XXVI . Synodes ro­mains. Synodes patriar­caux

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1°) Théorie du synode romain.

2°) Bref historique du synode romain dans l’antiquité.

3°) Le synode des évêques inauguré par le pape Paul VI.

4°) Les synodes patriarcaux.

5°) Valeur ecclésiale de la notion d’autocéphalie.

1°) Théorie du synode romain.

Le synode romain, que le pape réunissait autrefois autour de lui, n’était autre chose que le synode, ou concile particulier, des évêques de la province romaine ou, plus largement, du voisinage géographique de l’Eglise de Rome. La théorie, ou la théologie, de ce synode eût donc été celle du synode particulier s’il n’eût contenu dans son sein le successeur de Pierre.

Les fonctions primitives de ce synode furent donc de gérer les affaires ecclésiastiques de la province romaine. Mais du simple fait qu’il se vît convoqué, présidé, et ses décisions promulguées, par l’évêque de Rome, du fait que pussent être admis, appelés à son audience, des évêques de l’univers entier, il acquérait de facto une dimension universelle. Il bénéficiait de l’autorité même que lui accordait le pape. Il jouissait de l’autorité du pape, patriarche d’Occident et pontife de l’Eglise universelle. Il pouvait en venir à gouverner l’Eglise entière du Christ. Contenant la tête visible de l’Eglise, il devenait lui-même cette tête visible, et l’organe par lequel elle s’exprimait, agissait. Il n’accédait pas, cependant, au prestige ni à l’autorité du concile œcuménique car il ne pouvait pas se dire, ni en droit ni en fait, représentatif de l’épiscopat du monde entier.

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2°) Bref historique du synode romain dans l’antiquité.

Dès les premiers temps du christianisme, on vit les évêques de Rome réunir autour d’eux le synode de leur province et, à travers lui, juger l’univers.

On sait que les premiers conciles cités par l’histoire se tinrent en Asie mineure, à l’occasion de la crise montaniste, sous le règne de Marc Aurèle (161-180). Mais dès la fin du second siècle, au sujet de la querelle pascale, on vit le pape Victor Ier réunir les évêques de la province romaine et demander à toutes les autres provinces de convoquer pareillement leur synode. Quand l’évêque d’Alexandrie, Démétrius, condamna Origène, l’évêque de Rome, Pontien, rassembla un synode qui y souscrivit (vers 230).

Quelque temps plus tard, les fidèles d’Alexandrie eux-mêmes prirent l’initiative de déférer à l’évêque de Rome une lettre suspecte de leur propre évêque, Denis, au sujet du dogme trinitaire ! Le pape du même nom, Denis (259-268), réunit aussitôt son synode. Les évêques participants « s’indignèrent et l’évêque de Rome exposa l’opinion de tous en écrivant à son homonyme. » (Saint Athanase, De Synodis, 43 ; 45).

En octobre 313, pour juger de la cause donatiste qui perturbait l’Afrique, Le pape Miltiade rassembla dans sa nouvelle résidence du Latran (qui venait de lui être affectée par l’empereur Constantin), les évêques d’Autun, de Cologne et d’Arles, venus de Gaule ou de Germanie, les évêques d’Ostie, de Préneste, de Terracine, des Trois-Tavernes, de Capoue, de Bénévent, de Pise, de Florence, de Sienne, de Faënza, du Forum Claudii, de Rimini, de Labicum, d’Urbin et de Milan, recrutés en Italie. Il renouait ainsi avec la tradition des synodes romains, interrompue par la persécution de Dioclétien.

On en juge par ces quelques exemples, la pratique synodale était profondément ancrée dans les moeurs de l’Eglise antique, spécialement à Rome.

Le synode romain permettait au pape d’agir collégialement et non plus isolément dans les grandes occasions et de donner à ses sentences le plus de solennité possible. Il lui permettait aussi de prendre conseil de ses pairs, dans l’impossibilité physique où il était de réunir l’épiscopat du monde entier. La province romaine, ou même la région d’Italie, devenaient ainsi, en quelque sorte, la métropole religieuse de la chrétienté. Elles devaient ce prestige principalement au fait d’abriter sur leur sol les sépulcres des deux grands apôtres, Pierre et Paul.

