B   )   LA   MONARCHIE   EPISCOPALE

XIV . La primauté de l’évêque de Rome

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1°) Fondements évangéliques de la primauté romaine. Le mandat pétrinien.

2°) Primauté de l’évêque de Rome d’après le témoignage de la tradition, et selon les conciles œcuméniques.

3°) Le témoignage des mystiques chrétiens.

4°) L’élection du pontife romain.

5°) La consécration épiscopale du pontife romain.

6°) L’intronisation du pontife romain, son inauguration, ou son couronnement.

7°) La constitution divine de l’Eglise pendant la vacance du siège apostolique.

8°) Conclusion sur la primauté romaine, et transition vers la suite.

Le propre de l’évêque, avons-nous dit, c’est d’être unique.

 Sans doute, en vertu de leur sacerdoce et d’un point de vue sacramentel, tous les évêques de la terre, successeurs des apôtres, sont-ils égaux entre eux et forment-ils, comme les apôtres, un collège. C’est une vérité que le concile Vatican II a amplement illustrée, en particulier dans Lumen Gentium. Nous-même consacrerons à la collégialité de l’épiscopat la troisième partie de cet ouvrage.

Mais d’un point de vue strictement pastoral, ou juridictionnel, l’évêque, président de l’assemblée ecclésiale, sacrificateur au nom du Christ, et modérateur de la synaxe eucharistique, ne peut être qu’unique. L’eucharistie ne peut connaître qu’un seul président. Un concile œcuménique, également, qui est le rassemblement de tous les évêques du monde, ne peut souffrir qu’un seul président. Le diocèse, ou Eglise particulière, ne peut disposer que d’un seul évêque résidentiel ou titulaire, pasteur unique de son peuple. L’évêque est l’image de Dieu et de son Christ ; et en ce sens il ne peut être qu’unique.

L’Eglise universelle, quant à elle, en tant qu’elle est une, ne se conçoit qu’avec un seul Evêque à sa tête, en charge de l’universelle juridiction ; et le troupeau du Christ ne s’imagine qu’avec un seul pasteur. Cet Evêque n’est autre que l’évêque de Rome, et cette juridiction universelle s’appelle la primauté.

Comme l’a justement défini le concile Vatican I (DZ 1827), la fonction du pape dans son mandat universel est vraiment une fonction épiscopale, dérivant de la nature même du sacrement de l’ordre qu’il a reçu, ou qu’il va recevoir. C’est la raison pour laquelle ce chapitre traitant de la primauté de l’évêque de Rome a bien sa place dans un ouvrage s’occupant de la théologie de l’épiscopat. Il y tient même une place essentielle.

« Un seul Dieu, un seul Christ, un seul évêque », telle était la devise des chrétiens de l’antiquité, devise proclamée hautement, en particulier au moment de la libération à Rome du pape Libère, en l’an 358. Car l’empereur romain, ayant remplacé Libère pendant son exil par un autre évêque à la tête de l’Eglise romaine, entendait qu’au retour de Libère les deux évêques se maintinssent sur le siège de Pierre ! Ce que le bon peuple de la Ville éternelle refusa énergiquement.

Cet adage, «un seul Dieu, un seul Christ, un seul évêque », devrait résonner plus fort que jamais dans nos esprits, si l’on voulait revenir à une notion parfaitement saine et authentique de l’épiscopat.

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1°) Fondements évangéliques de la primauté romaine. Le mandat pétrinien.

La primauté de l’Eglise romaine repose sur le mandat pétrinien, dont elle se veut un prolongement, une continuation. On a déjà étudié ailleurs (Cf. Chap. II, éléments du ministère épiscopal, paragraphe 3) les sources évangéliques du mandat des apôtres. La vocation particulière de Pierre s’insérait dans la mission générale des autres apôtres puisque Pierre était un apôtre parmi les autres, de la même manière qu’aujourd’hui le pape est un évêque parmi d’autres évêques.

a) La titulature apostolique de Pierre.

