Retour au plan : THEOLOGIE DE L'EPISCOPAT
A) L’Eglise particulière est à elle seule toute l’Eglise catholique.
B) Différents canaux par lesquels parviennent à l’évêque résidentiel ses pouvoirs pastoraux.
C) L’exercice effectif du ministère épiscopal.
D) L’évêque est liturge, ou pontife.
F) L’évêque est roi, administrateur, gérant. L’évêque est pasteur.
H) L’évêque représente son Eglise locale
I) L’évêque ordonne les autres évêques.
J) Structure interne de l’Eglise diocésaine.
K) Où il est question de suppléance.
L’Eglise particulière, dite aussi diocésaine, dite aussi éparchie dans le monde orthodoxe, est la plus petite unité ecclésiale emportant encore avec elle la constitution entière de l’Eglise du Christ : avec fidèles, diacres, prêtres et évêque. Elle est la plus petite cellule intégrale de ce grand corps vivant qu’est l’Eglise.
Si par accident disparaissaient toutes les Eglises particulières, sauf une, l’Eglise entière du Christ subsisterait.
L’Eglise particulière, ou diocésaine, contient donc à elle seule toute la substance de l’Eglise catholique, mais à une condition : qu’elle demeure dans la pleine communion de l’Eglise romaine et universelle.
On peut dire au sujet de l’Eglise diocésaine qu’elle est autonome et en un sens autocéphale : non à l’égard de l’Eglise universelle, mais à l’égard des autres Eglises particulières, ses consoeurs. Elle se meut librement et s’autocontrôle, par rapport à elles, car elle est leur égale. A contrario, en droit catholique, il n’existe pas d’autocéphalie en regard du Saint-Siège ou, éventuellement, pour une Eglise orientale, en regard du patriarche dont elle peut relever, ou, dans une mesure moindre, en regard du primat ou de la conférence épiscopale. Les évêques diocésains, en tant que tels, sont égaux entre eux, mais non pas indépendants.
Méditons la belle définition que nous a laissée de l’Eglise particulière le concile Vatican II : « Un diocèse est une portion du peuple de Dieu confiée à un évêque pour qu’avec l’aide de son presbyterium, il en soit le pasteur : ainsi le diocèse, lié à son pasteur et par lui rassemblé dans le Saint-Esprit grâce à l’évangile et à l’eucharistie, constitue une Eglise particulière en laquelle est vraiment présente et agissante l’Eglise du Christ, une sainte, catholique et apostolique. » (Christus Dominus, n° 11).
Cette doctrine de Vatican II, certes, est le résultat d’une très longue élaboration, d’une très longue méditation au cours des âges. Mais on peut considérer qu’elle était déjà contenue, en germe, dans la pensée des plus anciens Pères de l’Eglise, en particulier chez saint Cyprien, avec sa devise : « Ecclesia in episcopo », l’Eglise est dans l’évêque ; ou, plus anciennement encore, chez saint Ignace d’Antioche qui nous avait livré une description complète de ce qu’est une Eglise particulière, dès le début du second siècle de notre ère.
C’est l’Eglise particulière qui procède de l’Eglise universelle, et non pas l’inverse. Car l’Eglise catholique, ou universelle, ne se résume pas en un conglomérat d’Eglises locales. Elle est première ; elle procède directement du Christ et des apôtres. Elle est née le jour de la Pentecôte. L’Eglise particulière est fille de l’Eglise universelle, dont elle reproduit les traits, dont elle imite la constitution, à la fois monarchique et collégiale. L’Eglise particulière détient en son sein toute la grâce de Jésus-Christ, tous ses sacrements, toute se doctrine ; non pas qu’elle les concédât à l’Eglise universelle, mais au contraire parce qu’elle les reçoit d’elle. A son tour de les faire fructifier, dans un lieu, dans un temps, et dans un peuple donnés.
Si l’Eglise « catholique », ou intégrale, est le mystère du Christ total destiné à tous les temps et à tous les pays, en un mot à tous les hommes, l’Eglise particulière le devient pour un temps donné et pour un lieu déterminé, afin d’incorporer effectivement ce temps et ce lieu au mystère du Christ, afin d’incarner concrètement la « catholicité » de l’Eglise, qui sans elle ne serait que théorique ou idéale.
Certes l’Eglise particulière, ou diocésaine, est de droit divin, mais c’est seulement dans son principe, non pas dans son individualité propre. Car de fait les premières Eglises particulières ont été fondées par les apôtres : Jérusalem, Antioche, Philippes, Thessalonique, Corinthe, Ephèse, Rome, peut-être Alexandrie, etc.… Mais bien d’autres Eglises particulières devaient être fondées sur le modèle de celles-ci dans la suite de l’histoire. Il s’en fonde encore, et il s’en fondera sans doute jusqu’à la fin des temps.
Parmi toutes les Eglises particulières, ou locales, seule l’Eglise locale de Rome, illustrée par le martyre de Pierre et de Paul, est de droit divin et inaliénable, sinon dans sa réalité physique, du moins dans sa titulature : le titre de son évêque. Cette Eglise en effet est la source et la matrice de toutes les autres, ayant hérité du principat de Pierre. Les autre Eglises particulières, prises une à une, pourraient fort bien se voir supprimées canoniquement, ou tout au moins elles pourraient dépérir puis peut-être disparaître. Un exemple typique nous en est fourni par l’Eglise de Jérusalem, à certains égards l’Eglise-mère puisque la première fondée. Composée uniquement de chrétiens hébreux, elle fut pratiquement anéantie lors de la seconde révolte juive, celle de Bar Kocheba, vers 132-135. Même son nom avait disparu. Elle ne serait relevée peu à peu, sous le nom d’Aelia Capitolina, que par des chrétiens, et des évêques, d’origine grecque. D’abord subordonnée à l’Eglise de Césarée de Palestine, les conciles subséquents tendraient à lui rendre sa dignité première. C’est seulement le concile de Chalcédoine, en 451, qui l’élèverait de nouveau au rang de métropole chrétienne.
De droit divin dans son principe, mais seulement de droit ecclésiastique dans son existence concrète, en tant que telle ou telle Eglise, dans sa réalité individuelle l’Eglise particulière fonctionne selon le mode, ou le modèle, de la grande Eglise catholique dont elle est issue et dont elle porte le nom : on pourrait ainsi fort bien parler de l’Eglise catholique du Puy-en-Velay, ou de l’Eglise catholique de Santiago du Chili, par exemples.
A l’instar de la Grande Eglise, l’Eglise particulière est bâtie selon la forme monarchique, avec à sa tête l’évêque résidentiel, successeur des apôtres, qui tient la place du Christ, qui est son vicaire.
