Lecture commentée de l’Apocalypse :
Première partie : Prologue. Ap 1,1-3
I. Les sept lettres aux sept Eglises.
Ap 1,4 --- 3,22
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Prologue : Ap 1,1-3
(1,1) Révélation de Jésus-Christ : [Révélation d’un Jésus-Christ cosmique et non pas seulement historique (celui des évangiles), ou théologique (celui des épîtres). Dans le même temps, description de la destinée du corps mystique du Christ (l’Eglise) dans les mondes passé, présent, futur, et même éternel.
Quelques commentateurs (laïcs) réussissaient le tour de force de parler de l’Apocalypse sans même mentionner Jésus-Christ ! Mais c’était là un insoutenable paradoxe.] que Dieu lui donna pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt, [« ce qui doit arriver », locution empruntée par Jean au prophète son devancier (Cf. Dn 2,28). Il y joignait une note d’urgence, ou d’imminence, en précisant : « bientôt ». Au verset 3, il soulignerait : « Car le temps est proche. »
Dès l’entrée, l’Apocalypse se présentait à nous sous la forme littéraire d’une prophétie, annonçant l’avenir. Même si, de fait, bien des événements qu’elle évoquerait serait déjà passés, ou présents, au moment où Jean écrivait.
On observait le même phénomène dans d’autres livres prophétiques de la Bible, en particulier le livre de Daniel, l’un des modèles principaux de Jean. L’auteur inconnu de ce livre écrivait aux environs des années 167 - 164 avant notre ère, du temps de la persécution d’Antiochus Epiphane. Il plaçait fictivement ses oracles sous la plume d’un prophète plus ancien, en l’occurrence Daniel, qui avait vécu sous les Mèdes et les Perses.
Il lui faisait proférer des prophéties sur les temps à venir, qui, pour l’auteur réel, étaient déjà accomplies.
Mais à partir du verset 11,40 le ton changeait. L’auteur réel passait à la description des temps futurs. Il en serait de même chez Jean.] Il la signifia, en envoyant son ange à son esclave Jean, (1,2) lequel a témoigné du verbe de Dieu et du témoignage de Jésus-Christ, tout ce qu’il a vu. [Dès ce prologue, on devait noter la profonde unité de style des écrits johanniques, une coloration typique, la répétition ou l’association caractéristiques de mots tels que : Jean, Jésus-Christ, témoin (ou témoignage), parole, voir, écouter, entendre etc.…
Certes, on trouvait en plus, dans l’Apocalypse, un vocabulaire spécial, qu’on ne rencontrerait pas dans les autres écrits johanniques, ni même dans le reste du Nouveau Testament. Mais cela semblait dû à l’originalité du sujet ; au genre littéraire adopté, ici, par imitation des anciens prophètes ; aux circonstances dans lesquelles fut écrite l’Apocalypse : le plus fort de la persécution néronienne ; et au but qu’elle poursuivait : opuscule clandestin destiné à circuler sous le manteau, et à réconforter les fidèles ; peut-être même à la relative jeunesse de l’auteur, car la date de composition de l’Apocalypse était très éloignée de celle des autres écrits johanniques.] (1,3) Bienheureux le lecteur [Première des sept béatitudes qui ponctueraient l’Apocalypse, avec : 14,13 ; 16,15 ; 19,9 ; 20,6 ; 22,7.14.
On découvrirait bien d’autres septénaires de ce genre, parsemés dans le livret de l’Apocalypse, et qui ne sauraient être dus au hasard. Ils démontreraient, si besoin était, la profonde unité de composition de cette prophétie] et les auditeurs des paroles de la prophétie, s’ils observent ce qui est écrit en elle ; car le temps est proche.
I. Les sept lettres aux sept Eglises : Ap 1,4 --- 3,22
(1,4) Jean, aux sept [L’adresse (1,4-8) ouvrait aussi bien le livre entier, que le premier cycle (1,4 --- 3,22) du livre. Non seulement les sept lettres, pur artifice de composition, mais le livre entier serait destiné aux sept Eglises d’Asie que Jean détenait sous sa juridiction, et, par delà elles, à l’univers chrétien dans son ensemble.
D’emblée, Jean plaçait son ouvrage sous le signe du chiffre 7, nombre biblique par excellence, puisqu’il évoquait l’heptaméron de la Genèse, le chandelier à sept branches du Temple… On aurait là une des clefs du livre, qui en comptait de multiples.
