XXX . La collégialité de tous les chrétiens

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Une collégialité primordiale dans l’Eglise ne serait-elle pas celle qui réunit les chrétiens entre eux, consacrés par un même baptême ? Ne serait-elle pas celle des membres du corps mystique du Christ ?

Après les papes : Pie XII surtout (cf. l’encyclique Mystici Corporis de 1943), le concile Vatican II a décrit en termes somptueux l’Eglise comme corps mystique du Christ (cf. Lumen Gentium, 7) ; mais qui dit corps, dit nécessairement collégialité. Reprenant l’allégorie classique de saint Paul (cf. 1 Co 12,12-27) le concile a montré les membres du corps du Christ reliés non seulement à leur tête, le Christ, mais aussi entre eux, solidaires les uns des autres.

Le même concile identifie clairement l’Eglise : institution visible sur la terre, sous la houlette des évêques et du pape, et l’Eglise spirituelle de tous ceux qui adorent le Christ en esprit et en vérité. (Cf. L.G., 8). Il n’est qu’une seule Eglise, mais lui appartiennent déjà, par le vœu, tous ceux qui cherchent la vérité.

Comme fils de Dieu régénérés par le baptême, comme membres d’une même société visible, les chrétiens sont égaux entre eux, du fait de cette dignité baptismale, et forment un collège. Cependant, constitués en peuple et non pas en troupeau épars, ils restent soumis et subordonnés à leurs pasteurs légitimes qui les guident au nom du Seigneur.

Les chrétiens se retrouvent en assemblée, principalement à l’occasion de la synaxe eucharistique. Et cette synaxe eucharistique se réunit surtout le dimanche et les autres jours de fête. Alors ils entendent la parole de Dieu. Alors ils reçoivent « le pain vivant, descendu du ciel » (Jn 6,51). Ils sont ensuite envoyés en mission.

Les chrétiens se retrouvent aussi en famille, en communautés de base, en mouvements chrétiens de toutes sortes, en processions, en rites divers, en pèlerinages. Ils se regroupent autour des prêtres ou, à défaut de prêtres, autour d’un laïc responsable qui pourrait dans certains cas être le Chef de l’Etat, par exemple le roi consacré par l’onction, le berger, le chef élu ou désigné, le président de telle équipe d’action catholique et qui se trouve incarner hic et nunc le principe monarchique, faisant alors office de locum tenens de saint Pierre. Car la collégialité ne va jamais sans un « monarque » qui la forme, l’organise, la coordonne. Le troupeau ne va jamais sans pasteur.

Quant à la famille, elle se voit normalement présidée par le chef de famille, en principe le paterfamilias. Car c’est lui qui exerce ici la « monarchie » ecclésiale. Mais sa défaillance éventuelle admet toute sorte de suppléance : une mère de famille peut devenir chef de famille ; un fils aîné, une soeur aînée peuvent faire fonction de chef de famille.

Malgré son caractère fonda­mental, vital, essentiel pour le salut, le collège des chrétiens reste subsidiaire, secondaire par rapport au collège des prêtres. De même le collège des prêtres ne laisse pas de rester subsidiaire par rapport au collège des évêques. Et le collège des évêques lui-même n’est que dérivé par rapport au collège originaire des douze apôtres de Jésus-Christ, dont il tient la place.

La collégialité de l’Eglise particulière, considérée dans sa totalité, laïcs compris, peut s’exprimer au sein du synode diocésain, si l’évêque décide d’y convoquer peu ou prou les laïcs : les représentants des divers mouvements d’action catholique, les délégués des paroisses, voire tout le peuple fidèle. Dans ces conditions, on l’a dit, le synode se mue en une véritable assemblée diocésaine. Pourtant, même ainsi, il ne détient que les pouvoirs que lui concèdent, soit le droit commun, soit l’évêque lui-même. Ses décisions n’entrent en vigueur que sous seing épiscopal.

La collégialité de tous les chrétiens se fait entendre, en temps plus ordinaires, par un droit de proposition, suivi d’un droit d’acclamation. On observe que ce système fonctionnait impeccablement dans les tout premiers temps de l’Eglise.

