XV . Les patriarches, pri­mats, archevêques, métro­poli­tes, Prési­dents d’Assemblées épiscopales

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Dans l’antiquité, les métropoles ecclésiastiques chrétiennes se sont fondées spontanément dans les grandes villes : Jérusalem, Antioche, puis Rome en Italie, Alexandrie en Egypte. Ensuite des métropoles secondaires se sont établies dans les villes d’importance secondaire, comme Ephèse, Thessalonique… Ce sont les grandes villes, à commencer bien sûr par Jérusalem, qui ont connu d’abord l’évangélisation. Puis les Eglises des grandes villes ont essaimé dans les villes d’importance moyenne, ou petite, et de là dans les bourgades et les campagnes environnantes. Le christianisme fut, socialement, un phénomène urbain. Aujourd’hui encore, l’organisation ecclésiastique achevée, avec évêque, prêtres et diacres, conserve un type nettement urbain.

Toutes les Eglises particulières, avec leur hiérarchie à triple niveau, furent calquées sur celle  de Jérusalem, évangélisée pendant douze ans par les apôtres, jusqu’à la persécution d’Agrippa et jusqu’à leur propre dispersion, mais qui demeura l’Eglise-mère et l’Eglise modèle jusqu’aux approches de l’an 70, avec son évêque, l’apôtre Jacques le Mineur, frère du Seigneur, avec ses Anciens ou prêtres, adjoints de l’évêque, avec ses diacres chargés du service des tables et de l’évangélisation des campagnes.

Mais après le martyre de Jacques en 62, et la fuite de la communauté chrétienne en 66, Jérusalem cessa d’exister en tant que métropole universelle et visible de la jeune Eglise chrétienne. La monarchie épiscopale devait, on le sait, se reconstituer à Rome à partir du souvenir et du tombeau de l’apôtre Pierre, coryphée des apôtres, autour de l’Eglise romaine et de son chef l’évêque de Rome.

L’institution synodale, très ancienne puisqu’elle remonte presque aux origines, a contribué elle aussi à l’émergence des métropoles ecclésiastiques locales. En effet si les évêques d’une province de l’empire, ou d’un royaume extérieur à l’empire, décidaient de s’assembler, c’était tout naturellement dans la capitale administrative de cette province, ou de ce royaume, qu’ils le faisaient.

C’est le concile de Nicée (premier œcuménique), en 325, qui a officialisé l’institution de provinces ou de métropoles ecclésiastiques en décidant : (canon 4) que le métropolitain donnerait son consentement à toute ordination épiscopale dans sa province ; (canon 5) que les évêques de chaque province se réuniraient en synode deux fois par an.   

Le concile de Nicée a par ailleurs maintenu l’autorité déjà traditionnelle des grands sièges, à savoir Rome, Alexandrie, Antioche (canon 6).

Le concile de Constantinople de 381 (deuxième œcuménique) devait en plus reconnaître à l’évêque de la ville dans laquelle il se réunissait, Constantinople, la Nouvelle Rome, (qui n’existait pas encore en 325), une primauté d’honneur après l’évêque de Rome, décision qui serait renouvelée par le concile de Chalcédoine (quatrième œcuménique), en 451, dans son fameux canon 28.

La doctrine des cinq patriarcats, Rome, Constantinople, Antioche, Alexandrie, Jérusalem, ne serait guère formulée dans ces termes que par l’empereur byzantin Justinien (527-565), en particulier dans sa Novelle CXXXI. Le même empereur reconnaîtrait d’ailleurs sans ambiguïté, dans cette même Novelle, et dans son Code (dit Justinien), la primauté du Siège romain.

A l’exemple de ces patriarcats antiques, bien d’autres patriarcats ont pu se créer dans la suite, patriarcats autocéphales dans les Eglises orthodoxes, comme celle de Russie ou de Serbie, patriarcats honorifiques dans l’Eglise latine, comme celui de Venise. De plus les patriarcats originaires comme ceux d’Antioche, d’Alexandrie, de Jérusalem, ont fini par se scinder en de multiples patriarcats, selon les rites, et selon les diverses confessions issues des schismes.

