Note 40

Les Paraboles d’Hénoch

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Je soutiens que dans les Paraboles d’Hénoch (cf. I Hénoch 37,1 à 71,17), telles qu’elles nous sont proposées par la Bibliothèque de la Pléiade (Ecrits Intertestamentaires, 1987), une double faute de traduction vient perturber le sens général de ce pseudépigraphe admirable qu’est I Hénoch, reconnu, rappelons-le, comme écriture inspirée par l’Eglise éthiopienne.

Le traducteur et présentateur (André Caquot, de l’Institut), ferait dire au total à l’auteur  (supposons-le unique, par provision) que le patriarche antédiluvien Hénoch, après avoir vécu sur terre 365 ans (chiffre parfait, et paraissant impliquer le calendrier solaire essénien, notons-le au passage), serait monté au ciel pour y recevoir l’investiture en tant que Fils de l’homme eschatologique et se serait assis sur le trône de Dieu pour y juger le monde !!!

D’un point de vue chrétien, c’est proprement inadmissible, et d’un point de vue judaïque, c’est bien peu vraisemblable, a priori.

Si cette interprétation était la bonne, on ne comprendrait vraiment pas, du côté chrétien (le côté chrétien a ici parfaitement son mot à dire), comment cet écrit serait parvenu au statut de livre canonique dans une seule Eglise chrétienne. Or il détient ce statut dans l’Eglise éthiopienne qui, de plus, a conservé un nombre considérable  de manuscrits anciens de cet ouvrage dans sa version éthiopienne, traduite du grec dans les IV e, VI e siècles.

Montrons que c’est le traducteur, André Caquot, qui commet un double contresens,  en deux points stratégiques de l’ouvrage. Il va lui-même nous y aider dans ses notes et commentaires. Il s’agit plutôt d’une erreur d’interprétation, ou de lecture, plutôt que d’une faute, ou double faute, de traduction proprement dite, dont  nous serions d’ailleurs bien incapables de juger. 

1°) Erreur de lecture, en I Hénoch 70,1

Parvenu aux conclusions du livre des Paraboles, André Caquot traduit ainsi le premier paragraphe, sous le titre : « L’assomption d’Hénoch » :

(Les commentaires entre crochets et en couleur sont de moi)

« Ensuite, il arriva que le nom de ce Fils d’homme [Hénoch] fut élevé vivant auprès du Seigneur des esprits et retiré d’entre les habitants de l’aride. Il fut élevé sur le char du vent, et son nom fut retiré d’entre eux. » (I Hénoch 70,1-2).

Naturellement l’épisode faisait référence au récit bien connu de la Genèse : « Hénoch marcha avec Dieu, puis il disparut, car Dieu l’enleva. » (Gn 5,24).

En note, André Caquot nous expliquait : « La leçon traduite en ce verset (1) est celle du manuscrit éthiopien N°55 de la collection d’Abbadie (XV e siècle). Selon la majorité des témoins, il faut entendre : « son nom (d’Hénoch) fut élevé vivant auprès du Fils d’homme et du Seigneur des Esprits » et voir en « Fils d’homme » le titre messianique et non la simple désignation du visionnaire déjà rencontrée en 60,10. Mais cette leçon est difficilement conciliable avec le verset 71,14 qui identifie Hénoch et le Fils d’homme. »

Or ici, c’est manifestement la majorité des témoins, récusée par le traducteur, qui avait raison et qui nous donnait la seule version non seulement acceptable mais authentique du texte. Hénoch, donc, ne serait point le « Fils d’homme » messianique.

Cette leçon authentique serait-elle inconciliable avec le verset 71,14 qu’on trouve un peu plus loin ?

Nous allons voir justement que ce verset était lui-même mal traduit.

2°) Erreur de lecture en I Hénoch 71,14

Sous le titre : « L’investiture d’Hénoch », André Caquot traduit ainsi le verset 71,14 :

« Il (var. L’ange) est venu vers moi, et m’a salué de la voix. Il m’a dit :

‘Tu es le Fils d’homme, toi qui est né pour (var. selon) la justice, la justice a demeuré sur toi,

la justice du Principe des jours ne te quittera pas.’ » (I Hénoch 71,14).

