Retour au plan : THEOLOGIE DE L'EPISCOPAT
4°) Statut actuel du concile œcuménique au sein de l’Eglise catholique.
Le concile apostolique de Jérusalem, et les 21 conciles catalogués comme généraux, ou oecuméniques, se sont tenus généralement à des moments cruciaux de l’histoire de l’Eglise. Il leur fut demandé d’entériner d’importantes décisions.
Le concile de Jérusalem, assemblé vers 48-49, réunissait en principe les apôtres et les presbytres, au moins les presbytres de Jérusalem (cf. Ac 15,6.23). Il se tint sous les présidences informelles de Pierre, en tant que chef, déjà, d’une Eglise universelle et expatriée (cf. Ac 15,7-12), et de Jacques le mineur (cf. Ac 15,13-21), préposé à l’épiscopat de cette Eglise hiérosolymitaine (cf. Hist. Eccl. d’Eusèbe, II,1,2-3) au sein de laquelle se tenait le concile. Sur les instances de Barnabé et de Paul (cf. Ac 15,2-4.12), le concile et toute l’Eglise (cf. Ac 15,22) décidèrent d’exempter désormais les païens de l’observance des lois mosaïques (si ce n’est encore de toutes les observances dites noachiques, cf. Ac 15,28-29). Ainsi l’Eglise se séparait-elle virtuellement, non seulement de la synagogue, mais même du Temple, encore debout, et en service, à cette date-là, rappelons-le.
Les huit premiers des conciles dits oecuméniques se tinrent en Orient, après l’avènement de la paix constantinienne. Ils furent pour ainsi dire des conciles impériaux, ou byzantins. Ils eurent à définir et à consolider les premiers principes de la dogmatique chrétienne, face aux schismes ou aux hérésies qui la dénaturaient.
Le Ier concile de Nicée (325), convoqué par les soins de l’empereur Constantin, condamna l’arianisme, et définit la consubstantialité, en Dieu, du Père et du Fils. Le Fils est consubstantiel (en grec : homoousios) au Père.
Le concile Ier de Constantinople (381), convoqué par Théodose Ier, ne fut connu et accepté comme œcuménique en Occident que plus tard, au moment du concile de Chalcédoine. Il n’en joua pas moins un rôle déterminant pour la formulation du dogme de la foi. Il proclama la divinité du Saint-Esprit, comme Personne divine égale au Père et au Fils. Le Credo professé à Constantinople, dit de Nicée-Constantinople, est désormais celui de l’Eglise universelle (sauf que les mots « Filioque » lui furent ajoutés, bien plus tard, en Occident).
Le concile d’Ephèse (431), convoqué par Théodose II, fut présidé par Cyrille évêque d’Alexandrie, sur mandat du pape de Rome. Il condamna le nestorianisme qui refusait à Marie le titre de « Théotokos », Mère de Dieu. Jésus, le Fils de Marie, est donc bien à la fois homme et Dieu.
Au concile de Chalcédoine (451), convoqué par l’empereur Marcien, les sentences de foi du pape Léon le Grand furent avalisées. Jésus est bien une seule Personne eu deux natures, « complet quant à la divinité et complet quant à l’humanité. » Du coup fut proscrit le monophysisme défendu par Dioscore, patriarche d’Alexandrie.
Le cinquième concile œcuménique, Constantinople II, convoqué par Justinien en 553, précisa ce qu’on doit entendre par « union hypostatique » à propos du Christ. Les deux natures, humaine et divine, se composent sans aucune division ni confusion dans l’unité d’une seule Personne (ou Hypostase) de la Sainte Trinité, à savoir la seconde, celle du Fils. Le pape Vigile, présent à Constantinople, mais qui n’avait pas pris part aux délibérations, finit par reconnaître ce concile dans un document appelé le « Constitutum ».
Le IIIe concile de Constantinople (680-681), sixième œcuménique, convoqué à l’initiative de l’empereur Constantin IV, condamna le « monoénergisme » et le « monothélisme » (hérésies préconisant une seule énergie, ou une seule volonté, dans la Personne de Jésus-Christ, alors qu’il y en a deux : l’humaine et la divine). Pour des formules ambiguës employées dans une épître, le pape Honorius Ier (625-638) se trouva condamné parmi d’autres, à titre posthume. Le pape Léon II, en 682, entérina les décisions de ce sixième concile, y compris la condamnation de son prédécesseur.
Le concile Nicée II (787), convoqué par l’impératrice régente Irène, consacra la défaite des iconoclastes. Nous avons-là le dernier concile œcuménique, le septième, qui soit reconnu à la fois par les Eglises d’Orient et d’Occident.