L’Eglise particulière reçoit son évêque comme un don de l’Eglise universelle. On pourrait même dire en droit catholique : « comme un don du chef de l’Eglise universelle. » (Cf. Mgr Guerry, L’évêque, page 53). Comme un don du pape. « Si l’évêque peut apporter à son Eglise particulière tout ce mystère du Christ total, c’est parce que, membre du collège épiscopal succédant au Collège apostolique, il est entré en communication du mystère de l’Eglise universelle, il est en communion avec tous les autres membres du corps épiscopal par son union avec le Souverain Pontife. » (Ib., pages 53-54). Que l’évêque soit un don de l’Eglise universelle, cela pourrait être dit dans toute Eglise, même non catholique. Mais dans ce dernier cas (du point de vue catholique) la mention de l’évêque de Rome deviendrait seulement implicite, et contenue dans le droit commun. De plus la communion avec le corps épiscopal ne serait qu’imparfaite.
L’évêque résidentiel accède au rang de successeur des apôtres à la fois par son titre d’évêque, qui est d’origine apostolique, par sa consécration épiscopale, qui est également d’origine apostolique et qui lui octroie la grâce de l’ordre et le charisme du ministère, mais aussi par sa prise de fonctions qui lui concède la juridiction effective, laquelle est également d’origine apostolique. Bien que membre d’un collège en regard de l’Eglise universelle : le collège épiscopal, l’évêque est unique dans son Eglise particulière à l’image du Christ qui est unique, et de même à l’image de Pierre, après la Pentecôte, qui était unique au sein du collège des Douze, comme chef de l’Eglise (à la fois fondement : cf. Mt 16,18 ; et berger : cf. Jn 21,15-17 ; à sa base et à son sommet, si l’on peut dire).
L’Eglise locale est monarchique, à l’image de l’Eglise universelle, mais elle l’est aussi secondairement, dans les rites orientaux, à l’image de l’Eglise patriarcale qui elle-même est monarchique. On observe donc dans la sainte Eglise de Dieu comme un emboîtement de monarchies, subordonnées les unes aux autres.
L’évêque est seul au milieu de ses prêtres, comme Jésus-Christ l’était au milieu de ses apôtres. On trouve cette image déjà suggérée dans saint Ignace d’Antioche (cf. Ad Trall., II, 1-2). La hiérarchie sacerdotale à trois degrés s’organise autour de l’évêque et par l’évêque. Car la fonction primordiale et inaliénable de l’évêque, c’est d’engendrer la vie de l’Eglise, telle la reine au sein de sa ruche, qui est indispensable à la survie de la colonie, car elle seule assume la fonction de reproduction. Ainsi l’évêque est le seul qui puisse ordonner des prêtres et des diacres et, de la sorte, pourvoir à long terme à la vie sacramentelle de la communauté. Il est le seul aussi qui, dans l’Eglise universelle, puisse ordonner d’autres évêques, et donc assurer au cours des âges la survie de la succession apostolique.
Les pouvoirs pastoraux de tout ministre chrétien viennent du Christ seul --- et de Dieu. Ils lui sont donnés par le truchement de l’Eglise ; mais au sein de la grande Eglise, ils parviennent à l’évêque résidentiel par des canaux très divers selon les époques, les lieux, les Eglises particulières et les rites, selon les confessions chrétiennes mêmes.
Le concile Vatican II en discerne au moins trois : « La mission canonique des évêques peut être donnée, soit par le moyen des coutumes légitimes que le pouvoir suprême et universel de l’Eglise n’a pas révoquées, ou par le moyen des lois que cette même autorité a portées ou reconnues, ou directement par le successeur de Pierre lui-même ; si celui-ci s’y oppose ou refuse la communion apostolique, les évêques ne peuvent pas être mis en charge. » (Lumen Gentium, 24). La communion avec le Siège de Pierre est indispensable, en effet, en droit catholique, non seulement pour entrer pleinement dans le collège épiscopal, mais encore pour exercer légitimement la charge ordinaire de l’épiscopat. Il n’y a d’évêque catholique qu’uni et soumis au pontife romain.
Cependant, on ne peut nier toute juridiction légitime aux évêques des confessions séparées immémorialement de Rome. Dans l’hypothèse contraire il faudrait contester par exemple la valeur des absolutions pénitentielles données par eux, ou par leur clergé, puisqu’ils n’auraient pas de juridiction. Aucun théologien ne soutient cette dénégation extrême. Les prélats de ces Eglises schismatiques bénéficient donc d’une juridiction partielle, qu’ont peut reconnaître, mutatis mutandis, aux ministres de toutes les confessions chrétiennes. Leurs pouvoirs sont légitimes, et valides, dans la mesure où ces pasteurs exercent une autorité légitime ; ils sont illégitimes dans la mesure où ces mêmes pasteurs se séparent de la Grande Eglise. Leurs pouvoirs pastoraux sont vrais dans la mesure où ils appartiennent à l’unique Eglise du Christ ; ils sont sans valeur dans la mesure où ils s’en écartent. La frontière entre cette union de droit et cette séparation de fait est très fluctuante, et souvent difficile à apprécier.
Il faut donc reconnaître une multitude de sources dans l’origine des pouvoirs pastoraux des évêques. On pourrait diviser ces sources en deux grandes catégories : le droit commun de l’Eglise d’une part qui s’applique universellement ; de l’autre celui qu’on aurait la faculté d’appeler le droit pétrinien, celui qui procède du pape, étant bien entendu que le droit commun de l’Eglise reste soumis à l’autorité du pontife romain, du moins en principe, sinon toujours en fait.
Il peut exister des coutumes immémoriales qui remontent directement aux grands apôtres en personne, et qui règlent la succession des Eglises. Il peut exister des législations locales des Eglises, par exemple patriarcales. Il peut exister des nominations d’évêques par les hiérarques orientaux eux-mêmes, ou leurs synodes. Il a existé et il existe la législation canonique portée par le Siège romain et par les conciles oecuméniques dans les différents âges de l’Eglise. Et il existe enfin les nominations d’évêques prononcées à la discrétion du pontife romain, ce qui est la pratique la plus courante aujourd’hui dans l’Eglise catholique, au moins dans sa branche latine.
Le droit commun de l’Eglise fut légué à tous les apôtres, et par eux à leurs successeurs jusqu’à la fin des temps, par Jésus-Christ d’une manière solennelle, le jour même de son Ascension : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples […]. Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28,19. 20). On lit encore dans les Actes : « Vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux confins de la terre. » (Ac 1,8).
Ces pouvoirs communs visaient les douze apôtres considérés sur un pied d’égalité et, à travers eux, tous les futurs ministres chrétiens de l’univers, et ceci jusqu’à la fin des temps. Ces pouvoirs communs peuvent être reconnus, à différents degrés, chez tous les évêques même non catholiques, même ceux ne possédant pas, au jugement de l’Eglise catholique, un épiscopat valide mais uniquement le titre et le siège, et même, pour les Eglises non épiscopaliennes, chez tous les ministres qui, bien que ne portant pas le titre d’évêque, assument de fait des tâches épiscopales.
