Lecture commentée de l’Apocalypse :
Deuxième partie :
II. Les sept sceaux
Ap 4,1 --- 8,1
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II. Les Sept sceaux (4,1 --- 8,1)
(4,1) « Après cela je vis, [« Méta tauta eidon ».
Expression-charnière qu’on retrouverait maintes fois dans l’Apocalypse (cf. 7,1 ; 18,1). Ici, elle ouvrait le second cycle, celui des sept sceaux (4,1 --- 8,1), avec une vision liminaire importante (4,1 --- 5,14). Elle ouvrait en même temps la partie proprement prophétique du livre (4,1 --- 22,5), selon le plan sommaire annoncé, comme nous l’avons vu (cf. 1,19), dès la vision préparatoire des lettres aux sept Eglises (voir Note 41), même si ladite partie prophétique englobait le passé de l’humanité, aussi bien que son présent et son avenir.
Les mots : ‘méta tauta’ (après cela), ou ‘eidov’ (je vis), ou encore ‘kai eidon’ (et je vis), serviraient un grand nombre de fois de mots-charnières au long du texte, à la manière d’un refrain. Ils appartenaient par priorité au vocabulaire johannique (cf. Jn 5,1 ; 21,1). ] et voici : une porte ouverte dans le ciel, [Chacun des six derniers cycles commencerait, ou s’achèverait, par une vision céleste. D’entrée, nous étions transportés au ciel ; après quoi la vision de Jean, tel un vol d’aigle, redescendrait vers notre pauvre terre, tourbillonnant sur elle-même pour enfin remonter au ciel dans la direction du zénith, et ainsi de suite. ] et la voix, la première que j’avais entendue, comme une trompette parlant avec moi, disant : Monte ici, et je te montrerai ce qui doit arriver après cela. (4,2) Aussitôt je fus en esprit, [Rappel de la nature spirituelle, et non pas sensorielle, des visions de Jean. (Cf. 1,10). ] et voici qu’un trône était dressé dans le ciel, et sur le trône quelqu’un d’assis. [Sans tarder, Dieu se manifestait à nous, comme dans les grandes théophanies bibliques. Moïse avait contemplé Dieu au Sinaï (cf. Ex 19,16-25), Elie à l’Horeb (= Sinaï) (cf. 1 R 19,9-18) ; de même Isaïe (cf. Is 6) ; Ezéchiel (cf. Ez 1) ; Daniel (cf. Dn 7,9-10 ; 10,1-8). Le récit de Jean s’inspirait de ces visions.
La contemplation qui nous était offerte dans l’Apocalypse assumait d’emblée toutes les révélations, même les plus hautes, de l’Ancien Testament, en attendant de leur apporter le complément de la révélation trinitaire. L’Ancien Testament, c’était Dieu qui se manifestait à l’humanité malgré, ou par delà, sa transcendance. Dans le Nouveau Testament, la Trinité même s’ouvrirait à nous, et descendrait vers le monde.] (4,3) Et l’assis semblable à une vision de pierre de jaspe et de cornaline ; un arc-en-ciel autour du trône semblable à une vision d’émeraude. (4,4) Et, entourant le trône, vingt quatre trônes, et sur les trônes vingt quatre vieillards siégeant revêtus de vêtements blancs avec, sur leurs têtes, des couronnes d’or. [Ces 24 sièges étaient ceux des 12 patriarches de l’Ancienne Alliance et des 12 apôtres de la Nouvelle : les princes de l’Israël total. Mais les sièges étaient occupés prévisionnellement, depuis la fondation du monde, par des anges. Voilà pourquoi les personnages qu’on apercevait, assis sur les sièges, avaient l’aspect de vieillards : ils étaient aussi vieux que le monde.
Dans la liturgie céleste, ces vieillards exerçaient une fonction perpétuelle de louange : comme des prêtres officiants, ils étaient revêtus de tunique blanche. Mais dans l’Eglise de Dieu ils remplissaient aussi une fonction de gouvernement : assis sur des trônes, ils s’apprêtaient à juger le monde. (Cf. Mt 19,28 ; Lc 22,30).