Le IVe concile de Constantinople (869-870), huitième œcuménique et le dernier tenu en Orient, vit le triomphe passager de l’Eglise romaine sur l’Eglise byzantine, avec la déposition et la condamnation du patriarche Photius. Mais ledit patriarche reviendrait en charge à Constantinople et le concile serait désavoué par l’Eglise grecque.
Désormais les conciles dits œcuméniques se tiendraient en Occident et seraient le fait des papes.
Latran I, convoqué sur l’ordre du pape Calixte II en 1123, approuva le concordat de Worms passé entre ce pape et l’empereur d’Allemagne Henri V. Ce concordat mettait fin à la querelle des investitures et marquait le succès de la réforme grégorienne. L’Eglise renforçait son indépendance à l’égard du pouvoir temporel des princes.
Dans le concile Latran II (1139) le pape Innocent II voulut surtout officialiser sa victoire sur son concurrent, l’antipape Anaclet II. Ce schisme pontifical venait de diviser l’Eglise d’Occident pendant neuf années.
Lors du onzième concile œcuménique, Latran III (1179), présidé par Alexandre III, fut prise la décision importante de faire élire dorénavant le pape à la majorité des deux tiers du collège des cardinaux romains.
Le concile Latran IV, en 1215, marqua l’apogée de la théocratie papale au Moyen Age. Le pape Innocent III fit condamner l’hérésie cathare contre laquelle il venait d’entreprendre une dure croisade, dans le midi de la France. Le dogme de la transsubstantiation y fut défini contre les erreurs de Bérenger. C’est alors qui fut entérinée pour les catholiques l’obligation de se confesser et de communier au moins une fois l’an.
Le Ier concile de Lyon, treizième oecuménique, rassemblé par le pape Innocent IV, en 1245, se chargea de déposer l’empereur d’Allemagne Frédéric II de Hohenstaufen, en lutte ouverte avec la papauté.
Au IIe concile de Lyon (1274), le pape Grégoire X tenta de rétablir l’unité entre les Eglises grecque et romaine. Les ambassadeurs de l’empereur d’Orient, Michel Paléologue, signèrent une profession de foi qui reconnaissait et la primauté du pape. Malheureusement cette union devait se révéler éphémère. Le concile établit aussi de nouvelles règles pour l’élection du pontife romain : dix jours au plus après le décès du titulaire, les cardinaux seraient astreints à s’enfermer dans le conclave.
Le concile de Vienne en France (1311-1312), réuni par Clément V, dissolut l’ordre des Templiers. Les prélats séculiers, pourtant majoritaires, ne parvinrent pas à obtenir du pape la suppression des exemptions (favorables aux réguliers). La réforme de l’Eglise, ressentie comme nécessaire, y fut plus souhaitée qu’accomplie.
Le concile de Constance (1414-1418) fut rassemblé dans cette ville d’Allemagne par Sigismond, roi de Rome et futur empereur, pour mettre fin au Grand Schisme d’Occident qui désolait l’Eglise depuis trente-six ans. Jean XXIII (Balthazar Cossa) y fut déposé (en mai 1415). Grégoire XII, seul pape légitime, après avoir reconvoqué le concile par la voix de son légat, le cardinal Dominici, démissionna par le truchement de son procurateur, Charles Malatesta, muni des pouvoirs nécessaires. Tout ceci au cours de la même séance du concile, le 4 juillet 1415. Benoît XIII (Pedro de Luna) fut déclaré déposé en septembre 1417. Enfin le cardinal Oddone Colonna (Martin V) y fut élu pape le 11 novembre 1417, réconciliant ainsi la chrétienté avec elle-même.
Tandis que le concile de Bâle, convoqué par Martin V en 1431 (en exécution des décisions prises à Constance), se séparait de l’obédience romaine, Eugène IV, successeur de Martin V, convoquait à Ferrare en 1437 le dix-septième concile œcuménique, qui devait se transporter plus tard à Florence. Un acte d’union était de nouveau conclu avec l’Eglise grecque ; mais cette union serait elle aussi éphémère.
Jules II convoqua le Ve concile du Latran (dix-huitième œcuménique) en 1512 pour faire pièce au concile schismatique de Pise réuni par le roi de France Louis XII. Prorogé par Léon X jusqu’en 1517, Latran V homologua le concordat passé entre ce pape et François Ier. Aucune réforme sérieuse de l’Eglise n’y fut envisagée, alors que précisément en cette même année, 1517, éclatait en Allemagne la révolte religieuse de Luther.
C’est le concile de Trente, dix-neuvième oecuménique (1545-1563), réuni successivement par les papes Paul III, Jules III et Pie IV, qui entreprit la Contre-Réforme de l’Eglise catholique. Un immense travail de reformulation du dogme fut mené à bien ; de nombreux décrets disciplinaires furent pris. La mise en application intégrale de ce concile prendrait des siècles.
