L’Apocalypse de Jean, ou les sept mini-apocalypses
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Préambule
Voilà bien l’un des livres du Nouveau Testament non seulement des plus mystérieux, mais encore des plus mal compris qui soit, à cause d’une hypothèse fausse qui a prévalu, de façon très ancienne, incoercible et quasi indéracinable sur sa genèse interne et sur sa datation. Saint Augustin lui-même avouait qu’il n’entendait pas grand-chose à la lecture de ce livre : ce qui dénote chez lui une grande humilité !
Sur la foi d’un passage mal interprété de saint Irénée, on la date communément de la fin du premier siècle de notre ère, et on la fait contemporaine de la soi-disant persécution de Domitien (on prouve la persécution de Domitien par l’Apocalypse, et ensuite on décèle en elle quantité de références à cette persécution, ce qui représente un beau cercle vicieux !). Etant donné qu’elle figure en dernier dans le corpus néotestamentaire, on voudrait absolument, mais sans aucune preuve, qu’elle fût le dernier écrit composé de ce corpus.
Tout cela a pour effet de la rendre quasiment incompréhensible, car les nombreuses allusions qu’elle faisait aux événements contemporains s’en trouvent déformées et rendues inopérantes.
Je ferai remarquer, en guise de préalable, que l’Apocalypse elle-même, quoique employant un langage volontiers hermétique, j’irai jusqu’à dire un langage codé, ne désirait pas du tout rester incomprise ; elle n’essayait pas de poser à ses lecteurs une énigme indéchiffrable. A plusieurs reprises elle émettait ce souhait : « C’est ici qu’il faut de la finesse ! Que l’homme d’esprit calcule… » (Ap 13,18). « C’est ici qu’il faut un esprit doué de finesse ! … » (Ap 17,9).
Argument
Comment l’Apocalypse de saint Jean était contemporaine du principat de César Néron, et comment elle se développait selon sept cycles, ou « mini-apocalypses », ou révélations successives.
L’Apocalypse de Jean, ou les sept mini-apocalypses
« Apocalypse de Jean », tel est le titre exact de ce petit livre, qu’on appelle plutôt, en abrégé, l’ « Apocalypse ». Le titre était de la main de l’auteur, et non rajouté, car la première phrase du texte suppose sa présence : « Révélation de Jésus-Christ : Dieu la lui donna … » lui, c’est-à-dire Jean, cité dans le titre.
Etymologiquement, on le sait, le mot « apocalypse » signifie : enlèvement du voile, révélation, ouverture du calice de la fleur. Ce qui était caché, secret, vient au jour.
On admet d’une façon générale que le genre littéraire, dit apocalyptique, s’était développé dans les milieux juifs sur une période allant de 200 ans, environ, avant notre ère, jusqu’à 150 après le début de notre ère.
Déjà le livre de I Hénoch, cité dans le Nouveau Testament (cf. Jude 14-15), relevait de cette formule. Il se concluait par ces mots : « Ici s’achève la vision apocalyptique d’Hénoch. » (I Hénoch 108,15). On date habituellement le livre de I Hénoch, du moins dans certaines de ses parties, des débuts de la révolte maccabéenne : vers 167 av. J.C.
Le livre du prophète Daniel était, pour une grande part, une apocalypse. Il devait avoir une grande influence littéraire sur la composition de l’Apocalypse de Jean. On le date, lui aussi, des débuts de l’insurrection des Maccabées.
De même le « Règlement de la guerre » trouvé à Qoumrân, qui décrivait par avance le combat des fils de lumière contre les fils des ténèbres, était une œuvre d’inspiration apocalyptique. Il commençait par ces mots : « Pour l’homme intelligent. Règlement de la guerre. Début. La conquête des fils de lumière sera entreprise en premier lieu contre le lot des fils de ténèbres, contre l’armée de Bélial … ». L’intelligence, la lumière, les ténèbres, le combat, voilà en peu de mots bien des thèmes qui seraient repris avec insistance dans tous les écrits johanniques.
Les « Testaments des douze patriarches », par leurs prédictions messianiques, rejoignaient aussi le genre apocalyptique. On les date approximativement des débuts du règne d’Hérode.
Le IV e livre d’Esdras, également, pouvait être défini comme une brillante apocalypse. En une série de visions, réparties, elles aussi, en sept chapitres, comme on pourrait le dire de l’Apocalypse de Jean, elles prophétisaient l’avenir. On attribue communément IV Esdras au premier siècle de notre ère. Mais il était sans doute bien plus ancien.
Le genre apocalyptique ne fut qu’une continuation, ou un développement, du genre prophétique d’autrefois, celui des Ezéchiel, Jérémie, Isaïe, Amos …
L’auteur d’une apocalypse prétendait nous faire accéder aux réalités célestes, ou spirituelles, grâce à des visions décrites en termes somptueux et souvent hétéroclites. Il prétendait nous donner accès à l’avenir, ou à la fin des temps – et, en ce sens-là, on parlerait plutôt de littérature eschatologique.
Mais plus d’une fois l’avenir n’était que du passé, raconté rétrospectivement, et placé par fiction, ou pseudépigraphie, sous la plume, ou le stylet, d’un personnage ancien, et quasi « mythique », ou plus exactement légendaire : l’Esdras de l’époque du retour d’exil, le Daniel du temps de Nabuchodonosor, mais aussi Elie, ou Moïse, ou les patriarches, ou Abraham, ou Mathusalem, ou encore Hénoch.
Il arrive qu’on constate dans un même écrit le passage subtil, et quasi imperceptible, du passé et du présent, qui étaient connus de l’auteur réel et qui se laissent discerner par la précision de leurs allusions historiques, au futur encore inconnu et désormais narré en termes plus grandioses et plus généraux.
Il est patent, par exemple, qu’à partir de Dn 11,40 l’auteur du livre de Daniel, après avoir dépeint la persécution d’Antiochus Epiphane qu’il avait sous les yeux, évoquait l’avenir qu’il espérait et qu’il n’apercevait qu’en visions.
De même, dans l’Apocalypse de Jean, on décèlera, ou croira déceler, cette transition insensible du passé, ancien ou très récent, mais très connu, au futur seulement prophétisé : à partir de Ap 14,1.