Au contraire le droit pétrinien ne s’applique qu’à l’intérieur de l’Eglise romaine. On en trouve l’origine dans l’évangile de Jean. Apparaissant à ses disciples sur les bords du lac de Tibériade, Jésus dit à Pierre, avec insistance : « Pais mes agneaux », « Pais mes brebis. » (Jn 21,15.16). Ce mandat pétrinien s’étendant à tous les successeurs de Pierre, les évêques catholiques reçoivent directement de lui, ce successeur de Pierre, leur charge épiscopale, autrement dit leur mission canonique. C’est pourquoi on lit, dans l’encyclique Mystici Corporis de Pie XII (1943) : « Dans leur gouvernement, ils [les évêques résidentiels] ne sont pas pleinement indépendants, mais ils sont soumis à l’autorité légitime du Pontife de Rome, tout en jouissant du pouvoir ordinaire de juridiction, lequel leur est immédiatement communiqué par le Souverain Pontife. » (DZ 2287).
Mandaté à la fois par le droit commun et par le successeur de Pierre, l’évêque cependant est unique, car il représente Jésus-Christ. Et c’est en son nom qu’il exerce le pastorat. Il est réputé comme étant directement le vicaire du Christ, et non pas du pape (ou, éventuellement, de son patriarche). Vatican II enseigne formellement cette doctrine. (Cf. Lumen Gentium, 27).
L’évêque tient la place de Dieu (rappelons-nous les formules prégnantes de saint Ignace : « tou épiskopou eis topon Theou », « l’évêque en la place de Dieu » (Aux Magnésiens, VI, 1).
Si donc l’évêque est en place de Dieu, c’est à la fois :
-- en vertu de son titre, qui est d’extraction apostolique, et qui lui est attribué par l’élection supposée légitime ;
-- en vertu de son ordre, ce sacrement lui étant conféré par l’imposition des mains, et qui est également un legs des apôtres ;
-- en vertu de sa juridiction divine à lui confiée le jour de son intronisation sur le siège, et qui vient tout droit du mandat du Christ à travers les Douze.
Dans son diocèse, ou éparchie, l’évêque se trouve être le premier des chrétiens, ou baptisés. Il se doit de devenir leur modèle et de les entraîner à la suite du Christ. L’évêque est le premier des diacres, ou serviteurs : le serviteur des serviteurs locaux de Dieu. L’évêque est enfin le premier des prêtres, ou anciens : on le voit donc ainsi placé au milieu de ces trois cercles concentriques ; c’est lui qui assure l’unité, la cohésion, de l’ensemble, et qui entraîne son dynamisme.
Car l’évêque anime toute l’Eglise locale ; il l’assume ; il l’incarne. Il s’identifie pratiquement à la personne morale de l’Eglise ; il devient son ‘‘hypostase’’ : ce qui n’enlève rien toutefois à la responsabilité individuelle de chacun des fidèles. Le Christ a voulu que son Eglise se réalisât dans un mystère d’unité et de charité, non seulement dans l’esprit et dans l’intention, mais encore visiblement, socialement, par la soumission réciproque des membres, et la coopération de tous.
Au milieu de son peuple, l’évêque agit donc à la place du Christ. Comme le Christ, il est à la fois prêtre ou liturge, docteur ou prophète, roi et juge : « Prêtre, prophète et roi. »
Retour à l'en-têteDe fait, dans l’Eglise, l’évêque assume le rôle de grand-prêtre (archiéreôs) du peuple de la Nouvelle Alliance.
Si le Christ est vraiment le grand-prêtre d’une alliance éternelle, comme nous l’a enseigné l’épître aux Hébreux (cf. He 2 --- 10), s’il est l’unique médiateur entre Dieu et les hommes, offrant à Dieu en sa personne un unique sacrifice de louange, d’impétration et d’expiation qui supplante tous les autres, l’évêque, son locum tenens dans l’Eglise locale, se doit d’être considéré avant tout comme « sacerdos » , pontife, liturge.
Dans son diocèse l’évêque préside en personne, ou en cas d’absence il fait présider par ses prêtres, toutes les cérémonies liturgiques à commencer par l’eucharistie. C’est à lui que revient l’action principale dans le culte, et par là il honore son titre officieux de « grand-prêtre ». Il garde la haute main sur le déroulement annuel du cycle liturgique. Il veille à sa bonne application.
L’évêque exerce son rôle de grand-prêtre non seulement d’une manière visible, aux yeux des hommes, d’une manière extérieure, mais encore d’une manière surnaturelle, et sacramentelle, sous le regard de Dieu, en sa qualité de lieutenant principal du Christ. A ce titre, sa fonction est double. Il se tient, comme tout prêtre, comme tout grand-prêtre, comme tout médiateur entre Dieu et les hommes, sur la ligne de passage de deux mouvements, l’un ascendant des hommes vers Dieu et l’autre descendant de Dieu vers les hommes. « Dans un mouvement ascendant, le Pontife fait monter vers Dieu les prières, les oblations, les sacrifices de son peuple. Dans un mouvement descendant, il apporte à son peuple et lui communique les dons divins, le pardon de Dieu, la grâce et la vie divine. » (Mgr Guerry, L’évêque, page 106). L’évêque supporte la charge de l’administration de tous les sacrements, et c’est lui qui en règle la discipline. A cet égard, d’ailleurs, il n’est pas entièrement libre mais doit se soumettre à la législation canonique en usage dans l’Eglise dont il dépend.
Libre et souverain en effet dans son Eglise locale (étant saufs le droit de Dieu et le droit des gens), ou à l’égard des Eglises sœurs, il ne l’est plus à l’égard de l’Eglise universelle. Et ce n’est que par sa soumission au collège unique des évêques, et à son chef le pape, qu’il peut prétendre appartenir audit collège. Faute de quoi il se trouverait devenir un « astre errant » … et le fondateur d’une nouvelle Eglise ! Même les évêques séparés de Rome, à cause des scissions ou des malentendus historiques qui sont intervenus, administrent collégialement et non pas isolément leurs Eglises, sauf exceptions vraiment navrantes…
L'évêque ordonne les prêtres et les diacres, et c'est lui qui confère les autres ordres mineurs. L’évêque organise la discipline pénitentielle dans son Eglise, conformément aux canons ecclésiastiques ; et dans son ressort il reste juge suprême en matière pénitentielle : tout le monde peut faire appel à lui, et lui-même peut se réserver des cas. L'évêque baptise, ou fait baptiser. Le plus souvent dans l'Eglise latine l'évêque se réserve le baptême des adultes. L’évêque confirme, et dans l'Eglise latine il est considéré comme le ministre ordinaire de la confirmation. Même à l’endroit de l'Eglise universelle, y compris, donc, dans les autres rites, il demeure, comme le rappelle Vatican II (cf. Lumen Gentium, 26) le ministre ‘‘originaire’’ de la confirmation, ou chrismation, puisque c'est lui qui consacre le saint chrême (appelé myron dans l'Eglise orientale) nécessaire à l'administration de ce sacrement. Comme prêtre, il peut donner l'onction des malades. Comme ordinaire du lieu, il peut marier dans toute l'étendue de son ressort et, dans la mesure où l'autorité suprême ne s'est pas réservé des cas, il est juge local naturel pour les affaires matrimoniales.