Vatican I (1869-1870), convoqué par Pie IX, compléta en quelque sorte le concile de Trente en promulguant l’infaillibilité personnelle du pape lorsqu’il parle ex cathedra.
Réuni par Jean XXIII en 1962, clôturé par Paul VI en 1965, le IIe concile du Vatican, vingt-et-unième œcuménique, entreprenait une mise à jour complète (aggiornamento ...) de l’Eglise en cette fin du second millénaire de l’ère chrétienne.
A la suite de ce concile, les grandes décisions doctrinales des siècles antérieurs étant, bien sûr, maintenues, il semble que l’esprit progressiste triomphe dans l’Eglise avec l’appui des papes successifs : Jean XXIII, Paul VI, l’éphémère Jean-Paul Ier et Jean-Paul II ... La liturgie est renouvelée et admet les langues vernaculaires. Le catéchisme est reformulé. Le droit canon est rénové. L’Eglise s’ouvre mondialement à toutes les cultures et achève son implantation sur tous les continents. La chrétienté (entendue dans le sens de : ensemble des chrétiens) tente dans le même temps de refaire son unité. Le dialogue avec les religions non chrétiennes devient lui aussi à l’ordre du jour.
Comme on le voit par ce bref aperçu, les conciles œcuméniques ont jalonné la marche séculaire de l’Eglise catholique, et c’est dans leurs instances que furent prises bien souvent les options les plus décisives et les plus délicates, pour l’avenir de l’Eglise.
C’est bien pendant le déroulement d’un concile œcuménique qu’on observe le mieux, dans la pratique, l’articulation qui s’établit, au sein de la divine constitution de l’Eglise, entre monarchie d’une part et collégialité de l’autre. Car on voit alors ces deux puissances fonctionner conjointement, et leur collaboration prendre un aspect qu’on pourrait dire spectaculaire.
Mais au fait, quelle est la doctrine du concile œcuménique sur lui-même ? Que pense-t-il de soi ?
En un certain sens, un concile ne saurait se définir lui-même, puisqu’il est précisément l’instance suprême qui définit toutes les autres. Cependant Vatican II a accepté de traiter de lui-même : « Le pouvoir suprême dont jouit ce collège [épiscopal] à l’égard de l’Eglise universelle s’exerce solennellement dans le Concile oecuménique. » (Lumen Gentium, 22). Ainsi le concile oecuménique est-il le mode principal par lequel le collège épiscopal exerce son pouvoir dans l’Eglise. Le pape étant inclus parmi ses membres, le concile œcuménique représente l’autorité du collège apostolique au complet, Pierre à sa tête. Il en est la survivance au milieu de nous. Sans rien ajouter au dépôt de la révélation, entièrement constitué à la mort du denier apôtre (saint Siméon, rappelons-le, vers 107), le collège le conservera intact jusqu’à la fin des temps et le fera fructifier, tandis que le concile œcuménique en jugera souverainement et, par la grâce de Dieu, fidèlement. N’oublions que le Saint-Esprit est descendu sur le collège apostolique, réuni au cénacle le jour de la Pentecôte. L’Esprit demeure sur l’Eglise, et spécialement sur l’Eglise assemblée en concile. On conçoit que de telles assises solennelles, espacées dans le temps, puissent être vécues comme des célébrations. L’Esprit Saint ne peut pas être absent des délibérations qui s’instaurent, même si ces dernières évoluent selon un mode humain, et par conséquent imparfait. L’Esprit Saint assume les décisions arrêtées, et rendues définitives, en leur garantissant l’infaillibilité doctrinale. Il valide leur autorité, même quand il s’agit de simples règlements disciplinaires, et par conséquent révocables. C’est l’Esprit Saint qui opère en permanence l’unité visible de l’Eglise ; mais il l’opère d’une manière d’autant plus tangible que l’Eglise se trouve rassemblée en un seul lieu, à une même date.
« L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé... » (Ac 15,28), telle est la formule, exprimée ou sous-entendue, qui clôture les travaux des assises oecuméniques, depuis le premier concile tenu à Jérusalem, et qui résume leur théologie. En matière de foi ou de morale, l’Esprit parle infailliblement, quand il s’agit de définir les dogmes ou de condamner les erreurs. Les sentences doctrinales de ces conciles sont donc irréformables jusqu’à la consommation des siècles. Même quand il s’agit de simples lois, les décisions du concile quoique réformables sont prises souverainement. On peut dire que le concile est l’instance majeure du gouvernement de l’Eglise. En elle sont prises les orientations les plus importantes de sa vie interne comme de son apostolat.