L’Apocalypse de Jean est le seul écrit de ce type, admis dans le Canon du Nouveau Testament. Cependant, on relève dans les évangiles synoptiques bien des pages qu’on pourrait qualifier d’apocalyptiques. Citons seulement : Mt 24 --- 25 ; Mc 13 ; Lc 21,5-36.
Certes l’Apocalypse clôt nos bibles. Il s’en faut pourtant, d’un point de vue chronologique, qu’elle soit le dernier écrit de notre Nouveau Testament. Elle était même plus ancienne que les évangiles, tout au moins le quatrième, puisqu’elle fut rédigée, selon toute vraisemblance interne, sous le règne de Néron, donc avant la ruine de Jérusalem et du Temple.
Comme on le verra longuement, elle se laisse décomposer en sept cycles, ou encore sept mini-apocalypses.
On l’a souvent dit, l’apocalypse est un livre à clef. Mais cette clef a été perdue très tôt, dès l’époque des Pères de l’Eglise. C’est ce qui a rendu cet écrit énigmatique. Déjà saint Irénée (Adv. Hae V, 30,3) avouait ne pas connaître quel était le nom de l’Antéchrist qui se cachait sous le chiffre 666, donné au verset 13,18 (dans notre manière moderne de diviser l’Apocalypse).
Sur la foi de ce même passage de saint Irénée, d’ailleurs mal entendu, on a toujours daté l’Apocalypse, et jusqu’aux exégètes modernes, de la fin du premier siècle de l’ère chrétienne, sous Domitien. Ce qui eut pour effet de la rendre incompréhensible, car elle ne correspondait pas du tout à ce contexte historique.
Mais cette clef, perdue, a été retrouvée par l’effort, constant, de toute une succession d’exégètes. D’ailleurs l’auteur lui-même, ainsi qu’on l’a dit, nous invitait avec insistance à le faire : cf. 13,18 ; 17,9 ; … Comme tous les livres inspirés, l’Apocalypse a été composée pour notre instruction, pour être étudiée et comprise, et non pas pour nous poser un problème insoluble. Replacée dans son cadre historique, celui de la persécution de Néron, elle recouvre toute son intelligibilité, qu’elle n’aurait jamais dû perdre.
Dans les commentaires qui suivront, on ne cherchera pas la nouveauté à tout prix. Bien au contraire, on s’efforcera d’utiliser au maximum les travaux de nos devanciers, et même de les prolonger …
On évitera très soigneusement les interprétations ésotériques, qui défigurent ce livre, voire tendent à le disqualifier.
On soulignera sa profonde cohérence interne, de même que sa concordance avec les autres écrits du Nouveau Testament, spécialement les autres écrits johanniques.
On tâchera de l’interpréter en Eglise.
Le lecteur trouvera ci-après :
- d’abord le plan de l’Apocalypse, d’après Alfred Läpple (L’Apocalypse de Jean, 1966), qui lui-même s’était inspiré des travaux du Père Loenertz (The Apocalypse of St John, Londres, 1947) et de E. Lohmeyer (Die Offenbarung des Johannes, Tübingen, 1926);
- un canevas de l’Apocalypse, c’est-à-dire une esquisse telle que l’auteur lui-même aurait pu la tracer (pensons-nous) ;
- suivi d’un essai de récapitulation, encore plus général et sommaire, du sens qu’on croit devoir attribuer à ce petit livre, si dense par son contenu ;
- on envisagera, après, plus en détail le problème de la datation de l’Apocalypse ;
- on proposera, ensuite, un tableau synoptique au moyen duquel on essayera de montrer le parallélisme, ou la similitude de forme, qui existent entre les six derniers cycles, ou, comme nous disons, mini-apocalypses, de ce livre qui en compte au total sept ;
- après un tableau statistique récapitulant les nombres utilisés dans l’Apocalypse ;
- on s’efforcera d’en élucider la signification globale ;
- mais c’est seulement dans les annotations données versets par versets, et quelques fois mots par mots, qu’on pourra exposer en détail le sens historique ou théologique ou prophétique qu’on croit devoir reconnaître à ce dernier (par la place) livre inspiré de nos bibles. (Voir Notes exégétiques : 41 à 47, ci-après).
Il est évident qu’on doit beaucoup au livre du Père Allo (Saint Jean, l’Apocalypse, 1933), ainsi qu’à la Bible de Jérusalem (première version) dont on emprunte en principe la traduction.
I.) Plan septénaire de l’Apocalypse
C’est paraît-il le Vénérable Bède qui aurait eu le premier l’idée d’un plan septénaire de l’Apocalypse. Mais cette idée a été reprise et précisée par toute une série d’exégètes.
Nous ne ferons nous-mêmes qu’essayer de compléter l’œuvre de nos devanciers, en dégageant les mots-charnières qui délimitent nettement (la plupart du temps) les différentes sections, ou parties, du livre.