A partir des papes Damase (366-384) et Sirice (384-399), le concile romain tendit à devenir une institution annuelle, se réunissant à la date anniversaire de l’avènement du pontife (son « natale »). C’était une assemblée plus solennelle que la simple convocation du presbyterium de Rome (autre moyen ordinaire de gouvernement des papes). Un rescrit impérial de 378 prévoyait que la présence de cinq à sept évêques seulement suffirait pour que le concile romain pût porter des sentences valides.

C’est le pape Grégoire le Grand (590-604) qui transféra de manière habituelle au 29 juin, fêtes des saints Pierre et Paul, la célébration du synode annuel de la province romaine.  

Lié à l’origine au souvenir de sa consécration épiscopale (et donc du mini-synode qui s’était forcément réuni lors de son installation), le concile de Rome représentait pour le pontife romain un instrument de gouvernement à l’adresse de l’Eglise universelle. Il renfermait l’amorce d’un gouvernement collégial ; il préfigurait même le concile œcuménique.

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3°) Le synode des évêques inauguré par le pape Paul VI.

Au Moyen Age, le synode épiscopal de la province romaine, de même que le synode presbytéral de Rome, tombèrent en désuétude. Ils se virent pratiquement remplacés par le consistoire des cardinaux. Le collège des cardinaux, en effet, comprenant dans son sein les évêques suburbicaires (suburbains) de la province romaine, ainsi que  les prêtres et les diacres titulaires de la ville de Rome, tint lieu de concile particulier (épiscopal) aussi bien que de synode interne (presbytéral) de l’Eglise romaine. Le consistoire, en session plénière sous la présidence du pape, devint le tribunal suprême de l’Eglise, tandis que des congrégations spécialisées de cardinaux, surtout à partir du pape Sixte-Quint (1585-1590), prenaient en mains les grandes divisions administratives (les dicastères) du gouvernement central.

Ce n’est qu’au XXe siècle, pendant le déroulement même du concile Vatican II, que le pape Paul VI remit en vigueur, sous une forme renouvelée, le synode romain.

Par le motu proprio « Apostolica Sollici­tudo » du 15 septembre 1965, ce pape créait un « Synode des évêques » qui réunirait à Rome, tous les deux ou trois ans, autour du pape, des évêques élus par les conférences épiscopales du monde entier. Mais ce nouvel organisme devait rester purement consultatif. Promulgué pendant la dernière session de Vatican II, il semblait prolonger l’action de ce concile et même sa présence. Il offrait l’opportunité au pape d’exercer son ministère selon un mode plus collégial.

Plutôt que d’un véritable exécutif, le nouveau synode ferait plutôt figure d’un parlement de l’Eglise, autorisant des débats sur des sujets précis, et d’une actualité brûlante dans la vie du peuple de Dieu. Le pape l’interrogerait sur un thème de son choix. Le synode émettrait ses avis et ses vœux. Le pape résumerait l’opinion du synode et donnerait ses propres réponses dans un document publié par la suite.

Il est manifeste que ce Synode des évêques n’a été créé par Paul VI qu’à titre expérimental. Il serait susceptible d’évoluer considérablement dans ses formes canoniques, comme dans les pouvoirs qui lui sont concédés. Il revêt, tel qu’il est présentement, une physionomie un peu hybride, car il tient à la fois du synode particulier et du concile général. Il n’est qu’un synode particulier, puisqu’il ne réunit qu’un nombre limité d’évêques autour du pape, et n’a que voix consultative. Inversement, il est représentatif de l’Eglise catholique romaine dans son ensemble. On pourrait soutenir que, comme l’antique synode romain, il mît en œuvre un aspect du droit divin de l’Eglise : la collégialité du concile particulier, mise au service du successeur de Pierre. Mais dans le même temps, il est régi par les normes du droit ecclésiastique, qui sont essentiellement mouvantes. C’est un outil collégial entre les mains du monarque apostolique.