Un concile œcuménique est pour ainsi dire une occasion, pour l’Eglise universelle, de revenir à son point de départ et de se trouver mystiquement réunie dans le Cénacle, avec la présence invisible de Marie, mère de Jésus (cf. Ac 1,14), et de tous les apôtres. Non seulement le lieu de la Pentecôte mais encore le lieu de la dernière Cène est revisité spirituellement. Le Christ ressuscité se tient invisiblement au milieu de ses disciples. L’eucharistie y est célébrée comme une « messe » de toute la terre et aussi, un peu, comme une anticipation du banquet céleste qui nous verra tous réunis. Le concile œcuménique rassemble au moins symboliquement, et dans son principe, l’Eglise entière en les personnes de ses membres les plus éminents, au moins en dignité et en responsabilité, que sont les évêques.
Pourtant dans cette assemblée exceptionnelle, et même extraordinaire, l’Eglise du Christ maintient sa divine constitution. Les deux aspects primordiaux de son être, ou de sa substance, monarchie et collégialité, y cohabitent et même y collaborent en principe harmonieusement, quelques fois avec des tensions. Mais le concile trouve son équilibre et son expression définitive quand le chef et les membres du collège parlent d’une seule voix : en un mot, quand ils sont unanimes.
Théologiquement, on pourrait considérer le concile comme une assemblée d’égaux. De droit divin en un certain sens, les évêques successeurs des apôtres pénètrent dans le collège, et dans son instance suprême qui est le concile, avec la même autorité, dotés de la même dignité et des mêmes charismes : que ce soit le pape de Rome, les patriarches ou les autres évêques même simplement auxiliaires ou en retraite. Ils sont docteurs, au nom du Christ. Ils sont hiérarques, en la place du Christ. Ils sont « sacerdotes » et pasteurs de l’Eglise de Dieu. Ils célèbrent la même eucharistie. Ils témoignent de la même résurrection du Christ. Ils enseignent la même foi « catholique ». Ils promulguent ensemble, au nom du Christ, les mêmes dispositions canoniques pour tout ou partie de l’Eglise. En un mot, ils légifèrent au nom du même collège apostolique et de l’Esprit qui l’animait.
Mais d’un autre côté, le corps épiscopal, même regroupé en concile, reste soumis à la constitution divine de l’Eglise, ainsi qu’au droit canonique en vigueur. Il se soumet à la monarchie. L’évêque de Rome tient de droit, dans cette instance, une place éminente, selon la consigne impérissable donnée par le Christ à Pierre : « Pais mes agneaux ... Pais mes brebis... » (Jn 21,15.16). Et cette consigne reste valable même pendant la durée du concile. C’est à l’évêque de Rome qu’il appartient, en tant que successeur de Pierre, de convoquer, de présider et d’entériner ses assises.
a) Le pape convoque le concile.
Sans doute avons-nous vu que les huit premiers conciles, tenus en orient, furent tous convoqués par l’empereur, ou parfois l’impératrice, de Byzance. Mais ces derniers le firent avec l’accord tacite ou explicite du pape, et en vertu de son autorité universelle dont ils prenaient en quelque sorte le relais. Le concile n’eût pas été œcuménique si les Eglises d’Occident, et spécialement l’Eglise romaine, n’eussent donné leur aval.
Le pape convoque au concile qui il veut. Pour qu’un concile soit dit œcuménique, il suffit qu’il soit représentatif de toute l’Eglise. Le concile est l’expression visible de l’Eglise universelle, mais pas forcément du seul épiscopat. Car ce dernier ne représente l’Eglise qu’à titre principal ou privilégié, non à titre unique ou exclusif. Au concile apostolique de Jérusalem (et l’on pourrait avancer l’idée que le concile de Jérusalem tient lieu de paradigme, de modèle, pour tous les autres conciles) siégèrent, on l’a vu, « les apôtres et les anciens » (Ac 15,6), c’est-à-dire en somme les évêques et les prêtres. Au concile de Vienne, en 1311, le pape Clément V ne convoqua guère que les archevêques, et aussi quelques évêques, leurs suffragants, nommément désignés. Ce concile, le quinzième de la liste, n’en fait pas moins figure de concile œcuménique. Au concile de Constance, convoqué par Sigismond, roi de Rome, au nom de l’antipape Jean XXIII, puis à partir de la quatorzième session au nom du pape légitime Grégoire XII, des prêtres et même des théologiens laïcs siégèrent à égalité avec les évêques. Les votes se faisaient par nations, quatre nations au début, puis cinq, et non dans des assemblées générales. On pourrait concevoir (intellectuellement) dans l’avenir un concile œcuménique où les délégués des Eglises non épiscopaliennes siégeassent au même rang que les évêques titulaires.