Plan septénaire de l'Apocalypse
(D’après Alfred Läpple)
|
Mots- charnières |
Prologue |
1,1-3 |
Apocalypse |
I. Les 7 lettres aux 7 Eglises |
1,4 --- 3,22 |
Adresse Vision liminaire 1 - Lettre à l'Eglise d'Ephèse 2 - Lettre à l'Eglise de Smyrne 3 - Lettre à l'Eglise de Pergame 4 - Lettre à l'Eglise de Thyatire 5 - Lettre à l'Eglise de Sardes 6 - Lettre à l'Eglise de Philadelphie 7 - Lettre à l'Eglise de Laodicée |
1,4-8 1,9-20 2,1-7 2,8-11 2,12-17 2,18-29 3,1-6 3,7-13 3,14-22 |
Jean aux 7 Eglises Moi, Jean à l'ange à l'ange à l'ange à l'ange à l'ange à l'ange à l'ange |
II. Les 7 sceaux |
4,1 --- 8,1 |
Vision liminaire 1. Le premier sceau 2. Le deuxième sceau 3. Le troisième sceau 4. Le quatrième sceau 5. Le cinquième sceau 6. Le sixième sceau Vision intermédiaire 7. Le septième sceau |
4,1 --- 5,14 6,1-2 6,3-4 6,5-6 6,7-8 6,9-11 6,12-17 7,1-17 8,1 |
Après cela, je vis premier deuxième troisième quatrième cinquième sixième après cela, je vis septième |
III. Les 7 trompettes |
8,2 --- 11,19 |
Vision liminaire 1. La première trompette 2. La deuxième trompette 3. La troisième trompette 4. La quatrième trompette 5. La cinquième trompette et le 1er malheur 6. La sixième trompette et le 2e malheur Excursus 1 : Les 7 tonnerres Excursus 2 : Le petit livre Excursus 3 : Les deux témoins 7. La septième trompette et le 3e malheur |
8,2-5 8,6-7 8,8-9 8,10-11 8,12-13 9,1-12 9,13-21 10,1-7 10,8-11 11,1-14 11,15-19 |
Et je vis première deuxième troisième quatrième cinquième sixième et je vis et la voix et il me fut donné septième |
IV . Les 7 visions de la Femme et de son combat avec le dragon |
12,1 --- 14,20 |
1. Vision de la Femme 2. Vision du dragon 3. Vision de la bête 4. Vision de l'autre bête 5. Vision de l'Agneau 6. Vision des trois anges 7. Vision du Fils de l'homme et la moisson par 3 autres anges |
12,1-2 12,3-17 12,18 --- 13,10 13,11-18 14,1-5 14,6-13 14,14-20 |
Et un grand signe apparut et apparut et je vis et je vis et je vis et je vis et je vis |
Mots-charnières |
V . Les 7 fléaux des 7 coupes |
15,1 --- 16,21 |
Vision liminaire 1. La première coupe 2. La deuxième coupe 3. La troisième coupe 4. La quatrième coupe 5. La cinquième coupe 6. La sixième coupe 7. La septième coupe |
15,1-8 16,1-2 16,3 16,4-7 16,8-9 16,10-11 16,12-16 16,17-21 |
Et je vis première deuxième troisième quatrième cinquième sixième septième |
VI . 7 tableaux sur le châtiment de Rome |
17,1 --- 19,10 |
1. Vision de Rome 2. Vision de l'ange annonçant la chute de Rome 3. Recommandations au peuple de Dieu dans Rome 4. Lamentations sur Rome 5. Allégresse dans le ciel 6. Chute de Rome 7. Triomphe au ciel |
17,1-18 18,1-3 18,4-8 18,9-19 18,20 18,21-24 19,1-10 |
Et je vis après cela je vis et j'entendis une autre voix et ils pleureront réjouis-toi et il prit après cela, j'entendis |
Mots- charnières |
VII . 7 visions finales de l'avenir |
19,11 --- 22,5 |
1. Vision du ciel ouvert et du Verbe de Dieu 2. Vision de l'ange exterminateur 3. Vision de la bête et de sa défaite 4. Vision du règne de 1000 ans 5. Vision de la 1 ère résurrection Le second et dernier combat eschatologique 6. Vision du jugement des nations 7. Vision de la Jérusalem céleste |
19,11-16 19,17-18 19,19-21 20,1-3 20,4-10 20,11-15 21,1 --- 22,5 |
Et je vis et je vis et je vis et je vis et je vis et je vis et je vis |
Epilogue |
22,6-21 |
dans les siècles des siècles |
Recommandations finales |
22,6-21 |
Et il me dit |
NOTA BENE : L’Apocalypse a été écrite à l’apogée du principat de Néron (cf. Ap 13,18 : 666 = César Néron ; et Ap 17,10 : Néron, le 6e empereur), au plus fort de la première grande persécution romaine, vers les années 66-67 de notre ère, et selon un plan très structuré.
Le chapitre 10 est une anticipation du IVe évangile, rédigé plus tard par le même auteur. Les 7 tonnerres, ou révélations, représentent les 7 futurs chapitres (voir « Le Petit Livre et les sept tonnerres », sur ce site) de ce « petit livre », médité mais non encore confié à l’écriture.
Le chapitre 11 (versets 1 à 14) n’est autre qu’une évocation du martyre très récent des apôtres Pierre et Paul.
L’Apocalypse ne décrit pas la fin du monde seulement, mais dans un langage symbolique toute l’histoire humaine : le présent : 1,9 à 3,22 ; le passé (éloigné ou immédiat) : 4,1 à 13,18 ; le futur (proche ou lointain) : 14,1 à 22,5.
C’est une prophétie contre Rome et l’empire romain persécuteur, en faveur de l’Eglise de l’Agneau et des douze apôtres, destinée à le supplanter dans un temps plus ou moins rapproché.
En Ap 11,8 il faut probablement lire :
Opôs (OPÔC), (de la même manière que)
au lieu de :
Opou (OPOY), (là où).
Le plan septénaire : sept « chapitres », que nous baptiserons des cycles, ou des mini-apocalypses, est très net. Il ne nous surprendra pas dans un ouvrage fondé essentiellement, d’un point de vue formel, sur la symbolique du chiffre sept.
Mais le plus spectaculaire, c’est que dans chacun de ces sept cycles on retrouve, à peine camouflé par quelques excroissances, le même rythme septénaire : on observe quatre fois l’adjonction de visions liminaires, quatre fois, également, l’insertion d’excursus ou de visions intermédiaires. Mis à part ces excroissances, qui d’ailleurs sont bien annoncées, car l’auteur n’avait pas du tout pour idéal de respecter mécaniquement un plan préétabli, on retrouverait presque un plan parfait en 7 X 7 = 49 parties.
On peut ainsi résumer ce plan :
1. Les sept lettres aux sept Eglises.
2. Les sept sceaux.
3. Les sept trompettes.
4. Les sept visions de la femme, et de son combat avec le dragon.
5. Les sept fléaux des sept coupes.
6. Les sept tableaux du châtiment de Rome.
7. Les sept visions (cf. « et je vis ») finales.
Ceci nous rappelle de fort près le quatrième évangile on l’on retrouverait très nettement ces sept parties : sept semaines ou fêtes religieuses juives, avec en plus un plan sous-jacent en 7 X7 = 49 (les jours de ces semaines), mais beaucoup plus suggéré que réellement respecté. Dans le quatrième évangile, la composition serait bien plus libre, disons presque plus moderne que dans l’Apocalypse, qui garde de son genre littéraire quelque chose de guindé et de traditionnel.