Pierre a reçu son titre d’apôtre en même temps que les Douze, au moment du choix des apôtres par le Seigneur. « Il appela ses disciples et en choisit douze, auxquels il donna le nom d’apôtres : Simon, qu’il surnomma Pierre, […] » (Lc 6,13). Jésus reprenait, intentionnellement, le nombre des douze tribus d’Israël, pour signifier qu’il entendait fonder une institution stable, le nouvel Israël, destiné à perdurer jusqu’à la fin des temps. Il plaçait Simon en tête pour suggérer sa future primauté, et il changeait son nom en un sobriquet qui symbolisait déjà sa place et sa fonction dans la future Eglise.

Bien qu’ils n’eussent pas encore été investis du sacerdoce de la Nouvelle Alliance (ils ne le seraient qu’au moment de la dernière Cène : pour nous le Mardi Saint de la passion, au soir) et qu’ils n’eussent pas encore reçu leur mandat définitif destiné à l’évangélisation du monde entier (ils ne le recevraient que le jour de l’Ascension), les Douze, Pierre inclus, furent cependant pourvus d’une mission provisoire : celle d’accompagner le  Christ partout où il allait et de lui préparer la route dans les pays de Judée et de Galilée qu’il parcourait, car le Christ durant sa vie publique n’avait été envoyé « que pour les brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt 15,24).

b) Le sacerdoce de Pierre.

Les apôtres, et Pierre avec eux, ne reçurent ce que nous appelons le pouvoir d’ordre qu’à la dernière Cène, à l’instant de l’institution de l’eucharistie : « Faites ceci en mémoire de moi. » (Lc 22,19). Les Douze n’ont reçu le pouvoir de remettre les péchés que le soir de Pâques quand le Christ leur a dit : « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis » (Jn 20,23). Enfin il paraît clair que les apôtres ont reçu la plénitude du sacerdoce le jour de la Pentecôte, quand le Saint Esprit est descendu sur eux. A compter de ce jour, ils ont pu eux-mêmes communiquer l’Esprit Saint par l’imposition de leurs mains, et transmettre à d’autres disciples du Christ leur propre pouvoir d’ordre.

c) Juridiction commune de Pierre et des autres apôtres.

« Il appelle alors les Douze et il se mit à les envoyer en mission deux à deux, en leur donnant autorité sur les esprits impurs. » (Mc 6,7). C’est ainsi que l’évangéliste Marc nous décrit la mission provisoire de Pierre et des autres apôtres pendant la vie publique du Christ.

Mais c’est au moment de quitter cette terre que le Christ confiait à ses disciples une mission générale, valable jusqu’à la consommation des siècles :

« Allez donc, de toutes les nations faites des disciples. » (Mt, 28,19).

C’est un pouvoir d’enseignement et un pouvoir de juridiction ordinaire et immédiat qui étaient ainsi confiés aux apôtres et qui se transmettraient à tous les ministres, dans le temps et dans l’espace, par l’intermédiaire du droit commun de l’Eglise, dans la mesure même où lesdits ministres observeraient ce droit commun, c’est-à-dire dans la mesure où ils seraient eux-mêmes des ministres légitimes.

d) Juridiction exceptionnelle de Pierre, ou mandat pétrinien.

Mais en sus de cette mission ordinaire et commune à tous les ministres, le Christ, pour assurer l’unité de son Eglise, a légué à Pierre un mandat exceptionnel et universel destiné lui aussi à se perpétuer jusqu’à la fin des temps.

Préfiguration, ou annonce, de ce pouvoir pendant la vie publique du Christ.

Le Christ avait prévu de toute éternité ce mandat destiné à Pierre. Dès sa première rencontre avec Simon Bar Jonas, il l’avait affublé du surnom de Képhas, qui signifie le roc ou la pierre, et qui se traduit (en grec) Pétros (cf. Jn 1,42) et (en français) Pierre. Il plaçait ce Pierre comme premier à la tête de ses douze apôtres (cf. Mt 10,2). Ayant entendu de sa bouche, près de Césarée maritime, une profession de foi décisive, Jésus lui répliquait : « Eh bien ! Moi je te dis : Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise, et les portes de l’Hadès ne tiendront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié. » (Mt 16,18-19).

