Note 45

Lecture commentée de l’Apocalypse :

Cinquième partie :

V. Les sept fléaux des sept coupes.

Ap 15,1 --- 16,21

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V. Les Sept fléaux des sept coupes (15,1 --- 16,21)

 

Vision liminaire : 15,1-8

(15,1) Et je vis un autre signe dans le ciel, grand et admirable : [Nous entrions dans le cinquième cycle. Il était introduit par le mot-charnière : Kai eidon, « Et je vis ». Comme les autres, ce cycle s’initiait dans le ciel où nous avait déjà conduits la vision précédente.

Sept fléaux allaient s’abattre sur la Bête (qui était Satan, ou Rome, ou Néron) et sur l’empire, avant leur consommation (sixième cycle : cf. 17,1 --- 19,10), et avant la consommation finale du monde (septième cycle : cf. 19,11 --- 22,5). ] sept anges apportant sept plaies, les dernières [Les dernières avant la chute de Rome (en 18,21). Mais non pas avant la fin du monde (en 20,11), laquelle serait précédée d’ultimes épreuves, d’ultimes combats, d’ultimes soubresauts des forces du mal (cf. 19,19 ; 20,7-9).

De même qu’on pouvait considérer les sept esprits de Dieu, présents devant le trône de Dieu (cf. 4,5) comme étant un seul et même Esprit de Dieu, de même pourrait-on tenir ici ces sept anges pour autant de figures du seul Verbe de Dieu.

Toutefois Jean, à deux reprises (cf. 19,10 ; 22,9), nous mettrait en garde contre une assimilation trop rapide des anges à Dieu : ils n’étaient que des serviteurs, d’humbles exécutants de sa volonté.

Mais pourquoi donc une série de sept fléaux ? Parce qu’en effet un cycle complet de plaies d’Egypte, s’échelonnant sur une période assez longue, devait s’abattre sur Rome avant qu’elle ne chût (verset 18,21), avant que Satan ne fût maîtrisé pour une durée, approximative, de mille ans (verset 20,2), avant qu’il fût, passé ce délai, à nouveau relâché (verset 20,7), un laps de temps indéterminé avant que n’advînt la fin du monde proprement dite (verset 20,11).

On s’en rendait compte : l’interprétation millénariste, qui prévoyait la parousie pour les mille ans après l’incarnation, était d’ores et déjà trouvée fausse, même en prenant l’Apocalypse au pied de la lettre. ] parce qu’en elles fut consommée la colère de Dieu.

(15,2) Et je vis comme une mer de cristal mêlée de feu, et ceux qui ont triomphé de la bête et de son icone à elle, et du chiffre de son nom, debout sur cette mer de cristal, [Nous aperçûmes déjà cette mer de cristal en 4,6.

Sans doute l’image de la mer était-elle suggérée à Jean par le prophète Ezéchiel (47,1-12), lequel avait admiré une masse abondante d’eau s’échappant du Temple.

Dans le Temple même de Salomon trônait symboliquement une « Mer de bronze » (cf. 1 R 7,23-26), grand réservoir d’eau lustrale.

Ici, la mer était Dieu le Père lui-même, considéré dans son infinité, dans son éternité ; on pourrait dire : dans sa nature divine.

Quant au feu qui s’y mêlait, il n’était autre que l’Esprit Saint, ce feu manifesté aux hommes le jour de la Pentecôte (cf. Ac 2,3-4).

Les élus contemplaient debout (déjà ressuscités en esprit), et dès maintenant, cette mer, cette nature divine (vision béatifique des élus). Ils vivaient au bord de cette immensité (cette infinité) sans s’y perdre, sans que fût aliéné leur moi.

Quant à la Bête, il s’agissait toujours de celle de 13,11-18 : Néron en personne.

Ceux qui avait triomphé de la Bête (Néron), de son icone (dans la stature d’un César romain), de son chiffre (666) : les martyrs de la grande persécution, celle qui fit suite à l’incendie de Rome, en 64-68.

En tête de ces premiers élus, on imaginait fort bien les deux coryphées des apôtres : Pierre et Paul, qu’on avait aperçus en 11,11-12 s’élevant, par l’esprit, jusqu’à la présence de Dieu. ] tenant des cithares de Dieu. [Ces élus se montraient encore bien timides, bien malhabiles, pour chanter par eux-mêmes les louanges de Dieu. Ils avaient besoin de cithares de Dieu pour  s’accompagner.