Dans l’évangile de Jean, les sept semaines, ou fêtes, seraient :
1. La Semaine inaugurale. (Jn 1,19 --- 2,12).
2. La 1 ère Pâque à Jérusalem. (Jn 2,13 –- 4,54).
3. La 2 e Fête à Jérusalem. (Jn 5,1-47).
4. La Pâque du pain de vie. (Jn 6,1-71).
5. La Fête des Tentes à Jérusalem. (Jn 7,1 –- 10,21).
6. La Fête de la Dédicace à Jérusalem. (Jn 10,22 –- 11,54).
7. La dernière Pâque à Jérusalem. (Jn 11,55 –- 20,31).
Un tel mode de composition, selon un plan septénaire, n’était point du tout quelque chose de rare dans les écrits juifs, ou chrétiens, de cette époque-là. On le retrouve par exemple dans IV Esdras, dans l’Apocalypse syriaque de Baruch (dite aussi II Baruch). Il est très net dans saint Matthieu et, comme on vient de le voir, dans saint Jean, bien que les deux évangiles fussent si différents de contenu et de style, malgré cette coïncidence de forme. On peut même, selon certains auteurs, le soupçonner dans saint Marc, si l’on fait abstraction de la finale de cet évangile, laquelle d’ailleurs n’était pas de la main de Marc. Le chiffre sept, on le verra plus loin, détenait dans le monde juif un sens de plénitude, par référence, bien sûr, à l’heptaméron de la Genèse : « Dieu a fait le monde en sept jours » ; mais il faisait allusion très claire aussi au Sabbat, le 7 e jour, qui rythmait le temps des Juifs et revêtait pour eux un sens si sacré. L’épître aux Hébreux elle-même obéissait très probablement à un plan septénaire.
II.) Canevas de l’Apocalypse
Pour bien saisir la signification générale de l’Apocalypse, et l’intention de son auteur, il ne suffit pas d’en dégager le plan, même très précis, en se fiant aux articulations, la plupart du temps bien lisibles, des mots-charnières. En effet le plan représente seulement un cadre assez artificiel du livre, presque une convention, un parti pris littéraire, une forme assez artificielle et, à la limite, indépendante du fond.
Il importe de dresser d’un tel écrit le canevas, c’est-à-dire l’esquisse, ou l’ébauche du livre, la trame de son argumentation, ou encore l’idée que l’auteur lui-même avait en tête avant de coucher son texte sur le papier (ou sur le papyrus).
Bien entendu on ne le fera pas sans une part importante de subjectivité ! Le canevas de l’Apocalypse que nous proposons, c’est aussi l’Apocalypse telle que nous la comprenons, ou telle que nous pourrions au mieux la résumer.
I. 1,4 --- 3,22 : Dans un premier chapitre, ou cycle, Jean annonçait aux sept Eglises qu’il avait sous sa juridiction directe, Ephèse et les six autres communautés qui dépendaient d’Ephèse, « ce qui doit arriver bientôt », c’est-à-dire le jugement du monde.
Mais, de fait, ce jugement était déjà commencé, depuis même la création du monde : il s’accomplissait sous nos yeux car il n’était autre que l’histoire du monde.
II. 4,1 --- 8,1 : Le Grand Livre de la prédestination se trouvait scellé depuis toute éternité. Et cependant, d’une manière mystérieuse, l’Agneau de Dieu en avait déjà entamé le « descellement », depuis, donc, qu’avait commencé l’histoire.
Et ce furent la Victoire, la Guerre, la Famine, la Mort, l’Epée, la Faim, la Peste, les Fauves, les Tremblements de terre, les Eclipses, les Etoiles filantes, la Tempête, bref toutes les calamités, naturelles ou provoquées par l’homme, qui depuis la plus haute antiquité avaient jalonné le destin des hommes.
Mais par delà toutes ces catastrophes, on apercevait déjà, comme par anticipation, la fin, telle que prédite, du monde et le triomphe, tel que promis, des élus.
III. 8,2 --- 11,19 : Déjà retentissaient les trompettes annonciatrices du jugement final. Soudain les événements de s’accélérer. Le jugement devenait imminent. Plus seulement le quart, mais le tiers, des humains étaient frappés. Surgissaient non plus seulement des accidents, d’origine naturelle ou provoquée par l’homme, mais encore de véritables cataclysmes qui s’abattaient ; et c’était : Grêle, Feu, Sang, Masse embrasée, Globe de feu, Vents de sable, Astre, Sauterelles, Scorpions, Chevaux de guerre. Deux cents millions (chiffre fantastique !) de cavaliers menaçaient sur l’Euphrate. (C’était bien sous Néron, et non sous Domitien, que l’empire fut attaqué sur sa frontière de l’Euphrate). Feu, Fumée et Soufre vomis par la bouche de ces chevaux. Eclairs, Voix, Tonnerres et de nouveau Tremblement de terre. C’étaient là des événements quasi contemporains, encore enflés par la rumeur publique.
Cependant la voix des trompettes s’interrompait :
1°) par cette annonce que l’auteur, Jean, devait encore, avant que ne survînt la fin, proclamer l’évangile par le monde entier, et même rédiger un petit livre, en sept chapitres, contenant l’évangile.
2°) par la contemplation en esprit des deux hérauts de la foi, Pierre et Paul, qui venaient de rendre à Rome, au sein de la persécution, leur si glorieux témoignage.
En dépit de toutes ces calamités, les hommes, certes non, ne s’étaient pas repentis de leur idolâtrie coupable.
IV. 12,1 --- 14,20 : Insensiblement, nous voici advenus à la vision centrale du livre. Elle évoquait, pour Jean, le moment présent, celui même où il notait sa prophétie.
Et c’était la lutte héroïque de la Femme, la propre mère du Christ, aux prises avec Satan, incarné pour l’heure dans l’empire romain, lequel empire romain était lui-même incarné dans la personne de Néron, l’empereur actuellement régnant.
Mais la victoire finale ne saurait échapper au Christ et à ses Saints. En esprit, on apercevait déjà la Moisson finale des élus, d’une part, et d’autre part la Vendange des réprouvés. Tous événements qui ne furent jamais aussi proches de nous.
V. 15,1 --- 16,21 : Nous entrons dans la partie proprement prophétique du livre. Désormais Jean allait évoquer « ce qui doit arriver plus tard » (Ap 1,19).