L'évêque met en œuvre les sacramentaux en usage, qui représentent une extension du domaine sacramentel. Par exemple, il consacre les autels et les lieux de culte; il bénit les personnes et les choses; il consacre au Seigneur les personnes qui se donnent à Dieu par les vœux de religion. Mais dans certains cas l'administration des sacramentaux pourraient être dévolue à de simples prêtres, aux diacres, voire à des laïcs.
En tant que pontife, enfin, l'évêque dirige et oriente la prière de tous les fidèles confiés à ses soins. Il s’affirme comme le moniteur né du culte public et du culte privé de tous les baptisés.
Retour à l'en-têteIl enseigne, ou fait enseigner par d'autres, la doctrine chrétienne. Il évangélise son peuple et les autres peuples. Il est juge en matière de foi.
Cette mission d'enseignement, saint Paul considérait même que c'était là sa fonction principale. Et si tous les rôles de l'évêque devaient être supprimés, sauf un, celui-là subsisterait.
« Le Christ ne m'a pas envoyé baptiser, mais annoncer l'Evangile. » (1 Co 1,17).
Ou encore : « Prêcher l'Evangile en effet n'est pas pour moi un titre de gloire ; c'est une nécessité qui m'incombe. Oui, malheur à moi si je ne prêchais pas l’Evangile ! » (1 Co 9,16).
Ou encore : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Mais comment l'invoquer sans d'abord croire en lui ? Et comment croire sans d'abord l’entendre ? Et comment l'entendre sans prédicateur ? Et comment prêcher sans être d'abord envoyé ? » (Rm 10,13-15).
Saint Paul avançait ainsi que la prédication est constitutive de l'Eglise, et qu'elle est la condition préalable de son existence. Pas de croyants, en effet, et par conséquent pas d'Eglise, sans l'annonce primordiale de l'évangile.
Etymologiquement, théologiquement, l'Eglise se définit au premier chef comme une « convocation » (ek-klesia : appel à partir de), une convocation au vrai culte rendu à Dieu, subsidiairement comme un appel au service des frères, et corollairement comme un envoi en mission.
Mais ladite convocation, ledit appel, ledit envoi supposent un personnage qui parle au nom du Christ pour convoquer, appeler, envoyer ; un héraut mandaté par lui. Ce héraut n'est autre que l'évêque, successeur de l’apôtre, et ce sont ses collaborateurs avec lui. Le kérygme est le contenu du message proclamé par le héraut : son premier article se résume dans la foi en Christ et en Dieu.
L'évêque diocésain enseigne son peuple par ses homélies, par ses lettres pastorales, par l'utilisation des moyens de communication sociale. Il enseigne indirectement en mandatant les prêtres, les diacres, les catéchistes, les aumôniers de toutes sortes, lesquels parleront en ses lieu et place.
L'évêque enseigne aussi les peuples, et non pas simplement son peuple. Il dirige les mouvements d'apostolat, qu'on appelle volontiers aujourd'hui les mouvements d'action catholique. Il collabore avec l'Eglise universelle, pour l'envoi de missionnaires dans le monde entier.
Une Eglise diocésaine peut ainsi avoir un rayonnement, voire une activité, qui s'étendent bien au-delà de ses limites territoriales.
En tant que successeur des apôtres, l'évêque reste le témoin privilégié du Christ et de sa résurrection.
L'évêque, en outre, est juge en matière doctrinale. Il doit trancher, en accord avec le sentiment de l'Eglise universelle, dans les contestations relatives à la foi ou à la morale qui pourraient surgir. Il est chargé de dénoncer les erreurs pernicieuses qui pourraient s'infiltrer.
Dans les situations contingentes des temps et des lieux, il donne à son peuple, avec autorité, les orientations pastorales qui s'imposent en matières politique, civile, sociale, familiale, etc.… S'il n'a pas compétence directe en ces domaines, du moins est-il juge d'un point de vue moral, ‘‘en raison du péché’’ comme on disait au Moyen Age : « ratione peccati ».
L'évêque, en son diocèse, est l'organe du magistère de l'Eglise catholique. Et c'est là une mission d'évangéliste, en même temps que de prophète. L'évêque diocésain participe à l'infaillibilité de l'Eglise universelle dans la mesure où il reste soumis à ses normes, dans la mesure où il prêche la doctrine commune. L' « ordinaire » du lieu exerce l’enseignement « ordinaire » de l'Eglise universelle. Assis dans sa cathèdre épiscopale (au sens moral plus encore qu'au sens physique) l'évêque fait entendre dans l'Eglise locale la voix des douze apôtres, qui eux-mêmes étaient les envoyés du Christ.
L'évêque diocésain administre, son diocèse tel un roi assis sur son trône, tel un gérant habilité par le Christ à prendre soin de sa Maison. Pie XII s'exprimait ainsi dans l'encyclique Mystici Corporis : « Aux évêques, sacrés par le Chrême du Saint-Esprit, s'appliquent mieux qu'aux dirigeants de ce monde, même les plus hauts placés, les paroles du psaume : Ne touchez pas à mes oints. » (DZ 2287).
C'est dans les Constitutions Apostoliques, vieux texte canonique (fin IVe siècle) comme nous l'avons vu, qu'on trouve le mieux affirmées cette monarchie de l'évêque et son autorité royale. « Le plus élevé parmi eux tous [les membres de l'Eglise], c'est le pontife (archiéreus), l'évêque. Il est le serviteur de la Parole, le gardien de la connaissance et dans le culte divin, le médiateur entre Dieu et vous ; maître de piété, il est votre père après Dieu, car il vous a fait renaître de l'eau et de l'Esprit pour votre adoption; il est votre chef et votre guide, votre roi et votre souverain, il est après Dieu votre dieu terrestre, à qui vous devez rendre l'honneur. Car de lui et de ses semblables Dieu a dit : ‘Moi j'ai dit : Vous êtes des dieux et des fils du Très-Haut, vous tous’. Et : ‘Tu ne dénigreras pas les dieux de ton peuple’. L'évêque sera donc votre président, en tant qu'il est revêtu de la dignité divine ; grâce à elle il dirige le clergé et gouverne tout le peuple. » (II, 26,4).
Déjà dans saint Ignace on trouvait cette idée que l'évêque devait être respecté comme Dieu même, et qu'il fallait le révérer jusque dans ses silences. Saint Ignace ne cessait de répéter, « comme une voix de Dieu », aux chrétiens de la première génération postapostolique : « Ayons donc soin de ne pas résister à l'évêque, pour être soumis à Dieu. Et plus on voit l'évêque garder le silence, plus il faut le révérer ; car celui que le maître de maison envoie pour administrer sa maison, il faut que nous le recevions comme celui-là même qui l'a envoyé. Donc il est clair que nous devons regarder l'évêque comme le Seigneur lui-même. » (Aux Ephésiens, V, 3 -- VI, 1).
