Note 34

L’origine de l’espèce humaine.

Mais où sont donc passés Adam et Eve ?

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Depuis que Darwin a brillamment démontré (du moins le croyait-il) que la Bible s’était trompée ; et que toute la science moderne lui a emboîté le pas, un fossé très large s’est creusé, malheureusement, entre science et foi ; et les chrétiens pour leur part sont devenus singulièrement modestes et timorés dans leur interprétation des Ecritures, comme dans leur lecture des acquis, ou des résultats, de la science contemporaine, quand ils touchent aux origines soit de l’univers, soit de l’homme lui-même, l’espèce humaine.

Mais Darwin a triomphé trop facilement de la Bible, qui certes était, ou se voulait, un ouvrage scientifique, mais d’une science datant de 1.000 ans ou, au moins, 500 avant Jésus-Christ. La Bible, j’entends l’Ancien Testament, reflétait la science encore dans l’enfance de son temps. Elle s’exprimait selon ses catégories.

Comme les chrétiens du XIX e siècle avaient tendance, hélas, de se crisper sur une interprétation trop littérale du Texte Sacré, alors qu’ils connaissaient bien cette sentence de saint Paul : « la lettre tue, mais c’est l’esprit qui vivifie » (2 Co 3,6), Darwin, et ses émules, eurent tôt fait de renverser leur édifice fragile. Même de nos jours, on n’est pas vraiment sorti de ce dilemme, ou de ce divorce : la science ou la foi.

On se débrouille tant bien que mal en opérant une partition : la foi n’a rien à nous apporter dans le domaine scientifique, et de même la science n’aurait rien à faire avec la foi : on a là deux domaines séparés, deux vases clos qui ne semblent plus communiquer…

Mais cette attitude n’est guère tenable. La science, surtout quand elle traite des origines, a forcément à voir avec la foi. Et la foi ne peut que s’intéresser aux conclusions auxquelles est parvenue la science moderne.

A la racine du divorce qu’on peut déplorer, entre la science et la foi, je pense fortement, pour ma part, qu’il existe un déficit, tant du côté de la science que du côté de la foi, en matière philosophique. Car la philosophie, bien comprise, est forcément commune à la science et à la foi. Elle ne peut que les réconcilier, … ou alors les récuser l’une et l’autre, ou l’une d’entre elles. La philosophie est première. Logiquement, elle se place avant la science, comme avant la foi. Et les prémisses de la science, ou de la foi, doivent être validées par elle… Nous avons une raison. Nous sommes, par définition, des êtres raisonnables : « animal raisonnable », ou rationnel, telle était la classe dans laquelle Aristote rangeait l’homme. La raison est commune à la science et à la foi, et c’est par la raison que nous élaborons nos catégories, tant religieuses que scientifiques. Par le truchement de la raison, il existe forcément un pont entre la science et la foi.

Certes la religion, du moins chrétienne, prétend dépasser les capacités de la raison. Il se peut ; car la raison elle-même, le plus rationnellement du monde, se dit prête à abdiquer, ou tout au moins à s’incliner, devant le mystère. Car la raison (raisonnable) reste disposée à reconnaître ses limites. Mais la religion, même si elle dépasse, ou prétend dépasser, les capacités de la raison, n’en demeure pas moins une activité rationnelle, ou du moins sensée. Sinon elle sombrerait dans l’ésotérisme.

La science elle-même reste une activité rationnelle, sous peine de tomber dans le pragmatisme. Mais qui définira la philosophie – rationnelle – commune à la science et à la foi ? Il ne subsiste pas, en effet, de système philosophique autorisé, reconnu à la fois par les hommes de science et par les hommes de foi. On sait que les systèmes philosophiques s’étaient toujours opposés entre eux. L’un prétendait s’établir, ou triompher, aux dépens des autres. Actuellement, dans le domaine philosophique, la plus grande confusion règne. La plupart des grands systèmes à la mode : idéalisme, matérialisme, existentialisme se sont effondrés ou sont devenus obsolètes. Nous voici parvenus sous le règne des petits maîtres, qui s’expriment plutôt à l’esbroufe, ou font dans le paradoxe. On ne trouve plus de système dominant. Seul semble avoir subsisté le scientisme mais qui, de son propre aveu, ne possède pas de substrat métaphysique.