En somme ces personnages symbolisaient les princes de l’Eglise, les évêques, les pasteurs, et tous ceux qui dans l’avenir dirigeraient l’Eglise, et célébreraient sa liturgie. ] (4,5) Et du trône partent des éclairs, des voix et des tonnerres ; et sept lampes de feu brûlant devant le trône, qui sont les sept esprits de Dieu, [Ou plutôt l’unique Esprit septiforme comme le comprendrait la tradition médiévale ; confer le chant du Veni Sancte Spiritus : Tu septiformis munere…
Cet Esprit septiforme se posait en priorité sur le Messie, comme l’avait annoncé le prophète Isaïe (cf. Is 11,1-3). Il se manifestait par sept dons principaux, qui étaient la sagesse, l’intelligence, le conseil, la force, la science, la crainte de Dieu et la piété.] (4,6) Et devant le trône, comme une mer transparente semblable à du cristal. [Si le trône désignait la Personne divine (celle qui siégeait sur lui), la mer translucide devant le trône marquait la divinité même de Dieu : la « nature divine », comme dirait la théologie ultérieure.] Au milieu du trône et autour du trône, quatre vivants, pleins d’yeux devant et derrière ; (4,7) et le premier vivant semblable à un lion, le deuxième vivant semblable à un veau, le troisième vivant ayant comme un visage d’homme, le quatrième vivant semblable à un aigle en plein vol. [Quatre Vivants : un lion, un jeune taureau, un homme, un aigle ; symbolisme emprunté au prophète Ezéchiel dont tout ce passage s’inspirait (cf. Ez 1,5-21 ; 10,14).
Le nombre quatre évoquait la totalité de l’espace : les quatre points cardinaux ou, mieux encore, les quatre dimensions de l’espace : largeur, longueur, hauteur et profondeur (cf. Ep 3,18).
Plus que des anges, sans doute, ces quatre Vivants symbolisaient-ils la Force, la Puissance (créatrice), l’Intelligence et la Pénétration universelle des mystères, qui étaient en Dieu même.
Depuis les Pères de l’Eglise, la tradition avait reconnu dans ces quatre Vivants la figure de l’Evangile quadriforme. Mais l’attribution précise des animaux, lion, taureau ou aigle, ou de la forme humaine, à chacun des évangélistes avait varié au cours des âges. ] (4,8) Les quatre vivants, portaient, chacun d’eux, six ailes ; tout autour et en dedans, elles sont pleines d’yeux. Ils n’ont pas de repos, jour et nuit, disant :
« Saint, saint, saint, le Seigneur Dieu tout-puissant, [Nous assistions de loin, dans cette vision, à la liturgie céleste. Tout le cosmos, et nous-mêmes, après des péripéties, y serions peu à peu associés. ] qui était, qui est et qui vient. »
(4,9) Et chaque fois que les vivants offraient gloire, honneur et action de grâces à l’assis sur le trône, au vivant pour les siècles des siècles, (4,10) ils tombaient, les vingt-quatre vieillards, devant l’assis sur le trône ; ils adoraient le vivant pour les siècles des siècles ; ils lançaient leur couronne devant le trône, disant :
(4,11) « Tu es digne, ô notre Seigneur et Dieu,
de recevoir la gloire, l’honneur et la puissance,
car c’est toi qui créas toutes choses ;
par ta volonté, elles étaient, et furent créées. »
(5,1) Et je vis sur la main droite de l’assis sur le trône, un livre écrit au recto et au verso, scellé de sept sceaux. [Ce livre écrit au recto et au verso n’était autre que le Grand Livre de la prédestination. Il était placé dans la main droite du Père, c’était dire dans sa main créatrice. Il était écrit au recto et au verso sans que rien n’y manquât. Il renfermait tout : le bien comme le mal. Il était scellé de sept sceaux infrangibles. Aucune créature, humaine ou angélique, ne pouvait l’ouvrir, ni par conséquent accéder à son contenu.