Dès les épîtres pastorales de saint Paul, donc dans l'Ecriture Sainte, on voit mis en valeur cet aspect administratif de la fonction épiscopale : « Aussi faut-il que l'évêque soit irréprochable […] sachant bien gouverner sa propre maison […] Car celui qui ne sait pas gouverner sa propre maison, comment pourrait-il prendre soin de l'Eglise de Dieu ? » (1 Tm 3,2.4.5).
Si l'évêque est le pasteur de son peuple, établi par Jésus-Christ lui-même, cela ne signifie aucunement qu'il ait la liberté de se comporter comme un tyran. Bien au contraire, les Ecrits inspirés demandent aux responsables chrétiens de se faire les modèles de leur troupeau, de se présenter comme les serviteurs de tous : « Paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié, le surveillant non par contrainte, mais de bon gré, selon Dieu; non pour un gain sordide, mais avec l'élan du cœur ; non pas en faisant les seigneurs à l'égard de ceux qui vous sont échus en partage, mais en devenant les modèles du troupeau. » (1 P 5,2-3). D'ailleurs le Christ lui-même l'avait exigé de ses disciples : « Que le plus grand parmi vous se comporte comme le plus jeune, et celui qui gouverne comme celui qui sert. » (Lc 22,26).
Aussi bien dans les temps moderne, et dans l'Eglise catholique romaine surtout depuis Vatican II, souligne-t-on l'aspect collégial du gouvernement interne de l'Eglise locale. Des évêques eux-mêmes le concèdent : on ne gouverne plus aujourd'hui l'Eglise comme autrefois. L'évêque s'entoure de conseils, et prend soin dans son gouvernement de susciter un consensus général.
Cela n'a rien d'incompatible avec l'aspect ‘‘monarchique’’ que nous soulignions plus haut. La « monarchie » en effet, dont nous traitons, est avant tout d'ordre spirituel ; de plus, elle est une monarchie de service.
Aussi bien le gouvernement épiscopal s'exerce-t-il de façon de plus en plus collégiale au plan de chaque nation comme au plan de l'univers chrétien, comme nous le verrons plus loin. (Confer la troisième partie de cet ouvrage.)
L'évêque diocésain exerce un droit de gérance ecclésiastique sur tous les évêques, et même sur les fidèles d'autres Eglises, qui viendraient à se trouver sur son territoire diocésain. L'évêque administre les évêques coadjuteurs et auxiliaires qui l'assistent dans le gouvernement de son Eglise locale. De même l'évêque est-il l'administrateur né de tous les prêtres et de tous les diacres, et même des laïcs en tant qu'ils sont membres de son Eglise. Il est chef et président du presbyterium local. Il est même doit-on dire le premier des prêtres, car la fonction épiscopale est éminemment une fonction presbytérale, une fonction d'Ancien. Observons que les exhortations apostoliques qu'on lit dans le Nouveau Testament, qui étaient adressées aux ‘‘presbytres’’ ou ‘‘Anciens’’ visaient par priorité les évêques. Car il advenait, dans ces Eglises embryonnaires des origines, que l'évêque ou ‘‘épiscope’’ fût parfois le seul ‘‘presbytre’’ ou ‘‘Ancien’’. D'où la confusion, la non distinction qu'on remarque parfois dans les textes néotestamentaires entre les termes d’‘‘épiscope’’ et de ‘‘presbytre’’. Au surplus l'évêque est toujours prêtre, même de nos jours ! et inclus dans le nombre des prêtres.
L'évêque résidentiel veille à l'éclosion des vocations dites ‘‘sacerdotales’’, car il doit assurer la relève de son clergé. Il organise l'éducation des futurs prêtres dans ce qu'on appelle en Occident des séminaires. C'est lui qui choisit ses prêtres et qui les mandate. Il assure le plus souvent leur entretien ; il s'inquiète de leur santé spirituelle, et même physique. Il se doit de leur procurer, en cas de maladie ou sur leurs vieux jours, des secours décents. Il incite le peuple à nourrir et à entretenir, dans la mesure de ses moyens, ses chefs ecclésiastiques, ses ‘‘higoumènes’’, ses ‘‘didascales’’. L'évêque manipule les diacres comme les doigts de sa main ; (ils sont ses ministres, et le mot ‘‘ministre’’ vient, étymologiquement, du mot ‘‘main’’). Ils sont en effet placés directement à son service, et au service de la communauté ecclésiale, sans passer par l'intermédiaire du presbyterium. Naturellement le ‘‘service’’ des diacres, comme on le voit dès l'origine, regarde-t-il en priorité les plus pauvres de la fraternité, voire de l'humanité, ainsi que l'évangélisation des plus éloignés ; le service liturgique, c'est-à-dire le culte rendu à Dieu et dû à Dieu, étant par ailleurs assuré.
L'évêque résidentiel, enfin, administre par état les religieux et les laïcs et même les catéchumènes (non encore baptisés) qui dépendent de sa juridiction. Il en est le berger et ils sont ses ouailles, son troupeau. L'évêque anime et dirige les divers organismes qui les coordonnent et les encadrent, à commencer bien sûr par les paroisses ou les regroupements de paroisses, à continuer par les divers ordres religieux, par les différents mouvements qui peuvent pulluler au sein du peuple chrétien. Dès l'origine apostolique dans certains cas, dès les premiers siècles chrétiens souvent, on les aperçoit qui commencent à se mettre en place. Il faut bien en effet que la charité du peuple fidèle, son culte public, et même sa prière privée, soient encadrées, orientées, unifiées. L'Eglise demeure un corps visible aux yeux, en même temps qu’elle est une réalité spirituelle et une ‘‘communion dans les choses sacrées’’. Bien entendu, nous tentons de décrire ici l'activité de l'Eglise locale d'une manière qui puisse s'appliquer à tous les lieux et à toutes les époques, c'est-à-dire en termes avant tout théologiques. Nous cherchons à définir l'essence de l'Eglise particulière, elle-même étant une cellule constitutive de l'Eglise universelle du Christ ; puisque aussi bien cette Eglise particulière est elle-même, comme nous l’avons dit, d'origine apostolique et de droit divin.
Il peut se produire de surcroît, à propos de l'Eglise particulière, des phénomènes d'exemption. L'autorité de l'Eglise locale n'est pas absolue (absoluta), mais liée au droit de l'Eglise universelle, qui peut se réserver des cas, qui peut limiter certaines de ses attributions.
Tout le corps des baptisés, et même avec eux des fidèles non baptisés, les catéchumènes, se voit ainsi placé au service de l'humanité entière, même celle qui n’est pas non encore touchée par le message de l'évangile. Il a envers elle un devoir de coopération, en vue du bien commun, et un devoir de mission. Car les chrétiens ne se considèrent pas comme des ilotes : même s'ils ne sont pas du monde, ils sont dans le monde et même solidaires du monde.
