Retour au plan : THEOLOGIE DE L'EPISCOPAT
« Seul un homme (vir) baptisé reçoit validement l’ordination sacrée. » (Code de droit canonique de 1983, canon 1024, cité par le Catéchisme de l’Eglise catholique dans son numéro 1577. « C’est pourquoi, poursuit le Catéchisme, l’ordination des femmes n’est pas possible. »
Dans la période récente, le magistère de l’Eglise catholique a pris plusieurs fois position sur ce sujet.
Confer la déclaration « Inter insigniores » de la Congrégation pour la doctrine de la foi, en 1976 ; déclaration approuvée par Paul VI.
Confer la lettre apostolique « Mulieres dignitatem » de Jean-Paul II, en 1988.
Confer la lettre apostolique « Ordinatio sacerdotalis » de 1994, du même.
Dans cette dernière lettre le pape affirme qu’il s’agit d’une doctrine certaine et définitive, qui ne saurait plus désormais prêter à discussion. Le commentaire officiel qui l’accompagne croit devoir nous expliquer que nous n’avons pas là « une formulation dogmatique nouvelle, mais une doctrine enseignée par le magistère pontifical ordinaire de manière définitive, c’est-à-dire proposée non comme un enseignement prudentiel, ni comme une hypothèse probable, ni comme une disposition disciplinaire, mais comme certainement vraie. » On ne voit guère, en l’espèce, ce qui distingue ce magistère ordinaire et définitif du magistère extraordinaire (ou solennel). Les effets sont les mêmes. La doctrine serait donc de foi catholique. On pourrait répondre que le magistère ordinaire, pris ponctuellement (et non pas dans son universalité), n’est pas infaillible par lui-même, même quand il propose un enseignement comme définitif. Seul le magistère extraordinaire l’est, infaillible, selon la définition donnée par Vatican I. (Cf. Constitution Pastor Aeternus, DZ 1839). Ou alors il faudrait considérer le magistère ordinaire tel que manifesté dans tous les temps et dans tous les pays, et qui lui aussi est infaillible ; mais il reste bien difficile à apprécier.
Toutefois le pape est seul juge de l’extension du champ de sa propre infaillibilité : on ne saurait donc mettre en doute l’assertion du Catéchisme de l’Eglise catholique.
Pour étayer son refus d’ordonner des femmes, le magistère met en avant les choix et l’exemple normatifs de Jésus-Christ lui-même qui n’a pas désigné des femmes comme apôtres, ni comme ministres de son Eglise. Le magistère excipe de la pratique constante de l’Eglise, tant orientale qu’occidentale, depuis l’époque apostolique jusqu’à nos jours.
L’argumentaire pontifical laisse entendre que ce choix délibéré du Christ, et de l’Eglise après lui, ne fut pas arbitraire, mais qu’il répondait à des raisons anthropologiques précises : l’homme de sexe masculin (vir) semblerait mieux à même de représenter le Christ-homme, époux mystique de l’humanité régénérée.
L’Eglise byzantine, ou orthodoxe, qui partage le point de vue de l’Eglise romaine, développe dans le même sens la doctrine du prêtre « icône du Christ ». Le prêtre, ou encore le hiérarque d’Eglise, seraient des images vivantes, parmi nous, du Christ Seigneur. Il importerait donc qu’ils fussent des hommes pour qu’ils pussent mieux s’identifier à Jésus-Christ, chef, prêtre, et victime immolée.
C’est un fait que l’Eglise chrétienne depuis ses origines, même dans ses branches dissidentes, jusqu’à une époque récente (XIXe siècle), n’a jamais ordonné des femmes comme ministres du culte. Il était de tradition constante dans l’Eglise antique que les femmes ne pussent pas s’approcher de l’autel. « Quand on institue une veuve, on ne l’ordonne pas, mais elle est désignée par son titre [...] Qu’on institue la veuve par la parole seulement et qu’elle se joigne aux autres veuves. Mais on ne lui imposera pas les mains, pace qu’elle n’offre pas l’oblation et n’a pas de service liturgique. » (Tradition apostolique de saint Hippolyte de Rome, 10).