Pour illustrer cet emploi systématique du chiffre 7, mentionnons :
- le plan en 7 X 7 parties, plus quelques visions liminaires ou intermédiaires ;
- les nombreux septénaires répartis dans le texte, comme celui déjà signalé (voir : 1,3) ;
- la répétition 59 fois des mots « sept » ou « septième »…
On sait que le IV e évangile serait lui-même bâti sur un plan septénaire : sept semaines, ou fêtes religieuses juives, encadrées d’un prologue et d’un appendice.] Eglises qui sont en Asie. [Jean possédait autorité sur les Eglises de l’Asie proconsulaire qui dépendaient d’Ephèse.
Une ferme tradition nous rapportait que l’apôtre Jean avait fini ses jours à Ephèse :
- Saint Irénée : Adv. Haer. III, 1,1.
- Clément d’Alexandrie, cité par Eusèbe de Césarée : H.E. III, 23, 5-19.
- Eusèbe de Césarée : H.E. III, 1,1.
On vénère encore à Selçuk, dans l’arrière-pays d’Ephèse, près des vestiges de l’ancien temple d’Artémis, les ruines de l’antique basilique qui abritait le tombeau de saint Jean. Le souvenir de saint Paul, quant à lui, était plutôt resté attaché à la ville d’Ephèse même, à ses ruines, et à son port, maintenant ensablé. ] Grâce à vous, et paix par celui qui est, qui était et qui vient, [Développement dans les trois temps (présent, passé et futur) du nom de Yahvé. De même ce serait selon ces trois temps, présent d’abord, puis passé, puis futur, que se répartirait la matière de l’Apocalypse.
Le nom de « Il est », « Yahvé », en hébreu archaïque, signalait un présent éternel. Dans une langue analytique, comme le grec, il devait être traduit, et explicité, par les trois époques : du passé, du présent et de l’avenir.
Ainsi la Sibylle définissait-elle Dieu : « Un être éternel, étant, ayant été auparavant, devant être encore par la suite. » (Oracles sibyllins, III, 15-16). Bien d’autres rapprochements de ce genre pourraient être faits avec la littérature sibylline, laquelle provenait de la communauté juive d’Alexandrie ; elle était à peu près contemporaine de l’Apocalypse.] par les sept esprits présents devant son trône, [Plutôt que les sept anges de la face (cf. Ap 8,2) on serait tenté de voir ici l’unique Esprit septiforme de la tradition médiévale. L’Apocalypse parlerait à plusieurs reprises de l’Esprit divin comme d’un unique Esprit. (Cf. 2,7.11.17.29 ; 3,6.13.22 ; 22,17).] (1,5) et par Jésus-Christ, le témoin fidèle, le premier-né d’entre les morts, et le prince des rois de la terre. Lui nous aime et nous a délivrés de nos péchés, dans son sang ; (1,6) et il a fait de nous un royaume de prêtres pour son Dieu et Père ; [Première affirmation, et sans ambiguïté, que Jésus était le Fils de Dieu. Dès le prologue de son évangile, Jean poserait aussi cette filiation divine absolue, et par conséquent cette divinité du Christ.] à lui la gloire et le pouvoir pour les siècles des siècles. Amen. (1,7) Voici qu’il vient sur les nuées, [Citation du prophète Daniel (7,13).Dès l’adresse aux sept Eglises, Jésus-Christ était identifié sans ambiguïté au Fils de l’homme de Daniel et de I Hénoch. « Je contemplais, dans les visions de la nuit : Voici, venant sur les nuées du ciel, comme un Fils d’homme. Il s’avança jusqu’à l’Ancien et fut conduit en sa présence. A lui fut conféré empire, honneur et royaume… » (Dn 7,13-14).
On sait, par les quatre évangiles, que Jésus s’était attribué, avec prédilection, ce titre de Fils de l’homme. Il assumait ainsi consciemment l’héritage de ce qu’on a appelé l’ « apocalyptique » juive.
Jean, par son Apocalypse, se rangeait ouvertement dans la mouvance littéraire de Daniel, de I Hénoch, peut-être des Testaments des douze patriarches, peut-être de IV Esdras. Il prolongeait ce phénomène culturel si particulier du judaïsme tardif, et c’est même lui qui, par son livre, lui a donné son nom.
Les emprunts faits au prophète Daniel seraient particulièrement significatifs.] et chaque œil le verra, même ceux qui l’ont transpercé, et sur lui se lamenteront toutes les tribus de la terre. [Pour le coup, citation du prophète Zacharie (12,10). Jean, et lui seul, reprendrait cette citation dans son évangile, au moment solennel de la mort de Jésus (cf. Jn 19,37).