Car les sept Plaies d’Egypte n’allaient pas manquer de s’abattre sur l’empire romain, en punition de ses nombreux crimes, laissant présager son écroulement final.
VI. 17,1 --- 19,10 : Ici, il nous était donné de contempler, mais dans un avenir plus lointain, en sept visions, le châtiment, cette fois définitif, de Rome, et sa chute.
Allégresse des élus dans le ciel à cette perspective.
VII. 19,11 --- 22,5 : Par delà cette chute annoncée de Rome (et de l’empire romain), dans un avenir encore plus éloigné, en sept nouvelles visions, il nous était donné d’assister au sort ultime de l’humanité.
1°) 19,11-16 : C’était d’abord le temps d’une Eglise militante, d’une chrétienté, d’un Christ déjà Roi sur cette terre.
2°) 19,17-18 : Victoire heureuse des chrétiens, mais victoire encore précaire.
3°) 19,19-21 : Soubresauts terribles du paganisme moribond. Résurgence peut-être de César et de Néron, en propres personnes, ou plutôt dans la personne de leurs successeurs. Mais finalement ils devraient s’avouer vaincus.
4°) 20,1-3 : Satan se verrait enchaîné pour une durée de 1.000 ans : c’était là, grosso modo, le temps d’une chrétienté plus ou moins assurée d’elle-même et plus ou moins bien assise.
5°) 20,4-10 : Déjà les élus s’avançaient pour prendre place sur leurs trônes de gloire …
… mais c’était encore un peu prématuré ! Car voici que Satan était soudain relâché ! Mais après un dernier combat (dont la durée n’était aucunement précisée et qui pourrait par conséquent s’étendre sur des siècles), il se verrait anéanti et précipité définitivement dans les enfers.
6°) 20,11-15 : Alors interviendrait le jugement vraiment dernier de l’humanité.
Le Grand Livre de la Vie, qu’on avait aperçu scellé au début des visions (cf. Ap 5,1), et dont l’Agneau avait commencé d’enlever les sceaux, se trouverait ici pour toujours et complètement ouvert.
7°) 21,1 --- 22,5 : La Cité céleste, la Jérusalem d’en-haut, l’Eglise, nous était montrée descendant du ciel et prenant pour toujours la place de Rome, ainsi que de tous les royaumes terrestres.
Ladite Cité resplendissait avant tout des mérites du Christ et des saints.
Ses fondations reposaient sur les douze apôtres de l’Agneau. Composée elle-même de douze nouvelles tribus, elle incarnait désormais le nouvel et définitif Israël de Dieu.
Et Dieu même résidait dans ses murs.
22,6-31 : Dans l’épilogue, Jean recommandait à son lecteur de conserver fidèlement, et même scrupuleusement, les paroles de la prophétie, dans leur lettre comme dans leur esprit. (Il faut voir là une sévère mise en garde à l’adresse des copistes d’autrefois qui n’hésitaient pas à corriger les livres qui leur étaient confiés).
III.) Signification véritable de l’Apocalypse
Ainsi schématisée telle que nous venons de le faire, l’Apocalypse nous apparaît vraiment pour ce qu’elle est : un très violent pamphlet, d’inspiration presque politique ( !), dirigé contre l’empire romain, mais plus précisément contre Néron, l’Anti-Christ, la Bête, le tyran actuellement régnant, l’assassin de Pierre et de Paul les deux coryphées de l’Eglise chrétienne, le persécuteur déclaré de Marie et de ses nombreux enfants.
Mais ce pamphlet était confié à un langage presque hermétique : un tel langage était exigé par la situation critique dans laquelle évoluait la jeune Eglise, menacée de mort. Le petit livre en effet était destiné à circuler sous le manteau, aux risques et périls de ses colporteurs.
L’Apocalypse résonnait aux oreilles du lecteur avec les accents d’une prophétie, vouée à réconforter le peuple croyant, pour l’heure plus au moins réduit à la clandestinité, et annonçant contre toute apparence le triomphe final du Christ et de son Eglise.
Déjà saint Paul, dans sa deuxième épître aux Thessaloniciens, avait annoncé le despotisme néfaste de ce même empereur Néron. « Auparavant doit venir l’apostasie [celle qui sera décrite en Ap 13,1-17] et se révéler l’Homme impie [Néron], l’Etre perdu, L’Adversaire, celui qui s’élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu. Vous vous rappelez, n’est-ce pas, qu’étant encore près de vous je vous disais cela. Et vous savez ce qui le retient présentement [ses précepteurs, Sénèque, Burrhus, …] de façon qu’il ne se révèle qu’à son moment. Dès maintenant, oui, [au moment précis où Paul écrivait] le mystère de l’impiété est à l’œuvre. Mais que seulement celui qui le retient soit d’abord écarté [par l’assassinat ou le suicide], alors l’Impie se révèlera, et le Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa bouche, l’anéantira par le resplendissement de sa Venue [fin prédite de Néron, suivie d’une plus grande liberté laissée à l’Eglise]. Sa venue à lui, l’Impie [Néron] aura été marquée par l’influence de Satan, de toute espèce d’œuvres de puissance, de signes et de prodiges mensongers, comme de toutes les tromperies du mal [même langage dans Ap 13,11-17], à l’adresse de ceux qui sont voués à la perdition pour n’avoir pas accueilli l’amour de la vérité [l’évangile] qui leur aurait valu d’être sauvés. Voilà pourquoi Dieu leur envoie une influence qui les égare, qui les pousse à croire le mensonge [que Néron est Dieu !], en sorte que soient condamnés tous ceux qui auront refusé de croire la vérité [la prédication apostolique] et pris parti pour le mal [le paganisme]. » (2 Th 2,3-12).
Sans nul doute cette deuxième épître était-elle à dater des débuts du règne de Néron (le quinquennium), ou de la fin du règne de Claude (vers 54), tandis que l’Apocalypse, elle, prendrait plutôt place vers la fin du principat de ce même Néron (vers 66-67).
Il faut avoir médité dans un musée de Rome devant la statue, datant sans aucun doute de ces années-là, de l’ambitieuse et sombre Agrippine couvant du regard son fils Néron, pour se rendre compte de la menace qui pesait alors sur les esprits.
C’est là, dans ce musée, que j’ai vraiment compris le sens de la péricope de l’apôtre Paul, que je viens de citer.