Ainsi le Christ promettait à Pierre, non seulement de l’installer comme fondement solide de son Eglise, ce qui était déjà impliqué dans le sobriquet, mais encore de lui confier un pouvoir discrétionnaire, celui du majordome, ou d’intendant de sa maison.

Le Christ jetait ainsi les bases d’une véritable monarchie dans l’ordre spirituel, monarchie qui ne serait limitée par aucune législation civile ou ecclésiastique, mais seulement (et c’est déjà considérable) par le droit divin dans lequel le droit des gens est inclus.

Ce pouvoir serait absolu, au sens étymologique du terme : c’est-à-dire délié (absolutus) du contrôle de tout pouvoir humain, ce qui ne veut pas dire arbitraire ou immoral.

Pourtant Pierre n’était pas établi comme un super-apôtre, puisque lui-même faisait partie intégrante du collège des Douze. D’ailleurs l’apôtre Paul rejetterait explicitement ce qualificatif, ou cette fonction, de « super-apôtre » (2 Co 11,5 ; 12,11). Pierre n’en demeurait pas moins, au sein du collège des Douze, la pierre fondamentale de l’Eglise posée par le Christ. Et Paul lui-même aurait soin de travailler en accord avec ce Pierre, « de peur de courir ou d’avoir couru en vain ». (Ga 2,2).

Concession effective du mandat pétrinien, après la résurrection du Christ.

Enfin, après sa résurrection, le Christ déléguait dans les faits, à Pierre, ce pouvoir qu’il lui avait si solennellement promis.

« Après le repas, Jésus dit à Simon-Pierre : ‘Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ?’ Il lui répondit : ‘Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime.’ Jésus lui dit : ‘Pais mes agneaux.’ Il lui dit une deuxième fois : ‘Simon fils de Jean, m’aimes-tu ?’ Il lui répondit : ‘Oui Seigneur, tu sais que je t’aime.’ Jésus lui dit : ‘Pais mes brebis.’ Il lui dit pour la troisième fois : ‘Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ?’ Pierre fut peiné de ce qu’il lui demandât pour la troisième fois : ‘M’aimes-tu ?’ Et il lui dit : ‘Seigneur, tu sais tout, tu sais que je t’aime.’ Jésus lui dit : ‘Pais mes brebis.’ »  (Jn 21,15-17). Il l’instituait ainsi son fondé de pouvoir, et son vicaire pour toute l’Eglise.

C’est au milieu des larmes du repentir, au milieu des plus tendres déclarations d’amour, que ce pouvoir (juridique ou canonique s’il en est) était concédé par trois fois. Mais par qui était-il concédé ? Par un mort vivant. Ou plus exactement par un mort revenu à la vie. Mais à qui était-il concédé ? Au disciple qui, par faiblesse il est vrai, avait renié trois fois.

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2°) Primauté de l’évêque de Rome d’après le témoignage de la tradition, et selon les conciles œcuméniques.

Les paroles du Christ ne pouvaient pas se prescrire ; et Pierre vit encore en la personne de ses successeurs.

La tradition unanime a toujours reconnu dans l’Eglise romaine l’héritière de la tradition pétrinienne. C’est un fait : aucune autre Eglise particulière n’a jamais revendiqué cet héritage, même pas par exemple Jérusalem, ou Antioche, ou Corinthe, où Pierre était censé avoir séjourné. Les Pères de l’Eglise ancienne étaient d’accord pour affirmer que les apôtres Pierre et Paul avaient fondé l’Eglise romaine et que cette Eglise était la mère et la maîtresse de toutes les autres. Citons : Clément de Rome, Clément d’Alexandrie, Irénée, Tertullien, Cyprien, l’historien Eusèbe de Césarée. De très bonne heure des listes épiscopales de l’Eglise romaine circulèrent, et cette Eglise romaine est l’une des seules, avec Alexandrie, Antioche et Jérusalem, à pouvoir prouver son origine apostolique et dérouler ses fastes épiscopaux depuis le Ier siècle de l’ère chrétienne jusqu’à nos jours, sans interruption.

