vision du jugement des nations : 20,11-15

(20,11) Et je vis un trône immense, blanc, et celui qui siège sur lui. [Satan venait d’être expédié dans les enfers, avant même que ne siégeât le tribunal, dès qu’eut pris fin l’aventure humaine.

Le trône était celui du Christ, le Fils de l’homme : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire. » (Mt 25,31). 

La blancheur du trône symbolisait l’innocence de celui qui siégeait sur lui : le Christ. Car c’était l’innocence qui allait juger le monde.

Le trône était « immense », comme était grande la gloire du Christ (cf. Mt 25,31 cité supra ; Jn 1,14 ; 17,5), et comme était grande la majesté du Roi des rois et du Seigneur des seigneurs (cf. 17,14 ; 19,16).

Le voyant, qui n’était autre que Jean, apercevait non seulement le trône mais « celui qui siège sur lui ». Au jour de la parousie, tout le monde verrait le Christ, y compris les réprouvés.] La terre et le ciel s’enfuirent de devant sa face. [Alors s’accomplissait la prophétie du Christ : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. » (Lc 21,33) L’univers aurait une fin, mais moi, la Parole, je subsisterais.

Il demeurait vrai, pourtant, que le cosmos, en tant que tel, devait être renouvelé (cf. 21,1), qu’il devait être sauvé et participer finalement à la gloire du Christ (cf. 2 P 3,13).

Mais auparavant, il fallait qu’il disparût, car il avait collaboré, comme malgré lui, au péché des hommes (cf. 2 P 3,10).]  On ne leur trouva plus de place. [Ils disparurent complètement. Retour total au néant du cosmos (physique), avant sa régénération.

Sorti du néant (cf. Gn 1,1), le monde physique devait retourner au néant, d’où il émanait. Il serait d’une certaine manière recréé, et selon un mode entièrement nouveau (cf. 21,5).] (20,12) Et je vis les morts, les grands et les petits, debout devant le trône. [Les morts stationnaient debout devant le trône de Dieu, en qualité de ressuscités. De même on avait vu l’Agneau immolé, debout devant l’autel de Dieu (cf. 5,6). On remarquait toutefois que le mot même de ‘résurrection’ n’était pas prononcé.

Voici le jour et voici l’heure. L’échéance tant attendue, ou tant redoutée, celle tant de fois annoncée par les prophètes (cf. Ez 37,10 ; …) ou prêchée par le Christ (cf. Mt 25,31-46 ; …). Les « morts, les grands et les petits » : grands par le mérite, ou petits par le mérite.] Et des livres furent ouverts, puis un autre livre fut ouvert, celui de la vie. [Des livres très différents les uns de l’autre. La Bible de Jérusalem, note ad locum, commentait excellemment : « Les premiers livres ouverts contiennent inscrites les actions bonnes ou mauvaises des hommes ; le livre de vie contient le nom des prédestinés. »

Les livres des actions des hommes détaillaient les actions de chaque homme en particulier. C’étaient en somme les registres des mérites et des démérites.

Le Grand Livre de la Vie ne renfermait que le nom des prédestinés. Il fut rédigé par Dieu même, et non par ses anges, de toute éternité, car c’était en vertu d’un don gratuit de Dieu que nous étions sauvés, sans le moindre mérite préalable de notre part.

Cependant les sceaux irrévocables de ce Grand Livre ne furent apposés, eux aussi, dans l’éternité, que post praevisa merita, après la prévision des mérites, car Dieu tenait compte de notre liberté.

Le Christ seul s’était montré capable de briser l’un après l’autre les sceaux. Il avait commencé de le faire depuis la création du monde, depuis l’aube de l’humanité. C’était le sens que nous avions donné au second cycle, celui de l’ouverture des sept sceaux (cf. 4,1 --- 8,1).

La révélation qu’il existât un Grand Livre de la vie se rencontrait très tôt dans la Bible. Déjà dans l’Exode on entendait Moïse ainsi s’exprimer : « Efface-moi, de grâce, du livre que tu as écrit ! » (Ex 32,32). Mais Yahvé de lui répondre : « Celui qui a péché contre moi, c’est lui que j’effacerai de mon livre. » (Ex 32,33).

Dès les prémices de la doctrine divine, il était donc affirmé très nettement que la non-prédestination des uns ne devait rien à l’arbitraire divin. Elle était imputable, seulement, au pécheur voire même à son obstination dans le péché, car Dieu avait multiplié les prévenances à son égard.

Plus tard dans la Bible, on retrouvait cette idée d’un Grand Livre de la vie, et des livres des actions des hommes. Ainsi le psaume 69 : « Charge-les, tort sur tort, qu’ils n’aient plus d’accès à ta justice ; qu’ils soient rayés du livre de vie, retranchés du compte des justes. » (Ps 69,28-29). Le psaume 139 faisait allusion au livre des actions des hommes : « Mes actions, tes yeux les voyaient, toutes, elles étaient sur ton livre ; mes jours, inscrits et définis avant que pas un d’eux n’apparût. » (Ps 139,16-17).

Le prophète Daniel utilisait la même terminologie. Pour les livres des actions des hommes : « Mille milliers le servaient, myriades de myriades, debout devant lui. Le tribunal était assis, les livres étaient ouverts. » (Dn 7,10) Et pour le Grand Livre : « En ce temps-là, ton peuple échappera : tous ceux qui se trouveront inscrits dans le Livre. » (Dn 12,1) 

C’était à Daniel, d’ailleurs, que Jean empruntait, pour grande part, sa description du jugement des nations (cf. Dn 7,9-10).] Et ils furent jugés, les morts, à partir de ce qui était écrit dans les livres, selon leurs œuvres. [Ainsi se réalisait l’une des prophéties les plus solennelles du Christ, qu’il avait délivrée à Jérusalem, quelques jours seulement avant sa passion : cf. Mt 25,31-46.

On savait, d’après cette fameuse péricope évangélique, que les œuvres concernées par le jugement étaient avant tout de charité et de miséricorde, ou a contrario de refus de miséricorde.

En toute vérité, le jugement dernier mettait en œuvre le sermon sur la montagne. Il accomplissait les Béatitudes, ou les Malédictions, que le Christ avait proférées dans les débuts de sa vie publique (cf. Lc 6,20-26) comme du haut d’un second Sinaï.

On ne saurait oublier, pour ce jour du jugement, l’intervention ou le témoignage des Tables de la Loi, que Moïse appelait justement les Tables du témoignage (cf. Ex 32,15). Elles portaient le décalogue promulgué par Dieu au premier Sinaï (cf. Ex 20,1-17) et que le Christ n’avait pas aboli (cf. Lc 18,20).

On ne saurait oublier non plus le témoignage de la conscience individuelle, car ce serait elle, en définitive, qui nous jugerait (cf. Gn 4,7-11 ; Si 15,11-20 ; Rm 2,12-16).] (20,13) Et elle rendit, la mer, les morts qu’elle détenait, [Ciel et terre s’étaient déjà évanouis sans laisser de trace (cf. 20,11) ; or la mer était toujours là !

Pas pour longtemps, car dès 21,1 nous apprendrions qu’elle n’existait plus.

Mais avant de disparaître il lui fallait rendre gorge : elle vomissait tous ceux qu’elle avait d’abord engloutis.] et la mort et l’enfer rendirent les morts qu’ils détenaient, [La mort était vaincue par la résurrection des corps, qui était une véritable mort à l’envers : une restitution.

« l’enfer », littéralement : l’Hadès.

Pour les gens de l’Ancien Testament, c’était dans l’Hadès (mot grec), ou dans le Schéol (mot hébreu), qu’on attendait le jour de la résurrection.] et ils furent jugés chacun selon leurs œuvres. (20,14) Et la mort et l’enfer furent jetés dans l’étang de feu. [On songeait à l’exclamation fameuse de saint Paul : « Où est-elle, ô mort, ta victoire ? Où est-il, ô mort, ton aiguillon ? » (1 Co 15,55).

Saint Paul même avait imité le prophète Osée : « Où est ta peste, ô mort ? Schéol, où sont tes fléaux ? » (Os 13,14).

La disparition de la mort avait été promise par le prophète Isaïe, pour les temps messianiques : « Il fera disparaître pour toujours la mort. » (Is 25,8).

La Mort et l’Hadès étaient jetés dans le feu comme étant, eux aussi, des œuvres mauvaises, et non pas des œuvres divines. Car « Dieu n’a pas fait la mort. » (Sg 1,13). La mort n’était qu’une conséquence du péché (cf. Gn 3,3 ; Rm 5,12).] Il est la seconde mort, cet étang de feu. [Cette seconde mort dont on nous parlait depuis 2,11 : la mort spirituelle, ou définitive.

La doctrine de l’enfer avait été proclamée sans équivoque par Jésus-Christ (cf. Mt 25,41). ] (20,15) Et si quelqu’un ne fut pas trouvé inscrit dans le livre de la vie, il fut jeté dans l’étang de feu. [Celui qui, par sa propre faute, ne serait pas inscrit sur la liste des prédestinés (cf. notre annotation du verset 20,12).

Le Grand Livre de la vie opérait seul le départ entre les élus et les réprouvés, indépendamment des livres des actions des hommes. Car de grands pécheurs, aux œuvres mauvaises, avaient pu se convertir ; et des saints avaient pu ne pas persévérer.

Dieu, toutefois, n’avait pas refusé la grâce de la persévérance, ou de la pénitence finale, à celui qui l’avait humblement demandée.