Le droit que la doctrine catholique reconnaît au pontife romain (en vertu du pouvoir des clefs) de convoquer le concile, est un droit prioritaire, non un droit exclusif. Autrement dit, le pontife pourrait fort bien partager ce droit avec d’autres instances. Au premier millénaire de l’ère chrétienne, les papes de Rome laissaient ainsi à l’empereur romain installé à Constantinople le soin de rassembler les conciles, car ledit empereur était le seul, matériellement et politiquement, à pouvoir assumer cette charge. Mais dans la perspective d’union des chrétiens qui prévaut aujourd’hui, le pontife romain pourrait fort bien convoquer le concile en accord, ou en synchronisme, avec d’autres autorités religieuses.
b) Le pape préside le concile, par lui-même ou par ses délégués. Il assume pratiquement la direction des débats.
Ici encore, il s’agit d’un droit prioritaire, non exclusif. Aux conciles des premiers siècles, on apercevait souvent les représentants du pape de Rome assis à la table de présidence. Mais la direction des débats, et la présidence effective, revenaient plutôt aux représentants du pouvoir civil. Au concile œcuménique d’Ephèse, en 431, saint Cyrille d’Alexandrie prit en main la direction de l’assemblée, au nom du pape de Rome, Célestin. A défaut de tout pape légitime, le concile de Constance était présidé soit par le Roi des Romains, Sigismond, qui l’avait convoqué, soit en son absence par le cardinal doyen du Sacré-Collège. Au concile de Trente, les papes successifs se firent représenter par des légats qui conduisirent en leurs noms les travaux de l’assemblée.
La présidence normale du concile oecuménique revient de droit à l’évêque de Rome, en tant que successeur de saint Pierre. Alors, il officie en qualité de véritable évêque universel. Le propre de l’évêque, avons-nous dit, c’est d’être unique. A la tête du concile le pape fait fonction monarchiquement, mais non pas collégialement, d’évêque unique. Lui seul, en un certain sens, est évêque dans cette assemblée : « episkopos », c’est-à-dire ‘‘celui qui placé à l’endroit le plus élevé puisse du regard dominer toute l’assemblée’’. Lui seul pour l’heure représente Jésus-Christ, ou même Dieu le Père, comme le disait saint Ignace d’Antioche à propos de l’évêque ordinaire, siégeant dans son Eglise particulière. (Cf. Lettre aux Magnésiens, VI, 1). Le collège épiscopal, assemblé devant lui, se tient là comme un presbyterium entourant son évêque, « l’évêque de l’Eglise catholique ». Le pape officie dans l’Eglise universelle au même titre qu’un évêque ordinaire, siégeant dans son Eglise particulière. Car son diocèse, c’est toute l’Eglise catholique ; en un sens même tout le cosmos.
Certes tous les évêques présents à ce concile restent évêques, d’un point de vue sacerdotal ou sacramentel. Mais d’un point de vue juridique, ou canonique, le pape est seul à assumer dans sa plénitude le pouvoir épiscopal, dans sa plénitude coextensive au temps et à l’espace. Les autres évêques ne le font qu’en collaboration avec lui, et soumis à son autorité.
Je ne prétends pas nier pour autant la juridiction universelle du collège en tant que tel. Ce serait contredire l’enseignement explicite de Vatican II, rappelé par le nouveau Catéchisme. Le collège, en effet, est « lui aussi le sujet d’un pouvoir suprême et plénier sur toute l’Eglise ; pouvoir cependant qui ne peut s’exercer qu’avec le consentement du Pontife romain. » (L.G. 22 ; Catéchisme de l’Eglise catholique, n° 883). L’évêque de Rome est donc la tête (visible) de l’Eglise universelle ; mais il est aussi la tête (visible) du collège et du concile. Certes le concile est souverain, mais en union avec le pontife romain, non contre lui. Souverain à l’égard de l’Eglise, non à l’égard du pontife. Les évêques réunis en concile demeurent à la fois collègues, et sujets du pape. Sujets du pape dans son épiscopat unitaire sur toute l’Eglise ; collègues du pontife dans l’exercice de l’autorité suprême du collège, et dans le sacerdoce. C’est donc dans le concile qu’on vérifie le plus aisément cette imbrication qui s’instaure entre collégialité d’un côté et monarchie de l’autre, le concile étant une réunion au sommet tout à fait exceptionnelle et voyante. Mais on retrouve ce jeu providentiel, source d’harmonie et parfois de tensions, à tous les niveaux comme à toutes les époques de la vie interne de l’Eglise. Car monarchie et collégialité sont toutes les deux, et au même titre, d’institution divine. Elles se doivent donc de composer entre elles.