Le système dominant, c’est donc la science elle-même. Et il faut accepter ses conclusions, quitte à les interpréter dans un contexte philosophique plus rationnel, ou même plus chrétien. Il faut accepter ses conclusions comme des faits bruts, quitte à leur trouver une logique.

Car la science prétend s’en tenir au domaine expérimental. Certes elle émet des théories, ou des hypothèses. Mais ces théories mêmes ne sont validées que si les déductions qu’on en tire se voient confirmées par l’expérience. Les acquis de la science, pour le moins les acquis réellement validés par l’expérimentation, ou possédant une valeur heuristique (de recherche) ou explicative incontestable sont des vérités, tout au moins des vérités pratiques, pour autant qu’elles sont validées, dans la mesure exacte où elles le sont. Donc les acquis – objectifs – de la science contemporaine doivent être acceptés comme des vérités, non définitives certes, ou définitivement élucidées, mais cependant opératoires, des vérités qui « fonctionnent »… Un poste à galène de 1920 était certes un appareil rudimentaire, provisoire, et qui fut rapidement déclassé par les progrès techniques subséquents.  Cependant il fonctionnait. On avait démontré par l’expérience qu’on pouvait capter les ondes électromagnétiques à l’aide d’un engin utilisant le sulfure naturel de plomb. C’était prouvé. Cela reste définitivement prouvé. C’était donc une vérité scientifique.

Dans les domaines biologique, ou anthropologique, on se doit de même d’accepter les conclusions de la science moderne, les connaître et les enregistrer, pour autant qu’elles sont validées, dans la mesure où elles sont réellement validées. Une marge incompressible d’incertitude subsistera toujours à propos des critères.

En tant que vérités, les acquis de la science, je le répète les acquis de la science réellement validés, ne peuvent qu’être conformes à la raison et à la vérité révélée.

Quels sont donc les acquis actuels de l’anthropologie, ou même de la paléontologie, sur les origines de l’homme et de l’espèce humaine qu’on puisse dire réellement validés ? Ces acquis, pour autant qu’ils existent, ont forcément à voir avec la saine philosophie  comme avec la foi. Un divorce entre eux est impensable. Concordisme, direz-vous ? Hé bien oui, je suis concordiste. Il ne peut qu’y avoir accord entre la science et la foi. Toute autre attitude intellectuelle serait intenable, sans parler même d’être concevable.

Pour fixer les idées et offrir une base de discussion commune sur les origines de l’espèce humaine, pour définir les acquis récents de la science contemporaine dans le domaine anthropologique,  je me limiterai à l’étude du livre d’un généticien de pointe, Mr Bryan Sykes, livre intitulé « Les Sept Filles d’Eve », traduit de l’anglais par Mr Pierre-Emmanuel Dauzat (Albin Michel, 2001).

Comment donc résumer les conclusions de la génétique de pointe ?

Il est admis que la séparation définitive entre le singe, quadrupède, et les archanthropiens, bipèdes, daterait de 4 à 6 millions d’années, disons 5 millions d’années pour fixer les idées. Nous remontons ainsi jusqu’à la fin de l’ère tertiaire.

A ce propos, je ferai remarquer combien il est absurde de dire que l’homme descendrait du singe, puisque le singe moderne, notre cousin éloigné, est aussi récent que nous, et pour cause, puisqu’il vit encore, et que d’autre part jamais, au grand jamais, on n’a retrouvé dans le sol le moindre fossile de chimpanzé ou de gorille datant de l’âge paléolithique. Tandis qu’on a retrouvé dans la terre quelques restes d’hominiens, d’autant plus précieux qu’ils sont rares. On pourrait prétendre, sans paradoxe, que le singe descend de l’homme, ou que le singe ne serait qu’un hominien dégénéré.

Mais non. La séparation entre la lignée des quadrupèdes et des bipèdes remonterait bien  à, disons, 5 millions d’années.

Nous descendons tous d’un animal inconnu qui n’était ni un singe ni un homme, mais seulement l’ancêtre commun du singe et de l’homme. Un animal inconnu, dont cependant la génétique peut dire beaucoup de choses, puisque tout ce qu’il y a de commun entre le chimpanzé, notre cousin le plus proche, et nous, soit près de 99 % de notre patrimoine génétique, se trouvait déjà présent dans cet animal, disons ce mammifère, puisqu’il a donné naissance à l’un et à l’autre : au chimpanzé comme à l’homme. Nos mitochondries, comme la plus grande partie de nos gènes, sont communes. Cependant nos deux espèces, celle du chimpanzé et la nôtre, diffèrent par le nombre de chromosomes : 23 paires pour l’homme, 24 pour le singe. Ces deux espèces se voient complètement séparées ; et les croisements entre elles ne sauraient être féconds. Elles ont donc évoluées, chacune de leur côté, d’une manière totalement indépendante.  