7 – Vision de la Jérusalem céleste : 21,1 --- 22,5

(21,1) Et je vis [Ce serait la dernière vision de l’Apocalypse, avant les recommandations finales (cf. 22,6-21).

Cette section marquerait, sinon la conclusion, du moins l’apothéose du livre. D’où sa longueur inhabituelle : 32 versets, selon la division usuelle du texte.     

Elle allait nous décrire en termes mystiques ce qui, par essence, était indescriptible et indicible : ce qui devait survenir après le jugement dernier. Une telle vision n’envisageait que le sort des élus. Elle nous montrait l’étape ultime de l’aventure humaine : l’étape éternelle.

Mais par un jeu subtil de perspectives, puisqu’en un sens la parousie était déjà accomplie, du moins en espérance, l’Apocalypse nous faisait contempler l’Eglise éternelle, la Jérusalem céleste, mais descendue sur terre et telle qu’en esprit elle est déjà.] un ciel nouveau et une terre nouvelle. [L’expression venait d’Isaïe (cf. Is 65,17), le deutéro-Isaïe, celui d’après le retour d’exil.  

Dans son optimisme, le visionnaire espérait un renouvellement radical d’Israël pour les temps messianiques, comme pour les temps eschatologiques : en réalité il ne distinguait pas les deux termes.

Jean non plus ne les distinguait pas tellement : car il voyait déjà présent, dès aujourd’hui, dès le temps où il écrivait, un ciel nouveau, c’était dire débarrassé des divinités païennes, et une terre nouvelle, puisque la justice commençait d’y régner.] Le premier ciel et la première terre, en effet, s’en sont allés, [Saint Paul, lui, disait : « La création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu : si elle fut assujettie à la vanité -  non qu’elle l’eût voulu, mais à cause de celui qui l’y a soumise, - c’est avec l’espérance d’être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. » (Rm 8,19-21)

Il fallait donc interpréter la disparition de l’ancienne terre et de l’ancien ciel, annoncée par l’Apocalypse, moins comme un anéantissement définitif que comme un renouvellement.

Comme le dit la Bible de Jérusalem (note à Rm 8,19) : « La philosophie grecque voulait libérer l’esprit de la matière, considérée comme mauvaise ; le christianisme libère la matière elle-même. »

Cette idée de renouvellement, en quelque sorte de résurrection, ou de recréation du cosmos, on pouvait la trouver ailleurs dans la Bible.

Chez Isaïe, comme nous l’avons vu (cf. Is 65,17 ; 66,22). 

De son côté saint Pierre écrivait : « Puisque toutes ces choses se dissolvent ainsi, quels ne devez-vous pas être par une sainte conduite et par les prières, attendant et hâtant l’avènement du Jour de Dieu, où les cieux enflammés se dissoudront et où les éléments embrasés se fondront. Ce sont de nouveaux cieux et une terre nouvelle que nous attendons selon sa promesse, où la justice habitera. » (2 P 3,11-13).]  et de mer il n’y en a plus. [Car la mer, comme la mort et comme l’Hadès, était le séjour provisoire des morts, le séjour des esprits impurs (cf. 13,1 ; 20,13).

Pourtant, on contemplerait une mer de cristal devant le trône de Dieu (cf. 4,6 ; 22,1) ; de même qu’il existait une mer symbolique dans le Temple de Salomon (cf. 1 R 7,23-26).

Cette mer de cristal ne serait autre que la divinité, devant laquelle les élus pourraient se tenir debout (ressuscités) sans y être absorbés (cf. 15,2).] (21,2) Et je vis la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, descendant du ciel d’auprès de Dieu, parée comme une épouse qui s’est faite belle pour son mari. [Cette Jérusalem nouvelle, les prophètes, surtout à partir de l’exil, l’avaient chantée et espérée à l’envi (cf. Is 40,2 ; 51,17 ; 52,1.9 ; 54,11-17 ; …). Après son châtiment, et même sa destruction (cf. Is 29,1-8), elle devait se relever. Elle connaîtrait à nouveau la joie.

L’Evangile annonçait la délivrance de Jérusalem (cf. Lc 2,38).

Si la ville de Jérusalem était appelée à connaître un tel destin : recevoir un tel honneur après avoir subi un tel châtiment, c’était parce qu’en elle s’étaient accomplis les mystères du salut, en figure comme en réalité :

- en figure, par le sacrifice du fils d’Abraham, au mont Moriyya (cf. Gn 22,2),

- en réalité, par le sacrifice du Christ sur le Calvaire (cf. Lc 13,33).

Aux yeux de Jean, prophète et visionnaire, Jérusalem nouvelle symbolisait l’Eglise déjà glorieuse, déjà ressuscitée en esprit, en attendant de l’être charnellement et qui devait prendre la place de Rome, la ville païenne, laquelle s’enfuirait avec tout le monde ancien… Mais il fallait prendre garde que cette descente de l’Eglise sur la terre s’effectuait déjà, inchoativement, sous nos yeux : les yeux de la foi.

Ce serait dans Rome, devenue la cité de Pierre et de Paul en place d’être le trône de César et de Néron, que s’édifierait jusqu’à la consommation des siècles, puis par-delà à jamais, l’Eglise romaine et universelle : « … sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise. » (Mt 16,18).

Il en serait de même dans tous les lieux du monde où se dresserait une Eglise particulière, bâtie sur le fondement des apôtres.

Jérusalem « s’est faite belle » car elle fut renouvelée, rachetée de ses fautes, par les sacrements du baptême et de la pénitence.

Cette « épouse » était celle de l’Agneau (cf. 21,9), resplendissante de pureté ; tandis que l’ancienne Rome n’était guère qu’une prostituée (cf. 17,1)...] (21,3) Et j’entendis une voix immense, sortant du trône, disant : «Voici la tente de Dieu avec les hommes ! [Dieu demeurait en elle plus qu’il n’avait demeuré dans le Temple de Salomon (cf. 1 R 8,10-13) ; il pérégrinait avec elle plus qu’il n’avait pérégriné avec l’Israël ancien, dans le désert (cf. Ex 40,38).

Dieu demeurait en elle par la présence de l’Esprit, depuis le jour de la Pentecôte (cf. Ac 2,4), par la présence auprès d’elle du Christ ressuscité (cf. Mt 28,20) ; le Père lui-même résidait en elle (cf. Jn 14,23).] Et il habitera sous la tente avec eux ; ils seront son peuple, et Dieu même sera leur Dieu avec eux. [Mais ce qui n’était visible, aujourd’hui, qu’aux yeux de la foi deviendrait alors resplendissant aux yeux de tous, sans aucun voile et sans aucun intermédiaire (cf. 22,4 ; 1 Co 13,12).] (21,4) Et il essuiera toute larme de leurs yeux ; et il n’y aura plus de mort. [Comme l’annonçait saint Paul : « Alors s’accomplira la parole de l’Ecriture : La mort a été engloutie dans la victoire. » (1 Co 15,54).

La mort, qui était déjà vaincue en espérance (cf. Ep 2,6), et qui n’aurait jamais dû exister (cf. Sg 1,13-14), aurait alors complètement cessé d’être.] Ni l’affliction ni les cris ni la douleur n’auront lieu d’être, car les anciennes peines s’en sont allées. (21,5) Et il dit, celui qui siège sur le trône : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. » [Par la venue du Christ, l’univers était déjà renouvelé (cf. 2 Co 5,17).

Mais au-delà de la parousie, l’univers jaillirait comme une création perpétuelle.] Et il dit : « Ecris : Ces paroles sont fidèles et vraies. » [Tournure de phrase typiquement johannique (cf. 19,9 ; 22,6 ; Jn 19,35 ; 21,24 ; 3 Jn 12).] (21,6) Il me dit alors : « C’en est fait ! Je suis l’Alpha et l’Oméga, le principe et la fin. [C’était Dieu qui parlait, « Celui qui siège sur le trône » (21,5) et qu’on avait déjà entendu en 1,8 : indistinctement le Père, le Fils et l’Esprit.

Bien qu’elle fût imitée d’Isaïe : « Je suis le premier et le dernier » (Is 44,6), il semblait que Jean fût l’inventeur de cette formule : « Je suis l’Alpha et l’Oméga », trois fois répétée dans le livre (cf. 1,8 ; 21,6 ; 22,13).  

Dieu était le principe et la fin de toutes choses, la cause efficiente et la cause finale comme auraient dit les scholastiques.

Dans « Alpha et l’Oméga », ou « le Principe et la Fin », on pouvait reconnaître la Sainte Trinité elle-même.

Le Père était l’Alpha, ou le principe sans principe.

L’Esprit était l’Oméga, la Fin ou l’accomplissement de la Trinité, sa perfection d’amour ; l’achèvement des processions divines.

Mais le Fils était la copule, le « et » qui liait les deux termes, ou encore les lettres intermédiaires de l’alphabet. Il était le principe issu du principe. Avec le Père, il était le principe du Saint-Esprit. Il était le Médium par lequel procédait l’Esprit : procession « médiate » de l’Esprit, du Père par le Fils.] Moi je donnerai, à celui qui a soif, de boire à la fontaine de l’eau vive, gratis. [Quasi citation (par anticipation, puisque l’Apocalypse fut écrite avant) de plusieurs passages du IV e évangile.

« Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire, c’est toi qui l’aurait prié et il t’aurait donné de l’eau vive. » (Jn 4,10).