Sans doute ces cithares de Dieu, ces harpes de Dieu, n’étaient-elles pas autre chose que les anges de Dieu en personnes. ] (15,3) Ils chantent le cantique de Moïse, le serviteur de Dieu [Pierre, le nouveau Moïse, et Paul, le nouvel Aaron entonnaient avec tous les élus le vieux cantique de Moïse (cf. Ex 15,1-21) qui célébrait la victoire de Yahvé sur Pharaon.

« Il a jeté à la mer cheval et cavalier. » (Ex 15,1).

Ici, le nouveau Pharaon, c’était Néron, empereur non seulement d’Egypte, mais de presque tout l’univers connu. Sur ledit Pharaon, et sur ladite Egypte, allaient s’abattre sept nouvelles plaies d’Egypte.

On sait que les empereurs romains, depuis Auguste (30 av.J.C - 14 ap.J.C.) jusqu’à Maximin II (308-313), continueraient d’arborer la titulature pharaonique. Néron, juridiquement, était en toute vérité Pharaon d’Egypte. Comme ses prédécesseurs, il ne se faisait pas scrupule d’importer dans sa capitale obélisques et autres œuvres d’art. ] et le cantique de l’Agneau  [Le cantique de Moïse nous était transmis par l’Ancien Testament. Il serait souvent repris dans la liturgie de la synagogue, comme de l’Eglise.

Quant au cantique de l’Agneau, le prophète Jean se chargeait de le composer : cf. 15,3-4. Il serait d’ailleurs tissé de réminiscences bibliques. ] disant :

« Grandes et admirables tes œuvres,

Seigneur Dieu tout-puissant ;

justes et véritables tes voies,

ô Roi des nations !

(15,4) Qui ne craindrait, Seigneur,

et ne glorifierait ton nom ?

Car tu es le seul Saint ;

car toutes les nations viendront,

et se prosterneront devant toi,

car tes jugements se sont manifestés. »

(15,5) Après cela je vis : s’ouvrit le sanctuaire de la tente du témoignage, [Le ciel ne laissait pas de s’entrouvrir davantage. Non seulement le Saint, mais désormais le Saint des Saints nous était montré. Le cœur de Dieu, l’intérieur de Dieu, se révélaient à nous.

Dans l’Israël ancien le mot « témoignage » désignait les deux tables de la Loi déposées dans l’arche (cf. Ex 25,16), car elles portaient témoignage de l’Alliance scellée à jamais entre Dieu et son peuple. En quelque sorte un contrat de mariage, gravé dans la pierre.

En conséquence, « la tente du témoignage » n’était autre que le Temple primitif de Dieu, celui qui nomadisait dans le désert à la suite du peuple élu.

Le Temple primitif, on le trouvait très minutieusement, mais aussi très mystérieusement décrit au moins à trois reprises dans le livre de l’Exode (25,1 --- 27,19 ; 36,8 --- 38,31 et encore : 40,1-33).

Et pourtant cette tente n’était que l’ébauche du futur Temple de Jérusalem que devait bâtir Salomon (cf. 2 S 7,13).

Or le Temple de Jérusalem lui-même ne serait qu’une pâle figure du Temple éternel (cf. 1 R 8,27).

Pourtant Dieu n’avait pas dédaigné de résider personnellement dans ces deux Temples imparfaits : cf. Ex 40,34-35 ; 1 R 8,10-13). ] dans le ciel, (15,6) et sortirent les sept anges détenant les sept plaies hors du sanctuaire, vêtus de lin pur, éclatant, ceints autour de la poitrine de ceintures dorées. [Chacun de ces anges était vêtu comme l’un des prêtres du Temple de Yahvé (cf. Ex 28,40).

Comme les prêtres, en effet, ils ne cessaient d’entrer, ou de sortir du sanctuaire.] (15,7) Et l’un des quatre vivants remit aux sept anges sept coupes d’or emplies de la colère du Dieu vivant dans les siècles des siècles. [Dans un geste théâtral, quasi mécanique.

Telles ces figures animées qu’on voit sortir du beffroi de l’hôtel de ville, dans certaines villes d’Allemagne, quand sonne l’heure.

Réapparaissait l’un des quatre vivants de 4,6-9, entrevus dans la vision liminaire du second cycle (celui des sceaux). Ces quatre vivants : sans doute les quatre anges des quatre évangiles, les anges de la parole de Dieu et de sa colère, répartie dans les sept  coupes. Colère miséricordieuse, en réalité, car elle était d’avertissement. Confer, par exemple, cet apophtegme évangélique : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous.» (Lc 13,3). ] (15,8)  Et fut rempli le sanctuaire d’une fumée [Comme s’était empli d’une nuée obscure le Temple de Salomon, le jour même de son inauguration (cf. 1 R 8,10-12).