Ce qui donne à l’Eglise romaine, depuis toujours, le sentiment qu’elle est la mère et la maîtresse de toutes les autres, c’est cette présence du souvenir de Pierre dans son sein, et même la présence de son tombeau. C’est la certitude que la place de fondement attribuée à Pierre par le Christ, se maintiendra jusqu’à la fin des temps par l’intermédiaire de cette Eglise locale particulière que l’apôtre a lui-même créée. Le chef de l’Eglise universelle ne peut être que l’évêque de l’Eglise particulière de Rome, ce dernier exerçant une présidence à la fois d’honneur et de juridiction, mais surtout une fonction d’arbitre ou de juge suprême en matière de foi. Les Pères de l’Eglise comprenaient que l’Eglise particulière de Rome était en quelle que sorte la source, ou si l’on veut la racine, de toutes les autres Eglises. Ce qui peut paraître paradoxal si l’on songe que c’est bien de Jérusalem que les apôtres se sont élancés à la conquête (pacifique) du monde. Mais les Pères de l’Eglise considéraient que l’apostolat de Pierre, le coryphée des apôtres, était la source de l’apostolat des autres apôtres. De la chaire de Pierre étaient nées toutes les autres chaires, et de l’autorité de Pierre avait surgie toute autre autorité, de telle sorte que chaque évêque, dans son Eglise locale, pouvait dire qu’il tenait lui-même la place de l’apôtre Pierre.

Sans aucun doute les évêques de l’Eglise ancienne, en leur qualité d’évêques, avaient conscience d’être égaux entre eux ; en effet l’évêque de Rome, le successeur de Pierre, ne disposait pas de pouvoirs sacerdotaux supérieurs à ceux des autres évêques, ses collègues. Une discussion s’éleva donc dans l’Eglise primitive sur la place qu’il convenait d’attribuer à la primauté incontestable du pontife romain, et sur la nature exacte de l’articulation qui devait s’établir entre, d’une part, cette monarchie romaine et, d’autre part, la collégialité universelle des évêques. En un sens cette discussion se poursuit jusqu’à nos jours, puisqu’on en trouve la trace dans l’encyclique récente « Ut unum sint » du pape Jean-Paul II, publiée en 1995. 

Quoi qu’il en soit de l’avancement de cette discussion, les conciles œcuméniques n’ont pas attendu pour reconnaître pleinement la primauté de juridiction de l’évêque de Rome.

Le concile d’Ephèse en 431 souscrivit la déclaration faite par le prêtre Philippe, légat du pape : « Personne ne doute et tous les siècles savent que le saint et très bienheureux Pierre, chef et tête des apôtres, colonne de la foi, fondement de l’Eglise catholique, a reçu les clefs du Royaume de notre Seigneur Jésus-Christ, Sauveur et Rédempteur du genre humain, et que le pouvoir de lier et de délier les péchés lui a été donné ; jusqu’à maintenant et toujours, c’est lui qui, dans la personne de ses successeurs, vit et exerce le pouvoir de juger. » (DZ 112).

En 681, les Pères du VIe concile oecuménique, réunis à Constantinople, écrivaient au pape saint Agathon : « Nous nous en remettons à vous de ce qu’il faut faire, à vous qui occupez le premier siège de toute l’Eglise. Vos lettres, qui renferment la vraie confession de foi, parlent des choses de Dieu, nous le savons, avec la plus haute autorité qui fût parmi les apôtres. »

Les mêmes Pères, à l’adresse de l’empereur Constantin IV : « Le premier et chef suprême des apôtres nous assistait, car nous avions pour nous fortifier son imitateur et l’héritier de son siège, qui nous expliquait dans ses lettres les mystères de la théologie. C’était Pierre qui parlait par Agathon. » (Voir : Martin Jugie, Le Schisme byzantin. 1941. Pages 79-80).