Ou encore : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi ! » (Jn 7 37-38).

L’image de l’eau pour symboliser la vie divine était reprise, y compris l’idée de gratuité, du prophète Isaïe (cf. Is 55,1).

Cette image remontait à l’Exode (17,1-7), et même à la Genèse (24,10-14). En réalité, elle était vieille comme le monde, car l’eau avait toujours symbolisé la vie, et elle avait toujours été gratuite (offerte gracieusement).

On sait que pour le IV e évangile l’eau signifiait l’Esprit Saint (cf. Jn 7,39).] (21,7) Le vainqueur héritera de ces choses, [Le vainqueur était le Christ, ce cavalier au blanc cheval, qu’on avait aperçu à l’ouverture du premier sceau (cf. 6,2). Mais il était aussi le chrétien, vainqueur avec le Christ (cf. 2,7.11.26 ; 3,5.12.21).] et je serai pour lui un Dieu, et il sera pour moi un fils. [Ces mots furent d’abord prononcés par Yahvé à l’adresse de David (cf. 2 S 7,14) au sujet de son fils Salomon, celui qui devait construire le Temple.

Mais on percevait plutôt, ici, l’écho des paroles éternelles du Père à l’endroit de son Fils unique, paroles rapportées plusieurs fois par les évangiles (cf. Mt 3,17 ; 17,5 ; Mc 1,11 ; 9,7 ; Lc 3,22 ; 9,35), et déjà présentes dans le psaume (cf. Ps 2,7).  

Le chrétien, même le plus ordinaire, pouvait, lui aussi, se sentir concerné, lui qui, à l’instant, venait d’être qualifié de « vainqueur »…] (21,8) Mais les lâches, les infidèles, les infâmes, les homicides, les débauchés, les empoisonneurs, les idolâtres et tous les menteurs, [La liste serait reprise dans les recommandations finales (cf. 22,15). On expulserait les immondes de la Jérusalem céleste, comme on avait expulsé autrefois les impurs du camp de Yahvé (cf. Nb 5,2-3).

On trouvait dans saint Paul de nombreuses énumérations du même genre (cf. Rm 1,28-32 ; 13,13 ; etc.…). Elles étaient, semblait-il,  des lieux communs de la diatribe stoïcienne, comme de la littérature juive contemporaine.] leur part sera dans l’étang de feu ardent et de soufre. C’est la seconde mort. » (21,9) Alors vint l’un des sept anges tenant les sept coupes, remplies des sept dernières plaies. [On se croirait revenu à 15,1 au tout début du V e cycle, celui des sept plaies, ou encore en 17,1 au tout début du VI e cycle, celui des sept tableaux sur le châtiment de Rome.

Le même ange nous avait montré naguère le jugement de la Prostituée fameuse. Il allait nous présenter maintenant l’épouse de l’Agneau. Dans certains cas, peut-être s’agissait-il de la même personne : une pécheresse repentie et réconciliée. On pouvait songer ici à la personnalité remarquable d’une Marie de Magdala (cf. Mc 16,9 ; Lc 8,2 ; Jn 20,11-18).] Il me parla, disant : « Viens, je te montrerai l’épouse, la femme de l’Agneau. » [L’ange jouait maintenant les paranymphes !

On pensait irrésistiblement à Jean le Baptiste, qui s’était qualifié lui-même d’ami de l’époux : « Qui a l’épouse est l’époux ; mais l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux. » (Jn 3,29).

Dans l’évangile Jean-Baptiste présentait l’Agneau de Dieu à Jean le disciple : « Voici l’Agneau de Dieu. » (Jn 1,36).

Mais dans l’Apocalypse, c’était l’ange qui présentait à ce même disciple l’épouse dudit Agneau !

On pouvait admirer là, entre les deux livres, un ensemble de corrélations assez remarquable.

Cette épouse de l’Agneau, nous la connaissions depuis le verset 19,7. On en était alors aux fiançailles ; voici venu le temps des noces.

L’épouse de l’Agneau était l’Eglise, la Cité sainte, la Jérusalem céleste. On nous le redirait au verset suivant. Mais elle était aussi Marie, la mère de Jésus, l’épouse mystique du Christ, la Femme de 12,1 couronnée de douze étoiles, elle qui s’était enfuie au désert (cf. 12,14). Elle était aussi toute âme chrétienne, citoyenne de la cité d’en haut, fille de Marie (cf. 12,17).] (21,10) Et il m’emporta en esprit sur une montagne de grande hauteur. [Ezéchiel, auquel ces mots étaient empruntés (cf. Ez 40,2), avait été emmené sur une haute montagne pour y contempler la Jérusalem idéale, alors à rebâtir.

De même le Christ, au moment de la tentation au désert, fut transporté en esprit sur une haute montagne (cf. Mt 4,8) afin d’y considérer tous les royaumes de la terre, mais non ceux du ciel !

Le même Christ, alpiniste chevronné, avait entraîné trois de ses disciples, les plus jeunes et les plus sportifs, dans l’ascension d’une haute montagne, sans doute l’Hermon, pour une rencontre au sommet avec le Père (cf. Mt 17,1 ; Mc 9,2). Jean, le futur auteur de l’Apocalypse, était l’un de ces trois disciples…

Chez Ezéchiel, comme dans l’Apocalypse, la très haute montagne sur laquelle devait s’édifier Jérusalem nouvelle n’était autre que le mont Sion. Mais un Sion démesurément agrandi, aux proportions de l’Israël futur.

Sans doute cette haute montagne n’était-elle autre que le nouveau cosmos (cf. 21,1) au sein duquel devait résider la Ville.] Et il me montra la cité sainte Jérusalem, descendant du ciel d’auprès de Dieu, (21,11) portant la gloire de Dieu. Son luminaire est semblable à la pierre précieuse, comme la pierre de jaspe cristallin. [L’épouse de 21,9 était donc une ville, et c’était l’Eglise.

« Comme un jeune homme épouse une vierge, ton architecte t’épousera. » (Is 62,5).

C’était donc une communauté. C’était même l’humanité entière, en tant que sauvée. C’était aussi tout le cosmos, aussi bien physique que spirituel : celui des hommes, et celui des anges.

Jérusalem descendait du ciel car elle était de nature céleste. Elle était céleste en les personnes  des âmes et des anges, qui étaient des êtres spirituels. Elle était céleste, plus encore, par le fait que ces âmes et ces anges furent élevés par Dieu à l’état surnaturel et, dans la gloire, à la vision béatifique. Elle était céleste dans les corps mêmes, haussés par Dieu, en vertu de la résurrection, à l’état « pneumatique », comme disait saint Paul (cf. 1 Co 15,44).

Pourtant la Jérusalem nouvelle, l’Eglise spirituelle qui descendait sur terre, s’avouait aussi comme une réalité incarnée, à l’image de son maître. Jésus, le premier, était une fois descendu du ciel (cf. Jn 3,13), pour s’incarner. Par le médium de l’Eglise s’opérait la fusion définitive du ciel et de la terre.

Jérusalem d’en haut s’installait dans les lieu et place autrefois occupés par la Rome païenne. L’Eglise catholique supplantait l’empire romain.

Le pontife romain avait effectivement pris les nom et place du Summus Pontifex de la vieille religion païenne. Depuis le temps de l’empereur Constantin il était revêtu de la pourpre impériale. Le collège de ses cardinaux remplaçait le vieux sénat romain.

L’universalisme définitif de l’Eglise ‘catholique’, fondé sur la charité, se substituait à l’universalisme précaire de l’ancienne Rome, qui ne s’appuyait guère que sur la force.

L’Eglise descendait certes de chez Dieu, car elle venait de sa part. Mais elle descendait aussi avec Dieu (cf. 21,3), et avec la gloire de Dieu en elle, car elle était illuminée de sa présence (cf. 21,23).] (21,12) Elle avait un immense rempart, très élevé, avec douze portes. [Ce rempart qui protégeait la Cité-Eglise, et qui reposait lui-même sur le fondement des douze apôtres (cf. 21,14), n’était autre que la succession temporelle de tous les évêques et de tous les prêtres qui auraient régi l’Eglise, depuis la première génération chrétienne jusqu’à la parousie ; ce qui donnait forcément une grande hauteur : « un immense rempart, très élevé » !

Sans doute pouvions-nous admirer dans ce rempart, du côté de la porte principale, la succession grandiose des évêques de Rome qui montait depuis saint Pierre, la pierre angulaire, et dont saint Irénée, dans son Adversus Haereses (III,3,3), avait commencé de nous donner la liste : les douze premiers papes.

On admirait ensuite toutes les autres successions épiscopales qui s’élevaient à partir des douze apôtres.

Dans ce rempart on comptait douze portes, une par apôtre, une pour chaque tribu du nouvel Israël.

Le peuple entier pourrait entrer et sortir par ces portes, aller et venir dans la cité et dans les campagnes environnantes, voyager même dans les pays étrangers. Le cosmos entier appartiendrait à la ville (cf. 21,1) ; Dieu même lui appartiendrait (cf. 21,3) et les citoyens auraient accès à l’un (le cosmos) comme à l’autre (Dieu).

Les païens eux-mêmes, les non-baptisés qui seraient sauvés, circuleraient librement dans la Ville (cf. 22,2). Ils pourraient la visiter et jouir d’elle.] Et sur les portes douze anges et des noms inscrits, les noms des douze tribus des fils d’Israël.