On pourrait soutenir sans paradoxe que tous les écrits johanniques, que ce fussent l’Apocalypse, l’évangile ou les épîtres, se résumaient dans cette contemplation de l’Agneau de Dieu immolé, du Christ crucifié, de Jésus transpercé en croix par la lance du centurion romain. Jean fut le témoin privilégié de ce spectacle, privilégié même par rapport aux autres apôtres.] Oui, Amen !
(1,8) Moi, je suis l’Alpha et l’Oméga, dit le Seigneur Dieu, [Expression propre au grec, et à son alphabet, bien sûr. Elle ne pouvait pas être décalquée exactement de l’hébreu. On la retrouverait à deux autres reprises dans l’Apocalypse (cf. 21,6 ; 22,13). Tandis qu’aux versets 1,17 ; 2,8 et encore 22,13 on aurait, non transposée, la formule originale d’Isaïe : « Je suis le Premier et le Dernier. » (Is 44,6 ; 48,12).
Elle était placée dans la bouche du « Seigneur Dieu ». Mais le Christ était évidemment associé à sa divinité en sa qualité, déjà exprimée, de Fils de Dieu (cf. 1,6) et puisqu’il siégerait sur le trône même de la divinité (cf. 7,17 ; 22,3).] Celui qui est, qui était et qui vient, le Tout-puissant.
(1,9) Moi, Jean, votre frère et votre compagnon dans la tribulation, [Il semblait évident que l’Apocalypse fut écrite dans un temps de grande persécution. Mais il s’agirait, pour la critique, de savoir laquelle, celle de Néron, ou plus tardivement celle de Domitien.
De Jean, dans la primitive Eglise, on n’avait jamais identifié, comme disciple, que l’apôtre et l’évangéliste. Il était vrai que, dans l’Apocalypse, Jean ne se désignait pas comme apôtre. Mais dans l’évangile non plus, ni dans les épîtres. ] le royaume et la constance en Jésus. Je me trouvai dans l’île appelée Patmos à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus. [Rien ne nous dit, ici, que Jean fut déporté à Patmos, encore moins qu’il y fut prisonnier. Il semblait tout à fait libre de ses mouvements, écrivant (cf. 1,11) à loisir ses visions, avec l’aide, sans doute, d’un secrétariat important, et se promenant au bord de la mer (Cf. 12,18). Il paraît probable que Jean s’était réfugié volontairement à Patmos, pour laisser passer l’orage de la persécution. Il s’estimait sans doute trop exposé dans sa résidence habituelle d’Ephèse. Il en aurait profité pour porter « la parole de Dieu et le témoignage de Jésus » aux habitants de cette île.
Il reste vrai que des auteurs anciens (cf. Eusèbe de Césarée, H.E., III, 18) avaient connu la tradition d’une déportation de Jean à Patmos. Mais c’était sans doute sur la seule foi de l’Apocalypse, mal interprétée.] (1,10) Je fus en esprit, [Phrase capitale pour acquérir quelque intelligence de ce petit livre qu’on appelle l’Apocalypse, ou du moins pour ne pas se méprendre trop grossièrement sur sa signification.
Ces mots voulaient nous prévenir que les « visions », ou les « auditions », décrites par Jean ne seraient pas des « visions » ou des « auditions » sensorielles. Elles seraient des visions ou des auditions « en esprit », autrement dit mystiques, ou encore purement intellectuelles. Ce que Jean contemplait c’étaient des idées, ou mieux encore des personnes, plutôt que des images. Voilà pourquoi Jean éprouvait le besoin de parsemer son récit de nombreux « comme » :
« comme d’une trompette »
« comme d’un Fils d’homme »…
On tenait là l’une des clefs majeures d’herméneutique de l’Apocalypse.
L’Apocalypse serait à considérer avant tout comme une œuvre mystique, même si elle était en même temps un beau poème.
Les réalités mystiques, ou spirituelles, que Jean nous donnait à contempler, n’empêchaient pas les allusions historiques. On ne devrait pas l’oublier : le drame spirituel, ou mystique, qui se jouait, avait pour théâtre principal le monde des hommes.
De la même manière le IV e évangile, oeuvre mystique s’il en était, mettrait en scène la vie authentique, et historique, de Jésus-Christ, telle qu’observée par un témoin.] le jour du Seigneur [Seul exemple de cette tournure dans tout le Nouveau Testament. Elle servait à désigner, depuis sans doute le début de l’ère chrétienne, le 8 e jour, le 1 er jour de la semaine juive, le jour du soleil (dies solis, sunday) des païens. Nous en avons fait le dimanche (dominica dies).