Comment s’est donc opérée la transition vers la bipédie ? Comme toute évolution, à la fois par mutation et par sélection.

Au sein d’un monde de quadrupèdes, une mutation vers la bipédie est brusquement apparue, chez un seul animal, chez un seul individu, dont nous sommes tous les descendants directs. Le passage à la bipédie ne pouvait être que brusque et comme instantané. Car d’un point de vue anatomique, il ne peut pas y avoir de transition entre la bipédie et la quadrupédie. Un animal est soit bipède, soit quadrupède. Son squelette ne peut tenir des deux systèmes. La forme du bassin d’une part, le port de la tête sur les vertèbres cervicales d’autre part sont ceux d’un bipède ou d’un quadrupède, non des deux. Une mutation vers la bipédie a donc surgi chez un seul mutant, mâle ou femelle, ou plus exactement dans les cellules germinales de l’un de ses propres parents. Quand la bipédie est devenue stable, c’est-à-dire quand les descendants bipèdes de cet unique mutant ont commencé à se marier entre eux et à fonder ainsi une race pure, la séparation s’est définitivement installée entre les bipèdes et les quadrupèdes. Et nous avons évolué chacun de notre côté, une branche aboutissant aux chimpanzés, ouistitis, ou autres gorilles ; et l’autre aboutissant à l’homme moderne, mais après bien des étapes, ou des stades d’évolution.

On ne saurait trouver trace de cette histoire parmi les fossiles car, comme tous les commencements, elle n’affectait qu’un nombre très restreint d’individus. On peut seulement la reconstituer par un raisonnement génétique, ou anthropologique. Mais elle est très certaine, car c’est cette transition qui est très universellement observée, pour les passages d’une variété à une autre, dans tout le règne vivant. Il ne peut pas, en réalité, en être autrement : mutation, suivie d’une sélection heureuse (ayant réussi), naturelle ou, de nos jours, artificielle (provoquée par l’homme).

Ce premier mutant, bipède, était-il Adam ? Les premiers bipèdes, mâle et femelle, qui ont commencé à se marier entre eux étaient-ils l’Adam et l’Eve de la Bible ? Certainement pas ! C’étaient encore, quoique déjà anthropiens, ou sur la voie qui conduisait à l’espèce humaine, des animaux très frustes, incapables du moindre raisonnement intellectuel, à peine capables peut-être de fabriquer des outils rudimentaires.

Mais le fait est que la bipédie a cependant conduit à l’homme moderne. Car elle a libéré les mains pour en faire, non plus des moyens de locomotion, mais des outils déjà performants. Elle a déverrouillé la boîte crânienne et le cerveau lesquels, en relation avec le développement des membres antérieurs,  ont pu prendre progressivement de l’ampleur pour aboutir finalement à la boîte crânienne et au cerveau de l’Homo sapiens, dont nous sommes.  

Des races successives d’anthropiens se sont ainsi succédé, qui n’étaient pas des singes, ni encore des hommes, mais bien des préhommes. Leur existence n’est certes pas une hypothèse, ou une déduction, ou la page d’un roman, mais bien une certitude, puisqu’on a retrouvé leurs squelettes ou parties de leurs squelettes dans la terre.  Qu’on ait retrouvé leurs fossiles (au contraire des simiens), c’est une preuve évidente qu’ils ont connu très tôt une large expansion sur tout le vieux continent, à commencer par l’Afrique et même l’Afrique australe, dont ils étaient probablement originaires. On sait que les ossements fossiles d’hominiens qui sont parvenus jusqu’à nous, et que l’on retrouve, sont d’une extrême rareté.

Cette notion de « préhomme », dans la pensée philosophique, ou chrétienne, ou théologique, est d’une extrême nouveauté : personne n’y a encore réfléchi ! Personne n’en parle. Elle se révèle pourtant incontournable. Quel était donc le statut de ces préhommes  à l’égard du péché originel ? Ils ne l’avaient pas, puisqu’ils ne l’avaient pas encore commis. Etaient-ils intelligents ? Etaient-ils libres ? Avaient-ils une âme ? Autant de questions qu’on évite soigneusement de poser. Avaient-ils une forme de religion ? Croyaient-ils en Dieu ? Etaient-ils capables d’y croire ? Enterraient-ils leurs morts ? Croyaient-ils en la survie ?