IV.) Date de rédaction de l’Apocalypse
On le voit, le problème de la datation de l’Apocalypse est intimement lié au sens qu’on croit devoir reconnaître à ce livre.
Vers la fin du second siècle de notre ère, saint Irénée, Père de l’Eglise, écrivait à propos du nom de l’Antéchrist qui se cachait derrière le chiffre 666 donné par l’Apocalypse (13,18) : « S’il avait fallu proclamer ouvertement, dans le temps présent, le nom de l’Antéchrist, il aurait été dit par celui-ci [l’apôtre Jean], qui a vu aussi L’Apocalypse. Car il l’a vue (ou : il a été vu), il n’y a pas très longtemps, mais presque à notre génération, vers la fin de la puissance de Domitien. » (Adv. Hae. V, 30,3).
Le grec de ce fragment nous est parvenu par l’intermédiaire d’Eusèbe (H.E. III, 18,3). Mais justement le grec est ambigu, car le verbe « eôrathê » peut signifier aussi bien « il a été vu » que « elle a été vue ».
Le texte de la vieille traduction latine, qui est la seule version intégrale qui nous reste de l’Adversus Haereses, est, quant à lui, sans ambiguïté. (Claude Tresmontant a raison de le faire remarquer dans son livre, par ailleurs si farfelu, c’est le moins qu’on puisse dire : « Apocalypse de Jean », F. – X. de Guibert, 2 e édition, 1993, page 307).
La Vetus Latina portait : « Per ipsum utique dictum fuisset qui et apocalypsim viderat. Neque enim ante multum temporis visum est sed pene sub nostro saeculo ad finem Domitiani imperii.” « Il aurait été dit en effet par celui qui avait vu l’Apocalypse. Car il a été vu il n’y a pas beaucoup de temps, mais presque à notre siècle, à la fin de l’imperium de Domitien. » (C’est moi qui souligne).
La vielle version latine indique bien le masculin : c’est Jean, et non l’Apocalypse, qui a été vu vers la fin du principat de Domitien. C’est bien là d’ailleurs le sens obvie du texte original. On ne peut donc pas se baser sur le témoignage de saint Irénée pour dater l’Apocalypse de la fin du premier siècle. Il est nécessaire de recourir à des critères internes pour tenter d’attribuer à cet écrit une date de composition plausible.
Or, pour quiconque sait lire, l’Apocalypse se trouve très exactement datée par son auteur même.
Le chiffre 666 (donné par les meilleurs manuscrits), qu’on trouve au verset 13,18 désigne Néron. En hébreu, la valeur numérique des lettres (gématrie) : NRWN QSR (= Néron-César) fait un total de 666. Ce résultat est connu depuis le début du XIX e siècle.
Au verset 17,10 on nous disait très clairement que le sixième « basileus «, c’est-à-dire le sixième César ou empereur, était encore vivant au moment où Jean écrivait. Cela vient conforter la déduction précédente, car Néron était bien, à compter de Jules César lui-même, le sixième César ou empereur (imperator).
Ce fut sous Nerva seulement, à la fin du premier siècle de notre ère, qu’il serait fait une distinction dans la titulature impériale, entre l’empereur régnant, qualifié d’Auguste, et son successeur désigné, qualifié de César. Dans sa « Vie des douze Césars », Suétone entendait bien nous donner les biographies des douze premiers empereurs, de César même à Domitien.
On lit souvent dans les histoires modernes qu’Auguste fut le premier empereur. Mais les anciens ne comptaient pas de la sorte. Auguste s’était toujours considéré comme le fils spirituel de César, auquel il entendait succéder. Ce n’était pas en vain, car César lui-même, de son vivant, l’avait reconnu en qualité de fils adoptif. Le titre d’imperator, d’où est venu le mot empereur, fut porté d’abord par César ; il signifiait quelque chose comme général en chef des armées romaines. Le manteau rouge, ou pourpre, était l’insigne distinctif du général en chef en campagne ; cette couleur lui permettait d’être très visible aux yeux de ses propres troupes, pour les entraîner au combat. Le porteur du manteau rouge devenait tout naturellement le point de ralliement et l’âme de la bataille.
On sait que la couleur pourpre était devenue l’emblème de la monarchie impériale. Une loi avait même interdit aux particuliers de la porter. Une tolérance existait seulement pour les prostituées ! D’où une source d’ironie sous-jacente, et cinglante, qui affleure à maintes reprises dans les invectives antiromaines de notre Apocalypse.
Aujourd’hui encore cette couleur pourpre, ce manteau rouge, sont-ils arborés ostensiblement sur tous nos écrans de télévision, et promenés dans le monde entier … par le Souverain Pontife !
L’évêque de Rome en a hérité, très régulièrement, de l’empereur romain par décret de Constantin, quittant Rome pour Constantinople, qui lui cédait en même temps le palais impérial du Latran.
De tout cela il appert que Néron était bien le sixième César, et par conséquent le « héros » principal de l’Apocalypse ; le reste du livre n’y contredit pas. Nous en rendrons compte plus en détail dans les annotations.
A deux reprises, au moins, dans l’Apocalypse, il était question de graves menaces sur l’Euphrate : aux versets 9,14 et 16,12. Or c’était du temps de Néron, et non de Domitien, que l’empire, alors au faîte de son expansion, subit de graves menaces sur sa frontière de l’Euphrate. Néron lui-même y fit face victorieusement, dès la première année de son principat. Sous Domitien l’inquiétude se porterait plutôt sur la frontière du Danube.
Il est patent que l’Apocalypse fut écrite dans une atmosphère de grande tension. En témoigne le fait que l’auteur fût obligé de s’exprimer dans une langue codée. Il ne donnait pas en toutes lettres le nom de l’Antéchrist, de peur d’attirer des représailles sur les détenteurs futurs de son opuscule destiné à circuler sous le manteau.
Présentement l’auteur se trouvait réfugié à Pathmos, île perdue de la mer Egée, loin de la grande métropole d’Ephèse, sa résidence normale, celle d’où il dirigeait habituellement les sept Eglises. Il y était réfugié, mais non point détenu, puisqu’il se promenait librement au bord de la mer.
S’adressant aux fidèles, Jean se présentait à eux comme leur « compagnon dans l’épreuve, le royaume et la constance, en Jésus. » (1,9).