[Les douze anges des douze apôtres.

La moitié des vingt-quatre vieillards de 4,4.

Ces anges ne laissaient pas de veiller sur la cité bâtie sur les apôtres éponymes.

Quant aux douze tribus des fils du nouvel Israël, elles figuraient l’ensemble des membres de l’Eglise. Elles étaient ce peuple que les apôtres, assis sur douze trônes, avaient jugé (cf. Mt 19,28 ; Lc 22,30) et qu’ils continuaient de régir (cf. Lc 19,17-19).] (21,13) Du côté de l’orient, trois portes ; du côté de l’aquilon, trois portes ; du côté du sud, trois portes ; du côté de l’occident, trois portes. (21,14) Quant au rempart de la ville, il avait douze fondements ; et sur eux les douze noms des douze apôtres de l’Agneau. [Car si tout reposait en définitive sur le Christ, la pierre que Dieu même avait posée (cf. Ac 4,11 ; 1 Co 3,11 ; 1 P 2,4 ), tout n’en continuait pas moins de reposer sur les fondations que le Christ lui-même avait placées, c’était à savoir les douze apôtres (cf. Ep 2,20).

Parmi eux Pierre, dont il avait changé le nom (cf. Jn 1,42) ; auquel il avait explicitement confié la fonction de socle (cf. Mt 16,18).

Dans l’histoire, comme pour l’éternité, ces fondements demeuraient vivants. Le souvenir des douze apôtres était gardé fidèlement dans les Eglises qu’ils avaient fondées ; et sur les lieux de leur sépulture s’élevaient des basiliques somptueuses : le « rempart de la ville ». Leurs successeurs continuaient d’administrer l’Eglise en leurs « noms ».

Pierre et Paul continuaient de camper mystiquement dans Rome. Sur les murs de la basilique vaticane s’étalait, selon la prophétie de Jean, le « nom » de Pierre, inscrit en lettres d’or. Quant au « nom » de Paul on le trouvait gravé dans la pierre à Saint-Paul-hors-les-murs, près de l’endroit où jadis l’apôtre répandit son sang.

André, le premier appelé, le frère de Simon-Pierre, résidait en Grèce, à Patras. Mais son souvenir était surtout gardé dans l’Eglise de Constantinople qui se prévalait de son autorité.

Quant à Jacques, le fils de Zébédée et le frère de Jean, il habitait mystiquement à Jérusalem, car c’était là qu’il avait connu le martyre, le premier parmi les apôtres (cf. Ac 12,2).

Jean lui-même avait son tombeau près d’Ephèse. Même si sa basilique était aujourd’hui en ruines, son souvenir y était toujours vénéré.

Philippe reposait à Hiérapolis en Asie mineure (cf. H.E. III, 31,3).

Thomas évangélisa les Parthes (cf. H.E. III, 1,1). Mais sa mémoire était conservée jusqu’aux Indes.

Matthieu alla peut-être en Ethiopie (d’après Ruffin, cf. H.E. III, 1,1).

Jacques, Simon et Jude, les ‘frères du Seigneur’ vécurent et moururent en Palestine. Les deux premiers furent successivement évêques de Jérusalem et périrent martyrs (cf. H.E. II, 23 ; III, 32).]

(21,15) Et celui qui parlait avec moi tenait une mesure, un roseau d’or, afin de mesurer la ville, et ses portes, et son rempart. [En 11,1 nous vîmes Jean s’efforcer de mesurer le Temple de Dieu, à l’heure même où les deux fondements de l’Eglise, Pierre et Paul, allaient être placés dans le sol de Rome.

Maintenant l’ange mesurait la cité une fois achevée, et dans l’éternité, telle que les prophètes l’avaient d’avance mesurée et contemplée (cf. Ez 40,1-4 ; Za 2,5-9).

Le roseau gradué en or, le « métron» ou mesure, symbolisait les commandements : ceux que Yahvé avait édictés au Sinaï, le décalogue (cf. Ex 20,1-17), mais surtout les deux commandements de l’amour (de Dieu et du prochain) promulgués par Jésus-Christ (cf. Mt 22,34-40 ; Mc 12,28-34 ; Lc 10,25-28 ; Jn 13,34). Le « mètre » de l’Apocalypse comptait donc au total douze graduations, et non pas dix (comme dans notre actuel système métrique).] (21,16) Cette ville formait un carré : sa longueur est égale à sa largeur. [Cette ville formait un carré, ou plutôt un cube (voir la suite du verset). On avait là un signe de complétude, d’achèvement  de globalité.

La Ville sainte se trouvait exactement mesurée : par Dieu et par ses anges. Non seulement la totalité de ses résidents s’y trouvait, par prédestination, strictement dénombrée mais encore chacune des bonnes actions des saints s’y voyait une à une décomptée, de toute éternité. La parousie ne s’était accomplie qu’une fois le compte, ou la mesure, parvenus à leur comble ; ce que Dieu avait décidé, une fois fait.

« La parole qui sort de ma bouche ne me revient pas sans résultat, sans avoir fait ce que je voulais et réussi sa mission. » (Is 55,11).

Désormais la mission de cette parole était accomplie ; la mission de Jésus-Christ, le Fils, était consommée.] Et Il mesura la ville avec le roseau : douze mille stades ; sa longueur, sa largeur et sa hauteur sont égales. [Douze mille stades.

12 X 1000 ;

12, le nombre des tribus du nouvel Israël. 1000, une multitude.

La grandeur de cette Ville achevée dépassait celle de la cuve de la colère de Dieu, qui ne faisait que 1600 stades (cf. 14,20).] (21,17) Et il mesura son rempart : cent quarante quatre coudées, [L’ « immense rempart, très élevé » de 21,12 comptait donc :

12 X 12 = 144 coudées de hauteur.

Les douze successeurs de chacun des douze apôtres. Ou encore la plénitude des successions épiscopales, venant après la plénitude apostolique.] mesure d’homme, c’est-à-dire d’ange. [Le monde des hommes et le monde angélique se servaient désormais d’une mesure commune.] (21,18) La maçonnerie de son rempart était de jaspe. La ville elle-même était d’or pur, semblable à du verre pur. [Suivait une description merveilleuse de la Jérusalem céleste descendue sur la terre ; elle rutilait de toutes les pierres, de tous les métaux les plus précieux. La création nouvelle de Dieu accumulerait les œuvres les plus parfaites, et toute scorie en serait bannie. L’œuvre de Dieu serait digne de Dieu.] (21,19) Les fondements du rempart de la cité étaient ornés de toute pierre précieuse : le premier fondement était de jaspe, [Les noms de ces douze pierres précieuses, qu’on allait lire, seraient empruntés, pour la plupart, au livre de l’Exode (cf. Ex 28,17-21). Douze pierres précieuses, distribuées sur quatre rangées, ornaient le pectoral du grand prêtre. Elles portaient chacune le nom d’une des douze tribus d’Israël.

Jean voulait nous signifier que tout l’Ancien Testament gardait une valeur prophétique, voire typologique, à l’égard de la réalité éternelle. Pas un mot, pas un seul détail de l’Ecriture Sainte ne seraient perdus. « Il est plus facile que le ciel et la terre passent que ne tombe un seul menu trait de la Loi. » (Lc 16,17).] le second de saphir, le troisième de calcédoine, le quatrième d’émeraude, (21,20) le cinquième de sardoine, le sixième de cornaline, le septième de chrysolithe, le huitième de béryl, le neuvième de topaze, la dixième de chrysoprase, le onzième d’hyacinthe, le douzième d’améthyste. (21,21) Et les douze portes sont douze perles, et chacune des portes était d’une seule perle. [L’édifice éternel se construisait jusqu’à son terme, selon une logique parfaite et selon le plan prévu depuis l’origine.

L’ancien Israël avait proliféré à partir des douze patriarches, les fils de Jacob (cf. Gn 35,22-26).

Le nouvel Israël était bâti sur les douze apôtres (cf. Mt 10,1-4 ; Mc 3,13-19 ; Lc 6,12-16) qui à leur tour reposaient sur le Christ (cf. Ep 2,20 ; 1 P 2,4-8).

Jusqu’aux extrémités du temps et de l’espace, l’Eglise préserverait son unité et sa cohérence.

Jusqu’à la fin, les vertus théologales de foi, d’espérance et de charité, héritées du collège des Douze, se maintiendraient et porteraient leur fruit, leur perle.] Et la place de la cité était d’or pur, comme du verre translucide.

(21,22) Et de temple, je n’en vis point en elle. En effet le Seigneur Dieu, le Tout-puissant, est son temple, ainsi que l’Agneau. [Le nouveau temple, en tant que réalité spirituelle, c’était Dieu même, le « Dieu-avec-eux » de 21,3, et c’était l’Esprit de Dieu (cf. Ac 2,4).

Mais le nouveau temple, en tant que réalité physique, quoique glorifiée, c’était l’Agneau en son corps ressuscité.

Depuis la passion et la Résurrection, le corps du Christ était devenu le seul et unique temple (cf. Jn 2,19-21).

En somme ce nouveau temple était l’eucharistie : « Ceci est mon corps. » (Mt 26,26 et parallèles). Nous étions tous, et nous serions plus encore à la parousie, cachés dans l’eucharistie : nous ne ferions qu’un en elle. ] (21,23) Et la cité n’a pas besoin de soleil  ni de lune pour l’éclairer ; en effet la clarté de Dieu l’a illuminée, et son flambeau, c’est l’Agneau. [Le Christ était le premier luminaire (cf. Gn 1,14-19), le nouveau soleil, de ces nouveaux cieux et de cette nouvelle terre (cf. 21,1).