Il en était de même pour les diaconesses. Elles étaient les assistantes-nées de l’évêque pour le baptême des femmes [rappelons-nous qu’à l’époque, on était baptisé nu, et les diacres, par décence, ne pouvaient aider les femmes à se dépouiller de leurs vêtements pour descendre dans la piscine baptismale], et aussi pour les autres œuvres de charité, mais elles ne servaient pas à l’autel. Au cours de la synaxe eucharistique, où hommes et femmes étaient séparés, la diaconesse se tenait auprès des femmes et des jeunes enfants, et veillait sur eux ; tandis que le diacre avait la charge de faire régner l’ordre parmi la gent masculine. La diaconesse était en quelque sorte la suppléante du diacre pour les soins de la population féminine, mais elle ne remplissait pas de fonctions cultuelles. (Voir détails abondants sur ce sujet dans les Constitutions apostoliques, livre II, 26,3.6 ; 57,10 ; 58,6).
Dans cette pratique sociale de l’Eglise antique il faut considérer, je crois, une grande fidélité à l’héritage ancestral de l’ancien culte d’Israël, qui n’admettait pas les femmes dans le sacerdoce. De plus, en attribuant aux femmes une place de servantes de Dieu et des frères, l’Eglise ancienne ne pensait pas du tout leur octroyer un rang inférieur et humiliant, mais bien au contraire une place d’honneur et privilégiée, à l’instar par exemple de celle qu’avait occupée Marie, la mère du Christ. C’était une faveur que de servir et tout le monde le faisait avec joie.
L’enseignement explicite de saint Paul, au sujet des femmes, ne se comprend pas autrement : « Ce n’est pas l’homme en effet qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme ; et ce n’est pas l’homme, bien sûr, qui a été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. Voilà pourquoi la femme doit avoir sur la tête un signe de sujétion, à cause des anges. D’ailleurs, dans le Seigneur, la femme ne va pas sans l’homme, ni l’homme sans la femme ; car si la femme a été tirée de l’homme, l’homme à son tour naît par la femme, et tout vient de Dieu. » (1 Co 11,8-12).
De même que l’Esprit Saint procède du Père, il ne s’ensuit pas qu’il soit inférieur au Père : il lui est absolument égal et coéternel. Dieu n’est pas sans son Esprit, de même que l’Esprit n’est pas sans le Père. Et pourtant, à cause des missions temporelles des Personnes divines, l’Esprit Saint, comme le Fils, s’est fait serviteur des desseins éternels du Père sur l’humanité.
Si la femme occupe dans l’Eglise une position apparemment subalterne, c’est parce qu’en réalité, dans l’univers de la charité, elle est appelée à la première place. Songeons seulement à cette inversion des valeurs qui a été opérée par les maximes évangéliques : « Celui qui voudra devenir grand parmi vous, se fera votre serviteur, et celui qui voudra être le premier d’entre vous, se fera l’esclave de tous. » (Mt 20,26-27).
Dans son Magnificat, Marie elle-même a fortement souligné cette inversion des valeurs dont nous traitons : « Il a renversé les potentats de leur trône et élevé les humbles. » (Lc 1,52).
Les Eglises, issues de la Réforme, ont sans doute compris différemment le message du Christ. Elles ont cru devoir rompre cette tradition qui était observée jusque-là dans l’ensemble de l’Eglise : y compris chez les nestoriens et les monophysites... et nommer, ou ordonner, des femmes pour le ministère de l’autel. A compter de 1860 environ, des femmes ont été ordonnées pasteurs, en petit nombre il est vrai, dans les Eglises protestantes libérales, puis en grand nombre à partir de 1960, soit un siècle plus tard. Depuis 1976, il existe des femmes prêtres dans les Eglises épiscopaliennes du Canada, des Etats-Unis et de Nouvelle-Zélande. En 1988 une femme a été nommée, puis ordonnée, évêque auxiliaire dans le diocèse épiscopalien du Massachusetts, deux mois seulement après la conférence de Lambeth qui avait pourtant émis à ce propos des réserves prudentes. Dès le 16 mars 1986 l’Eglise épiscopalienne des Etats-Unis avait adopté une résolution dans le sens de l’ordination des femmes.