Ce jour-là le Christ, après avoir observé dans le tombeau le repos du septième jour, était ressuscité des morts.
La révélation de l’Apocalypse commençait donc un dimanche. Elle durerait une semaine entière. Elle s’achèverait par le shabbat, le grand jour de repos de Dieu.] et j’entendis derrière moi une voix puissante, telle une trompette : (1,11) disant : « Ce que tu vois, écris-le dans un livre et envoie-le aux sept Eglises : [Suggestion du plan septénaire de l’Apocalypse. Le chiffre ‘sept’ commanderait tout l’ouvrage.
L’envoi comprendrait sept lettres, une pour chacune des sept Eglises. Puis les visions se distribueraient en six parties, ce qui ferait au total sept, étant entendu que chacune des six parties enfermerait à son tour sept subdivisions…
Si le chiffre sept tenait une si grande place dans l’Apocalypse, c’était d’abord, comme nous l’avons dit, par allusion à l’heptaméron de la Genèse.
Dans l’Ancien Testament déjà les chiffres revêtaient une grande importance mystique. Ils évoquaient des réalités sacrées. Certes, par lui-même Dieu était unique ; il n’était pas soumis à la loi des nombres. Mais sa création se déployait dans la multiplicité.
De même, selon les chrétiens, on discernait en Dieu la pluralité des relations : puisque il y avait le Père, son Fils qui était l’Agneau de Dieu, et son Esprit. Cette pluralité procédait de l’unité, puisque le Fils était celui du Père, et que l’Esprit également était celui du Père. La Trinité même (le mot n’était pas dans le Nouveau Testament, mais seulement les noms des Trois Personnes divines) était entourée d’une multitude presque infinie d’êtres créés : d’une part les anges, et d’autre part les créatures matérielles.
Les chiffres, dans l’Apocalypse, avaient pour office d’évoquer cette pluralité, issue de l’unité. ] à Ephèse, à Smyrne, à Pergame, à Thyatire, à Sardes, à Philadelphie et Laodicée. » [Si l’on tirait sur la carte de l’Asie proconsulaire un trait allant d’Ephèse à chacune, et dans l’ordre, des six autres villes indiquées, on obtenait d’ouest en est un remarquable éventail.
Manifestement, à partir d’Ephèse, et de ces six villes, le message de l’Apocalypse était destiné à se diffuser dans la chrétienté entière. Peut-être aussi, d’Ephèse à Laodicée, était-ce le trajet normal d’un courrier unique devant transmettre à tous l’écrit encyclique.
Les sept Eglises d’Asie étaient celles que Jean avait sous sa juridiction immédiate. Elles dépendaient d’Ephèse, là où il résidait habituellement, là où il aurait son tombeau.] (1,12) Et je me retournai pour regarder [Association de mots typiquement johannique, Edouard Delebecque (cf. L’Apocalypse de Jean, 1992, page 163) avait raison de le faire remarquer.
« épéstrépsa blépein » : « je me retournai voir. » (Ap 1,12).
« Epistrapheis ho Pétros blépéi » : « S’étant retourné, Pierre voit. » (Jn 21,20).] la voix qui me parlait ; et m’étant retourné, je vis sept candélabres d’or, (1,13) et, au milieu des candélabres comme un Fils d’homme revêtu d’une robe talaire et serré à la taille par une ceinture dorée. (1,14) Sa tête et ses cheveux étaient blancs comme de la laine blanche, comme de la neige, et ses yeux comme une flamme de feu ; (1,15) et ses pieds étaient pareils à de l’orichalque brûlant dans la fournaise, et sa voix comme la voix des grandes eaux. (1,16) Il avait dans sa main droite sept étoiles, et de sa bouche sortait un glaive acéré, à double tranchant ; et son visage, comme le soleil qui brille dans tout son éclat. [C’était le Fils de l’homme de Daniel (7,13) et des Paraboles d’Hénoch. Les attributs que lui reconnaissait Jean, empruntés pour la plupart au prophète Daniel, étaient d’emblée nettement divins.
La robe talaire représentait le sacerdoce ; la ceinture d’or la royauté, les cheveux blancs l’éternité ; ses yeux flamboyant la science divine ; ses pieds d’airain l’infinie solidité etc.… Il tenait en sa main les sept Eglises, c’était dire la totalité des Eglises ; et l’épée affilée qui sortait de sa bouche s’apprêtait à juger les mondes, car il était le juge eschatologique. Quant au soleil qui illuminait son visage, il faisait plutôt penser à la phrase du prophète Malachie : « Le soleil de justice brillera. » (Ml 3,20).]