L'évêque est, sur le plan local, la tête visible de ce grand corps social qu'est l'Eglise, en même temps qu'il se situe au centre de sa communion. Tout cela, il l’est « in personna Christi », en la personne du Christ, à la place du Christ, par vicariat du Christ. Il anime les membres de ce corps, même si lesdits membres restent par eux-mêmes des personnes responsables. Il guide son troupeau vers les pâturages éternels, à travers des chemins terrestres. Il marche en tête autant, et plus, qu'il ne commande. De même autrefois le Christ circulait-il en Palestine à la tête de ses disciples.
L'évêque n'est pas seulement juge en matière de foi, ou dans les principes de la morale; il l'est également dans le domaine sacramentel, ou encore dans les litiges qui peuvent surgir, en matière religieuse, entre les clercs aussi bien qu'entre les fidèles.
L'évêque diocésain est juge, du moins en première instance, dans les affaires matrimoniales de son ressort. A propos de la pénitence, il peut se réserver l'absolution de certains péchés. L'évêque arbitre au for externe (en dehors du secret de la confession) dans les conflits qui peuvent s'élever entre les chrétiens, ou entre les communautés chrétiennes, par exemple des conflits de juridiction ou de compétence. Depuis l'antiquité, on voit se constituer autour des évêques locaux des organismes judiciaires, qu'en Occident on appelle des officialités. L'évêque ainsi confie à des personnes avisées le soin d'éclairer son jugement dans les causes ecclésiastiques, ou mixtes, qui peuvent affluer à son tribunal.
En principe, l'évêque ne juge pas selon sa fantaisie personnelle, mais il essaie d'appliquer, en même temps que la justice, le droit canonique en vigueur dans son Eglise, droit qu'il n'a pas lui-même édicté. Il n’oublie pas que son jugement peut être soumis à une procédure d’appel.
L'évêque enfin veille à l'exécution des règlements internes en usage dans sa propre Eglise locale. Dès l'antiquité on voit souligné cet aspect judiciaire de la fonction épiscopale. Déjà les Lettres sacrées désapprouvaient le recours des chrétiens devant les instances païennes (cf. 1 Co 6,1-8). Les chrétiens devant régler leurs différends en Eglise, c'était tout naturellement devant l'évêque que les procédures s'engageaient. Au surplus l'évêque se reconnaissait surtout un devoir de conciliation, ou même de réconciliation. Car tout dans l'Eglise devait être, ou aurait dû être, subordonné au primat de la charité.
Quand on lit la biographie des plus grands Pères de l'Eglise, un saint Ambroise, un saint Augustin, un saint Jean Chrysostome …, on s'aperçoit que ces évêques passaient souvent la majeure partie de leur temps à régler des conflits entre chrétiens.
Les Constitutions apostoliques (que nous avons déjà rencontrées plusieurs fois sur notre route) réglementaient dans de nombreux chapitres (du Livre II) les procès que les chrétiens pouvaient intenter devant leurs évêques. Citons quelques titres suggestifs de ces chapitres :
« 46. Les croyants ne doivent pas se mettre en procès avec des incroyants, pas plus qu’aucun de ces derniers ne doit être appelé à témoigner contre des chrétiens. »
« 47. Les procès doivent avoir lieu le deuxième jour de la semaine [id est : le lundi]. »
« 48. Il ne faut pas appliquer la même peine à toute espèce de faute, mais la diversifier en fonction de la diversité des pécheurs. »
« 49. Qualités requises des accusateurs et des témoins. »
« 50. Il peut arriver que pour des actions mauvaises antérieures on se défie de quelqu'un la seconde fois. »
« 51. Les jugements ne doivent pas être menés unilatéralement. »
« 52. Exemple de façon de juger : la prudence des juges païens dans le prononcé des sentences. »
« 53. Les croyants ne doivent pas avoir de conflits entre eux. »
« 54. Les évêques doivent rappeler au peuple, par l’entremise des diacres, les exigences de la paix. »
Etc.…
Dès que l'empire romain, et d'autres Etats païens, eurent adopté la foi chrétienne, ils s'empressèrent d'accorder aux évêques des compétences d'ordre judiciaire, non seulement dans le domaine ecclésiastique, mais encore dans les domaines mixte ou même purement civil. Ainsi l'Eglise fut-elle amenée, en la personne des évêques, à exercer un rôle de suppléance dans la société civile. Cette tendance ne fit que s'aggraver dans notre Moyen Age.
Dans les temps modernes, et c'est heureux, on s'efforce de séparer complètement les attributions civiles ou religieuses …
dans les instances ecclésiastiques supérieures, telles que les conciles, synodes, assemblées épiscopales. C'est là que s'exerce, en priorité, cette collégialité épiscopale que nous nous proposons d'étudier plus loin (dans la troisième partie de cet ouvrage).
Depuis la plus haute antiquité, depuis l'origine devrait-on dire, l'épiscopat ‘‘catholique’’, ou chrétien, fonctionne collégialement, par le moyen de synodes, conciles, assemblées provinciales, sans parler des incessantes relations épistolaires, sans parler de visites de collègues à collègues. On ne saurait soutenir un seul instant la thèse que la ‘‘monarchie’’ épiscopale aurait précédé de quelque façon la ‘‘collégialité’’. Bien au contraire, elles sont connaturelles l'une à l'autre, connexes, liées. Elles s'impliquent mutuellement. On s'en rend compte avec évidence au moment de l'ordination épiscopale, source même de l'épiscopat, et qui fut toujours collégiale. Cela était vrai plus encore à l'origine que cela ne l'est devenu dans la suite des temps.
Issus d'une liturgie collégiale, les évêques, fils spirituels des apôtres, autant que leurs successeurs, se regroupèrent dès les premiers temps de l'Eglise dans des synodes, reconnaissant ainsi qu'ils étaient membres d'une même corporation et, par leur dignité, égaux entre eux. Tout naturellement l'autorité de ces synodes, ou conciles provinciaux, en vint à primer l'autorité des évêques pris isolément. Et ce fut seulement pour des raisons d'opportunité politique que le premier concile universel, ou oecuménique, celui de toute l'Eglise, ne put se tenir avant l'an 325. Mais dès l'an 49 les apôtres et les premiers prêtres s'étaient regroupés à Jérusalem, l'Eglise-mère, pour régler un différend au sujet de la loi juive. L'Eglise du Christ étant une, l'autorité de l'Eglise ‘‘catholique’’, ou universelle, prime celle de chaque Eglise particulière considérée séparément. On sait que des schismes s'introduisirent très tôt au sein de la chrétienté primitive, mais ils furent toujours considérés comme des anomalies, contraires à la volonté ultime du Christ, celle exprimée à l'heure tragique de son arrestation. (Cf. Jn 17,21).
L'autorité universelle prime l'autorité locale. De même l'autorité patriarcale, nationale ou régionale prime l'autorité de l'ordinaire du lieu, sauf disposition contraire du Canon. Les évêques sont indépendants pris dans leur égalité les uns par rapport aux autres, non par rapport à l'Eglise hiérarchique, dont ils relèvent. C'est ce principe qui fonde l'autorité des conciles : les évêques y participent comme des égaux ; ils sont cependant soumis à leurs décisions collectives.