L’Eglise anglicane, en Angleterre, a pris la décision définitive d’ordonner des femmes prêtres par son Canon du 22 février 1994 ; et, dès le 12 mars qui suivit, la première femme-prêtre de cette Eglise était ordonnée à Bristol. Cela occasionna quelques remous parmi les fidèles anglicans, mais surtout parmi le clergé. Il semble bien d’ailleurs que c’est en riposte à ces ordinations que le pape Jean-Paul II publia, dès le 22 mai de la même année, la Lettre apostolique « Ordinatio sacerdotalis » dont nous avons parlé. Tous ces incidents ne paraissent pas très favorables à la cause du rapprochement œcuménique, surtout observés du côté catholique romain.
D’autant moins que l’Eglise anglicane se trouve, de fait, en communion avec certaine Eglises protestantes qui admettent que des célébrations de sainte Cène soient présidées par des laïcs, hommes ou femmes. En 1994, le diocèse anglican de Sydney, en Australie, a voté une résolution positive pour entériner ce fait. Même si ce vote n’a pas été ratifié en haut lieu, dans la communion anglicane, il laisse prévoir une évolution. Par osmose elle aussi, et peu à peu, l’Eglise anglicane pourrait être amenée à laisser des laïcs célébrer l’eucharistie. Ce que l’Eglise catholique et l’ensemble des Eglises orientales ne sauraient admettre, car un tel fait serait contraire aux principes mêmes de leur ecclésiologie.
Il nous faut pourtant prendre en compte cette réalité qu’il existe désormais dans certaines dénominations chrétiennes des femmes pasteurs, des femmes diacres, prêtres ou évêques, élues et consacrées comme telles.
En tant que théologien catholique, on peut reconnaître volontiers que ces femmes, ministres de l’Eglise, ont sauvegardé dans la plupart des cas la titulature traditionnelle du sacerdoce, même si c’est d’une façon, pourrait-on dire, doublement illégitime. Par ailleurs elles ne bénéficient pas de la validité du sacrement de l’ordre et singulièrement de la validité de l’épiscopat. Elles ne peuvent donc pas célébrer des eucharisties valides, c’est-à-dire réelles, conférer des ordres valides, c’est-à-dire réels. On peut leur reconnaître toutefois une certaine forme de juridiction, héritée, comme pour leurs confrères, de l’ancienne tradition de l’Eglise et de son droit commun : la même juridiction, partielle et relative, que nous avons reconnue aux ministres des branches séparées du tronc commun de l’Eglise indivise.
Reprenons chacun de ces points.
1°) Les femmes ministres ont conservé la titulature ecclésiastique traditionnelle issue, dans son principe, des apôtres.
Les femmes « pasteurs » arborent ce beau nom qui est d’origine néotestamentaire (cf. Ep 4,11 ; 1 P 5,2). Un tel titre est d’ordinaire réservé aux évêques dans l’Eglise catholique (cf. l’expression : « Lettres pastorales » qui désigne les lettres officielles de l’évêque à ses diocésains).
Les femmes diacres, prêtres ou évêques dans l’épiscopalisme ou l’anglicanisme, et parfois dans le luthéranisme, acquièrent les titres de la hiérarchie ecclésiastique, et avec ces titres les demeures, les églises, les vêtements, la liturgie, les fonctions cultuelles extérieures (ou visibles) du diaconat, du presbytérat et de l’épiscopat. Les rites et tout l’appareil traditionnel. La place, les honneurs et les charges. La responsabilité de fait des Eglises-communautés et du nom chrétien. Personne ne dénie a priori la compétence ou la conscience de ces nouveaux ministres, et membres du clergé. N’oublions pas qu’ils sont investis (élus, ordonnés, installés) selon les rites les plus traditionnels.
Pour autant, au regard de la dogmatique catholique, cette possession de titres est doublement illégitime :
a) d’après Vatican II on ne peut s’agréger au collège épiscopal (voire sacerdotal ou diaconal) que si l’on est en pleine communion avec le successeur de Pierre. (Cf. Lumen Gentium, 22).
b) en tant que femme on ne peut prétendre, en vertu de l’institution divine, aux charges diaconales, presbytérales ou épiscopales. (Cf. CIC, can.1024).
2°) Les femmes diacres, prêtres ou évêques de l’épiscopalisme ou de l’anglicanisme (ou du luthéranisme) ne sont pas validement ordonnées.