Le pontife romain pourrait, s’il le souhaitait, organiser auprès de sa personne un synode permanent dont il conserverait la présidence, ou dont il nommerait lui-même le président. Ce synode aurait, sous son autorité, plein pouvoir de gestion, à la fois administrative et magistérielle, sur l’Eglise. Un tel système aurait l’avantage de rapprocher le régime gouvernemental de l’Eglise romaine du régime patriarco-synodal qui est en place dans les Eglises d’Orient.

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4°) Les synodes patriarcaux.

Le synode patriarcal prend son origine dans le synode particulier, ou provincial, reconnu par les conciles, spécialement celui de Nicée. Il devait être présidé par le métropolite, ou chef ecclésiastique de la province. Le synode patriarcal représente son extension ou son excroissance, sur un plan plus vaste, disons national.

De bonne heure en Orient, spécialement à Constantinople, des évêques de la province se mirent à résider en permanence dans les grandes métropoles politiques, et, au demeurant, ecclésiastiques. Ce furent les débuts de ce qu’on a appelé le synode « endémique », ou permanent. Les hiérarques de ces capitales, bientôt qualifiés de patriarches pour les plus importants d’entre eux, purent réunir à tout moment ce synode qui était à leur disposition et prendre toute décision concernant leur « diocèse », ou ressort patriarcal.

Aujourd’hui les Eglises d’Orient sont organisées en Eglises autocéphales, gouvernées pour la plupart par un patriarche, assisté d’un synode patriarcal.

 Dans les Eglises d’Orient le patriarche, ou celui qui en tient lieu : catholicos, métropolite, archevêque majeur, ne jouit pas d’une primauté absolue, et de droit divin, comme le pontife romain. Il ne peut décider, lui seul, à la place du synode. Toutefois son rôle ne se réduit pas à une fonction purement honorifique. Sa présence est nécessaire à l’existence même du synode. C’est lui qui lui confère, en quelque sorte, son statut ontologique.

Pour qu’un synode soit qualifié de patriarcal (ou de synode de tel autre hiérarque), il faut en effet qu’il y ait un patriarche (ou tel autre hiérarque). Toutefois, on sait qu’en Russie le tsar Pierre le Grand n’hésita pas à supprimer le patriarcat, en 1721, après l’avoir laissé vacant depuis l’an 1700. Il ne fut rétabli qu’en 1917, sous le régime soviétique. L’Eglise russe, pendant plus de deux siècles, fut administrée par un Saint-Synode pratiquement aux ordres du gouvernement. 

C’est le patriarche qui normalement convoque le synode, le préside, fixe son ordre du jour, veille à l’exécution de ses décrets. Pourtant le patriarche ne peut agir sans l’aval du synode, sans l’aval de la majorité de ses membres. Il bénéficie donc d’une primauté qu’on pourrait appeler relative, ou encore synodale. Une telle forme de primauté suppose l’accord, au sein de l’Eglise concernée, de l’ « un » avec le « multiple », du monarque et du collège. En cas de déviation doctrinale grave, le synode pourrait même déposer son patriarche. Ce qui est advenu plus d’une fois à Constantinople. Quand le patriarche est mort, démissionnaire ou déposé, il revient au synode d’élire son successeur, à moins que les statuts canoniques de cette Eglise ne prévoient un collège électoral beaucoup plus large, qui dans certains cas peut accueillir une majorité de laïcs, par exemple les délégués des fidèles.

Dans une Eglise patriarcale, les membres du synode sont le plus souvent des évêques représentatifs de l’Eglise en question ; ils sont choisis par cooptation. Mais, dans le synode de certains pays, peuvent aussi siéger de simples prêtres, voire des laïcs. Le synode patriarcal permanent agit aux lieu et place du concile plénier de cette Eglise et avec son pouvoir. Le synode du patriarche de Constantinople comprend douze membres ; il se réunit deux fois par semaine.