La nuée brillante du désert (cf. Ex 40,38) était devenue ce jour-là une nuée obscure (Jean parlait d’une fumée) au point que les prêtres durent interrompre leur service. ] provenant de la gloire de Dieu et de sa puissance, et personne ne pouvait entrer dans le sanctuaire, jusqu’à ce que fussent consommées les sept plaies des sept anges. [Texte d’exégèse délicate.

L’obscurité qui envahissait le Temple de Dieu au ciel ne prendrait fin qu’à l’expiration des châtiments qui devaient s’abattre sur Rome et l’empire païen ; en fait jusqu’à leur ruine.

Il est impossible de pénétrer dans le cratère d’un volcan, tant que ce dernier est en éruption. Il faudrait attendre que la fureur du monstre s’apaisât, pour qu’on y vît clair.

La fumée d’encens qui s’exhalait à partir des mérites des saints, les premiers martyrs, était si dense qu’elle obscurcissait, un temps,  jusqu’à la tente du témoignage.

On ne discernerait vraiment les desseins de Dieu sur l’Eglise et sur l’humanité sauvée, qu’après la chute, programmée, de cet empire romain, en tant que parangon du paganisme. En somme, après l’avènement d’une chrétienté. ]

1 – La première coupe : 16,1-2

(16,1) Et j’entendis une grande voix, sortant du sanctuaire, disant aux sept anges : [Dieu même, qui de son sanctuaire (de sa nature divine) criait aux sept anges de châtier la terre. Une telle voix (phônê) n’était autre que le Verbe (logos) même. Mais le souffle d’émission, qui portait la voix, n’était autre que l’Esprit (pneuma).

De sa nature divine, Dieu le Père criait, ou plutôt émettait son Verbe, dans l’Esprit. ] « Allez et répandez les sept coupes de la colère de Dieu sur la terre ». [Sur la terre où résidaient la Bête et ses adorateurs.

Le continent, en effet, était l’habitacle de cette seconde Bête (Néron), issue de la terre car terrestre (cf. 13,11), tandis que la précédente Bête, l’empire, surgissait de la mer (cf. 13,1), c’était dire du domaine des monstres maléfiques ; tandis que leur archétype, le Dragon, « celui qu’on appelle Diable et Satan » (12,9), lui, descendait tout droit du ciel (cf. 12,3).

Les trois Monstres se distinguaient donc par les trois éléments spécifiques (terre, mer, ciel), dont ils  étaient originaires, et par leur nature : spirituelle (le démon), psychique ou morale (Rome, l’empire), terrestre, hylique ou choïque, (Néron ou l’empereur physiquement, concrètement, régnant). (Cf. 1 Co 15,44-48). ] (16,2) Et il s’en alla, le premier, répandre sa coupe sur la terre ; et survint une blessure mauvaise et pernicieuse [La sixième plaie d’Egypte (cf. Ex 9,8-12). Des ulcères, des pustules, des irritations de la peau. En fait le paganisme flagorneur, qui ne faisait qu’exaspérer l’abjection des âmes. ] sur les hommes qui portaient la marque de la bête, et ceux qui se prosternaient devant son image. [Tous ceux qui trafiquaient à l’aide de la monnaie de Néron, et qui se prostituaient, peu ou prou, au culte impérial, le culte de Rome.]     

2 – La deuxième coupe : 16,3

(16,3) Et le deuxième répandit sa coupe sur la mer ; alors ce fut du sang, comme d’un meurtre, [La deuxième coupe se répandait donc dans la mer, d’où avait surgi la première Bête (cf. 13,1).

Rappelons-nous qu’en 12,18 nous vîmes Jean debout, à Patmos, sur l’arène ; il pouvait s’extasier, en esprit (ou en imagination), à  la vue de la puissance romaine semblant monter de la mer, du côté de l’occident.   

La mer devenait rouge sang, couleur de la pourpre impériale. On eût dit un meurtre : le meurtre de Jules César, la première Bête, aux ides de mars de l’an – 44, ce meurtre déjà évoqué dans l’Apocalypse (cf. 13,3.12.14), et qui le serait encore (cf. 17,8.11). Le sang de ce meurtre semblait rejaillir sur toute l’étendue de l’océan, et attirer sur lui la malédiction divine. De fait, les malheurs de cette seconde coupe équivalaient à la première plaie d’Egypte (cf. Ex 7,14-25). ] et tout âme de vie mourut, qui est dans la mer. [Tout être vivant mourut dans la mer. Ces êtres vivants pouvaient être assimilés aux âmes des pécheurs, ceux qui moururent sans s’être repentis, et qui furent précipités dans la mer comme le lieu de résidence des puissances maléfiques. Elles y seraient touchées par la seconde mort (cf. 2,11 ; 20,14 ; 21,8). Elles mourraient une deuxième fois, de même que Jules César ressuscité en la personne de son successeur – le nouveau César – mourrait une seconde fois avec lui.