Il semblerait que les premières sépultures d’hominidés eussent été trouvées  seulement au paléolithique moyen, avec l’homme de Neandertal, soit à une date relativement tardive. De même les premières formes d’art incontestables n’apparurent qu’avec l’Homo sapiens, soit très récemment, en termes d’évolution. 

Les premiers hominidés étaient essentiellement des « Homo faber » (homines fabri), comme les a définis très justement Bergson. Ils se contentaient de fabriquer des outils, d’abord rudimentaires. Ils ont appris peu à peu à domestiquer le feu, dès le sinanthrope, ou l’atlanthrope, semble-t-il. Ils ont appris la cuisson des aliments. Progressivement ils ont aménagé leur habitat. Sans doute disposaient-ils d’une forme primitive de langage, fait d’abord de cris et de grognements. Mais on n’a conservé aucun enregistrement des propos qu’ils ont pu échanger. Peut-être un jour, pas si lointain, parviendra-t-on à les décrypter dans la pierre, et dans les outils qu’ils ont pu manipuler !

Des races successives sont apparues puis, dans la suite, se sont éteintes. Il y eut d’abord les australanthropes, qui sont les plus anciens fossiles d’hominidés. L’Australopithèque, le « Singe austral » (!), si mal nommé, si scandaleusement nommé, puisqu’il n’était pas un singe, mais déjà un bipède et un hominidé. Il façonnait de grossiers outils, puisque ses restes sont associés à la Pebble Culture, ou culture du galet aménagé, en anglais : chopper. Ce ne sont que des pierres dégrossies, mais indubitablement de facture intentionnelle : des artefacts. Il faut bien noter que les autres outils qu’ils ont pu fabriquer en bois, ou en os, n’ont pas été conservés, car beaucoup trop friables.

Vint ensuite l’Homo erectus, l’homme droit ; mais l’australanthrope était déjà un homme droit, puisque bipède, et de station verticale.

Puis le pithécanthrope (l’homme-singe : sic !), le sinanthrope (l’homme de Chine), l’atlanthrope (l’homme de l’Atlas), dont les restes sont associés à la culture acheuléenne ; tous datés du paléolithique ancien.

Au paléolithique moyen, on trouve essentiellement l’homme de Neandertal, dont les restes sont associés à une culture moustérienne.  

Enfin au paléolithique supérieur, depuis moins de 35.000 ans en Europe, apparut l’Homo sapiens, dont nous sommes.

Les laboratoires de Bryan Sykes ont définitivement démontré que ledit Homo sapiens, apparu en Afrique vers – 150 000 ans, ne descendait absolument pas de l’homme de Neandertal, qui est une espèce disparue sans postérité, mais directement sans doute d’une forme d’Homo erectus.

Nous restons parents de l’homme de Neandertal, mais seulement à titre de cousins éloignés, non à titre de descendants. Car l’Homo neandertalis se serait définitivement éteint, il y a 10.000 ans environ, quelque part en Espagne, sans laisser de descendance.

Il est possible, on ne sait pas, que des croisements eussent été féconds  entre l’Homo sapiens et l’Homo neandertalis. Mais le fait est que la génétique n’en a  retrouvé aucune trace

La race humaine, la seule qui eût survécu, la nôtre, c’est l’Homo sapiens. L’Adam de la Bible, ce fut donc le premier Homo sapiens,  dont nous descendons tous. L’espèce est apparue en Afrique, il y quelque 150.000 ans donc, et elle a supplanté ou éliminé toutes les autres espèces d’hominidés.

Cet Adam biblique, le premier humain véritable, ne doit pas être confondu avec ce que Bryan Sykes appelle « l’Adam du chromosome Y ». En effet il est génétiquement prouvé que nous descendons tous, qui que nous soyons : les six milliards d’êtres humains actuellement vivants sur la terre, par voie patrilinéaire, uniquement par nos pères donc, d’un seul homme ayant vécu il y a 39.000 ans seulement. Cet « Adam-là », en effet, ne fut que le mâle le plus récent   dont nous soyons tous issus (hommes et femmes) et qui est l’ancêtre commun de tous les chromosomes Y, dont sont porteurs uniquement les mâles.  Mais il y eut bien d’autres humains avant lui sur la terre, bien d’autres « Homo sapiens » (homines sapientes, en bon latin).