La primauté dans les Eglises d’Orient, même si, comme on le voit, elle n’est pas absolue, est toujours liée à un siège éminent, à une ville recommandable par l’ancienneté de sa tradition chrétienne et capitale, au moins religieuse, d’un territoire donné. C’est ce siège de la primatie qui entraîne avec lui le lieu de réunion habituel du synode et qui lui confère son autorité.

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5°) Valeur ecclésiale de la notion d’autocéphalie.

Les synodes patriarcaux (ou les synodes équivalents dans les Eglises non patriarcales) mettent de fait en application, dans les Eglises d’Orient, la théologie du concile particulier, ou de la collégialité partielle : de droit divin, le concile particulier détient l’autorité sur l’Eglise, ou portion de territoire, dont il est représentatif, mais à la condition expresse (en droit catholique) de rester soumis à la législation comme à l’arbitrage de l’Eglise universelle, et singulièrement du pontife romain.

L’autocéphalie ecclésiastique se justifie donc pleinement sur un plan horizontal : il est normal que des Eglises sœurs, diocésaines au départ, puis provinciales, nationales ou patriarcales, jouissent d’une pleine autonomie les unes à l’égard des autres, qu’elles s’administrent librement, et même souverainement. Il est normal de nos jours que les Eglises s’adaptent aux divisions nationales ou continentales du monde qui est le nôtre.

Mais l’autocéphalie se justifie beaucoup moins, et même pas du tout, dans un plan vertical. En effet les diverses Eglises particulières que nous venons de nommer : qu’elles soient diocésaines, provinciales, nationales, patriarcales, continentales même..., ne peuvent pas devenir indépendantes en regard de l’Eglise universelle, fondée par Jésus-Christ, et dont elles sont issues. Elles la représentent pleinement, et même la reproduisent à l’identique : mais à la condition de lui rester unies. Toutes les Eglises particulières, qu’elles eussent été fondées par tel apôtre ou par tel évêque, demeurent subsidiaires par rapport à la seule Eglise « catholique » établie par Jésus-Christ, et par le Saint-Esprit. Elles ne sauraient en aucun cas la supplanter. De la même manière, les Eglises diocésaines, ou éparchies, en Orient, ne restent pas indépendantes par rapport à l’Eglise patriarcale, et à son synode, mais gravitent dans leur orbite. De même encore les cellules paroissiales, ou autres communautés de base, ne sauraient demeurer indépendantes à l’égard de l’autorité épiscopale qui vient tout droit des apôtres.

Ainsi s’applique, ou devrait s’appliquer, dans l’Eglise de Dieu, le principe de subsidiarité : horizon­talement selon la collégialité, c’est-à-dire l’égalité ; verticalement selon la monarchie ou la subordination hiérarchique à l’égard de l’autorité apostolique. Car toutes les deux, la collégialité et la monarchie, sont également de droit divin. Selon la charité pour tous, mais aussi selon l’unité. Selon la vertu de communion, qui est équivalemment soumission réciproque dans la foi et dans la charité

Les Eglises particulières se construisent à l’identique de l’Eglise universelle. Chez elles, le synode local représente, ou incarne, l’assemblée universelle des apôtres, ou des évêques. Le primat, ou catholicos, ou patriarche, tient lieu du pape, ou de saint Pierre, ou encore du Christ. De la même manière l’évêque résidentiel dans son diocèse peut se vanter de tenir la place du pape : Ego sum Papa in ecclesia mea, (je suis pape, moi aussi, dans mon Eglise) disait volontiers un évêque sympathique, mais d’avant le concile (Mgr Chappe, évêque du Puy, 1949-1960). Il tient la place de l’apôtre Pierre, ou de Jésus-Christ lui-même, ou encore de Dieu le Père, selon la théologie puissante d’un saint Ignace d’Antioche ; tandis que ses presbytres autour de lui forment comme le sénat des apôtres.

La communion à égalité des différentes Eglise locales entre elles ne dispense pas de l’unité et de la cohésion de l’ensemble : bien au contraire, elle les suppose.                   

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