La mer devrait rendre un jour les âmes qu’elle gardait en dépôt, avant qu’elle-même ne disparût à jamais (cf. 20,13 ; 21,1). ]

3 – La troisième coupe : 16,4-7

(16,4) Et le troisième versa sa coupe sur les fleuves, et sur les fontaines des eaux, et il se fit du sang.                                                                                                                               [La première plaie d’Egypte, initiée par la coupe précédente (cf. 16,3), prenait ici toute sa dimension, toute son ampleur (cf. Ex 7,17-18). Le sang pernicieux de César empoisonnait, non seulement la mer, mais encore les eaux continentales.

Quant au Christ, par son baptême dans les eaux du fleuve Jourdain, il venait sanctifier les eaux de tous les fleuves, et de toutes les sources. ] (16,5) Et j’entendis l’ange des eaux disant : [Quel était donc cet ange des eaux ? Etait-il Jean-Baptiste, ou mieux encore le Christ ? N’était-il pas Elisée, qui avait envoyé Naaman se purifier de sa lèpre dans les eaux du Jourdain  (cf. 2 R 5) ? 

N’était-il pas seulement l’un des deux anges précédents qui venaient de déverser leur coupe tour à tour sur les eaux marines (cf. 16,3), puis sur les eaux fluviales (cf. 16,4) ?

On le constatait plus d’une fois dans l’Apocalypse, sous le nom d’ange on ne savait pas toujours s’il fallait entendre le Verbe de Dieu lui-même, ou l’une de ses créatures. Mais Jean par deux fois (cf. 19,10 ; 22,9) comme nous l’avions déjà noté, mais plus encore l’auteur de l’épître aux Hébreux (cf. He 1 ; 2), nous interdisaient absolument de confondre Dieu et ses anges.

Selon la doctrine néotestamentaire, la Loi de Moïse ne fut donnée aux Hébreux que par l’intermédiaire des anges, bien inférieurs au Fils (cf. Ac 7,38.53 ; Ga 3,19 ; He 2,2).

Dans l’Ancien Testament on observait parfois une certaine ambiguïté sur l’identité des anges.

En Gn 16,7-13, il semblait bien qu’il fallût assimiler l’Ange de Yahvé à Yahvé lui-même.

Mais en 2 S 24,16 ce même Ange de Yahvé n’apparaissait plus que comme le serviteur, ou l’exécutant, de Yahvé, et par conséquent comme sa créature.

La solution de cette petite énigme me paraissait donnée par un passage de l’Exode. Yahvé lui-même déclarait, à propos de son ange : « Révère-le et écoute sa voix. Ne lui soit point rebelle. Il ne pardonnerait pas, alors, vos transgressions, car il en a en lui mon Nom. » (Ex 23,21).  

L’ange n’était qu’un ‘envoyé’ (au sens étymologique) ; mais il portait en lui le Nom de Yahvé, autrement dit sa présence, ou sa Personne. Dieu en effet parlait dans son ange, et par son ange. Bien qu’envoyé en mission le messager ne quittait pas Yahvé, et Yahvé ne le quittait pas. Ainsi Yahvé restait présent dans son ange, tout en étant distinct de lui.

Notre conclusion : l’ange n’était qu’une créature de Dieu, mais Dieu résidait en elle. Elle parlait en son Nom, et lui parlait en elle. ] « Tu es juste, toi qui es et qui étais, le Saint, car tu as jugé ces choses, [« Tu es juste », ou : « tu as raison ». L’ange donnait raison à Yahvé d’avoir ordonné le châtiment, physique et spirituel, des riverains du paganisme, eux qui résidaient près des eaux polluées. Pourtant Dieu ne châtiait pas par plaisir. S’il le faisait, c’était pour avertir, pour exciter à la conversion (cf. 9,20 ; 16,9). On pourrait trouver d’innombrables références dans la Bible. Citons : Lv 26,14-45 ; Am 4,6-11. ] (16,6) car c’est le sang des saints et des prophètes qu’ils ont versé, [Le sang de Pierre, de Paul et de leurs compagnons. Ce sang avait coulé dans le Tibre. Il était juste que les riverains du Tibre en ressentissent humiliation et effroi. ] et tu leur as donné du sang à boire : ils en sont dignes ! » (16,7) Et j’entendis l’autel dire : [Voici qu’un autre tuyau d’orgue se mettait à chanter ! Il semblait ici que ce tuyau d’orgue ne fût rien moins que le propre Fils de Dieu.