(1,17) En le voyant, je tombai à ses pieds comme mort ; mais il posa sa main droite sur moi, disant : « Ne crains pas ! Je suis le premier et le dernier, (1,18) le vivant ; [Le Fils d’homme affirmait explicitement sa divinité en s’attribuant des propriétés divines. Il était le principe et la fin de toutes choses, reprenant les mots mêmes de Yahvé (cf. Is 44,6 ; 48,12). ] je fus mort, et me voici vivant [Mais ce Fils d’homme éternel, revêtu des attributs divins, n’était autre que le Jésus-Christ, mort et ressuscité.] pour les siècles des siècles ; et je détiens les clefs de la mort et de l’enfer. (1,19) Ecris donc ce que tu as vu, le présent et ce qui doit arriver plus tard. [Autre plan sommaire du livre. Le présent, ou l’état présent des Eglises, décrit dans les sept lettres préliminaires. Le futur raconté dans la suite des visions sur un mode prophétique même si, en réalité, une partie de ces visions (soit : Ap 4,1 --- 13,18) envisageait plutôt le passé de l’humanité : depuis la création du monde jusqu’à l’époque de Jean.] (1,20) Le mystère des sept étoiles que tu as vues dans ma main droite, et des sept candélabres d’or : les sept étoiles sont les anges des sept Eglises, et les sept candélabres sont les sept Eglises. [Chacune des Eglises urbaines dont Jean avait la charge était comparée à une chandelle allumée : l’étoile n’était autre que la flamme de la chandelle, qui brillait et scintillait dans la nuit.
L’étoile était la partie visible, et vivante, de l’Eglise, celle dont le Christ avait pu dire : « Que votre lumière brille au yeux des hommes » (Mt 5,16). Mais elle était aussi la tête de l’Eglise, ou encore son évêque, ou encore l’ange protecteur de l’évêque dans le ciel etc.… Le Christ en personne tenait en sa main tous ces luminaires, toutes ces Eglises, car chacune d’elles, en vérité, émettait la lumière du Christ. On s’en rendait compte, pour Jean, toutes les réalités mystiques s’emboîtaient les unes dans les autres, un peu comme des poupées gigognes. ]
(2,1) « A l’Ange de l’Eglise qui est à Ephèse, écris : [Jean s’adressait à l’Ange de l’Eglise, mais par son intermédiaire à l’évêque, mais par son intermédiaire à toute la communauté dont cet évêque avait la charge et, à travers cette Eglise particulière, à toutes les Eglises du monde.
Il semblait donc qu’à Ephèse, malgré la présence habituelle de Jean dans cette ville en dehors des temps de persécution, il y eût aussi un évêque. La fonction d’apôtre n’empêchait pas la présence à demeure d’un dirigeant normal d’Eglise. Ce dirigeant normal, cet évêque, avait sans doute été élu par Paul, le fondateur de l’Eglise d’Ephèse, dont Jean restait l’hôte. ] Ainsi parle celui qui tient les sept étoiles dans sa droite et qui marche au milieu des sept candélabres d’or. (2,2) Je connais tes œuvres, ton labeur, ta patience ; je sais que tu ne peux supporter les méchants ; tu as mis à l’épreuve ceux qui se disent apôtres et ne le sont pas, et tu les as trouvés menteurs. (2,3) Tu as de la patience ; tu as souffert à cause de mon nom, sans te lasser. [Souvenons-nous des labeurs de l’apôtre Paul, précisément à Ephèse, et des lourdes tribulations qu’il y avait connues. (Cf. Ac 19,23-40). Peut-être même fut-ce à Ephèse, après sa première captivité romaine, qu’il fut arrêté une seconde fois pour être reconduit à Rome (cf. 2 Tm 4,14). ] (2,4) Mais j’ai contre toi que tu laissé ta charité première. (2,5) Rappelle-toi donc d’où tu es tombé, convertis-toi et reprends tes œuvres premières. Sinon, je viendrai à toi et je changerai ton candélabre de sa place, [« Ephèse perdra son rang de métropole religieuse. » (Bible de Jérusalem).] si tu ne fais pénitence. (2,6) Il y a cependant pour toi que tu hais les œuvres des Nicolaïtes, [D’après Clément d’Alexandrie (Stromates III, 25-26) les Nicolaïtes professaient une doctrine immorale ; ils prétendaient s’autoriser de l’exemple du diacre Nicolas, l’un des Sept.] que je hais moi-même. (2,7) Celui qui a des oreilles qu’il écoute ce que l’Esprit dit aux Eglises : au vainqueur, je donnerai à manger de l’arbre de la vie, celui qui est placé dans le paradis de Dieu.