Dans les Eglises orientales rattachées ou non à Rome, le patriarche est, en principe, le chef de son « patriarcat », sa province ecclésiastique, qui ne représente pas seulement un territoire  mais aussi un rite, et qui peut s’étendre au monde entier à cause de la dispersion des fidèles. C’est lui qui nomme les évêques de son ressort et les responsables ecclésiastiques, ou tout au moins ils ne sont pas nommés sans son aval. Il est élu par son synode. Mais à l’intérieur de l’Eglise catholique romaine, les patriarches orientaux restent sous la juridiction du pape qui doit confirmer leur élection, et sous la juridiction des dicastères romains. Dans les Eglises orthodoxes, le pouvoir du patriarche est limité, en fait, par son synode qui contrôle ses actes et qui pourrait même le déposer. Dans ces conditions le patriarche ne serait guère que le président du synode, s’il n’assumait pas, en plus, des fonctions de représentation et des fonctions liturgiques, qui ne sont pas négligeables.  

Avant son utilisation par les chrétiens, le mot « catholicos » était un terme administratif grec ; il désignait quelque chose comme un général. Dans son acception ecclésiastique première il a signifié : délégué de l’évêque de Césarée de Cappadoce pour l’Arménie, puis délégué du patriarche d’Antioche pour la Perse.

Les catholicos, devenus indépendants, accédèrent au statut de véritables patriarches dans leurs Eglises respectives.

Les primats, à l’origine, sont des évêques distingués parmi leurs confrères par le Siège de Rome et préposés pour exercer un devoir de vigilance sur tel pays, telle province, au nom de l’Eglise romaine. Dans les Eglises devenues indépendantes de Rome, comme par exemple l’Eglise d’Angleterre, le primat tend à prendre la place et à exercer les fonctions d’un véritable patriarche. Toutefois le primat d’Angleterre se veut seulement un « primus inter pares », premier entre égaux. Sa juridiction est seulement de présidence, d’honneur, mais son siège fait fonction de centre de communion.

Les primaties sont aujourd’hui toujours attachées à un siège fixe, qui est un siège primatial par tradition. Par exemple l’archevêque catholique romain de Westminster est le primat de l’Eglise catholique d’Angleterre ; l’archevêque de Varsovie est le primat de Pologne ; l’évêque de Rome est le primat d’Italie etc.…    

 Les primaties peuvent être de pure forme, en quelque sorte honorifiques : l’archevêque de Lyon conserve le titre de Primat des Gaules ; on observe là une simple survivance d’un passé médiéval.

On a connu dans l’antiquité, par exemple dans l’Afrique romaine, des primaties non liées à un siège, mais attribuées à l’évêque doyen d’âge ou d’ordination, dans telle province.

Depuis le concile Vatican II, dans l’Eglise catholique, spécialement latine, le principe des Conférences épiscopales a été étendu au monde entier, une conférence le plus souvent par nation. Ces conférences élisent en leur sein, selon leurs statuts, un président et un vice-président qui assument un rôle d’animation et de représentation, distinct de celui du primat quand il existe. De telle sorte que les primaties tendent à devenir purement honorifiques.

Les Eglises qui n’ont pas conservé la forme épiscopale de gouvernement ont tendance, bien entendu, à se constituer en synodes ou assemblées, avec des fonctions de présidence de ces synodes ou de ces assemblées. A ces présidences, sont attachés des pouvoirs et une durée de mandat plus ou moins étendus. Toute convention ecclésiastique requiert, de par sa nature, un président sans quoi elle ne pourrait pas fonctionner ni agir, et glisserait vers l’anarchie. Le président élu tient alors la place d’un évêque, voire d’un primat. Il exerce une fonction véritablement épiscopale, même si son mandat est éphémère.