André Caquot commentait en note : « La première phrase de la déclaration [de l’ange] peut être comprise : Tu es un fils d’homme (un humain) né pour la justice. » (Nous soulignons).

Et voilà précisément  le sens obvie du verset, qui s’accorde parfaitement avec le sens obvie de 70,1 que nous avons rencontré plus haut. Rappelons que c’était le sens suggéré par la majorité des manuscrits.  

Récapitulons :

A) I Hénoch, tel que traduit par André Caquot, et proposé par la Bibliothèque de la Pléiade

Hénoch était élevé au ciel en tant que « Fils d’homme » et salué par Dieu, ou par ses anges, de ce titre de « Fils d’homme ». Il recevait pour ainsi dire l’investiture divine de cette haute fonction.

Or le Fils d’homme en question, d’après I Hénoch 48,3 (toujours dans les Paraboles) était un Fils d’homme éternel :

« Avant que soient créés le soleil et les signes, avant que les astres du ciel soient faits, son nom [de Fils d’homme] a été proclamé par-devant le Seigneur des Esprits. » (I Hénoch 48,3).

Il n’était autre que l’Elu destiné à s’asseoir sur le trône de Dieu et qui jugerait le monde.

« Le Seigneur des Esprits aura placé l’Elu sur le trône de gloire,

et il jugera toute l’œuvre des saints dans la hauteur céleste et pèsera leur œuvre à la balance. » (I Hénoch 61,8).  

Hénoch ferait donc office de ce « Fils d’homme » eschatologique, préexistant au monde et destiné à juger le monde.

Cette version des faits est tout à fait inacceptable, hérétique même du point de vue chrétien, et l’on ne s’expliquerait pas qu’aucune Eglise chrétienne, même l’Eglise éthiopienne, eût pu l’accepter, et introduire le livre dans le Canon de ses écrits inspirés.

Du simple point de vue judaïque, cette version est exorbitante.

Hénoch était un patriarche antédiluvien, vénéré à l’image de beaucoup d’autres patriarches : Adam lui-même, Mathusalem, fils d’Hénoch, Noé, Abraham, Isaac, Jacob … mais on n’avait jamais pensé à lui faire jouer le rôle d’un Messie davidique, ni d’un Fils de l’homme, ou d’un Fils de Dieu, éternel et destiné à juger le monde !

Cette version des faits est contraire à l’unité du livre, ou à même à l’unité de cette seule partie du livre qu’on appelle « Les Paraboles d’Hénoch » (I Hénoch 37 --- 71).

Car dans le reste des Paraboles on ne nous disait aucunement que le Fils d’homme, qu’on nous présentait à plusieurs reprises, fût Hénoch lui-même.

Bien au contraire, c’était Hénoch qui, transporté au ciel (conformément au récit biblique : Gn 5,24, on l’a dit), contemplait  l’Elu de justice (39,6) ou apercevait le Fils d’homme (46,4).

« C’est en ce lieu [à la frange des cieux] que mes yeux virent l’Elu de justice et de fidélité.

La justice règnera en son temps,

et les justes et les élus sans nombre,

se tiendront devant lui pour l’éternité. » (I Hénoch 39,6).

 

« Ce Fils d’homme que tu as vu [c’était un ange qui s’adressait à Hénoch]

fera lever les rois et les puissants de leurs couches,

les forts de leurs sièges.

Il dénouera les liens des forts

et broiera les dents des pécheurs. » (I Hénoch 46,4).

B) I Hénoch traduit dans le sens suggéré par les notes d’André Caquot lui-même

Le « nom » d’Hénoch, c’est-à-dire sa personne, était élevé auprès du Fils d’homme éternel et lui-même, Hénoch, était salué d’un nom de « fils d’homme (humain) né pour la justice. »

Il serait un juste, ou l’homme juste, une sorte de prophète, comme, plus près de nous, pourraient l’être un Noé, un Abraham, un Moïse, un Joseph, père légal de Jésus, et le Messie lui-même.

C’était là le seul sens cohérent et admissible, et qui rende à ce beau livre de I Hénoch toute son unité et toute sa valeur, disons préchrétienne.

On comprendrait, sans forcément l’approuver, que, ainsi interprété, une Eglise chrétienne, en l’occurrence l’Eglise éthiopienne, eût pu l’accepter comme Ecriture inspirée.

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