(2,8) « A l’Ange de l’Eglise de Smyrne, écris : Ainsi parle le Premier et le Dernier, qui fut mort et qui a repris vie. (2,9) Je connais tes épreuves et ta pauvreté – mais tu es riche – et le blasphème de ceux qui disent qu’ils sont Juifs, et ne le sont pas ; une synagogue de Satan plutôt. [Dans le IV e évangile aussi, on observerait une violente polémique contre le judaïsme comme système de pensée.
De même les épîtres de saint Paul, et les Actes des apôtres, dénotaient une vive tension entre la synagogue et l’Eglise naissante. ] (2,10)Ne crains pas ce que tu dois souffrir ; voici qu’il vient jeter, le diable, des vôtres en prison pour vous éprouver ; et vous aurez dix jours d’épreuve. Reste fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de la vie. (2,11) Celui qui a des oreilles, qu’il écoute ce que l’Esprit dit aux Eglises. Le vainqueur n’a rien à craindre de la seconde mort.
(2,12) « A l’Ange de l’Eglise de Pergame, écris : Ainsi parle celui qui détient le glaive acéré, à double tranchant. (2,13) Je sais où tu demeures : là est le trône de Satan. [Pergame était le siège du culte impérial dans la province d’Asie. Au sommet de l’acropole on visite encore aujourd’hui les ruines imposantes du temple dédié à Rome et à Auguste.
On vérifierait tout au long de l’Apocalypse que, pour l’auteur, la puissance de Satan s’incarnait avant tout dans le pouvoir politique de l’empire romain, et dans la personne même de l’empereur. ] Mais tu tiens ferme à mon nom, et tu n’as pas renié ma foi, même aux jours d’Antipas, mon martyr, mon fidèle, qui fut mis à mort chez vous, là où demeure Satan. (2,14) Mais j’ai contre toi quelques griefs : tu en as là qui tiennent la doctrine de Balaam ; [D’après le livre des Nombres (31,16) le peuple élu s’était perverti dans l’affaire de Péor, et avait sacrifié aux idoles sur les conseils de Balaam, qui pourtant, peu de temps auparavant, avait prophétisé en faveur d’Israël (cf. Nb 23 --- 24).
Jean assimilait Balaam aux Nicolaïtes ; on s’en rendrait compte dès le verset suivant.] Il enseignait, à Balaq, à jeter le scandale devant les fils d’Israël, à manger les idolothytes, et à forniquer. (2,15) Ainsi, chez toi aussi, il y en a qui tiennent la doctrine des Nicolaïtes, semblablement. (2,16) Allons, repens-toi. Sinon, je viens à toi, bientôt, et je combattrai contre ces gens par le glaive de ma bouche. (2,17) Celui qui a des oreilles, qu’il écoute ce que l’Esprit dit aux Eglises. Au vainqueur, je donnerai de la manne cachée, et je lui donnerai un caillou blanc, et sur le caillou un nom nouveau est inscrit, que personne ne connaît, hormis celui qui le reçoit.
(2,18) « A l’Ange de l’Eglise de Thyatire, écris : Ainsi parle le Fils de Dieu, [Première mention explicite de ce titre, déjà suggéré en 1,6 où Dieu était appelé son «Père ». C’était parce qu’il était le Fils de Dieu que Jésus était Dieu.
Le contexte montrait que ce titre, ici, devait être pris absolument ; il désignait le Fils unique et éternel de Dieu, ce Fils unique qui serait allégué dès le prologue du IV e évangile. ] dont les yeux sont comme une flamme de feu, et les pieds semblables à de l’orichalque. (2,19) Je connais tes œuvres, ta charité, ta foi, ton dévouement et ta patience ; tes œuvres récentes dépassent celles d’avant. (2,20) Mais j’ai contre toi que tu tolères la femme Jézabel, [Nouvelle allusion, semblait-il, à la secte des Nicolaïtes ; sans doute une prophétesse de cette secte.