L'unité et la catholicité de l'Eglise se compénètrent et se fondent mutuellement.
Aux évêques, réunis en collège, il appartient d'abord de vérifier et de contrôler la qualité des élections épiscopales. Puisque c'est eux qui doivent ordonner les nouveaux évêques, il leur revient en priorité de vérifier la qualité des élus avant de les agréger à leur collège.
Les conciles provinciaux, et a fortiori universels, jugent de la foi, et ils édictent des lois ecclésiastiques, particulières ou universelles, opportunes pour la vie de l'Eglise. Le concile est juge des causes épiscopales. Il peut être amené à déposer certains évêques, membres de leur collège, pour hérésie, schisme, ou inconduite.
En droit catholique les conciles régionaux ou universels ne peuvent se tenir qu'avec l'accord, au moins tacite, de l'Eglise romaine héritière de l'autorité pétrinienne, et la promulgation de leurs décrets est soumise à sa ratification. En toute hypothèse la présidence des assises épiscopales universelles revient de droit à l'évêque de Rome, en tant que chef du collège. Il peut même en personne, ou par ses représentants, présider les autres réunions synodales.
Les assemblées épiscopales, anciennes ou modernes, n'ont pas conservé cette autorité des anciens conciles. Le droit canonique actuel ne la leur reconnaît pas. L'action de ces assemblées s'exerce donc surtout par mode de consensus. Leur autorité est d'abord morale, ou de prestige religieux, plutôt que canonique. On ne les voit définitivement installées dans l'Eglise romaine, ces assemblées épiscopales, que depuis le concile Vatican II, qui les a vivement recommandées au nom du principe de collégialité.
Quand il se déplace à travers le monde, l'évêque local, souvent pour visiter des populations originaires de son territoire, ou des missionnaires en service à l'étranger, incarne en quelque façon la personne morale de son diocèse. Chef des chrétiens, il devient à l'occasion leur ambassadeur. De même, quand il rencontre des chefs d'Etat, ou d'autres représentants de l'autorité civile, l'évêque résidentiel personnifie l'autorité morale de son Eglise. Il s'exprime au nom de toute la communauté.
C'est aux évêques, successeurs des apôtres, qu'il appartient d'agréger par l'imposition des mains de nouveaux membres au collège épiscopal. La fonction est primordiale : C'est par cette imposition des mains que s'accomplit sacramentellement la succession apostolique. Et c'est par la succession apostolique seule que nous, le peuple chrétien, avons accès à la confirmation d'abord, qui est une effusion de cet Esprit survenu à la Pentecôte, ensuite à l'eucharistie, à l'ordre, à la pénitence, à l'onction des malades. Seuls, parmi le septénaire sacramentel, le baptême et son corollaire le mariage chrétien pourraient être sauvegardés en dehors de la succession apostolique. De fait, ce sont les deux seuls sacrements validement conservés dans les Eglises privées de la succession apostolique.
Par disposition divine, la structure de l'Eglise diocésaine s'organise collégialement autour de la hiérarchie à trois degrés : évêque, prêtres et diacres ; autrement dit l'évêque entouré de son presbyterium, et assisté de ses diacres.
L'évêque est aussi le chef du peuple. Ce binôme, évêque-fidèles, est primordial dans la constitution divine de l'Eglise locale. Il est même constitutif. L'évêque est le berger (au nom du Christ) ; le peuple est le troupeau. Pour autant, malgré ce que pourrait suggérer un tel binôme, l'évêque n'agit jamais seul (sauf exception). Il s'entoure de collaborateurs, qui sont les prêtres et les diacres, avec éventuellement d'autres adjoints de rang inférieur, et des laïcs. Voilà la structure fondamentale de l'Eglise locale.
Il pourrait advenir dans cette structure de droit divin, en tous les cas d'institution directement apostolique, que fissent exceptionnellement défaut certains éléments, pourtant essentiels : à commencer par l'évêque lui-même, en cas de vacance du siège, en cas d'inoccupation durable du siège pour des raisons historiques. Peut-être manquerait-il les prêtres ; l'évêque pourrait se retrouver seul prêtre, et c'est une situation qui a pu prévaloir dans certains secteurs de l'Eglise ancienne. Peut-être manquerait-il les diacres ; une Eglise peut à la rigueur se passer de diacres, qui ne confèrent aucun sacrement spécifique. Peut-être aussi manquerait-il les fidèles ! Mais une Eglise sans fidèles serait-elle encore une Eglise ? Cet accident a néanmoins pu survenir à la suite de grandes vicissitudes historiques. Les Eglises titulaires, dont le titre seul est conservé, n'ont pas de fidèles, tout au moins n'ont pas de fidèles attribués. Pour chacun de ces manques, l'Eglise locale s’avoue très lourdement handicapée, et son fonctionnement normal est-il empêché. Mais la dynamique interne, propre à l'Eglise chrétienne, tendra dans chacun de ces cas à rétablir l'élément défaillant.
La présence d'une Eglise locale stable appelle presque nécessairement la création d'un siège épiscopal fixe et déterminé, sauf si un état paroxysmique de persécution s'y oppose et oblige à un déménagement incessant du pontife. Elle appelle l'établissement d'un lieu de culte central qu'on appellera cathédrale, puisque l'évêque y installera son siège visible, sa cathèdre. De même l'Eglise locale, qui est destinée au peuple, exigera-t-elle, selon les besoins, l’érection d’autres bâtiments communautaires où ce peuple puisse célébrer, former l'Eglise, être envoyé en mission.
L'Eglise diocésaine se construit à l'image de l'Eglise universelle, dont elle est une cellule fondamentale. Elle se développe collégialement autour de son ‘‘monarque’’, l'évêque, qui représente Jésus-Christ.
Une curie épiscopale, au moins embryonnaire, mais qui peut devenir très étoffée, s'organise spontanément, et presque nécessairement, autour de l'évêque diocésain. Souvent, et même le plus souvent, l'Eglise locale qui est de droit divin, au moins en un sens général, se subdivise en unités plus petites, et qui ne sont, elles, que de droit ecclésiastique, qu'on appelle généralement des paroisses (mais qu’on pourrait tout aussi bien dénommer des communautés de base), quand le territoire de l'évêché est trop vaste pour que le peuple puisse se réunir en un seul lieu. Les paroisses, et autres communautés, ne sont donc pas de droit divin en tant que subdivisions de l’Eglise particulière, car il pourrait se faire, c'était même la règle dans la primitive Eglise, qu'il n'y eût qu'une seule paroisse par diocèse. La paroisse dans ce cas se confondrait, ou se confondait, avec la circonscription de l'évêque. L'érection de paroisses territoriales, ou autres communautés, apparaît cependant, le plus souvent, comme une nécessité vitale.