De même l’Eve de la Bible, la première femme ayant vécu, ne saurait être confondue avec ce que la génétique de pointe appelle l’ « Eve mitochondriale », et qui n’est que la femme la plus récente dont nous descendions tous (hommes et femmes) par voie matrilinéaire ; l’ancêtre de toutes nos mitochondries, lesquelles, on le sait, ne sont transmises que par les mères. Elle vécut en Afrique il y a environ 140.000 ans et ne fut donc pas contemporaine, à 100. 000 ans près ( !), de « l’Adam du chromosome Y ». Cet « Adam »-là et cette « Eve »-là, ne furent donc pas, à beaucoup près,  le premier couple.

L’un comme l’autre furent nos aïeuls communs (communs à tous), car la race humaine, est extraordinairement une. Mais ils ne furent pas les premiers hommes, ni l’origine de l’espèce humaine.

Nous sommes tous parents en effet, et même à un degré inimaginable, et le monogénisme, ou le monophylétisme de l’espèce humaine,  sont l’une des choses les mieux établies  et des plus certaines qui soit, malgré des affirmations proférées à la légère qu’on entend parfois, jusque dans des sermons !

Ainsi les trois quarts des européens actuels, sinon plus, nous descendons tous, par notre père ou par notre mère, du seul Charlemagne, qui vécut il y a 1.200 ans seulement, et ceci non pas une fois, mais des milliers de fois,  c’est-à-dire par des milliers de chemins différents. 

Si nous faisons le décompte de tous nos ancêtres qui vécurent il y a 2.000 ans, en doublant 80 fois le nombre 1 (l’unité, nous-même) par le nombre moyen de générations qui nous séparent de l’an 1 : quatre par siècles ;  en doublant, car nous avons chacun deux parents, nous obtenons un nombre astronomique, effrayant. Je vous invite à faire ce calcul instructif, non pas sur votre calculette de bureau, qui n’y saurait suffire faute de zone d’affichage, mais à la main.

Vous aboutirez, je pense, comme moi au chiffre de :

604.462.909.807.314.587.353.088

Soit :

604 trilliards

462 trillions

909 billiards

807 billions

314 milliards

587 millions

353 mille

088 hommes ou femmes !

Chiffre à peine croyable et pourtant incontestable. Il n’est aucunement exagéré ; peut-être même est-il légèrement sous-évalué.

Que signifie-t-il concrètement, car il est certain que l’humanité, il y a deux mille ans, comptait moins d’un demi-milliard d’unités ? Que nous descendons absolument de tous les humains, ayant vécu il y a deux mille ans ou davantage, au moins ceux du vieux continent, à la seule condition qu’ils eussent eu une postérité viable, et ceci  non pas une fois, mais  des milliards de fois, et par des milliards de chemins différents. 

Nous sommes tous parents ! Nous acceptons volontiers  cet adage ; mais nous avons du mal à évaluer, sans parler d’imaginer, car c’est proprement inimaginable, à quel degré presque métaphysique cela est vrai. Nous ne sommes que les grains d’une même pâte, les cellules solidaires d’un même organisme. Nous avons facilement le sentiment d’être indépendants des autres, voire solitaires. La génétique nous démontre à quel point cela est faux. Nous sommes liés à toute l’humanité, notre unique famille, par des milliards, voire des trilliards de liens invisibles. Il suffirait de considérer d’ailleurs,  a priori, à quel point nous nous ressemblons ; car nous ne sommes que les copies, ou les clones, d’un seul modèle.

Après avoir effectué un tel comput, élémentaire certes mais essentiel,  il ne nous paraîtra plus du tout étonnant  que tous les habitants de notre planète – les 6 milliards d’êtres humains – nous descendions tous, par voie patrilinéaire, d’un seul homme ayant vécu il y a 39.000 ans. Ni non plus que nous descendions tous, par voie matrilinéaire cette fois, d’une seule femme ayant vécu il y a quelque 140.000 ans quelque part en Afrique. Il ne nous paraîtra pas du tout étonnant que la grande majorité des Européens nous procédions, uniquement par voie matrilinéaire, de sept femmes, ayant vécu entre 40.000 et 10.000 avant notre ère, « les sept filles d’Eve », comme les a joliment baptisées Bryan Sykes, décidemment fasciné par le vocabulaire biblique.