Les archevêques, et métropolitains, dans l’Eglise catholique, ou même en dehors de ses frontières, n’exercent plus guère qu’une autorité honorifique sur leur province. Sauf si, dans l’Eglise catholique, ils sont qualifiés d’archevêques majeurs. Dans ce cas ils tiennent pratiquement la place d’un primat.

Dans une Eglise non catholique, un archevêque, ou métropolite, peut se trouver à la tête d’une Eglise autocéphale. S’il en est ainsi, il bénéficie en fait de pouvoirs équivalents à ceux d’un patriarche.

Nous avons décrit sommairement (notre étude se veut  théologique, uniquement, et non pas canonique ou historique) les noms, l’origine et les fonctions des hiérarques intermédiaires dont l’autorité s’interpose entre le primat universel du pape (quand il est reconnu) et le primat local du simple évêque résidentiel.

Un problème théologique piquant, et dont la solution n’est pas facile, ne peut manquer de se poser à ce propos : d’où procède exactement l’autorité de ces hiérarques intermédiaires ?  Quelle est la source de leurs pouvoirs ?

Situons le problème.

L’autorité du pape, nous le savons, procède de Pierre par voie de succession apostolique spéciale.

L’autorité de l’évêque diocésain procède des apôtres par voie de succession apostolique générale. Ces deux successions procèdent du droit divin, quoique d’une manière différente : d’une manière particulière et unique pour l’évêque de Rome ; d’une manière commune pour l’évêque diocésain. Chaque Eglise diocésaine en effet, prise isolément, pourrait être supprimée ; le Siège de Rome ne le peut pas, ni d’ailleurs le principe général des Eglises locales.

Mais d’où vient donc l’autorité des patriarches, catholicos, primats, archevêques, métropolites, ou métropolitains, présidents des assemblées épiscopales, ou présidents des Eglises non épiscopaliennes ?

Du droit ecclésiastique commun ou du droit pétrinien ?

Est-ce une extension du pouvoir épiscopal ordinaire, ou une délégation de pouvoir de la part du successeur de Pierre ?

On peut faire observer, en préambule, que l’Eglise romaine a toujours revendiqué l’origine de toutes les juridictions dans l’Eglise, y compris la juridiction ordinaire des évêques (certes elle viendrait de Dieu, mais par l’intermédiaire du pontife romain), et donc a fortiori l’origine de toute juridiction patriarcale, primatiale, métropolitaine ou même simplement présidentielle, sur les autres évêques, sur les pasteurs donc, comme sur les fidèles.

Pie XII, dans l’encyclique « Mystici Corporis » de 1943, dont nous reparlerons, professait que le pouvoir ordinaire des évêques, bien qu’exercé directement au nom du Christ (et non du pape), leur était immédiatement communiqué par le pontife romain. A plus forte raison en serait-il ainsi pour le pouvoir des patriarches, primats, archevêques et autres présidents.

Le IIe concile oecuménique de Lyon, en 1274, fit signer au représentant de l’empereur d’Orient, Michel Paléologue, la profession de foi suivante : « La sainte Eglise romaine possède aussi la primauté et autorité souveraine sur l’ensemble de l’Eglise catholique. [ … ] Sa plénitude de pouvoir est si établie qu’elle admet les autres Eglises à partager sa sollicitude. Cette même Eglise romaine a honoré beaucoup d’Eglises, et surtout les Eglises patriarcales, de divers privilèges, sa prérogative étant cependant toujours sauve dans les conciles généraux comme en d’autres occasions.   « (DZ 466).

Ainsi donc la totalité des pouvoirs pastoraux des patriarches, primats, archevêques ou présidents découlerait de l’Eglise romaine, et n’existerait qu’en vertu d’une délégation du pouvoir pétrinien.