« En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, il y eut des murmures chez les Hellénistes contre les Hébreux. Dans le service quotidien, disaient-ils, on négligeait leurs veuves. Les Douze convoquèrent alors l’assemblée des disciples et leur dirent : ‘‘Il ne sied pas que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. Cherchez plutôt parmi vous, frères, sept hommes de bonne volonté, remplis de l’Esprit et de sagesse, et nous les préposerons à cet office ; quant à nous, nous resterons assidus à la prière et au service de la parole.’’ La proposition plut à toute l’assemblée, et l’on choisit Etienne, homme rempli de foi et de l’Esprit Saint, Philippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas et Nicolas, prosélyte d’Antioche. On les présenta aux apôtres et, après avoir prié, ils leur imposèrent les mains. » (Ac 6,1-6).

Le peuple de base a fait entendre des critiques.

Les Douze, comme responsables de l’Eglise, soumettent à l’agrément du peuple une option pour remédier à la difficulté présente : élire sept hommes.

L’assemblée chrétienne accepte cette procédure et propose ses candidats.

Les apôtres entérinent le choix du peuple en ordonnant les premiers diacres.

La formule : « plénum des disciples » (plêthos tôn mathêtôn : Ac 6,2), ou assemblée des fidèles, est ainsi d’origine néotestamentaire ; tandis que : « synode diocésain » ne l’est pas, mais seulement d’invention ecclésiastique. 

L’assemblée des chrétiens, qui peut se réunir en dehors de la synaxe eucharistique, est donc bien, elle aussi, d’institution apostolique, c’est-à-dire divine. On imaginerait volontiers que cette forme de collégialité se développât, à l’avenir, dans l’Eglise.

Le concile Vatican II a admis de la part des laïcs une sorte de droit de remontrance qu’il convient, certes, de manifester dans la modération et le respect, mais qui n’en est pas moins réel : « Qu’ils s’ouvrent à ces mêmes pasteurs de leurs besoins et de leurs vœux avec toute la liberté et la confiance qui conviennent à des fils de Dieu et à des frères dans le Christ. Dans la mesure de leurs connaissances, de leurs compétences et de leur rang, ils ont la faculté et même parfois le devoir de manifester leur sentiment en ce qui concerne le bien de l’Eglise. Cela doit se faire, le cas échéant, par le moyen des institutions que l’Eglise a établies pour cela, et toujours dans la sincérité, le courage, et la prudence, avec le respect et la charité qu’on doit à ceux qui, en raison de leurs charges sacrées, tiennent la place de Dieu. » (L.G., 37).

Les chrétiens ne se retrouvent pas seulement entre eux, dans leurs communautés d’Eglise. Ils vivent aussi journellement, au coude à coude pourrait-on dire, avec des non-chrétiens, des non-pratiquants, des non-croyants même. Ils entrent forcément en collaboration avec eux pour les tâches temporelles. Ils sont leurs voisins, leurs amis, leurs parents, leurs collègues dans beaucoup d’activités professionnelles, leurs confrères dans nombre d’associations. Leurs compagnons d’études ou de loisirs. Leurs frères en humanité, enfin. Cette collégialité, aux contours mal définis, peut s’étendre ainsi de proche en proche à la société entière. Un principe théologique d’importance majeure est ici à l’œuvre, à savoir que le Christ est mort pour absolument tous les hommes, que son salut est d’ores et déjà accessible à tout le genre humain, que la charité du Christ n’admet pas de frontières. L’action de l’Esprit Saint se fait sentir dans le cœur de tous les humains ; elle ne connaît pas, elle non plus, de limites assignables.

Le Nouveau Testament énonce à maintes reprises cette solidarité élémentaire des chrétiens avec les non-chrétiens. Les deux derniers chapitres de l’Apocalypse nous montrent la Cité céleste, la nouvelle Jérusalem, l’Eglise donc, ouverte à toutes les nations (cf. Ap 21,24-26). Citant le prophète Ezéchiel, L’Apocalypse mentionne aussi ces arbres de la vie, dont les feuilles peuvent guérir même les païens (cf. Ap 22,2).

Il n’en demeure pas moins vrai --- malgré cette collégialité universelle de tous les hommes, de tous les frères en Adam --- que le Christ a voulu et fondé son unique Eglise visible, celle des douze apôtres, celle de la Pentecôte, comme le moyen ordinaire de salut pour tous. Il importe donc de la construire jour après jour, cette Eglise, avec des matériaux épars, prélevés dans le monde entier.

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