L’autel parlait. Mais l’autel était celui de l’Agneau, qui était à lui seul l’autel, le prêtre et la victime. ] « Oui, Seigneur Dieu tout-puissant, vrais et justes tes jugements ! » [Tout ce qu’accomplissait Dieu le Père était juste et vrai : sa miséricorde comme ses châtiments. Pourtant, il n’envoyait le châtiment qu’à contrecœur (voir le commentaire du verset précédent).  

4 – La quatrième coupe : 16,8-9

(16,8) Et le quatrième répandit sa coupe sur le soleil ; et il lui fut donné de brûler les hommes dans le feu. [La neuvième plaie d’Egypte (cf. Ex 10,21-23), mais avec des effets inversés !

Il en résultait non pas les ténèbres mais une chaleur torride.

Dieu châtiait les humains, il éprouvait leur vertu, au travers d’accidents météorologiques souvent douloureux ou néfastes.

Mais le soleil du paganisme occasionnait des dégâts autrement plus graves ! Ce soleil était Néron, le nouvel Apollon (dieu du soleil), dont le rayonnement nuisible s’exacerbait jusqu’à un paroxysme. En 68, à son retour de Grèce, et peu de mois avant sa chute, il célébrait à Rome un triomphe apollinien. ] (16,9 Et ils furent brûlés, les hommes, d’une chaleur intense ; mais ils blasphémèrent le nom de Dieu qui avait pouvoir sur ces plaies, et ils ne se convertirent pas afin de lui donner gloire. [Les injures proférées par le paganisme contre le vrai Dieu – il le connaissait désormais par son « nom » – ne faisaient qu’empirer.

S’accroissaient aussi les calomnies, à l’endroit des saints : ces accusations invraisemblables d’ignominie et de bassesse, portées contre les premiers chrétiens par le paganisme ambiant : « Des hommes abhorrés pour leurs infamies et convaincus de nourrir la haine du genre humain » écrira Tacite (Annales, XV, 44) en racontant cette histoire.

5 – La cinquième coupe : 16,10-11

(16,10) Et le cinquième répandit sa coupe sur le trône de la bête, et sa royauté devint ténébreuse, et ils se mordirent la langue de douleur [Un châtiment ne pouvait manquer d’accabler la dynastie au pouvoir, et le trône impérial même, au point de provoquer son éclipse momentanée.

En effet, après la révolte de la Judée en 66, et la révolte de Vindex (le bien nommé !) en Gaule, le pouvoir de Néron devait s’effondrer. Ce dernier serait acculé au suicide, et une crise terrible secouerait l’empire dans les années 68-69, qui ne connaîtraient pas moins de cinq empereurs se succédant au principat : Néron donc, Galba, Othon, Vitellius et Vespasien.  

Cependant, on ne trouvait dans l’Apocalypse aucune allusion directe au suicide de Néron, et son successeur n’apparaissait que dans un avenir indéterminé. C’était que l’Apocalypse même fut rédigée à l’apogée du principat de Néron, avant sa chute. ] (16,11) et ils blasphémèrent le Dieu du ciel à cause de leurs douleurs et de leurs blessures, mais ils ne firent pas pénitence de leurs œuvres. 

6 – La sixième coupe : 16,12-16

(16,12) Et le sixième répandit sa coupe sur le grand fleuve Euphrate ; [Du temps de Néron, la grande menace sur la sécurité de l’empire se faisait sentir du côté de l’Euphrate. Néron dut y faire face, d’ailleurs victorieusement, dès le début de son principat.

(Au temps de Domitien la menace se reporterait, on le sait, sur la frontière danubienne).

Cette menace sur l’Euphrate, démesurément grossie par la voix du peuple, qui ne disposait pas des moyens modernes d’information, Jean l’avait déjà évoquée en 9,13-21, dans la vision de la sixième trompette, au III e cycle.

Il y revenait ici, dans la vision de la sixième coupe du V e cycle, et ceci d’une manière symétrique par rapport au centre absolu du livre, que nous avons reconnu dans le verset 13,18 (celui du chiffre de la Bête), au beau milieu du cycle central, le IV e, celui de la Femme et de son combat avec le Dragon. (Voir le plan de l’Apocalypse : Note 35).