Il fallait bien comprendre que la prédestination, ici évoquée, se subsumait avant tout dans la prescience divine. Dieu savait tout, de toute éternité. Mais ladite prédestination n’impliquait aucun fatalisme. Elle n’entravait pas la liberté des créatures. La suite de l’Apocalypse, comme le reste des écrits johanniques, en fourniraient l’ample démonstration. ] (5,2) Et je vis un ange puissant, proclamant d’une voix forte : « Qui est digne d’ouvrir le livre et d’en briser les sceaux ? » (5,3) Mais personne ne pouvait, ni dans le ciel, ni sur la terre, ni sous la terre, ouvrir le livre et le lire. (5,4) Et je pleurais fort de ce que personne ne fut trouvé digne d’ouvrir le livre et de le lire. (5,5) Et l’un des vieillards me dit : « Ne pleure pas, voici qu’il a remporté la victoire, le lion de la tribu de Juda, [Le patriarche Jacob, mourant, avait comparé son fils Juda à un jeune lion. Il lui avait promis que la royauté ne sortirait pas de sa tribu avant que ne survînt le Messie attendu (cf. Gn 49,9-10). A travers David, le Christ était ce descendant de Juda. Comme son père putatif, Joseph, et mieux encore que lui, il méritait le surnom de Lion de Juda. ] le rejeton de David, [Le Christ était le descendant de David (cf. 22,16). Le IV e évangile ne le disait pas, mais le supposait seulement (cf. Jn 7,42). Outre l’Apocalypse, nous le savions par les trois synoptiques, par les Actes (2,30), et par saint Paul (cf. Rm 1,3).
Il fallait que le Messie fût le descendant de David, non seulement par le nom ou légalement, ce que nous apprenions par saint Matthieu (1,1-17), mais encore par la race et par le sang (cf. 2 S 7,12), ce que nous était révélé par saint Luc (3,23-38).
Jésus héritait du titre de fils de David par Joseph, l’héritier de la famille royale. Mais il était du sang de David, ou du sein de David (cf. Ps 132,11), par Marie sa mère, l’épouse virginale de Joseph. ] il ouvrira le livre avec ses sept sceaux. »
(5,6) Alors je vis au milieu du trône et des quatre vivants, au milieu des vieillards, un Agneau debout, comme égorgé, [Le Christ, portant les stigmates de sa passion ; mais « debout », ou vivant, car il était ressuscité.
Dans le IV e évangile, nous entendions Jean-Baptiste désigner Jésus comme « l’Agneau de Dieu. » (Jn 1,29). La Bible de Jérusalem (note ad locum, édition de 1956) commentait excellemment : « Un des symboles majeurs de la christologie johannique. Il fond en une seule réalité l’image du « Serviteur » d’Is 53 qui porte le péché des hommes et s’offre en « agneau expiatoire » (Lv 14) et le rite de l’agneau pascal, symbole de la rédemption d’Israël. »] portant sept cornes et sept yeux qui sont les sept esprits de Dieu, envoyés par toute la terre. (5,7) Il vint prendre dans la main droite de l’assis sur le trône. (5,8) Et comme il recevait le livre, les quatre vivants et les vingt-quatre vieillards tombèrent devant l’Agneau, tenant chacun une harpe et des coupes d’or pleines de parfums, qui sont les prières des saints. (5,9) Ils chantent un cantique nouveau, disant :
« Tu es digne de prendre le livre
et d’en ouvrir les sceaux,
car tu fus égorgé et tu rachetas pour Dieu, dans ton sang,
des gens de toute tribu, langue, peuple et nation ;
(5,10) tu as fait d’eux pour notre Dieu un royaume et des prêtres,
et ils règneront sur la terre. »
(5,11) Et je vis et j’entendis la voix d’une multitude d’anges, en cercle autour du trône des vivants et des vieillards – leur nombre était de myriades de myriades, et de milliers de milliers – [Formule empruntée au prophète Daniel (7,10). On la retrouvait fréquemment dans le livre d’Hénoch. Elle appartenait au langage du judaïsme tardif, et à sa doctrine, qui attribuaient une grande importance aux anges.
On avait là le chiffre le plus élevé de l’Apocalypse, qui en comptait un grand nombre (266, sauf erreur).
L’un des lieux théologiques de la Révélation, concernant les anges, qui nous affirmait que le nombre de ces créatures spirituelles était quasi infini.