Jézabel, épouse du roi Achab, avait entraîné Israël à servir les faux dieux (cf. 1 R 16,29 --- 2 R 9,37)] qui se dit prophétesse ; elle séduit mes serviteurs, leur apprenant à forniquer, à manger des idolothytes. (2,21) Je lui ai laissé le temps de faire pénitence, mais elle refuse de se repentir de sa fornication. (2,22) Voici, je la jette sur un lit de souffrance, et ses compagnons avec elle, une tribulation terrible, s’ils ne se repentent de leurs œuvres. (2,23) Et ses enfants, je vais les frapper de mort ; ainsi toutes les Eglises sauront que je suis celui qui sonde les reins et les cœurs ; et je vous paierai chacun selon vos œuvres. (2,24) Quant à vous autres, à Thyatire, qui ne partagez pas cette doctrine, qui n’avez pas connu « les profondeurs de Satan », comme ils disent, je ne mets pas sur vous d’autre fardeau ; (2,25) seulement, ce que vous avez, tenez-le jusqu’à ce que je vienne. (2,26) Quant au vainqueur, celui qui gardera jusqu’à la fin mes œuvres, je lui donnerai pouvoir sur les nations. (2,27) Il les paîtra avec une verge de fer et, comme des vases d’argile, elles seront fracassées. (2,28) Ainsi moi-même je l’ai reçu de mon Père ; et je lui donnerai l’étoile du matin. [L’étoile entrevue dans un avenir lointain par le prophète Balaam : « Un astre issu de Jacob devient chef. » (Nb 24,17). Le Christ qui guiderait les pèlerins du salut.] (2,29) Celui qui a des oreilles, qu’il écoute ce que l’Esprit dit aux Eglises. [Avec les deux derniers versets, on obtenait une formule implicitement trinitaire, puisque le Fils parlait de son Père et qu’il nommait l’Esprit.]
(3,1) « A l’Ange de l’Eglise de Sardes, écris : Ainsi parle celui qui possède les sept esprits de Dieu [Sept anges qui siégeaient devant le trône de Dieu, ou bien plutôt l’Esprit unique aux sept dons, comme on le chanterait avec le Veni Creator : « Tu septiformis munere… »] et les sept étoiles. Je connais tes œuvres ; on croit que tu vis, et tu es mort. (3,2) Réveille-toi, et ranime le reste qui est prêt de mourir. Non, je n’ai pas trouvé tes œuvres bien pleines devant mon Dieu. (3,3) Rappelle-toi comment tu reçus, écoutas la parole ; garde-la et fais pénitence. Car si tu ne veilles pas, je viendrai comme un voleur, et tu ne sauras pas à quelle heure je viendrai te surprendre. (3,4) Mais tu as quelques personnes, à Sardes, qui n’ont pas souillé leurs vêtements ; ils marcheront avec moi, habillés de blanc, car ils en sont dignes. (3,5) Le vainqueur sera donc revêtu de vêtements blancs, et je n’effacerai pas son nom du livre de la vie, mais je confesserai son nom devant mon Père, et devant ses anges. (3,6) Celui qui a des oreilles, qu’il écoute ce que l’Esprit dit aux Eglises.
(3,7) « A l’Ange de l’Eglise de Philadelphie, écris : Ainsi parle le Saint, le Vrai, celui qui détient la clef de David. Il ouvre et personne ne fermera ; il ferme et personne n’ouvre. [Citation presque textuelle du prophète Isaïe :
« Je mettrai la clé de la maison de David sur son épaule,
« s’il ouvre, personne ne fermera,
« s’il ferme, personne n’ouvrira. » (Is 22,22).
L’intendant d’un domaine arborait les clefs en sautoir ; elles étaient l’insigne de sa charge.