La première évocation était d’ordre historique : elle faisait référence à un passé récent. Ici l’évocation prenait une teinte prophétique : elle visait un avenir indéterminé, mais présenté comme inéluctable, avec une échéance plus ou moins rapprochée, et dans des perspectives plus ou moins mêlées. ] ses eaux tarirent, ouvrant la voie aux rois qui viennent du côté du soleil levant. [Les rois Parthes, qui alors effrayaient le monde romain (2OO millions de cavaliers sur l’Euphrate, au verset 9,16 !), n’allaient pas tarder à franchir la frontière.] (16,13) Et je vis sortir de la bouche du dragon, de la bouche de la bête et de la bouche du faux prophète [L’identité de ces trois personnages nous était désormais familière ! Et ceci depuis le IV e cycle (12,1 --- 14,20).

Le Dragon c’était le diable (cf. 12,9).

La Bête c’était Jules César, prototype du pouvoir impérial (cf. 13,3).

Quant au faux prophète, ou encore l’autre Bête faisant parler la première (cf. 13,15), il n’était autre que Néron l’empereur actuellement régnant, véritable Antéchrist dont il convenait de taire le nom (cf. 13,18).

Voilà bien de nouveau cette Trinité maléfique, singe de la vraie ! ] trois esprits impurs, comme des grenouilles : [De même que du trône de Dieu et de l’Agneau s’élançaient les sept esprits de Dieu (cf. 5,6), qui s’en allaient en mission par toute la terre, de même de la triade diabolique s’échappaient trois esprits impurs.

On pouvait les définir : des esprits de fausse prophétie (cf. la formule : « le faux prophète »), des esprits de blasphème, des esprits de persécution.

Une guerre immense était sur le point de s’engager : celle du christianisme contre le paganisme. ] (16,14) En effet, ce sont des esprits de démons faisant des signes, [« Sêmeia » : Au moment où Jean écrivait, Néron achevait en Grèce une tournée triomphale pendant laquelle il avait multiplié les prodiges, les « signes », mot que Jean reprendrait dans son évangile pour caractériser les miracles de Jésus. Mot que Paul, d’ailleurs, avait utilisé en donnant la description de l’homme « Impie », en 2 Th 2,8-9. (Cf. notre commentaire du verset : 13,11). ] qui sortent pour rassembler les rois de toute la terre habitée, pour le combat [Jean bloquait ici, en une seule vision, tout l’avenir du monde, toutes perspectives confondues.

C’était la « lutte finale » qui s’engageait. ] du grand jour de Dieu, le tout-puissant. [Le Grand Soir, comme diraient plus tard les marxistes.

L’expression : « Le Jour de Yahvé » revenait fréquemment sous la plume des prophètes, depuis Amos (5,18).

Elle marquait le thème favori de toute une littérature dite eschatologique, dont on trouvait des échantillons jusque dans les évangiles.

Alors que la pensée philosophique, ou scientifique, oriente plutôt ses recherches en direction du passé, car elle se préoccupe avant tout de la question des origines, la pensée religieuse, ou mystique, elle, tourne plus volontiers ses regards vers l’avenir. Elle essaie d’anticiper le destin final du monde. Quelques fois même, elle se permet de l’imaginer sous des formes un peu naïves.

Quoi qu’il en soit, les deux quêtes, celle des origines et celle de la fin, restent connexes. Le regard qui est dirigé dans les deux directions opposées dénote la grandeur de l’homme.

La réponse de la Bible était que le jour final serait, comme le premier jour, le jour de Dieu. (Cf. Gn 1,1 ; Ap 22,20). ]

(16,15) Voici que je viens comme un voleur. [Ce leitmotiv  (cf. 3,3) rappelait la parabole évangélique (cf. Mt 24,43 ; Lc 12,39).] Bienheureux qui veille [L’une des sept béatitudes de l’Apocalypse (voir notre commentaire du verset 1,3). De tels septénaires ne pouvaient être fortuits. Ils démontraient l’unité profonde du livre, et l’homogénéité qui avait présidé à l’élaboration de son plan d’ensemble, comme à la mise en place des détails de composition les plus infimes. Cette unité et cette homogénéité, constatées, réfutaient complètement la théorie documentaire qui ne voyait dans l’Apocalypse qu’un patchwork d’éléments disparates. ] et garde ses vêtements, de façon à ne pas marcher nu, et qu’on ne voit sa honte. [Les réprouvés allaient nus, c’était dire qu’ils étaient réduits à eux-mêmes (cf. Mc 4,25 et parallèles). Mais les élus seraient revêtus des mérites du Christ, et de leurs propres mérites (cf. 19,8). Ce thème de la nudité honteuse était récurrent chez les prophètes (cf. par exemple : Osée 2,5). L’origine du thème remontait évidemment au récit de la faute originelle (cf. Gn 3,7). ] (16,16) Et il les rassembla dans le lieu appelé en hébreu [L’hébreu sous-jacent, ou l’araméen, affleuraient souvent dans le texte de l’Apocalypse. Nous en avions ici un indice supplémentaire.