Mais plus grand encore, et quant à lui réellement infini, le nombre des Perfections, ou des Puissances divines, dont les anges, en quelque sorte, n’étaient que les agents, ou les représentants. ] (5,12) disant à pleine voix :
« Digne est l’Agneau qui fut égorgé
de recevoir la puissance, les richesses et la sagesse,
la force, l’honneur, la gloire et la bénédiction. »
(5,13) Et toute créature qui est dans le ciel, et sur la terre, et sous la terre, et sur la mer, et toutes choses en eux, je les entendis disant :
« A l’assis sur le trône et à l’Agneau, bénédiction, honneur, gloire et pouvoir pour les siècles des siècles. »
(5,14) Et les quatre vivants disaient : « Amen ! » ; et les vieillards tombèrent et adorèrent. [Sans doute, l’un des sommets mystiques de l’Apocalypse. Il nous était donné d’entrevoir ici, dans la liturgie céleste, l’unique et éternelle Eucharistie. Le Christ immolé en était à la fois le prêtre et la victime. Parce qu’il était Dieu, il était associé aux honneurs divins, mais son humanité ressuscitée participait pleinement à son culte de Fils de Dieu, sous les acclamations de tout le cosmos. ]
(6,1) Et je vis, quand l’Agneau eut ouvert le premier des sept sceaux, [Voilà le début du jugement du monde ! Mais le jugement de ce monde était commencé depuis l’aube de l’humanité. Nous avions donc, ici, le début de l’évocation de toute l’histoire humaine.] et j’entendis l’un de ces quatre vivants disant d’une voix de tonnerre : « Viens ! » (6,2) Et je vis, et voici : un cheval blanc. Et celui qui le montait ayant un arc. Il lui fut donné une couronne [La couronne de la victoire, car celui qui montait le cheval blanc était victorieux. Il était le vainqueur de toutes les causes justes, dans tous les conflits du monde.] et il sortit en vainqueur et pour vaincre.
(6,3) Lorsqu’il eut ouvert le deuxième sceau, j’entendis le deuxième vivant, disant : « Viens ! » (6,4) Alors surgit un autre cheval, rouge-feu, et celui qui le montait, il lui fut donné de bannir la paix de la terre, et de faire que l’on s’égorgeât les uns les autres ; il lui fut donné un grand glaive. [Evocation de toutes les guerres sanglantes, mais aussi de toutes les querelles, qui avaient jalonné l’histoire des hommes, depuis Caïn et Abel]
(6,5) Et lorsqu’il eut ouvert le troisième sceau, j’entendis le troisième vivant, disant : « Viens ! » Et je vis, et voici : un cheval noir ; celui qui le montait, tenant une balance dans la main. (6,6) Et j’entendis comme une voix, du milieu des quatre vivants, disant : « Un chénice de blé pour un denier, [La famine, conséquence des guerres. Mais une famine encore mesurée, et que l’on pouvait surmonter en payant au prix fort les denrées. Toutes les disettes qui avaient affligé l’humanité dans le passé, sans toutefois l’anéantir. ] et trois chénices d’orge pour un denier ; quant à l’huile et au vin, ne les gaspille pas. »
(6,7) Et lorsqu’il eut ouvert le quatrième sceau, j’entendis la voix du quatrième vivant, disant : « Viens ! » (6,8) Et je vis, et voici, un cheval vert, et celui qui le montait se nommait la Mort, et l’Enfer le suivait. [La mort qui fut, et qui serait, le lot commun de tous les hommes pris individuellement, depuis le péché d’Adam.]
Alors, il leur fut donné puissance sur le quart de la terre, pour tuer par le glaive, la famine et la mort, et par les fauves de la terre. [Le cheval blanc, le cheval rouge, le cheval noir, maintenant le cheval verdâtre, continuaient de ravager le monde. Mais leur pouvoir de destruction restait limité à un quart de la terre. Toutes les calamités qui s’abattaient sur les hommes, depuis l’origine, mais sans les exterminer. On le remarquait, c’étaient des calamités de nature terrestre, et donc encore à mesure humaine. Dans la suite les désastres iraient s’amplifiant. ]