Jésus, fils de David (cf. 22,16), était mis en possession de la maison de David, dont il était l’héritier authentique. Mais plus encore il était mis en possession de l’Israël nouveau et définitif, qui était l’Eglise enfermant la totalité de l’humanité rachetée. ] (3,8) Je connais tes œuvres ; voici, j’ai mis devant toi une porte ouverte, que personne ne peut clore ; parce que tu as peu de force, et que tu as gardé ma parole et que tu n’as pas renié mon nom. (3,9) Voici que je te donnerai ceux de la synagogue de Satan – ils disent qu’ils sont Juifs et ne le sont pas, mais ils mentent. Oui, je les forcerai à venir se prosterner devant tes pieds ; et ils sauront que moi je t’ai aimé. (3,10) Puisque tu as gardé ma consigne de patience, à mon tour je te garderai de l’heure de l’épreuve qui va fondre sur l’univers entier pour éprouver les habitants de la terre. (3,11) Je reviens bientôt ; tiens ce que tu as, pour que personne ne ravisse ta couronne. (3,12) Le vainqueur, je le ferai colonne dans le temple de mon Dieu ; il n’en sortira plus jamais, et j’inscrirai sur lui le nom de mon Dieu et le nom de la cité de mon Dieu, la nouvelle Jérusalem qui descend du ciel, de chez mon Dieu, et le nom nouveau que je porte. [Dans chacune des lettres aux sept Eglises, on trouvait une claire annonce des visions qu’on rencontrerait dans la suite de l’Apocalypse. Mais l’allusion était particulièrement claire, ici, dans les versets : 3,10-12 de cette sixième lettre. On pouvait y lire un plan assez détaillé de tout le livre. « Puisque tu as gardé ma consigne de constance. » (3,10) : Référence à la situation présente des Eglises, telle qu’elle était décrite dans les 7 lettres (cf. Ap 1,4 --- 3,22). « Je te garderai à l’heure de l’épreuve qui va fondre sur le monde entier. » (3,10) : Annonce de la partie proprement prophétique du livre, même si cette prophétie englobait aussi le passé de l’humanité, depuis l’origine du monde (cf. Ap 4,1 --- 20,10). « Je reviens bientôt. » (3,11) : Annonce du retour eschatologique du Christ, et du jugement final du monde (cf. Ap 20,11-15). « La nouvelle Jérusalem, qui descend du ciel. » (3,12) : Anticipation de la vision finale de l’Apocalypse (cf. Ap 21,1 --- 22,5).
Tout cela montrait que les sept lettres aux sept Eglises étaient des lettres fictives. En réalité elles servaient seulement de préface, ou de préambule, au livre entier. Contrairement à l’opinion de certains exégètes, elles n’avaient jamais constitué un corpus séparé. ] (3,13) Celui qui a des oreilles, qu’il écoute ce que l’Esprit dit aux Eglises.
(3,14) « A l’Ange de l’Eglise de Laodicée, écris : Ainsi parle l’Amen, le martyr fidèle et vrai, le principe de la création de Dieu. [Remarquable préfiguration du prologue du IV e évangile, dans lequel on retrouverait un vocabulaire très proche :
- « ho martus », « le témoin » annonçant « marturian », « témoignage », et « marturêsê », « témoignât » de Jn 1,7 ;
- « ho pistos », « le croyant », annonçant « pisteusôsin », « crussent », de Jn 1,7 ;
- « alêthinos », « vrai », annonçant « alêthinon », « vrai » de Jn 1,9 ;
- « hê archê », « le principe », annonçant « En archê », « au commencement », de Jn 1,1 ;
- « tês ktiséos tou Théou », « la création de Dieu », annonçant « panta di’autou égénéto », « tout par lui a été fait », de Jn 1,2.] (3,15) Je connais tes oeuvres : tu n’es ni froid ni chaud. Que n’es-tu froid, ou chaud ! (3,16) Ainsi, puisque tu es tiède, ni chaud ni froid, je vais te vomir de ma bouche. (3,17) Tu dis : me voilà riche ; je me suis enrichi et n’ai besoin de rien. Mais tu ne sais pas que tu es malheureux, misérable, pauvre, aveugle, et nu ! (3,18) Je te conseille d’acheter chez moi de l’or purifié au feu, pour t’enrichir ; des habits blancs pour t’en vêtir et cacher la honte de ta nudité ; un collyre pour oindre tes yeux, afin de recouvrer la vue. (3,19) Moi, ceux que j’aime, je les semonce et les corrige. Aie donc du zèle et repens-toi ! (3,20) Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je mangerai avec lui, et lui avec moi. [On reconnaissait la doctrine johannique de l’inhabitation divine, qui serait exposée en termes similaires dans le IV e évangile, et placée dans la bouche de Jésus-Christ : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons à lui et nous ferons une demeure chez lui. » (Jn 14,23).
On trouvait une idée voisine dans saint Luc : « Vous mangerez et boirez à ma table en mon Royaume » (Lc 22,30) ; elle semblait résumer par avance l’épisode des pèlerins d’Emmaüs (cf. Lc 24,13-35).] (3,21) Le vainqueur, je lui donnerai de siéger avec moi sur mon trône, comme moi-même j’ai vaincu, et j’ai siégé avec mon Père sur son trône. (3,22) Celui qui a des oreilles, qu’il écoute ce que l’Esprit dit aux Eglises. »