Au verset 17,6 nous serait montré la grande prostituée (Babylone=Rome) en train de se saouler « du sang des saints et du sang des martyrs de Jésus. » Jean précisait que cela se passait « sous mes yeux » et qu’ « à sa vue je fus bien stupéfait. » Ce qui souligne la nouveauté, la soudaineté et la violence de cette persécution.
Tous ces traits caractérisent la grande persécution déclenchée en 64 par l’empereur Néron à la suite de l’incendie de Rome. On sait, par les auteurs païens, qu’elle fut d’une extrême cruauté. L’Eglise romaine a toujours gardé un souvenir spécial de ces premiers martyrs de l’époque de Néron.
La persécution qui devait endeuiller la fin du principat de Domitien n’eut rien de comparable. Elle se borna à l’exil et à la condamnation à mort de quelques membres de l’aristocratie ou de l’entourage impérial. Certains auteurs modernes ont même mis en doute la réalité de cette persécution.
La dynastie des Flaviens, dont Domitien fut le troisième et dernier représentant, avait toujours été assez favorable aux Juifs, et même aux chrétiens, qui d’ailleurs s’en distinguaient encore assez peu.
Sans doute vers la fin de son principat, Domitien devint-il d’un caractère plus ombrageux, qui finit par entraîner son assassinat. Il est possible même qu’il eût inquiété les dirigeants de l’Eglise romaine, car saint Clément de Rome, dans son épître, ferait allusion à une tourmente heureusement terminée.
Il reste que la « persécution » de Domitien n’eut pas cet aspect nouveau, spectaculaire, gigantesque de celle qui nous est décrite dans l’Apocalypse. Ce n’était plus du tout le même climat.
La preuve que dans l’Apocalypse nous nous situions bien sous le gouvernement de Néron c’était que, au chapitre 11 (dans notre manière actuelle de diviser le livre), nous était montré, en termes symboliques, mais transparents, le martyre des apôtres Pierre et Paul. Ce martyre semblait tout récent et attribué par Jean à l’Antéchrist principal visé par son livre. L’Antéchrist, «la Bête qui surgit de l’Abîme » (Ap 11,7), c’était Néron l’assassin des deux principaux témoins, les deux coryphées de l’Eglise, Pierre et Paul.
De ce qui précède il résulte que l’Apocalypse n’a pu être écrite qu’après l’incendie de Rome en 64 (terminus a quo) et avant le suicide de Néron en 68, auquel elle ne fait aucune allusion (terminus ante quem). A fortiori ne trouve-t-on dans l’Apocalypse aucune référence à la chute de Jérusalem ou à la ruine du Temple. [Il en est ainsi d’ailleurs dans l’épître aux Hébreux]. Pour elle la cité de Jérusalem, désormais renouvelée, et étendue à tout l’univers (cf. 21,1-3), demeurait encore la figure idéale du royaume de Dieu.
Vraisemblablement, l’Apocalypse avait-elle été écrite et expédiée en l’an 66 ou 67 de notre ère. Notons que le Néron prestidigitateur et disciple d’Apollon y paraissait en pleine gloire, en pleine acmé (cf. 13,13-15). Justement dans ces années 66-67 il se promenait en Grèce, tout près de Pathmos, participant aux Jeux, se produisant dans les théâtres, envisageant de percer l’isthme de Corinthe. Pas étonnant que sur la plage de Pathmos, Jean en eût comme la vision stupéfiante !
Afin de concilier l’opinion traditionnelle, qui date plutôt l’Apocalypse de la fin du I er siècle, et l’évidence interne du texte, certains exégètes (Père Boismard, Bible de Jérusalem) ont imaginé que l’Apocalypse avait pu être composée à deux époques différentes par le même auteur (ceci pour expliquer l’unité de style), une partie sous Néron et l’autre sous Domitien : ces deux parties eussent été ensuite combinées entre elles, assez maladroitement disent-ils, par une seconde main anonyme (si le premier auteur était Jean). On a là le triomphe de la théorie documentaire.
Mais une telle hypothèse ne résiste pas à l’examen, car elle ne rend pas compte de la rigoureuse unité de plan qui sous-tend tout le texte et qui est elle-même, comme le détail du style, marquée par une rythmique septénaire. Il apparaît bien que l’ensemble du livre, formant comme un tout, et chacune des visions fussent du même auteur et de la même époque.
Il demeure vrai que ledit auteur avait emprunté beaucoup d’images à la Bible, et aux prophètes ses devanciers.
V.) Tableau synoptique des six derniers cycles, ou mini-apocalypses.
Grossièrement l’Apocalypse se laissait diviser en deux parties d’inégale longueur, et c’était l’ange lui-même qui prescrivait ce plan à l’auteur : « Ecris donc tes visions : le présent [soit 1,20 --- 3,22] et ce qui doit arriver plus tard [soit 4,1 --- 22,5]. » (Ap 1,19). Le présent n’était autre que l’état moral et mystique des sept Eglises administrées par Jean, et auxquelles il envoyait sept missives. Ce qui devait arriver plus tard, c’était le jugement du monde.
Mais de fait le jugement du monde impliquait toute l’histoire humaine, depuis le début jusqu’à la fin. Ainsi donc la partie proprement prophétique du livre (4,1 --- 22,5) se subdivisait elle-même en 6 cycles, ou mini-apocalypses (ce qui faisait au total sept cycles, avec les lettres aux sept Eglises), une partie incluant le passé, ancien ou récent (4,1 --- 13,17), une partie incluant le futur, proche ou plus lointain, et même la fin du monde (14,1 --- 22,5), avec un point de basculement très marqué du passé vers le futur, qui était le verset 13,18.
Quoiqu’il en fût, la vision prophétique entrevue par Jean (4,1 --- 22,5) décrivait 6 fois le même cycle, avec un point de départ identique, le ciel, et un point d’arrivée identique, encore le ciel, en accomplissant chaque fois un détour plus ou moins dramatique sur notre pauvre terre.
On observait dans chaque cycle des constantes assez remarquables.
La vision liminaire ou, à défaut, la fin du cycle précédent nous transportait au ciel.
Les 4 premières phases décrivaient le plus souvent des calamités successives et grandissantes.