- « en hébreu Abaddôn », en 9,11 : c’était le nom de l’ange de l’abîme.

- « six cent soixante six » en 13,18. La gématrie nous apprenait que ce chiffre correspondait à la valeur numérique, en hébreu, des lettres : NRWN QSR.

- « en hébreu Harmagedôn », ici même (16,16) : la montagne de Megiddo.

- Le « viens » de 22,17.20 n’était autre que l’araméen « Marana tha » (« Seigneur, viens ! ») des premières communautés que saint Paul nous avait conservé dans le texte original (cf. 1 Co 16,22). 

Nous ne parlons pas des nombreuses tournures hébraïques que les spécialistes décèlent dans la langue de Jean.

L’Apocalypse fut bien écrite en grec, comme en témoignaient les nombreuses allitérations, ou jeux de mots, certainement volontaires qui parsemaient le texte. Mais du moins fut-elle pensée en hébreu, ou en araméen. ] Harmagedôn. [La montagne de Megiddo. Harmagedôn : mot d’assonance quasi magique, ou mythique. Les sectes en abuseraient.

Jean l’employait ici sans l’expliquer, ce qui accroissait son mystère.

La hauteur de Megiddo dominait la plaine d’Esdrelon, en Galilée, pas très loin de Nazareth. En 609, avant notre ère, le roi Josias y connut la défaite, et la mort,  face aux armées du Pharaon Néko (cf. 2 R 23,29). Cet accident devait précéder de fort peu la ruine de Jérusalem (en 587).

La plaine de Megiddo resterait un symbole de désastre pour les armées qui s’y rassemblent (cf. Za 12,11).

7 – La septième coupe : 16,17-21

(16,17) Et le septième répandit sa coupe dans l’air. [A la fin de chaque cycle, comme ici, il nous semblait assister par anticipation à la fin ultime de toutes choses, ainsi qu’au triomphe définitif des élus.

Dans le   I er cycle, cf. 3,21

           -          II e cycle, cf. 7,15-17

           -          III e cycle, cf. 11,18

           -          IV e cycle, cf. 14,14-20

           -          V e cycle, cf. 16,17-20

           -          VI e cycle, cf. 19,1-10

           -          VII e cycle, cf. 21,1 --- 22,5

Pourtant lesdits cycles étaient loin de se répéter. Chacun d’eux nous présentait une nouvelle étape, et une étape décisive, de l’histoire humaine.

Le I er cycle nous exposait le présent précaire des Eglises.

Dans le II e cycle, les sceaux de la destinée commençaient de sauter, dès le début de la création du monde.

Dans le III e cycle les trompettes annonciatrices du jugement dernier retentissaient dans l’histoire récente, celle contemporaine de Jean.

Le IV e cycle montrait l’actualité de la Femme, la mère du Messie et de l’Eglise naissante. Il montrait aussi, par contraste, l’actualité de l’empire romain dominateur, et de Néron le maître actuellement régnant.

Dans le V e cycle on entrevoyait les coupes de la colère de Dieu, sur le point de se déverser sur l’empire dans un avenir proche.

Dans le VI e cycle apparaissait, mais dans un avenir plus lointain, le jugement final de Rome.

Et plus lointain encore, dans le VII e cycle, s’apercevait le jugement final du monde.

Chacun des cycles s’originait dans la vision ultime du cycle précédent, mais la tragédie connaissait une inflation constante, de telle sorte qu’on pourrait parler d’une spirale, plutôt que de cycles.

Le vol de l’aigle s’élevait d’abord au zénith, ici au verset 15,1 : « Et je vis un autre signe dans le ciel », puis lentement il redescendait, tournoyant sur la terre et sur son histoire : sur l’espace et sur le temps, avant de remonter dans le ciel au début du cycle suivant.  

Ce septième et dernier fléau du V e cycle frappait l’air, qui est l’élément vital par excellence. Tous les êtres vivants sur la surface de la terre se voyaient menacés.] Alors sortit du sanctuaire, partant du trône, une voix puissante disant : [Procédant de la divinité du Père, le Verbe.] « C’en est fait ! » [Dans la prescience de Dieu, ou plus exactement sous le regard intemporel de Dieu, c’en était toujours fait, car tout était prédestiné.