Mais où donc chercher le véritable Adam et sa femme Eve ? Ce fut assurément le plus ancien (et non le plus récent) ancêtre commun de tous les « Homo sapiens »  ayant jamais vécu, ou vivant actuellement sur la terre. Peut-être ne fut-il pas, parmi les archanthropiens, le premier mutant vers l’Homo sapiens, car celui-là était seul de son espèce. Mais en tout cas le premier couple d’Homo sapiens, mâle et femelle, tous deux descendants du premier mutant, dont la lignée se soit perpétuée jusqu’à nous et dont aussi, bien sûr, nous descendions tous. Comme toujours (c’est-à-dire comme dans tous les autres cas) la mutation seule n’a pas suffi à la création de la race humaine ; il a fallu encore la sélection (réussie), et l’isolement phylétique de la nouvelle race ou espèce.  

Cet Adam-là et cette Eve-là, l’Adam et l’Eve bibliques,  n’étaient donc pas l’ « Adam du chromosome Y », qui vécut il a seulement 39.000 ans, ni même l’ « Eve mitochondriale » (- 140. 000 ans).

Le premier couple a très certainement vécu en Afrique, et même en Afrique tropicale, il a quelque 150.000 ans. On peut considérer l’Afrique tropicale comme ayant été le paradis terrestre  de l’ « Homo sapiens », ce « singe nu », manifestement conçu pour les pays chauds.

La jeune espèce s’est cantonnée dans son Eden natal pendant quelque 50.000 ans, développant son effectif d’une manière sans doute très lente au début, mais dominant puis remplaçant peu à peu toutes les autres espèces d’hominidés. Après quoi elle a commencé d’émigrer vers le Moyen Orient par la péninsule du Sinaï. Bryan Sykes a démontré par la génétique que ce processus d’émigration fut l’œuvre d’un seul clan africain à effectif extrêmement réduit, le clan de « Lara », de telle sorte que cette unique femme fût l’ancêtre commune, l’ « Eve mitochondriale », de tous les non-africains !

Puis par les mers du sud, ou plutôt par les côtes qui longeaient les mers du sud, et qui sont maintenant depuis longtemps immergées, à cause de l’élévation progressive du niveau des mers, l’espèce humaine a commencé de gagner lentement l’Asie méridionale, l’Océanie, puis l’Australie.

Ce n’est que depuis 50.000 ans seulement que les « Homo sapiens » (« homines sapientes ») ont commencé de s’aventurer en direction de l’Europe et de l’Asie septentrionale, retenus qu’ils étaient sans doute par la froidure de ces contrées, pour laquelle leur morphologie n’était pas naturellement adaptée.

Mais entre temps l’Homo sapiens avait eu le loisir d’inventer le vêtement, qui lui permettrait bientôt d’affronter des climats moins cléments, ainsi que les premières formes d’art. Il avait d’autre part considérablement perfectionné l’outillage lithique, qu’il avait hérité de ses ancêtres archanthropiens.

En Europe, l’arrivée de l’Homo sapiens fut marquée par l’apparition de l’art et par l’introduction des techniques du paléolithique supérieur, dont on trouve les prémices au Moyen Orient.   

Il y a 17.000 ans seulement (environ) que l’espèce humaine, et de fait la première espèce d’hominidés, a commencé de coloniser le continent américain, par la Sibérie et par le détroit de Béring, alors recouvert de glaces. Enfin, de 1.500 ans avant notre ère à 1.000 ans de notre ère, l’Homo sapiens, partant d’Asie,  s’est aventuré à peupler la Polynésie, en conquérant les îles une par une, à l’aide de frêles mais déjà performantes embarcations.