Il paraît cependant difficile de dénier aux patriarches et autres exarques orientaux séparés de Rome, et dont le pouvoir ne procède évidemment pas du pape, toute espèce de juridiction légitime, toute espèce d’autorité. « Tout pouvoir vient de Dieu » selon l’adage biblique bien connu (cf. Rm 13,1), et spécialement tout pouvoir ecclésiastique. Ces patriarches, ces primats, ces présidents ou chefs d’Eglise héritent de leurs fonctions en vertu du droit commun de leurs Eglises, en vertu d’une tradition souvent immémoriale et sans en référer aucunement au pontife romain. Rome elle-même accepte implicitement la réalité de leurs pouvoirs, puisqu’elle les reçoit en leur qualité de chefs, ou responsables, des Eglises séparées. Certes elle ne leur reconnaît pas une pleine juridiction catholique, tant qu’ils ne sont pas unis au collège épiscopal et à son chef. Mais elle leur reconnaît de fait une juridiction commune, issue du droit commun de leurs Eglises respectives, droit qui dérive lui-même à n’en pas douter du droit commun de l’Eglise indivise et universelle.

Il est donc expédient d’admettre, même au sein de l’Eglise catholique, une double source des pouvoirs de ces hiérarques intermédiaires, qui sont situés entre le souverain pontife, d’une part, et les évêques résidentiels de la base, d’autre part. Ils héritent à la fois du droit commun de l’Eglise universelle, et par là leurs pouvoirs peuvent être considérés comme une extension du pouvoir épiscopal ordinaire ; et, pour autant qu’ils sont soumis à Rome, ils héritent d’une délégation du pouvoir pétrinien. Ils participent de la sollicitude universelle de l’évêque de Rome. Ils sont reconnus, et même établis par lui. Ils ne sont cependant pas ses vicaires (même s’ils lui restent soumis) mais directement les vicaires de Jésus-Christ pour paître et enseigner le troupeau plus étendu qui leur est confié, exactement comme le sont les évêques résidentiels ordinaires, à l’égard de leurs ouailles, à l’égard de leur diocèse ou éparchie.

Par le droit commun, ils héritent de ce mandat ordinaire que le Christ a confié à tous ses apôtres et, à travers eux, à tous les futurs ministres de son Eglise, le jour de son Ascension : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. » (Mt 28,19-20).

Mais par l’intermédiaire du droit extraordinaire, ou pétrinien, ils héritent d’une partie du mandat spécial remis par le Christ au seul Pierre, après la Résurrection, quand il apparut sur les bords du lac de Tibériade : « Pais mes agneaux […] Pais mes brebis […] Pais mes brebis. » (Jn 21,15.16.17).

Ces deux pouvoirs peuvent être qualifiés d’apostoliques, ou d’origine apostolique. Bien que reçus par des canaux différents, ils proviennent tous les deux du seul et même Christ.

La constitution divine de l’Eglise s’avère très intimement tissée de ces deux droits, le droit commun et le droit pétrinien : mêlés, entrelacés, mais non pas confondus. Conjoints mais cependant distincts. Ladite constitution divine manifeste ainsi, à l’examen, une complexion subtile, équilibrée, organique pourrait-on dire, et qui résiste à une analyse par trop simpliste, ou unilatérale. L’Eglise du Christ se présente à nous comme un corps vivant, lequel est simple dans son intentionnalité mais complexe dans sa réalité physiologique.

En vertu du sacerdoce, les patriarches sont égaux entre eux, égaux en dignité, égaux en charismes. On pourrait dire la même chose des archevêques entre eux, des métropolites entre eux, des primats, ou catholicos, ou présidents d’assemblées épiscopales… admis qu’ils participent tous de la plénitude du sacerdoce chrétien.

Mais en vertu de la juridiction, il s’établit entre eux une hiérarchie.

Le sacerdoce, de par sa nature, est collégial ou égalitaire. La juridiction, elle, de par son être, est monarchique ou pyramidale.                   

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