Je ne prétends certes pas nier, non plus, la juridiction individuelle et ordinaire de chaque évêque sur son Eglise particulière. Mais il ne l’exerce que comme membre de ce grand corps qu’est l’Eglise universelle. Nous sommes tous membres de l’Eglise catholique romaine, avant même que de l’être de notre Eglise particulière.
c) Le pape entérine les décisions du concile.
Tant que le pape n’a pas accepté et n’a pas promulgué les sentences conciliaires, celles-ci n’ont pas force de lois. Et s’il s’agit de définitions dogmatiques, elles n’acquièrent leur caractère définitif et irréformable qu’avec l’aval explicite du pontife. « Il n’y a point de concile œcuménique s’il n’est comme tel confirmé ou tout au moins accepté par le successeur de Pierre : au Pontife romain appartient comme une prérogative de convoquer ces conciles, de les présider et de les confirmer. » (L.G. 22). Le concile de Constantinople, en 381, auquel ne participaient pas les occidentaux, ne fut considéré comme œcuménique qu’à partir de son acceptation par l’Eglise latine. En 449, le pape Léon le Grand n’hésita pas à désavouer les actes du concile d’Ephèse, pourtant assemblé selon toutes les formes prescrites. Ce concile est désormais connu dans l’histoire sous le nom de « brigandage d’Ephèse » et il ne figure pas, bien entendu, dans la liste officielle des conciles généraux. Les décisions doctrinales, ou canoniques, du concile de Constance ne furent approuvées par le pape Martin V, pourtant l’élu de ce concile, qu’au moyen d’une formule vague : le pape déclarait accepter ce qui dans le concile avait été opéré « conciliariter », c’est-à-dire d’une manière synodale, ou conciliaire. Aujourd’hui encore les décisions de ce concile font l’objet de discussions ; elles ne sont alléguées que sous bénéfice d’inventaire.
Aujourd’hui la question ne se pose même plus. Et dans l’avenir, cette situation anormale ne devrait plus se rencontrer. En effet la législation canonique en place, dans l’Eglise catholique, prévoit qu’en cas de vacance du Saint-Siège le concile œcuménique se trouve interrompu de plein droit.
Mais dans le passé il n’en fut pas toujours ainsi. Et il devient très intéressant d’étudier selon quels principes théologiques fonctionnait le gouvernement suprême de l’Eglise dans ces circonstances exceptionnelles. Comment se conciliait donc la collégialité avec une monarchie inexistante, ou momentanément décapitée ?
En 681, le 10 janvier, le pape Agathon mourait pendant le déroulement du concile œcuménique Constantinople III (7 novembre 680 – 16 septembre 681). Son successeur Léon II était acclamé immédiatement par le peuple romain. Mais selon l’usage du temps, il ne pouvait être consacré évêque sans l’accord de l’empereur byzantin. Et il ne le serait que tardivement, le 17 août 682, après avoir accepté de souscrire les actes de ce sixième concile œcuménique, lesquels incluaient la condamnation de son prédécesseur, le pape Honorius Ier, pour cause de monothélisme ! La vacance du siège de Rome n’avait pas influé à proprement parler sur la marche du concile. Le droit canonique de l’époque fut appliqué. Et le concile lui-même n’a pas prétendu gouverner l’Eglise universelle pendant l’interrègne. Il ne fut considéré comme œcuménique, et n’acquit force de loi en Occident, qu’après sa promulgation par le nouveau pape.
Il en alla bien différemment au concile de Constance (1414-1418). Convoqué par le futur empereur Sigismond, pour faire face à la déliquescence presque complète du pouvoir pontifical que se disputaient trois papes rivaux, le concile administra pratiquement l’Eglise pendant trois années consécutives. Cependant, d’un point de vue théologique, il n’acquit son oecuménicité, et par conséquent son autorité, que par le fait de sa reconvocation par le seul pape légitime, Grégoire XII, le 4 juillet 1415, et par la démission le même jour de ce pontife. Il ne gouverna donc l’Eglise qu’en vertu des pouvoirs qui lui furent expressément délégués pour le temps de la vacance du Siège, avant la désignation d’un nouveau pontife. En somme, pendant cet intérim, il était à lui tout seul l’Eglise romaine, le Sacré-Collège, la curie centrale de l’Eglise, en même temps que l’assemblée plénière de l’épiscopat catholique. Les cardinaux lui étaient soumis, et ne pouvaient agir sans son accord. Le mode d’élection habituel du pontife romain fut suspendu. Le concile, ayant déposé deux papes illégitimes, et obtenu la renonciation d’un troisième (légitime, mais pratiquement abandonné de tous), décida de règles spéciales pour l’élection du nouveau pape. Le conclave comprendrait, en sus des 23 cardinaux présents (issus des trois obédiences !), 6 délégués de chacune des 5 nations présentes au concile : soit, si je compte bien, 53 membres. La majorité des deux tiers était exigée dans chacun des 6 collèges électoraux ainsi formés ! Malgré cette clause très contraignante (qui eût pu provoquer un grave blocage), le cardinal Colonna n’en fut pas élu en quelques heures (à l’unanimité !), et se donna le nom de Martin V. (C’était en la fête de saint Martin, le 11 novembre 1417). Dès ce jour, il reprit en main très fermement le gouvernement de l’Eglise et s’imposa à toute la chrétienté.