Mais la Sainte Vierge en serait le second luminaire, la lune nouvelle, car il lui était donné de refléter parfaitement la lumière du soleil (cf. 12,1).] (21,24) Et les nations marcheront à sa lumière, [Phrase tirée d’Isaïe (cf. Is 60,3).  

Les deux luminaires, que nous venions d’évoquer, éclaireraient non seulement la Ville sainte, mais encore toutes les nations qui l’entouraient : les nations païennes.

Pour Isaïe, les païens, « les nations », représentaient les incirconcis. Mais pour nous ce seraient les non-baptisés : la foule innombrable de ceux qui seraient sauvés en dehors des voies normales, en dehors de l’Eglise et de ses sacrements. Ils auraient été illuminés, comme de l’extérieur, par l’éclat de la vérité du christianisme, à laquelle ils n’auraient pas adhéré formellement.

Car Dieu avait prémédité le salut de tous les hommes, même de ceux que la prédication apostolique n’aurait jamais atteints, ou qu’elle n’aurait atteints qu’imparfaitement. Peut-être seraient-ils plus nombreux que les baptisés mêmes : pour s’en convaincre, il suffisait de considérer l’était actuel de notre monde.  

Sans doute ces païens, dont parlait l’Apocalypse (cf. 22,2), ne seraient-ils pas citoyens de la Jérusalem céleste au même titre que nous. Car ainsi que l’avait dit le Christ à propos du « plus grand [...] parmi les enfants des femmes » : « le plus petit dans le Royaume de Dieu est plus grand que lui. » (Lc 7,28).

Le plus petit des baptisés serait plus grand que Jean-Baptiste.

Le privilège du baptême subsistait. Toutefois les non-baptisés jouiraient de la lumière de Dieu, qui était le Christ, et ils visiteraient librement la cité de Dieu, l’Eglise. ] et les rois de la terre lui apportent leur gloire. [Comme la reine de Saba venue admirer la sagesse de Salomon (cf. 1 R 10,1-13) et lui offrir les produits de l’Arabie.

Peut-être Jean évoquait-il ici, en filigrane, ces mystérieux mages d’orient venus apporter à l’enfant Jésus de l’or, de l’encens et de la myrrhe (cf. Mt 2,11).

Les chefs des nations païennes, même s’ils n’accédaient pas pleinement au mystère de l’Eglise, lui rendaient hommage comme au véritable sanctuaire de Dieu.

Des chefs d’Etat visitaient le pape, et lui envoyaient des ambassadeurs. Ils participaient indirectement de la lumière de l’Evangile, même s’ils ne se faisaient pas pour autant baptiser.]  (21,25) Et ses portes qu’elles ne soient pas fermées de jour ; de nuit en effet il n’y en aura plus. [La lumière du Soleil-Christ ne connaîtrait jamais d’éclipse, ni le jour ni la nuit, Dieu ayant entièrement chassé les ténèbres du mal (cf. 21,27).

On sait que la pensée de Jean s’organisait volontiers selon un mode binaire. On rencontrait souvent dans ses écrits (Apocalypse, évangile, épîtres) cette opposition entre le bien et le mal, le jour et la nuit, la lumière et les ténèbres, le Christ et l’Antéchrist…

Peut-être Jean avait-il hérité, à travers son maître Jean-Baptiste, de la tradition essénienne où cette phraséologie était récurrente.

Il était juste de noter pourtant que cette dialectique pouvait se repérer jusque dans la pensée grecque, en particulier chez les présocratiques.

Le combat entre le bien et le mal, le jour et la nuit, la lumière et les ténèbres était d’observation quotidienne. Il était normal qu’on retrouvât ce thème, peu ou prou, dans toutes les cultures. ] (21,26) On lui apportera la gloire et les richesses des nations. [Le second Isaïe, celui du retour d’exil, avait prononcé cet oracle dans une perspective déjà universaliste : il voyait la Jérusalem nouvelle ouverte à toutes les nations (cf. Is 60).] (21,27) Qu’il ne pénètre en elle rien de vulgaire, ni celui qui commet l’abomination ou le mensonge, seulement ceux qui sont inscrits dans le livre de la vie de l’Agneau. [Enseignement constant de l’Apocalypse (cf. 21,8) et, on pouvait le dire aussi, de toute la Bible.  

Les premiers, Adam et Eve, furent chassés du paradis à cause de leur désobéissance. Yahvé alors « posta devant le jardin d’Eden les chérubins et la flamme du glaive fulgurant pour garder le chemin de l’arbre de vie. » (Gn 3,24).

Désormais, dans l’éternité, la garde de ce glaive était baissée. Tous ceux qui se trouvaient inscrits dans le livre de la vie pouvaient pénétrer librement en Eden, et y consommer à satiété les fruits de l’arbre de la vie (cf. 22,2).]

(22,1) Et il me montra un fleuve d’eau vive, resplendissant comme du cristal, qui jaillissait du trône de Dieu et de l’Agneau. [Reprise évidente de la célèbre vision d’Ezéchiel (cf. Ez 47,1-12). Le prophète avait contemplé des eaux abondantes s’échappant du Temple de Yahvé ; elles allaient assainir la région du Jourdain et même les eaux de la mer morte.

Le IV e évangile nous en donnerait la preuve : dans le langage de Jean « fleuves d’eau vive » signifiait : « l’Esprit » (cf. Jn 7,38-39).

Le fleuve de l’Apocalypse jaillissait « du trône de Dieu et de l’Agneau », parce que l’Esprit Saint procédait à la fois de « Dieu » [le Père] et de « l’Agneau » [le Fils] ; le « trône » symbolisait la divinité commune du Père et du Fils.

On pouvait voir légitimement dans ce passage une attestation biblique de la doctrine de ce ‘Filioque’, ‘et du Fils’, que nous chantons dans notre credo des messes solennelles.   

 Ce mot fut ajouté, on le sait, du temps de Charlemagne et sous l’influence de la dogmatique mozarabe, au symbole de Nicée-Constantinople. Il fut finalement adopté par l’Eglise romaine, vers l’an mille.

L’Esprit ne pouvait que procéder du Père et du Fils, puisqu’il était à la fois l’Esprit du Père et du Fils (cf. Ga 4,6).] (22,2) Au milieu de sa place publique et du fleuve, d’ici à là,  un arbre de vie portant douze fruits, donnant son fruit chaque mois ; et les feuilles de l’arbre pour la guérison des  païens. [Ezéchiel avait vu pousser en abondance des arbres de vie au bord du grand fleuve issu du Temple (cf. Ez 47,12).

Ici l’Arbre de vie était seul ; mais il fructifiait douze fois par an, une fois par mois, pour nourrir à tour de rôle les douze tribus d’Israël.

Quant aux païens – les non-baptisés – ils n’auraient pas droit directement aux fruits. Mais ils pourraient goûter aux feuilles qui leur seraient salutaires. Elles remplaceraient pour eux les sacrements dont ils n’avaient pu bénéficier pendant leur vie terrestre.] (22,3) Et toute malédiction n’existera plus désormais. [Car la vision béatifique était inamissible. Les élus ne pourraient déchoir désormais de leur état définitif.] Et le trône de Dieu et de l’Agneau sera en elle ; et ses serviteurs l’adoreront ; [Une eucharistie éternelle se célébrerait dans la Jérusalem nouvelle. Non plus dans le Temple,  car il n’existerait plus (cf. 21,22), mais bel et bien sur la place publique qui était au milieu de la Ville. Le peuple entier y participerait comme célébrant.

Dieu seul ferait l’objet d’un culte.] (22,4) et ils verront sa face, et son nom sera sur leur front. [« Ils verront sa face » : précision capitale, qui ne pouvait s’appliquer qu’à l’Eglise triomphante.

Cette précision énonçait le bonheur suprême, et spécifique, des élus : la vision béatifique, la vision de Dieu face à face (cf. 1 Co 13,12 ; 1 Jn 3,2).

Tous les élus en jouiraient, même les non-baptisés ; tous les « serviteurs de Dieu » (cf. 22,3), même ceux qui n’auraient accès qu’aux feuilles, et non aux fruits, du festin messianique (cf. 22,2), tous, mais à des degrés bien divers, en proportion de leurs mérites (cf. 20,12).

Le nom de Yahvé serait gravé sur leur front, comme il était gravé autrefois  sur le front du grand prêtre de la religion juive (cf. Ex 28,36-38).

Le nom de Yahvé se lirait sur leur front, de même que le nom de Néron, le faux prophète, se lisait sur le front des païens (cf. 13,16-17).] (22,5) Et de nuit il n’y en aura plus ; et ils n’ont plus besoin de la lumière d’un flambeau, ni de la lumière du soleil, parce que le Seigneur Dieu les illuminera, et ils règneront dans les siècles des siècles. [Cette formule résonnait comme une conclusion liturgique.

Elle closait le VII e et dernier cycle. Elle closait l’immense vision de la Jérusalem céleste (cf. 21,1 --- 22,5). En définitive elle closait toutes les visions de l’Apocalypse. Il ne resterait plus à l’ange de 1,1 (celui qui avait ouvert le livre) qu’à nous délivrer ses recommandations finales (cf. 22,6-21).