La plupart du temps la nouvelle circonscription de base, la paroisse, est confiée aux prêtres, adjoints et suppléants naturels de l'évêque. On connaît pourtant des Eglises nationales, l'Eglise éthiopienne par exemple, où les subdivisions territoriales de l'Eglise sont confiées aux diacres. Les prêtres qui y célèbrent l'eucharistie, souvent en groupe d'ailleurs, n'y ont même pas droit à la parole. On pourrait de même imaginer des communautés de base, quelque soit leur nom, confiées par l'évêque à de simples laïcs, hommes ou femmes.
On sait qu'au Moyen Age les paroisses, comme d'ailleurs les évêchés et les abbayes, avaient fini dans un grand nombre de cas par tomber à la disposition des pouvoirs laïcs. C'était ce qu'on appelait la commande. Ce système, assez détestable en soi, assez décadent par rapport à l'idéal d'une Eglise libre, n'était cependant pas totalement incompatible avec la constitution divine de l'Eglise. Ce que l'Eglise a reçu en fait de juridiction légitime, en vertu du mandat divin, on sait qu'elle peut souverainement le déléguer, le rétrocéder.
Mais l'expérience a montré que la récupération, le recouvrement de ces droits naturels, volontairement abandonnés, étaient bien plus difficiles que leur cession.
On le constate à chaque pas : le droit ecclésiastique s'accroît au cours des âges, à partir du droit divin, à la manière d'une efflorescence. Le départ entre ces deux droits, l’ecclésiastique et le divin, leur distinction, n'est pas toujours aisé et des confusions restent possibles.
Retour à l'en-têteLes organes internes de l'Eglise locale sont nécessairement défaillants, à un moment ou à un autre de la vie de cette Eglise. En particulier, l'évêque peut être absent, ou invalide ; il peut mourir. Il faut donc prévoir, comme pour l'Eglise universelle, des fonctions de suppléance, d'intérim, de remplacement. On pourrait aller jusqu'à dire que la suppléance fît partie intégrante, du moins implicitement, de la constitution divine de l'Eglise, bien que les modalités de cette suppléance s'exerçassent toujours dans la cadre du droit ecclésiastique.
On discerne les premiers linéaments de ces fonctions de suppléance se mettre en place dès les origines. Saint Ignace d'Antioche, contraint de quitter définitivement son Eglise, recommandait à toutes les Eglises qu'il traversait, ou auxquelles il écrivait, de veiller sur son troupeau laissé en Syrie. Il suggérait qu'on envoyât des diacres pour assister les fidèles. Il priait les évêques d'assurer à sa place, l'épiscopat, c'est-à-dire la surveillance. Bien entendu il avait laissé à Antioche, pour le suppléer, le presbyterium, lequel devait rester uni de sentiment avec l'évêque absent « comme les cordes à la cithare. » (Lettre aux Ephésiens, IV, 1). Il y avait aussi les diacres d'Antioche qui demeureraient soumis aux prêtres, comme ils l'avaient été à l'évêque, et continueraient d'effectuer leur triple service : service liturgique, annonce de la parole, service caritatif.
On avait déjà là, en place, en corollaire de la constitution divine de l’Eglise, tous les ingrédients de la suppléance canonique.
Après le décès dudit évêque Ignace, ce seraient les prêtres et les diacres d'Antioche qui organiseraient l'élection épiscopale, si possible dans le consensus général. Et ce seraient les évêques des Eglises environnantes qui, après avoir vérifié le bien fondé de cette élection, et s'être réunis en synode à Antioche même, consacreraient et installeraient définitivement son successeur.
Les prêtres peuvent accomplir toutes les fonctions ecclésiales de l'évêque, hormis les ordinations : diaconales, presbytérales, épiscopales. Ils sont donc provisoirement suffisants pour assurer l'intérim, mais ils ne peuvent pas à eux seuls procéder au remplacement du titulaire. Sans évêque donc, l'Eglise locale dépérirait et finirait par s'éteindre. On subodore ici encore le paradoxe subtil qui régit la nature intime de l'Eglise locale : elle est toute l'Eglise, et pourtant dans son être elle se reçoit, non d'elle-même, mais de l'Eglise universelle.
Au long des âges, les règles de la suppléance, ses modalités, se sont peu à peu étoffées, précisées, fixées, du vivant des évêques eux-mêmes, et en vertu de leur autorité. Il s’agit, entre autres, de désigner parmi les prêtres, ou éventuellement parmi les évêques auxiliaires attachés à ce diocèse, celui qui exercera momentanément la présidence de l'Eglise et sa gestion pastorale ; il importe de prévoir les formalités de la future élection épiscopale ; il importe de fixer les règles liturgiques et canoniques de la consécration et de l'installation du nouvel évêque. Tout cela sera codifié dans le Droit Canon.
Dans toutes les confessions chrétiennes, les modalités de la suppléance, de l'intérim et du remplacement des titulaires, ont fait l'objet, et font encore l’objet, de nombreuses réglementations.
Retour à l'en-têteOn sait que l'Eglise diocésaine, ou éparchie, s'épanouit en principe dans une ville et sur un territoire géographique donnés, le siège diocésain et les limites de la juridiction étant fixés par l'autorité de l'Eglise universelle, ou encore par l'Eglise patriarcale, ou encore par l'Eglise confessionnelle dont elle relève. Chaque Eglise possède ainsi son territoire propre. Le concile de Nicée aurait même souhaité qu'il n'y eût jamais plus d'un évêque résidentiel par ville importante.
C'était la règle normale dans l'antiquité chrétienne. Aussi l'Eglise s'affirmait-elle, dès sa fondation, comme une réalité sociologique éminemment urbaine, en même temps que soumise aux impératifs de la géographie. On a l'illustration patente de ce fait dans les lettres aux 7 Eglises qui ouvrent le livre de l'Apocalypse, rédigé et publié par saint Jean au plus fort de la persécution de Néron : l'Apôtre, réfugié dans la petite île de Pathmos, s'adressait aux 7 évêques - les Anges de ces Eglises - installés dans les 7 villes les plus importantes de la province proconsulaire d'Asie.
Pourtant il ne s'agit pas là d'une loi absolue. Un siège épiscopal pourrait être établi, par exception, en dehors de tout chef-lieu, et le domaine de la juridiction épiscopale peut n'être pas un territoire propre, mais seulement une catégorie sociale de population, ou les fidèles d'un rite déterminé. Ce fait est intéressant à noter du point de vue théologique, et démontre bien la souplesse essentielle de l'institution ecclésiale. Ce fait se vérifie surtout de nos jours où les évêchés se multiplient. On rencontre par exemple des évêques aux armées : leur diocèse s'étend sur la population militaire d'un pays. On rencontre des exarques des rites orientaux : exarque des catholiques arméniens en France ; exarque des Syro-Chaldéens,… Leur juridiction canonique s'étend sur les fidèles, exilés en France, de ces divers rites.
La vieille règle qui exigeait qu'il n'y eût qu'un seul siège, et qu'un seul évêque, par ville importante n'est plus guère observée. Dans la seule ville de Beyrouth, au Liban, par exemple, on ne dénombre pas moins de 36 évêques résidentiels, tous rites et toutes confessions confondus …