On doit donc enregistrer le fait qu’un concile œcuménique, de surcroît dominé par le pouvoir laïc, a pu gouverner l’Eglise universelle en l’absence de tout pape pendant 2 ans 4 mois 7 jours ! Mais il ne l’a fait légitimement qu’en vertu du mandat explicite du pape démissionnaire. Pour les périodes antérieures, il ne peut pas être considéré comme œcuménique. On retrouve ici notre conclusion, obtenue par ailleurs : pendant les vacances du Siège romain, le concile reste soumis au droit ecclésiastique en vigueur, défini, ou au moins approuvé, par les pontifes romains. La constitution divine de l’Eglise ne s’en trouve donc pas fondamentalement altérée.
Les papes peuvent manquer à l’Eglise catholique, voire se révéler incapables, ou se trouver totalement empêchés. L’Esprit Saint, lui, ne manque pas à l’Eglise et maintient son unité visible, même durant ces périodes troublées.
Résumons les principes dégagés : en temps normal, l’Eglise romaine et catholique est gouvernée, de droit divin, par l’évêque de Rome et par ceux qui tiennent de lui leur autorité. Mais pendant les intérims, ou les éclipses accidentelles du pouvoir pétrinien, l’Eglise est gouvernée par le droit ecclésiastique, promulgué par ces mêmes pontifes romains.
Il demeure vrai que de telles périodes anormales, ou d’exception, ont été permises par la divine Providence. En un sens, elles sont donc d’institution divine, elles aussi ! Elles peuvent faire l’objet de recherches théologiques approfondies. Elles laissent apercevoir quelque chose de la nature profonde de l’Eglise de Jésus-Christ. Mais on observe aussi que ces temps d’intérims font l’objet de réglementations canoniques toujours plus efficaces. On constate ce progrès constant tout au long de l’histoire tourmentée et millénaire de l’Eglise.
Tel qu’il fonctionne à l’intérieur de l’Eglise catholique, depuis le début du second millénaire, le concile œcuménique est devenu une institution de droit pontifical, purement interne à cette Eglise. Il est devenu un instrument aux mains des souverains pontifes pour leur permettre de faire franchir à l’Eglise, dont ils ont la charge, une étape plus importante dans ses rapports avec le monde, ou avec elle-même, dans sa constitution, ou avec sa propre foi.
Actuellement le concile général est régi, dans l’Eglise catholique, à la suite de Vatican II, par le nouveau code de droit canonique promulgué par Jean-Paul II en 1983 : canons 337 à 341.
« Can. 337-1. Le Collège des Evêques exerce le pouvoir sur l’Eglise tout entière de manière solennelle dans le Concile Œcuménique. »
« - 3. Il appartient au Pontife Romain, selon les besoins de l’Eglise, de choisir et de promouvoir les formes selon lesquelles le Collège des Evêques exercera collégialement sa charge à l’égard de l’Eglise tout entière. »
« Can. 338-1. Il appartient au seul Pontife Romain de convoquer le Concile Œcuménique, de le présider par lui-même ou par d’autres, ainsi que de le transférer, le suspendre ou le dissoudre, et d’en approuver les décrets. »
« -2. Il lui appartient aussi de déterminer les matières à traiter en Concile et d’établir le règlement à suivre ; aux questions proposées par le Pontife Romain, les Pères du Concile peuvent en ajouter d’autres avec son approbation.