On trouvait ici une nouvelle affirmation du dogme de l’éternité des joies du ciel. Cette affirmation faisait pendant à celle de 20,10 qui définissait le sort des réprouvés.

Recommandations finales : 22,6-21

(22,6) Et il me dit : « Ces paroles sont fidèles et vraies : Le Seigneur, le Dieu des esprits des prophètes, avait envoyé son ange pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt. [L’auteur reprenait ici les termes du prologue (cf. 1,1), ce qui formait inclusion.

L’Apocalypse qui s’était engagée, comme on l’avait vu, dans de multiples cycles : sept principaux, avec des cycles secondaires, bouclait ici sur elle-même comme un seul et immense cycle. 

Le prologue définissait l’objet du livre : « ce qui doit arriver bientôt. » (1,1) L’Apocalypse serait donc une prophétie, mettant en scène le destin futur de l’humanité. Mais conformément à une tradition, représentée par exemple par le prophète Daniel, l’auteur commençait par décrire en un  style de visionnaire, mêlé d’aperçus sur la parousie finale, des événements qui se situaient pour lui dans le présent, voire dans un passé révolu.

Après les lettres aux sept Eglises, ces Eglises qui étaient contemporaines de Jean et placées sous sa juridiction (cf. 1,4 --- 3,22), toute une partie du livre (de 4,1 à 13,18) évoquait en fait l’histoire de l’humanité depuis la création du monde jusqu’à Néron inclusivement (cf. 13,18), l’empereur actuellement régnant.

Dans une troisième partie (de 14,1 à 22,5) Jean plongeait hardiment ses regards dans l’avenir. Il annonçait d’abord la fin inéluctable de Rome et de son empire, en de multiples convulsions (cf. 14,1 --- 19,10), puis dans des perspectives encore plus lointaines (malgré la formule : « ce qui doit arriver bientôt ») le sort final de l’humanité et la parousie (cf. 19,11 --- 22,5).] (22,7) Voici que je viens vite. Bienheureux celui qui garde les paroles de la prophétie de ce livre. »] Cette notation confirmait que nous étions bien, depuis le verset 22,6, dans la conclusion du livre.

Non seulement l’Apocalypse (= révélation) était destinée à être décryptée (cf. 13,18 ; 17,9) et comprise, sinon à quoi servirait-elle ?... mais encore son message devait être conservé avec soin par l’auditeur, ou le lecteur, et longuement médité. ]    

(22,8) Et moi, Jean, qui entendais et voyais tout cela, [Nouvelle signature explicitement johannique, après 1,1.4.9.

La phrase elle-même était johannique ;  association typique des mots (ou des idées) : Jean, entendre, voir.

Confer par exemple :

Ap 1,1-3.9-11

Jn 1,35-38.40-42 ; 3,30-32

1 Jn 1,3

Le mot « Jean » (désignant le disciple) répété dans l’Apocalypse faisait sensiblement écho au mot « Jean » (désignant le Baptiste, le précurseur) si fréquemment repris dans les débuts du quatrième évangile.

Par ailleurs certains exégètes avaient soulevé le problème de savoir si les ‘visions’ ou ‘auditions’, dont Jean avait bénéficié, étaient de vraies ‘visions’ ou de vraies ‘auditions’, au sens physique. N’étaient-ce pas plutôt de simples fictions littéraires, dont l’auteur aurait emprunté le vocabulaire aux prophètes et autres livres de la Bible ?

Formulé en ces termes le problème semblait mal posé.

Il fallait se souvenir que les extases de Jean furent d’abord des visions, ou des auditions, « en esprit ». Jean le disait lui-même : « Je fus en esprit » (1,10). Visions, ou auditions, de réalités mystiques ; pures contemplations d’idées, ou d’êtres spirituels. Dans ces conditions, il paraissait bien normal que Jean eût puisé son imagerie, et sa symbolique, avant tout dans les livres inspirés de l’Ancien Testament, pour lui la Bible.] quand j’eus entendu et vu, je tombai aux pieds de l’ange pour l’adorer, lui qui m’avait montré tout cela. (22,9) Mais lui me dit : « Attention, n’en fais rien. [Encore la monition de 19,10.

Ni Jean ni nous-mêmes ne devions confondre l’envoyé de Dieu et Dieu lui-même, le messager et Celui qui l’envoyait.] je suis un serviteur avec toi et tes frères les prophètes, et ceux qui garderont les paroles de ce livre. Adore Dieu. »

(22,10) Et lui me dit : « Ne scelle pas les paroles de la prophétie de ce livre ; en effet le temps est proche ! [Le message de l’Apocalypse devait être ‘prophétisé’ (cf. 10,11) à l’adresse du monde entier.

Tel n’était pas le cas, souvenons-nous, du « tout petit livre », cette épure du IV e évangile dont on nous avait parlé en 10,2 et 10, 8-10, qui ne devait être ni mis par écrit ni publié. Il le serait seulement après la ruine de Jérusalem et vers la fin du Ier siècle.

L’Apocalypse, elle, devait être immédiatement expédiée aux sept Eglises d’Asie, afin de réconforter les fidèles dans  ces temps de persécution, et pour leur en dévoiler le sens, de la part de Dieu.

On avait ici, en quelque sorte, la formule d’envoi du livre.] (22,11) Que l’injuste commette encore l’injustice, que le souillé  se souille encore, que le juste fasse encore ce qui est juste et que le saint se sanctifie encore. [Nous voici loin maintenant de la vision de la Jérusalem d’en haut. Nous étions bel et bien revenus dans le temps présent.

Le pécheur devait pécher encore, car la mesure du péché prévue en 14,20 n’avait pas encore atteint son comble.

Le saint devait se sanctifier encore car la Cité céleste n’était pas encore parvenue aux dimensions : longueur, largeur et hauteur, aperçues en 21,16 et prédestinées de toute éternité.

Ne subodorons pas là une pensée fataliste, que le verset suivant démentirait formellement. Seule était en jeu le libre exercice de la volonté humaine. Dieu prévoyait le mal sans le vouloir. Le prophète Jean participait de cette prévision.

Quant au bien, il était voulu par Dieu de toute éternité dans ce sens que toutes nos bonnes actions, même les plus libres, devaient s’entendre comme des dons gratuits de Dieu.]

(22,12) Voici que je viens vite, et j’apporte mon salaire avec moi, afin que je rende à chacun selon son œuvre. [Réaffirmation du principe de la rétribution individuelle. Principe bien dégagé dans la Bible depuis, par exemple, la rédaction du Deutéronome (Cf. Dt 24,16).

La formule tirée du psautier (cf. Ps 62,13) résumait à merveille l’enseignement moral qu’avait voulu inculquer l’Apocalypse (cf. 2,23), en parfaite consonance d’ailleurs avec l’Evangile (cf. Mt 16,27).] (22,13) Moi l’Alpha et l’Oméga, le premier et le dernier, le principe et la fin. [Jean reprenait ici l’expression dont il était probablement l’auteur : « Moi, l’Alpha et l’Oméga » (cf. 1,8 ; 21,6). Il la complétait en citant les mots du prophète Isaïe dont elle s’inspirait ; « le premier et le dernier. » (cf. Is 41,4 ; 44,6 ; 48,12).] (22,14) Bienheureux ceux qui lavent leur robe afin qu’ils aient pouvoir sur l’arbre de la vie, et qu’ils entrent par les portes dans la cité.

[Heureux les pécheurs qui faisaient pénitence. Ils pourraient eux aussi jouir de la vision entrevue en 21,1 --- 22,5 : celle de la Jérusalem céleste, avec le bon Dieu en elle.

Heureux ceux qui se convertissaient par les eaux du baptême, par les eaux (ou les larmes) de la pénitence, mais aussi par les eaux de la contrition du cœur. Ils participeraient, du dedans ou du dehors, à l’eucharistie éternelle ; ils habiteraient (comme citoyens ou comme simples invités) l’Eglise de Dieu.

« Bienheureux ceux qui lavent… » : Nous trouvions là la dernière des sept béatitudes qui parsemaient le texte de l’Apocalypse, faisant ressortir l’unité du livre.] (22,15) Dehors les chiens, les empoisonneurs, les immondes, les meurtriers et les idolâtres, ainsi que tous ceux qui aiment et font le mensonge ! [Reprise de l’énumération de 21,8.

Avec le verset précédent, ce verset 22,15 formait une antithèse voulue : une malédiction suivait une béatitude. L’antithèse ressortait de cette dialectique sous-jacente : celle de l’opposition entre le Bien et le Mal, la lumière et les ténèbres,  qui irriguait d’une façon générale tous les écrits johanniques.]

(22,16) Moi, Jésus, j’envoyai mon ange témoigner pour vous de ces choses, auprès des Eglises. [Nous entrions dans les souscriptions du livre.

Chacun des auteurs allait signer tour à tour : Jésus, puis l’Esprit, puis l’Epouse, puis Jean lui-même.

Au début de l’Apocalypse (cf. 1,1), c’était Dieu qui dépêchait son ange, pour faire connaître la révélation à Jean.

Ici c’était Jésus qui mandatait l’ange pour que la révélation fût monnayée aux sept Eglises. ] Moi, je suis le rejeton de la race de David, [Même dans le IV e évangile, qui pourtant n’incluait pas de récit des enfances du Christ, nous trouvions incidemment cette affirmation que Jésus était le fils de David : « L’Ecriture ne dit-elle pas que c’est de la descendance de David et du bourg des Bethléem que le Christ doit venir ? » (Jn 7,42).  