(6,9) Et lorsqu’il eut ouvert le cinquième sceau, je vis sous l’autel les âmes de ceux qui furent égorgés pour la parole de Dieu [Tous les martyrs, au sens moderne du mot. Toutes les victimes des justes causes, depuis Abel le juste, et dont la mort n’était pas encore vengée. Tous les prophètes de l’ancienne Loi qui avaient subi la persécution. « Tout le sang innocent répandu sur la terre, depuis le sang de l’innocent Abel jusqu’au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez assassiné entre le sanctuaire et l’autel ! » comme avait dit Jésus-Christ (Mt 23,35). ] et pour le témoignage qu’ils avaient rendu. (6,10) Et ils clamèrent d’une voix forte, disant : « Jusqu’à quand, Seigneur, saint et vrai, ne jugeras-tu pas, et ne vengeras-tu pas notre sang de ceux qui habitent sur la terre ? » (6,11) Alors il fut donné à chacun une robe blanche ; il leur fut dit d’attendre encore un peu de temps, [La robe blanche de l’innocence pour leur donner de patienter, car elle était un signe d’espérance. Les âmes des premiers justes n’entreraient pas dans la vision béatifique avant le Vendredi Saint, vers trois heures de l’après-midi : « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis. » (Lc 23,43). ] jusqu’à ce que fussent au complet leurs compagnons de service, et leurs frères qui doivent être mis à mort comme eux. [On avait ici la preuve que Jean s’attardait dans la description du passé. Les martyrs anciens devaient encore attendre l’arrivée des martyrs futurs. ]
(6,12) Et je vis, lorsqu’il eut ouvert le sixième sceau, un violent tremblement de terre se fit, et le soleil devint noir comme un sac de crin, et la lune toute entière comme du sang, (6,13) et les étoiles du ciel s’abattirent sur la terre, comme le figuier projette ses figues vertes, quand il est tordu par la tempête, (6,14) et le ciel disparut comme un livre roulé, et tout mont et île furent arrachés de leur place. (6,15) Et les rois de la terre, et les grands, et les tribuns, les riches, les forts, tout esclave ou homme libre, se cachèrent dans les cavernes et parmi les rochers des montagnes. (6,16) Ils disaient aux montagnes et aux rochers : « Tombez sur nous et cachez-nous loin de la face de l’assis sur le trône, et de la colère de l’Agneau », (6,17) car il est venu le grand jour de sa colère, [Lors de cette ouverture du sixième sceau, on entrevoyait déjà, inchoativement, la fin inéluctable du monde, celle qui nous serait exposée dans les dernières visions du livre.
Pour le moment, nous n’avions affaire ici qu’à une anticipation : mais à l’anticipation d’un événement certain, déjà acquis dans la foi, déjà présent « en esprit », et que l’on pouvait contempler par avance.
D’une certaine manière tout cataclysme, tout déluge, toute guerre, anticipaient la fin du monde.] et qui peut tenir ?
(7,1) Après quoi je vis quatre anges, debout aux quatre angles de la terre, retenant les quatre vents de la terre, pour qu’il ne soufflât point de vent, [A tout moment le jugement de Dieu apparaissait comme imminent, déjà là, déjà initié. Mais il était suspendu par l’effet de la miséricorde divine. Il importait que l’histoire du monde s’achevât. ] ni sur la terre, ni sur la mer, ni sur aucun arbre. (7,2) Et je vis un autre ange montant du côté du soleil levant, portant le sceau du Dieu vivant ; et il clama d’une voix forte aux quatre anges auxquels il fut donné de nuire à la terre et à la mer, (7,3) disant : « Ne nuisez pas à la terre ni à la mer ni aux arbres, avant que nous ayons marqué du sceau les serviteurs de notre Dieu sur leur front. » (7,4) Et j’entendis le nombre de ceux qui furent marqués du sceau : cent quarante-quatre mille de toute tribu des fils d’Israël : [Le nombre des prédestinés de l’Israël ancien, celui qui avait couru jusqu’au Christ. Ce nombre avait atteint sa plénitude, marquée par Dieu de toute éternité, à l’unité près. Il était visualisé par le chiffre de 144.000, soit : 12 X 12 X 1000.
Chacune des douze tribus d’Israël (12). Chacune des familles de chaque tribu (12). Une foule nombreuse (1OOO) de chaque famille.
On n’avait pas affaire, ici non plus, à une prédestination fataliste, car tous ces élus étaient d’authentiques « serviteurs de notre Dieu » (7,3). Authentiques, à la fois par le mérite et par la grâce. Dieu ne prédestinait pas par hasard, ou par caprice. Mais il prédestinait ses serviteurs.
Dans sa prescience infinie, Dieu connaissait par avance le nombre exact de ceux qui seraient ses véritables serviteurs : ceux du siècle d’Adam, ceux du siècle d’Israël, ceux du siècle futur de l’Eglise. Pour eux, il avait créé le monde.