Le Pères du VIIe concile oecuménique, assemblés à Nicée en 787, approuvèrent explicitement, par un placet à la fois collectif et individuel, une lettre du pape Hadrien Ier qui disait : «Le siège de Pierre, en effet, détient avec éclat la primauté sur toute la terre ; il est la tête de toutes les Eglises de Dieu. C’est pourquoi le même bienheureux Pierre, établi pasteur de l’Eglise par l’ordre du Seigneur, ne laisse rien de disjoint, mais il a toujours tenu et tient en main l’autorité. » Cette lettre du pape Hadrien, ainsi homologuée, fait partie intégrante des actes du septième concile. (Op. cit. page 85).    

Au IIe concile de Lyon (1274) le représentant de l’empereur byzantin Michel Paléologue signa la profession de foi qui suit : « La sainte Eglise romaine possède aussi la primauté et autorité souveraine et entière sur l’ensemble de l’Eglise catholique. » (DZ 466).

Le concile de Florence, en 1439, s’exprima  à peu près dans les mêmes termes, dans son « Décret pour les Grecs. »  (Cf. DZ 694).

Mais c’est le concile Vatican I, pleinement repris plus tard par Vatican II, qui a donné la définition la plus irréfragable et la plus exhaustive de la primauté romaine (avant même de définir son prolongement doctrinal qui est l’infaillibilité) : « Nous enseignons et déclarons que l’Eglise romaine possède sur toutes les autres, par disposition du Seigneur, une primauté de pouvoir ordinaire et que ce pouvoir de juridiction du pontife romain, vraiment épiscopal, est immédiat. Les pasteurs de tout rang et de tout rite et les fidèles, chacun séparément ou tous ensemble, sont tenus au devoir de subordination hiérarchique et de vraie obéissance, non seulement dans les questions qui concernent la foi ou les mœurs, mais aussi dans celles qui touchent à la discipline et au gouvernement de l’Eglise répandue dans le monde entier. Ainsi, en gardant l’unité de communion et de profession de foi avec le pontife romain, l’Eglise est un seul troupeau sous un seul pasteur. Telle est la doctrine de la vérité catholique, dont personne ne peut s’écarter sans danger pour sa foi et son salut. » (Constitution Pastor Aeternus, Ch. 3, DZ 1827).

Il serait loisible de poser, pour résumer le paragraphe qui précède : le pontife romain est vraiment, par disposition divine, « l’évêque de l’Eglise catholique. » 

C’est précisément sous ce titre que Paul VI signera et promulguera les Constitutions et les Décrets du concile Vatican II.

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3°) Le témoignage des mystiques chrétiens.

Les mystiques, ainsi que les grands fondateurs d’ordre, un saint Dominique, un saint François d’Assise, un saint Ignace de Loyola…, ont toujours protesté de leur fidélité au Siège de Pierre. Ils se sont placés spontanément sous sa protection, ou mis à son service.

Parmi les mystiques, nous ne retiendrons les écrits, ou la doctrine,  que de trois d’entre eux : sainte Catherine de Sienne, sainte Jeanne d’Arc, saint Grignon de Montfort, tous trois typiques de cette confiance innée accordée à l’Eglise catholique et à son chef visible.

a) Les écrits, ou la doctrine, de sainte Catherine de Sienne

La visionnaire Catherine de Sienne vint trouver le pape d’Avignon, Grégoire XI, pour l’inciter, de la part du ciel, à retourner à Rome, car disait-elle le pontife romain devait rejoindre au plus vite son épouse mystique, qui n’est autre que l’Eglise romaine.

Lorsque éclata peu de temps après le Grand Schisme d’Occident en 1378, elle prit tout de suite parti en faveur du pape qu’elle estimait légitime, Urbain VI, contre son concurrent, Clément VII, élu quelques mois plus tard et qui dut se replier sur Avignon.