L’Apocalypse, quant à elle, donnait ce titre à Jésus dès le verset 5,5.

Jésus était bel et bien l’héritier authentique des rois d’Israël, légalement d’abord par son père putatif, Joseph (cf. Mt 1,1-16). Pour autant ce n’était pas par Joseph que Jésus pouvait être dit « le rejeton de la race de David », il le pouvait seulement par sa mère, Marie, descendante de David par Nathan (cf. Lc 3,23-31 ; Rm 1,3 ; Ga 4,4).

Les rois de Juda, qui étaient les descendants de David par Salomon, et donc Joseph lui-même, avaient été rejetés explicitement de l’ascendance messianique par le prophète (cf. Jr 22,24-30 ; 36,30-31).

Saint Irénée, Père de l’Eglise, soulignait cette exclusion avec force dans son Adversus Haereses (cf. Adv.Haer. III, 21, 9).  

Jésus avait assumé pleinement sa nation, et son histoire, par l’intermédiaire de Joseph. Mais il bénéficiait, par Marie, des promesses messianiques ; par elle, il était devenu charnellement le « Fils de David » (cf. 2 S 7,12-16 ; 23,5).] l’étoile radieuse du matin. » [Cette étoile annonçait l’aube du grand jour : celui de la résurrection. Selon saint Pierre, cette étoile était le Christ même ; elle se levait d’abord dans les cœurs. (cf. 2 P 1,19).

Dans sa fonction d’étoile du matin, Jésus supplantait Satan, qui lui fut déchu de son rang céleste (cf. Is 14,12).] (22,17) L’Esprit et l’épouse disent : « Viens ! ». [L’Esprit et l’épouse était à leur poste depuis l’aube des temps messianiques : depuis le jour de la Pentecôte (cf. Ac 2,4). Tous deux attendaient avec impatience le retour du Christ ressuscité et monté au ciel (cf. Ac 1,11).

L’Esprit et l’Eglise (cf. Ac 2,1), l’Esprit et Marie (cf. Ac 1,14), attendaient l’Epoux céleste.] Et celui qui écoute, qu’il dise : « Viens ! » [Il ne suffisait pas d’écouter, il fallait aussi prier avec persévérance.

Ce « Viens ! » était le marana tha de la première communauté chrétienne, celle de Palestine. Saint Paul nous l’avait transmis dans sa langue originale (cf. 1 Co 16,22).

Toute la vie chrétienne, depuis l’Ascension jusqu’à la parousie, se résumait dans cette attente, qui n’était certes pas une attente inactive (cf. Ac 1,11).

Déjà la vie juive avait pu se définir comme une attente aimante du Messie (cf. le psaume 45).] Celui qui a soif, qu’il vienne ; celui qui veut, qu’il prenne de l’eau de la vie, gratuitement. [Malgré tous ses efforts, l’homme ne saurait par lui-même mériter le ciel. Mais il se devait de le désirer, de le demander et, gratuitement, de le recevoir.] (22,18) Je témoigne, moi, à tous ceux qui écoutent [Jean signait à son tour. Curieusement, il se contentait d’un « moi », sans se nommer. Mais ce « moi » était sans ambiguïté : il s’identifiait au « Jean » de 1,9 et de 22,8.

« Tous ceux qui écoutent » et, sous-entendu, mettent en pratique. Jean rappelait une dernière fois que la vie de grâce devait être active.] les paroles prophétiques de ce livre : [L’Apocalypse toute entière relevait du genre prophétique, même si comme on l’a dit plusieurs fois toute l’histoire humaine y était évoquée, depuis son début.

Car toute l’histoire humaine, en définitive, relevait de l’eschatologie : le jugement s’opérait dès ici-bas.] Si quelqu’un ajoutait à ces paroles, Dieu lui ajouterait les plaies décrites dans ce livre ; (22,19) et si quelqu’un retranchait aux paroles du livre de cette prophétie, Dieu le retrancherait [Il fallait espérer que nous n’avions nous-mêmes ni surcharger ni enlever. Nous tomberions de ce fait sous le coup des monitions de Jean.

Nous avions simplement prétendu commenter, avec intelligence espérons-le, comme l’auteur nous en donnait plusieurs fois la consigne (cf. 13,18 ; 17,9).

Par trois fois cependant, nous nous étions permis de corriger légèrement le texte reçu. Nous ne tentions pas (à Dieu ne plaise…) de corriger l’Apocalypse, mais seulement de retrouver le texte authentique. On savait en effet que l’Apocalypse, qui usait d’une grammaire et d’un vocabulaire assez spéciaux, était l’un des livres du Nouveau Testament dont la transmission jusqu’à nous avait le plus souffert.

Récapitulons brièvement ces trois corrections :

- En 11,8 nous avions lu ‘hopôs’ (de la même manière que) au lieu de ‘hopou’ (là où).

- En 12,18 nous avions lu : ‘estathên’ (je me tins) au lieu de : ‘estathê’ (il se tint).

- En 18,17 nous avions lu : ‘ponton’ (la haute mer) au lieu de ‘topon’ (le lieu).  

Une fois ces corrections apportées, et justifiées, le texte de l’Apocalypse devenait d’une lisibilité plus grande. Sans elles, il restait assez obscur.

Notons que les menaces de Jean visaient avant tout les copistes, souvent indélicats, de l’antiquité. Ils avaient la fâcheuse tendance de modifier, ou même de s’approprier, les textes originaux.] de l’arbre de la vie et de la cité sainte [C’était dire : de Jésus-Christ et de l’Eglise.

Au jardin d’Eden, Dieu avait planté un arbre de vie, tout à côté de l’arbre de la connaissance du bien et du mal (cf. Gn 2,9). Il avait donc laissé croître ensemble, à la portée de l’homme, le principe de vie et, si l’on abusait, le principe de mort, le principe du bien et ce qui devenait le principe du mal, Jésus-Christ et Satan.

Bien entendu du premier arbre découlaient la grâce et l’immortalité ; tandis que le second arbre incarnait l’origine du péché et de la mort, la mort non seulement physique (cf. Gn 3,19) mais encore spirituelle (cf. Gn 3,3), sauf possibilité de rachat, par le travail et dans la douleur (cf. Gn 3,16-19).

L’interdiction portée par Dieu de consommer des fruits ne visait que l’arbre du péché, celui qui concédait à l’homme la connaissance du bien et du mal au prix de l’innocence originelle (cf. Gn 3,11).

Malheureusement, à l’instigation d’Eve, Adam avait voulu goûter du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, c’était dire qu’il avait commis le péché. Tous les deux, Eve et Adam, considérés comme complices, furent alors chassés du paradis, c’était dire de l’Eglise. Ils se voyaient excommuniés, de peur qu’ils n’approchassent de la Sainte Table et ne consommassent des fruits de l’Arbre de la vie, qui était Jésus-Christ ; cet Arbre qui procurait l’immortalité.

Ce serait seulement après la mort du Christ sur la croix (devenue à son tour arbre de vie !) que l’homme, restauré en grâce, pourrait de nouveau accéder au paradis. « Dès aujourd’hui [disait le Christ au bon larron] tu seras avec moi dans le paradis. » (Lc 23,43). Dès aujourd’hui vendredi, sans même attendre le dimanche de la Résurrection.

Sur la croix, et seulement sur la croix, la descendance d’Eve avait écrasé la tête du serpent ; lequel serpent ne s’était pas fait faute de la mordre au talon, le talon de son humanité (cf. Gn 3,15).

En traversant les fleuves de la pénitence avec Jean-Baptiste, ou les fleuves du baptême trinitaire avec Jésus-Christ, l’humanité réconciliée pouvait à nouveau reprendre pied sur l’île d’Eden (cf. Gn 2,10). Elle pouvait à nouveau consommer les fruits de l’arbre de la vie, participer à l’eucharistie.

Toutefois, ici-bas, nous ne pénétrions dans le paradis qu’en espérance, et sous la forme du sacrement. Ce serait seulement après leur propre mort, individuelle, et après la parousie, collective, que les hommes prendraient possession définitive du nouvel Eden, et de la Cité radieuse. Eden et Cité que les derniers chapitres de l’Apocalypse avaient livrés d’avance à notre contemplation (cf. 21,1 --- 22,5). Dès lors ce serait le ciel sur la terre (cf. 21,1)…] qui sont décrits dans ce livre.

(22,20) Il me dit, celui qui attestait ces choses : « Oui, je viens bientôt. » - « Amen, viens Seigneur Jésus ! »

(22,21) La grâce du Seigneur Jésus soit avec tous. »

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Note terminale

Le plan de l’Apocalypse que nous avons proposé (cf. Note 35) était dû à Alfred Läpple (l’Apocalypse de Jean, 1966). L’idée même d’un plan septénaire de l’Apocalypse remontait au Vénérable Bède (v. 672 – 735).

La thèse qui voulait que l’Apocalypse fût écrite sous Néron, et que Néron fût bien le sixième César vivant, visé en 17,10, était d’Aubert de Versé (La clef de l’Apocalypse, 1703).

Le Père Mariana, jésuite espagnol du XVIIe siècle, eut l’intuition de reconnaître Pierre et Paul sous la figure des deux témoins et des deux oliviers de 11,1-13 (Scholia in Vet. et Nov. Test., 1624).