Favorisé de Dieu, le premier couple des « Homo sapiens », (les « homines sapientes ») a dû bénéficier d’une illumination divine. Il a hérité par grâce de la vie surnaturelle, accédant par intuition à une connaissance mystique, qui déjà lui faisait appréhender la réalité de Dieu. Il fut élevé à un état « préternaturel », qui lui eût épargné la maladie, la souffrance et même la mort. Car, idéalement, il serait passé, après l’achèvement de sa vie naturelle, ou biologique, directement de cette terre à la vie du ciel.  Mais hélas, Adam n’est pas resté fidèle ! Il a commis, de connivence avec son épouse, ce que nous appelons le péché originel. Depuis lors, pour lui-même et pour sa descendance, la vie surnaturelle ne fut plus qu’un lointain souvenir, l’objet d’une nostalgie, comme le regret d’un paradis perdu. Il est redevenu sujet de la souffrance, de la maladie et de la mort. Mais il a pu se racheter par son travail, et par la fidélité aux appels de sa conscience. Il est resté capable de Dieu et de la vie surnaturelle. Sourdement conscient de sa déchéance, il aspire à la délivrance, il tend vers un avenir meilleur. Il lui est donné pour domaine, non plus l’Eden idéal, mais la terre entière, le cosmos, qu’il est appelé à peupler, à conquérir et à gouverner, car il en demeure, après Dieu, le gérant et le maître.  Son aventure continue sous nos yeux, et nous en sommes les partenaires !

La Bible et la science sont donc bien d’accord pour affirmer l’absolue unicité de l’espèce humaine, le plus rigoureux monogénisme, le plus parfait monophylétisme. Comme l’enseignait saint Paul, non pas dans ses épîtres mais dans les Actes : « Si d’un principe unique il  [Dieu] a fait tout le genre humain pour qu’il habite sur toute la surface de la terre ; s’il a fixé des temps déterminés et les limites de l’habitat des hommes, c’était afin qu’ils cherchassent la divinité pour l’atteindre comme à tâtons et la trouver. » (Ac 17,26-27).

Tel est en effet le statut de l’espèce humaine : elle est « une », et elle doit rechercher le Dieu « un » qui l’a créée. 

Ce qui précède ne veut aucunement dire que nous descendions exclusivement d’Adam, et de sa femme Eve ! C’est là le paradoxe que bien des gens auront du mal à comprendre, je le sais par expérience !

Certes oui, nous descendons tous d’Adam le premier homme et d’Eve la première femme, eux qui ont commis le péché originel dont nous héritons, mais pas exclusivement d’eux ! La Bible le laisse entendre. Tel est le point délicat du monogénisme que plusieurs refuseront même d’envisager.

Que nous dit en effet le texte de la Genèse au sujet de Caïn, le premier fils d’Eve : « Caïn connut sa femme, qui conçut et enfanta Hénoch. » (Gn 4,17). D’où venait donc cette femme ? Ce n’était certes pas la sœur de Caïn, encore moins sa mère ! Comme toute épouse, c’était une étrangère qui venait d’ailleurs. Probablement une proche parente, en tous les cas une femme de la tribu.

D’ailleurs Caïn, meurtrier par jalousie de son frère Abel (première crime démontrant,  d’après la Bible,   une violence quasi innée dans la race des hommes), s’était écrié : « Je serai un errant parcourant la terre : mais le premier venu me tuera ! » (Gn 4,14). Or Yahvé ne lui avait point répondu : « Il n’existe pas encore d’hommes sur cette terre, et par conséquent nul ne pourra te tuer. » Mais bien : « Si quelqu’un tue Caïn, on le vengera sept fois’ et Yahvé mit un signe sur Caïn, afin que le premier venu ne le frappât point. » (Gn 4,15). C’est bien la preuve que pour la Bible, il existait d’autres hommes contemporains d’Adam.

La Bible et la science sont donc bien d’accord sur tous ces points : monogénisme absolu certes (nous descendons tous d’Adam) ; mais non point monogénisme exclusif ; nous descendons aussi d’hominidés autres qu’Adam, probablement de très proches parents, car eux-mêmes descendants de l’unique individu (mâle ou femelle) mutant vers la variété de l’Homo sapiens, dont nous sommes.

Si d’ailleurs Eve était dite, dans le second récit biblique de la création, formée « de la côte qu’il avait tirée de l’homme » (Gn 2,22), ou encore tirée de son côté,  et si Adam, en la considérant si semblable à lui, au sexe près,  s’était écrié : « A ce coup c’est l’os de mes os et la chair de ma chair ! » (Gn 2,23),  c’est qu’elle était sa proche parente, de la même tribu d’hominidés, issue comme lui du premier mutant.

On constate donc un parfait concordisme entre les récits bibliques, interprétés « en esprit » et non à la lettre,  et les dernières découvertes de la génétique.

Mais il est peut-être de fort mauvais ton de l’envisager, dans le  contexte actuel d’une pensée chrétienne frappée de stérilité !

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