Leur ordination est déjà très incertaine, on l’a vu, du fait de leur anglicanisme ou épiscopalisme (ou luthéranisme). Le jugement de Léon XIII en ce sens, datant de 1896, même s’il a été adouci dans la pratique, n’a pas été réformé. De surcroît, leur condition féminine les empêche de recevoir validement les ordres sacrés d’après le sentiment commun de la tradition tant orientale qu’occidentale, sentiment commun récemment réaffirmé par Jean-Paul II.
Et pourtant ces femmes, comme les autres ministres, président à des eucharisties et confèrent les sacrements. Ces cérémonies cultuelles ont une valeur chrétienne, non pas sacramentelle ou réelle, mais en espérance et en vertu de la foi commune. Une telle valeur chrétienne a été formellement reconnue par le concile Vatican II. (Cf. Décret sur l’œcuménisme, 22).
Seuls, dans l’anglicanisme et l’épiscopalisme, et d’une façon générale dans le protestantisme), les sacrements de baptême et de mariage restent valides même, bien entendu, quand ils sont administrés, ou bénis, par des femmes.
3°) Les femmes qui sont ministres de l’Eglise acquièrent comme leurs collègues masculins une certaine forme de juridiction.
Dans le langage de l’ancienne scholastique on aurait dit : une quasi-juridiction. Mais cette expression est ambiguë, et n’a pas grand sens. Nous préférons dire une juridiction relative et partielle.
On n’ignore pas que la théologie scholastique (précisément) ne reconnaissait pas aux femmes, même abbesses ou chefs de communautés, un véritable pouvoir de juridiction, en principe lui aussi réservé aux hommes.
C’est un fait que, dans les Eglises traditionnelles, les femmes ne disposent pas sur leurs subordonnés d’une juridiction de nature sacerdotale, puisqu’elles ne sont pas prêtres, ni même appelées à le devenir. Mais elles reçoivent bel et bien de la hiérarchie une véritable délégation de juridiction, religieuse et chrétienne, sur leurs ayants cause, délégation qu’elles exercent en vertu de leur baptême.
On pourrait accepter l’idée, ce semble, que les femmes pussent accéder à certaines formes des ordres mineurs du sacrement de l’ordre, si les ordres majeurs leur sont interdits. On sait que les ordres mineurs sont des sacramentaux, institués par l’Eglise, et non pas de véritables sacrements.
Les femmes ministres dans une Eglise séparée, quand elles sont régulièrement élues et investies selon les statuts de leur Eglise confessionnelle, bénéficient de la juridiction qui leur est confiée par leur communauté, dans l’état où elle leur est dévolue, c’est-à-dire selon le droit commun de leur Eglise. On pourrait prononcer que leur autorité est légitime dans la mesure où leur communauté est légitime ; illégitime dans la mesure où leur communauté est illégitime. Dans ce qu’elle a de valide, leur juridiction vient du Christ et des apôtres, et elle s’exerce au nom du Christ. Car la femme aussi est l’icône de Dieu.
Si donc dans l’Eglise, au sentiment de la foi catholique, les femmes ne sont pas appelées aux responsabilités sacerdotales (comme d’ailleurs bon nombre d’hommes, les laïcs !), elles peuvent recevoir par délégation un véritable pouvoir pastoral afin de servir de guides à leurs frères et à leurs sœurs.
Les femmes-évêques n’héritent pas de l’ordre, mais du titre, et des fonctions afférentes au titre. Dans un concile oecuménique d’union elles pourraient siéger aux côtés des autres évêques, en leur qualité de responsables d’Eglises. En effet, elles succèdent aux apôtres par la titulature, sinon par le sacerdoce : par la titulature et une semi-juridiction pastorale.
On sait que l’unique Eglise existe déjà, là où seulement deux ou trois personnes sont réunies au nom de Jésus-Christ. « Que deux ou trois, en effet, soient réunis en mon Nom, je suis là au milieu d’eux. » (Mt 18,20). Ces femmes-évêques appartiennent donc à l’Eglise du Christ ; et non seulement en tant que fidèles mais aussi en tant que ministres. (Cf. Rm 16,1-5).