C’était aux allemands Fritzche (1831), Benary (1836), Hitzig (1837) et Reuss (1837) qu’on devait, indépendamment l’un de l’autre, le décryptage du chiffre de la Bête donné au verset 13,18. Soit 666 = Néron César en lettres hébraïques (NRWN QSR).

Le mérite du présent travail, s’il fallait lui en reconnaître un, était de regrouper toutes ces hypothèses en un tout cohérent. Il s’avérait en effet qu’elles étaient largement convergentes.

Les principales idées originales avancées par nous seraient, sauf erreur ou omission, les suivantes :

 - Le plan de l’Apocalypse (comme d’ailleurs celui du IV e évangile) était balisé par des mots-charnières assez évidents (sauf peut-être dans le VI e cycle) qu’il s’agissait de dégager. (Voir le plan, Note 35).

- Sous la parabole du jugement dernier, l’Apocalypse décrivait en réalité toute l’aventure humaine : le présent (cf. 1,4 --- 3,22), le passé (cf. 4,1 --- 13,18), l’avenir (cf. 14,1 --- 22,5).

- Le verset 13,18 représentait le pivot du livre. Il se situait au centre logique, absolu, de l’Apocalypse : à la fin de la 4 e section sur 7, du 4 e cycle sur 7, (voir le plan). Il contenait le chiffre de l’Antéchrist et par conséquent, pour celui qui parvenait à le décrypter, la clef interprétative du livre. De plus, en ce verset, apparaissait le point de basculement de la prophétie : de l’évocation du passé, lointain ou récent, nous passions brusquement à la perspective du futur, proche ou très éloigné. Ce phénomène de transition inopinée, d’un passé bien connu au futur seulement deviné, s’observait aussi dans d’autres prophètes, par exemple chez Daniel, l’un des modèles principaux de Jean. (Chez Daniel, le point de basculement dans la grande vision de 10 --- 12 se plaçait précisément au verset 11,40).

- Les lettres aux Sept Eglises (cf. 1,4 --- 3,22) décrivaient l’état des Eglises, non pas telles qu’elles étaient sous la persécution (hypothétique) de Domitien, mais bien telles qu’elles étaient sous la persécution de Néron (64 à 68). Cette hypothèse serait peut-être celle qui heurterait le plus le sentiment commun des exégètes, ou des historiens du christianisme primitif, tant ils étaient persuadés que l’Apocalypse ne pouvait dater, au plutôt, que de la fin du premier siècle de notre ère. Mais, à notre avis, c’était là une erreur rédhibitoire.

- Les Sept sceaux (cf. 4,1 --- 8,1) évoquaient rétrospectivement le passé de l’humanité, depuis l’origine.

- Les Sept trompettes (cf. 8,2 --- 11,19) annonçaient aux contemporains de Jean l’imminence du jugement : c’était le passé récent de l’histoire, profane ou religieuse, qui était ici suggéré ; le martyre de Pierre et de Paul, en tant qu’il appartenait déjà au passé, venait s’y insérer.

- Le tout petit livre (biblaridion) de 10,2 et 10,9, le livre (biblion) de 10,8, n’étaient autre que notre IV e évangile, révélé à Jean dans sa teneur essentielle, mais non encore rédigé. Il ne devait être écrit, puis publié, que vers la fin du premier siècle de notre ère.

- Les sept tonnerres (ou révélations) de 10,3 n’étaient autres que les sept futurs chapitres prévus de ce petit livre. Le IV e évangile en effet, compte non tenu du prologue (cf. Jn 1,1-18) et de l’appendice (cf. Jn 21) se laisserait subdiviser très naturellement en sept semaines, ou fêtes juives, divisées elles-mêmes en journées, le tout balisé par des mots-charnières de la même manière que l’Apocalypse. (Voir sur ce site : Le petit livre et les sept tonnerres). Les mots-charnières du IV e évangile seraient avant tout des indications chronologiques.

- Au verset 11,8 un accident de transmission du texte s’était très certainement produit. Bien qu’aucun manuscrit n’offrît cette variante nous proposions de lire : hopôs (de la même manière que) à la place de : hopou (là où).

- Les versets 11,8-9 nous révélaient un détail historique, inconnu de la grande histoire : les cadavres des apôtres Pierre et Paul, après leur martyre, restèrent exposés pendant trois jours et demi sur une place publique de Rome et livrés à la vindicte populaire, avant d’être rendus aux chrétiens pour qu’on  les inhumât.

- Avec l’allégorie de la Femme et de son combat avec le dragon (cf. 12,1-17) nous revenions un peu en arrière : léger procédé de flash-back. Les débuts de la rédemption du monde, et du christianisme, étaient repris à grands traits.

- La Femme de 12,1-17 ne pouvait être l’Eglise. L’Eglise en effet ne se réfugiait pas au désert. Elle s’implantait en priorité dans les villes, qui sont l’antitype du désert (cf. les lettres aux sept Eglises : 1,4 --- 3,22).

Cette Femme était Marie, la mère du Messie (cf. 12,5).

J’ai bien conscience que cette opinion allait à l’encontre du sentiment de la majorité des exégètes, et même des Pères de l’Eglise. Mais à ma décharge je pouvais signaler que le nouveau Catéchisme de l’Eglise catholique (n° 2853) suggérait nettement que la Femme de l’Apocalypse était Marie.

- Le grand aigle de 12,14 n’était autre que saint Jean. Sur la croix, le Christ lui avait confié sa mère (cf. Jn 19,27). Ici, Jean mettait cette consigne à exécution en sauvant Marie des poursuites du pouvoir politique romain.

- L’apparence d’agneau, « comme un agneau », du verset 13,11, faisait allusion au quinquennium de Néron : les débuts prometteurs de son principat. Les deux cornes de l’agneau (ce faux agneau pascal) figuraient les deux précepteurs, ou modérateurs de Néron : Burrus et Sénèque.

- Les prodiges étonnants et les sortilèges des versets 13,13-17 faisaient référence à l’activité histrionique de Néron, dont certains aspects nous demeuraient sans doute inconnus.

- Quant aux sept fléaux des sept coupes (cf. 15,1 --- 16,21), ils présageaient les calamités prochaines (au temps où Jean écrivait) qui n’allaient pas manquer d’accabler l’empire coupable, et particulièrement le trône de César (cf. 16,10).

- La description de la prostituée fameuse (Babylone = Rome) des versets 17,1-7 empruntait certains de ses traits aux portraits de femmes célèbres qui avaient, il y avait peu, défrayé la chronique romaine : Messaline, Poppée…

- La Bête du verset 17,8 qui mourait et ressuscitait, à l’imitation du Christ, n’était autre que Jules César assassiné en – 44 ; mais qui ressuscitait en les personnes de ses successeurs les empereurs romains, qui arboraient son nom.

- La Bête du verset 17,11, « elle-même est le huitième ; elle appartient aux sept », était toujours le même César. Le huitième empereur porterait toujours le nom de César, l’un des sept et même le premier d’entre eux.

- Les dix rois du verset 17,12 ne figuraient en aucune façon une coalition des nations satellites de Rome, mais bien au contraire la succession des futurs empereurs romains qui, dans un avenir indéterminé, « reçoivent le pouvoir comme rois pour une heure avec la bête. » Leur nombre était approximatif : toute une dynastie. Ce point était essentiel pour bien entendre l’Apocalypse.

- Le châtiment de Babylone (= Rome) de 17,1 --- 19,10 envisageait la ruine de Rome en tant qu’empire païen. Sa chute était prévue comme inéluctable, mais après bien des péripéties.

- Le millénium de 20,1-6 symbolisait la durée approximative d’un temps de chrétienté : la distance qui séparait l’effondrement de Rome en tant qu’empire païen (cf. 18,21) de l’ultime combat, celui d’Harmagedôn, de 20,7-10.

- La première résurrection de 20,5 représentait l’entrée au ciel des premiers saints, les élus privilégiés, canonisés ou non, connus ou inconnus.

- Le dernier combat eschatologique narré en 20,7-10 recouvrait une durée de temps indéterminée, peut-être fort longue.

- La recommandation finale de 22,10 : « Ne scelle pas les paroles de la prophétie de ce livre » équivalait à un ordre de publication immédiate. Composée sous Néron (cf. 17,10), l’Apocalypse devait être aussitôt expédiée à ses destinataires : les sept Eglises, et par delà elles toutes les Eglises.

Quand Jean, bien plus tard, à la fin de sa carrière, écrirait ses épîtres, l’Apocalypse ne pourrait plus être rattrapée. C’était pourquoi, à ce moment-là, il déclarerait que l’Antéchrist était déjà venu (cf. 1 Jn 2,22 ; 4,3 ; 2 Jn 7). Celui-là même que Paul avait prophétisé en 2 Th 2,3-12, en un sens était déjà venu.

- L’aphorisme de 22,16 : « Moi, je suis le rejeton de la race de David » ne se rapportait pas à la généalogie légale de Jésus conservée par saint Matthieu (cf. Mt 1,1-17), mais bel et bien à la généalogie réelle, biologique, de Jésus qui passait par Marie et qui remontait par Nathan au roi David. C’était celle qu’on trouvait dans saint Luc (cf. Lc 3,23-38). C’était bien ainsi d’ailleurs que saint Paul entendait la filiation davidique de Jésus (cf. Rm 1,3 ; Ga 4,4).

- La monition de 22,18-19 s’adressait avant tout aux copistes de l’antiquité qui ne respectaient guère les textes originaux.

                       Nantes, le 31 janvier 2005.

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