L’un des secrets de Dieu les mieux gardés, celui du nombre des élus, commençait de nous être dévoilé. N’oublions pas que nous assistions ici à l’ouverture du Livre de la Vie. Nous en étions au sixième sceau. ]
(7,5) De la tribu de Juda, douze mille furent marqués ; de la tribu de Ruben, douze mille ; de la tribu de Gad, douze mille ; (7,6) de la tribu d’Aser, douze mille ; de la tribu de Nephtali, douze mille ; de la tribu de Manassé, douze mille ; (7,7) de la tribu de Siméon, douze milles ; de la tribu de Lévi, douze mille ; de la tribu d’Issachar, douze mille ; (7,8) de la tribu de Zabulon, douze mille ; de la tribu de Joseph, douze mille ; de la tribu de Benjamin, douze mille furent marqués du sceau.
(7,9) Après cela je vis : et voici une foule immense que personne ne pouvait dénombrer, [Le nombre total des élus dépassait tout chiffre, même énorme, dépassait toute évaluation. Voilà ce qui paraîtrait quand serait complètement ouvert le Grand Livre de la Vie. Pas avant la fin du monde. Mais déjà Jean l’apercevait par anticipation, comme dans un rêve. Dans sa vision « en esprit », en effet, il pouvait accéder à l’éternité, et par conséquent au futur même le plus éloigné, même le plus mystérieux.
L’ouverture de ce sixième sceau, à laquelle nous assistions depuis le verset 6,12, ne marquait pas définitivement les temps eschatologiques, les temps de la fin. On en aurait la preuve à l’ouverture du septième sceau (cf. 8,1) qui serait suivi d’un silence d’une demi-heure. On en aurait la preuve par l’irruption des cinq derniers cycles (cf. 8,2 --- 22,5) par lesquels se poursuivrait le récit.] de toutes nations, tribus, peuples et langues, debout devant le trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, des palmes à la main. (7,10) Ils clament d’une voix forte : « Le salut à notre Dieu, qui siège sur le trône, et à l’Agneau ! » (7,11) Et tous les anges se tenaient en cercle autour du trône et des vieillards et des quatre vivants ; et ils tombèrent devant le trône la face contre terre ; et ils adorèrent Dieu (7,12) disant :
« Amen ! Bénédiction et gloire et sagesse, et action de grâce et honneur, puissance et force à notre Dieu pour les siècles des siècles. Amen. »
(7,13) Et l’un des vieillards prit la parole et me dit : « Ces gens qui sont vêtus de robes blanches, qui sont-ils et d’où viennent-ils ? » (7,14) Et je lui dis : « Mon Seigneur, c’est toi qui le sais. » Il reprit : « Ce sont les gens qui viennent de la grande tribulation ; ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l’Agneau. [Tous les élus, ceux du passé, ceux du présent comme ceux du futur, que Jean apercevait déjà « en esprit » : ils ne l’étaient qu’en vertu du sacrifice du Christ. Ils avaient nettoyé leurs robes du péché, originel ou actuel ; ils les avaient lavées dans le sang du Christ. Ils avaient revêtu l’innocence, soit en vertu de leur justice, comme Abel, soit en vertu de leur repentir, comme Adam et Eve. Pour le chrétien, bien entendu, cette robe blanche signifierait l’innocence baptismale, soit conservée, soit recouvrée. ] (7,15) C’est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu et le servent jour et nuit dans son temple ; et l’assis sur le trône étendra sa tente sur eux. (7,16) Jamais plus ils n’auront faim ; jamais plus ils n’auront soif ; ni ne frappera sur eux le soleil, ou la chaleur. (7,17) Car l’Agneau qui se tient au milieu du trône les paîtra et les conduira aux fontaines des eaux de la vie, [L’Agneau se tenait au milieu du trône de Dieu, car il était Dieu lui-même. Il se ferait tout à tous. Il serait l’unique berger, l’unique Dieu et l’unique nourriture des élus. Le ciel, ce serait lui, et lui dans le Père. ] et Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. »
(8,1) Et lorsque l’Agneau eut ouvert le septième sceau, il se fit un silence dans le ciel, environ une demi-heure… [On avait cru le jugement de Dieu définitivement rendu. Mais de fait il s’interrompait, tandis que le scénario de l’histoire humaine se poursuivait. Le passé lointain allait déboucher dans le passé récent, et même dans le présent, celui que vivait Jean. Après un léger suspens, on observerait une accélération du rythme des avatars. Les événements allaient se précipiter. Les catastrophes allaient augmenter d’ampleur.