« Can. 339-1. Tous les Evêques qui sont membres du Collège des Evêques et eux seuls ont le droit et le devoir de participer au Concile Œcuménique avec voix délibérative. »
« -2. Quelques autres personnes non revêtues de la dignité épiscopale peuvent être appelées au Concile Œcuménique par l’autorité suprême de l’Eglise à qui il appartient de préciser leur participation au Concile. »
« Can. 340. Si le Siège Apostolique devient vacant durant la célébration du Concile, celui-ci est interrompu de plein droit jusqu’à ce que le nouveau Pontife Suprême ordonne de le continuer ou le dissolve. »
« Can. 341-1. Les décrets du Concile Oecuménique n’ont valeur obligatoire que s’ils sont approuvés par le Pontife Romain en union avec les Pères du Concile, confirmés par lui et promulgués sur son ordre. »
Toute cette codification ne fait que reprendre l’enseignement du concile Vatican II. Elle marque l’évolution ultime de l’institution conciliaire après 2000 ans de christianisme. On pourrait la résumer en disant que tous les évêques catholiques, et seuls les évêques catholiques, participent de plein droit au concile ; tandis que le pape garde la haute main sur toute la procédure conciliaire : il en a l’initiative, la conduite et c’est lui qui lui apporte une conclusion. C’est lui encore, et cette remarque a une grande importance, qui veille à l’application de ses décrets dans la vie concrète de l’Eglise : et cette application, on le sait, peut prendre des décennies, voire des siècles...
Le concile est donc au service de la monarchie pontificale. Il lui permet de s’exercer, dans les grandes circonstances, collégialement et non plus isolément. En somme il lui permet d’associer l’Eglise universelle à ses grandes décisions en matière de foi ou de pastorale. Certes le concile garde sa liberté interne. Mais c’est d’une manière bien spéciale, et propre à l’Eglise romaine : dans l’union et dans la soumission au successeur de Pierre.
Non seulement la théorie conciliaire, qui préconisait la supériorité du concile sur le pape, se voit-elle expressément condamnée, mais encore une situation comme celle qui a prévalu au concile de Constance : délibérations et gouvernement de fait du concile pendant la vacance du Siège de Rome, devient impossible et de surcroît proscrite.
Tel est le droit catholique actuel du concile. Pourrait-il évoluer ?
Les chrétiens, aujourd’hui, sous l’impulsion du mouvement dit œcuménique, mais aussi par suite de l’unification toujours croissante de la planète Terre, prennent-ils de plus en plus conscience qu’ils appartiennent tous à l’unique Eglise fondée par Jésus-Christ, dans laquelle on entre par le baptême, mais aussi déjà par la foi. Les disciples du Christ se souviennent de l’ultime consigne laissée par lui, juste avant son départ. C’est pourquoi ils cherchent à surmonter les divisions anciennes, qui les cloisonnent en confessions distinctes. Il paraît certain que l’institution conciliaire est appelée à jouer un rôle important dans ce processus. Pour cela elle devra sans doute subir de nouvelles adaptations. Elle devra s’ouvrir à l’ensemble des chrétiens, à l’ensemble de leurs Eglises.
Si l’on définit justement le concile oecuménique comme la réunion plénière de l’épiscopat, le nouveau concile devra accepter dans ses rangs tous ceux qui portent le titre d’évêque, ou même équivalemment tous ceux qui, sans arborer la titulature épiscopale traditionnelle, exercent de fait dans l’Eglise de Dieu des fonctions proprement épiscopales : d’inspection, de gouvernement, d’enseignement, de célébration.
Jusqu’ici, la présidence effective du concile général était-elle réservée au pontife romain. Mais ce rôle pourrait ne pas être exclusif. Il pourrait être partagé entre divers responsables, élargi à un collège représentatif de l’ensemble des Eglises.
La convocation, la direction et la gestion pratique du concile pourraient faire l’objet d’actes authentiquement collégiaux.
Le mouvement œcuménique lui-même, ou encore les congrès interconfessionnels qui réunissent un nombre toujours plus grands de chrétiens, préfigurent semble-t-il ce concile universel.
Pourtant, il faudra toujours se souvenir que l’institution conciliaire est d’un maniement délicat. C’est une machine lourde, et qui demande une organisation considérable. Elle peut soulever dans le monde des espoirs immenses qui ne devraient, en aucun cas, être déçus. Un échec, en effet, porterait un grave préjudice à la cause de l’unité. C’est pourquoi les Eglises ne devraient se lancer qu’avec prudence dans cette aventure. Mais prudence ne signifie pas forcément inaction ...
Dans notre époque moderne, d’ailleurs, la tenue d’un concile pourrait revêtir des formes tout à fait nouvelles. Par exemple se développer à l’échelle planétaire, au moyen de l’électronique.
Plutôt que de mettre en route prématurément un concile, on pourrait peut-être envisager la réunion d’un pré-concile où siégeraient des représentants qualifiés de toutes les confessions chrétiennes. Le concile proprement dit ne viendrait sans doute que plus tard : dans une phase de conclusion. Dans l’état actuel du débat oecuménique, l’union effective des chrétiens apparaît encore comme un objectif lointain, inaccessible même à simple vue humaine. L’atteinte de cette unité, d’ailleurs, dépendra plutôt des inspirations imprévisibles de l’Esprit Saint, que des initiatives trop rationnelles des théologiens, ou des hommes d’Eglise, ou des laïcs...