A la 5 e phase se plaçait souvent (4 fois sur 6) un pressentiment de la victoire finale, ou (2 fois sur 6) une 5 e calamité.
La 6 e phase voyait la réalisation des malheurs annoncés.
Enfin la 7 e phase préfigurait (ou montrait dans le dernier cas) le triomphe final des élus.
II Les sceaux |
III Les trompettes |
IV La Femme |
V Les coupes |
VI Rome |
VII Jérusalem |
Porte ouverte au ciel Trône Livre 7 SCEAUX Agneau |
7 anges du trône 7 trompettes Encensement de l’autel céleste |
Le Temple de Dieu est ouvert (Fin III) |
Dans le ciel : 7 anges 7 fléaux 7 coupes |
L’un des anges aux 7 coupes montre : |
Le ciel est ouvert (Numéro 1) |
1. Victoire |
1. Grêle et feu |
1. Femme |
1. Ulcère mauvais |
1. Rome, la prostituée |
1. Le Verbe de Dieu |
2. Guerre |
2. Masse embrasée |
2. Dragon Combat de Michel et des démons |
2. Sang de la mer |
2. Annonce de son jugement |
2. L’Ange exterminateur |
3. Famine |
3. Grand astre |
3. Bête qui est Rome |
3. Sang des fleuves |
3. Exhortations au peuple de Dieu dans Rome |
3. Combat de la Bête, et sa capture |
4. Peste |
4. Assombrissement d’un tiers Annonce des trois malheurs |
4. Autre Bête qui est Néron |
4. Coupe sur le soleil |
4. Lamentations des peuples de la terre, sur Rome |
4. Règne de mille ans |
5. Robe blanche des élus |
5. Astre du ciel Sauterelles 1er malheur |
5. Compagnons de l’Agneau |
5. Coupe sur le trône de la Bête |
5. Allégresse dans le ciel |
5. 1ère résurrection Défaite finale de la Bête |
6. Grand jour de la colère Réservation des élus |
6. Quatre anges sur l’Euphrate 100 millions de cavaliers Feu,fumée,soufre I. 7 tonnerres II. Petit livre III. Les 2 témoins |
6. Annonce de la chute de Rome |
6. Coupe sur l’Euphrate Arrivée des rois de l’Orient Harmagédon |
6. Chute symbolique de Rome |
6. Jugement des nations |
7. Silence d’une demie heure |
7. Royauté du Christ Ouverture du Temple de Dieu |
7. Fils d’homme Moisson Vendange |
7. Coupe sur l’air Grêle énorme |
7. Triomphe au ciel |
7. La Jérusalem nouvelle descend du ciel |
VI.) Statistique. Les chiffres dans l’Apocalypse
Nombres |
Occurrences |
1 |
: |
42 |
Un, seul, premier |
|
2 |
: |
28 |
Deux, second, double, demi ... |
|
3 |
: |
32 |
Trois, tiers |
|
3,5 |
: |
2 |
||
4 |
: |
26 |
Quatre, quart |
|
5 |
: |
7 |
||
6 |
: |
6 |
||
7 |
: |
59 |
||
8 |
: |
2 |
||
9 |
: |
1 |
||
10 |
: |
11 |
||
11 |
: |
1 |
||
12 |
: |
11 |
||
24 |
: |
6 |
||
42 |
: |
2 |
||
144 |
: |
1 |
||
666 |
: |
1 |
||
1.000 |
: |
6 |
||
1.260 |
: |
2 |
||
1.600 |
: |
1 |
||
7.000 |
: |
1 |
||
12.000 |
: |
13 |
||
144.000 |
: |
3 |
||
2OO.000.000 |
: |
1 |
Myriades de myriades et milliers de milliers |
: |
1 |
______________________________________________ |
Total |
: |
266 |
VII.) La Signification des chiffres dans l’Apocalypse
UN :
Dieu
DEUX :
L’Ancien et le Nouveau Testament
TROIS :
Totalité du temps : le commencement, le milieu et la fin.
La Trinité, Père, Fils et Esprit.
TROIS ET DEMI :
La moitié de sept. Une demi-semaine. Une demi-semaine d’années.
QUATRE :
Totalité de l’espace. Nord, sud, est, ouest. Mais mieux : longueur, largeur, hauteur et profondeur. (Les Anciens comptaient quatre dimensions de l’espace).
CINQ :
Demi-totalité des nombres ; une main.
SIX :
Sept moins un. L’imperfection, l’incomplétude.
SEPT :
La plénitude des œuvres de Dieu et des œuvres de l’homme ; la création du monde ; le travail et le repos ; le Shabbat, l’achèvement.
HUIT :
Sept plus un. La surabondance des œuvres de Dieu. Le monde nouveau. L’éternité. La résurrection du Christ.
NEUF :
Dix moins un. La quasi-totalité des nombres.
DIX :
La totalité des nombres. 2 X 5. Les deux mains.
ONZE :
La totalité des nombres, plus un.
DOUZE :
3 X 4. La totalité du temps et de l’espace. L’ancien Israël : les patriarches. Le nouvel Israël : les apôtres. La totalité des tribus, et donc du peuple.
VINGT-QUATRE :
12 X 2. L’ancien et le nouvel Israël réunis. Les patriarches et les apôtres (ou les anges des patriarches et des apôtres).
QUARANTE-DEUX :
?
CENT QUARANTE QUATRE :
12 X 12. La totalité des familles des peuples.
SIX CENT SOIXANTE SIX :
Le comble de l’imperfection. Le sommet de l’iniquité.
MILLE :
10 X 10 X 10. La totalité cubique du monde
MILLE DEUX CENT SOIXANTE :
360 X 3,5. Un temps, deux temps et la moitié d’un temps. Trois ans et demi. La durée moyenne d’une persécution.
SEPT MILLE :
7 X 1000. La semaine multipliée par l’infinité des nombres.
DOUZE MILLE :
12 X 1000. La totalité des individus d’une tribu.
CENT QUARANTE QUATRE MILLE :
12 X 12 X 1000. La totalité du peuple d’Israël.
DEUX CENT MILLIONS :
Nombre immense.
MYRIADES DE MYRIADES ET MILLIERS DE MILLIERS :
Nombre immense.
VIII.) Lecture commentée de l’Apocalypse.