Mais tout était prédestiné dans le double sens que nous avions spécifié, en commentant le verset 14,20 : prédestination active à l’égard du bien, prédestination passive à l’égard du mal.

Non dans un sens fataliste comme l’enseignait la théologie musulmane (du moins semblait-il) pour laquelle tout était décrété d’avance par un libre dessein de Dieu, le bien comme le mal : mektoub, c’est écrit.

Dans la pensée de Jean, comme dans la pensée chrétienne, le bien seul était décrété d’avance. La liberté humaine subsistait entière.

Pour nous aussi en espérance : « c’en est fait ». Nous serions sauvés, si nous restions fidèles. Et nous avions la douce espérance que Dieu nous accorderait cette grâce, si nous l’en priions. ] (16,18) Et ce furent des éclairs, des voix et des tonnerres, avec un fort séisme, [Nouvelle théophanie comme au Sinaï (cf. Ex 19,16-25) et comme à l’Horeb (cf. 1 R 19,9-18). Déjà plusieurs fois (cf. 4,5 ; 8,5 ; 11,19) nous fûmes transportés devant le trône de Dieu ou dans le ciel, et mis en présence des mêmes éclairs, des mêmes voix, des mêmes tonnerres.

Le tonnerre ne figurait dans les théophanies qu’à titre de menace pour les impies. Elie en eut la confidence à l’Horeb : le véritable Yahvé, qui est un Dieu de miséricorde, se manifestait de préférence dans un souffle (cf. 1 R 19,12-13).

De même, quand le Christ fut transfiguré sur une haute montagne, sans doute l’Hermon, et que son Père lui parla de la nuée, alors non plus le tonnerre n’avait pas grondé (cf. Mt 17,1-8 ; Mc 9,2-8 ; Lc 9,28-36). ] Il n’en fut jamais de tel, depuis que l’homme fut sur la terre, un tel séisme, aussi violent. (16,19) Et la grande cité se scinda en trois parties ; [La part des justes, la part des impies, et la part des pécheurs repentants : le ciel, l’enfer et le purgatoire.

Les âmes de ceux qui résidaient dans la grand’ville, à leur mort, furent ventilées selon ces trois catégories bien distinctes. ] et les cités des païens s’écroulèrent. Quant à Babylone la grande, on s’en souvint devant Dieu pour lui donner le calice de vin du ressentiment de sa colère. [La portion de Rome, qui s’appellerait Babylone, subirait le sort de Babylone : c’était dire qu’elle boirait la coupe de la colère de Dieu.

Quant à la portion de Rome qui s’appellerait Jérusalem, elle monterait jusqu’aux cieux, afin de mieux redescendre le jour de la parousie, et de supplanter pour toujours la cité païenne (cf. 21,2).

Que la partie flottante, entre les deux dénominations, se hâtât d’opter ! ] (16,20) Et toute île s’enfuit ; et les montagnes ne se trouvèrent plus. [Les îles de l’égoïsme et les montagnes de l’orgueil.] (16,21) Et des grêlons énormes, [Les maladies, les persécutions, les guerres, les accidents de toute sorte qui cribleraient l’humanité jusqu’à la fin.] comme des poids d’un talent, [34 kg ! Dans notre monde moderne, nous frôlaient tous les jours des bolides de plus de 34 kg !] tombèrent du ciel sur les hommes, [Les phénomènes matériels, et tous les événements moraux, à l’exception du seul péché, ou des péchés, étaient directement prédéterminés par Dieu (le « ciel »). C’était ce que Thomas d’Aquin appelait la « prédétermination physique ». En vertu d’un immuable décret divin.

En vertu aussi du péché que Dieu voyait sans le vouloir. Car le mal physique, et la mort même, n’existaient sur terre que pour corriger le mal moral. Ils n’eussent pas été sans le péché. C’était la doctrine du livre de la Sagesse. Voir en particulier : Sg 2,23-24.] et les hommes blasphémèrent Dieu, à cause de la plaie de cette grêle, [Ceux qui ne furent pas frappés, et qui survivaient, blasphémèrent alors qu’ils eussent dû se hâter de faire pénitence.] car cette plaie est fort grande. [Un effrayant désastre que celui causé par le paganisme, et par le péché ! Tous les hommes semblaient atteints. L’idolâtrie reculerait-elle enfin ?

Le fléau de la balance du destin semblait hésiter encore. Pencherait-il décidément du côté de Babylone, ou du côté de Jérusalem ?  

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