Dans son « Dialogue » (livre qui lui aurait été dicté par Dieu le Père en personne !) Catherine expose à loisir sa doctrine sur l’Eglise et sur la papauté.

« Cette clef du Royaume des cieux [cf. Mt 16,19] est celle du Sang de mon Fils unique ; c’est par cette clef que fut ouverte la vie éternelle, qui si longtemps avait été fermée par le péché d’Adam. Quand je vous eus donné ma Vérité, le Verbe mon Fils unique, il souffrit mort et passion et, par sa mort, il détruisit votre mort, en vous baignant dans son Sang. Ainsi son Sang et sa mort, en vertu de la nature divine unie à votre nature humaine, ouvrirent la vie éternelle. »

« A qui laisse-t-il les clefs de ce Sang ? Au glorieux apôtre Pierre et à tous les autres qui sont venus et qui viendront après lui jusqu’au dernier jour du jugement. Tous ont donc et auront la même autorité que Pierre, et aucune de leurs fautes n’amoindrira cette autorité, ni n’affaiblira la perfection du Sang ou des autres sacrements. Car, je te l’ai déjà dit, aucune tache ne peut ternir ce Soleil, ni sa lumière ne peut être obscurcie par les ténèbres du péché mortel, qui se trouvent en celui qui l’administre, ou en celui qui le reçoit. Leur faute ne peut nuire en rien aux sacrements de la sainte Eglise, ni amoindrir leur vertu. Tout ce qu’elle peut c’est de diminuer la grâce, ou d’aggraver la culpabilité, en celui qui les administre et en celui qui les reçoit indignement. » 

« Ainsi, mon Christ sur la terre [le pape] tient les clefs du Sang. S’il t’en souvient bien, je t’ai manifesté cette vérité par une allégorie, lorsque je voulus te faire comprendre quel respect les séculiers doivent porter à mes ministres, qu’ils soient bons ou mauvais, et combien ils m’offensent par leurs irrévérences. Je te montrai, tu le sais, le corps mystique de la sainte Eglise, sous la forme d’un cellier qui renfermait le Sang de mon Fils unique ; c’est ce Sang qui fait la valeur de tous les sacrements, qui ne contiennent la vie que par la vertu du Sang. » 

« A la porte du cellier était mon Christ en terre [le pape], à qui était confiée l’administration du Sang. A lui il appartenait d’établir des ministres, pour l’aider à distribuer ce Sang au corps entier de la religion chrétienne. Celui qui était agréé et sacré par lui était institué ministre, les autres, non. C’est de lui qu’est issue toute la hiérarchie cléricale, et c’est lui qui assigne à chacun son office, pour la dispensation de ce glorieux Sang. «

(Dialogue, chapitre 115).

On s’en rend compte, pour Catherine de Sienne (qui devait être proclamée docteur de l’Eglise) la hiérarchie ecclésiastique s’origine toute entière du seul pape. Il n’est de ministre qui ne soit établi par lui, et tous relèvent de sa seule autorité. Catherine, ou plutôt celui qui est censé parler, se plaçait plutôt du côté de la juridiction que du côté de l’ordre. Les laïcs eux-mêmes entrent dans le champ de cette dépendance à l’égard de l’autorité suprême.

« Quand il [le Christ] quitta la société des hommes pour retourner près de moi en montant au ciel, il vous laissa cette précieuse clef de l’obéissance. Comme tu sais, il établit son vicaire, le Christ sur terre [le pape], à qui vous êtes tenus d’obéir jusqu’à la mort. Qui se sépare de son obédience est en état de damnation, comme je te l’ai dit en un autre endroit. » 

(Dialogue, chapitre 154).

b) Les exemples de sainte Jeanne d’Arc.

Bien que traduite en justice devant un tribunal ecclésiastique (inféodé il est vrai à une puissance politique) Jeanne d’Arc professa une soumission pleine et entière à l’égard de l’Eglise : « Il m’est avis que c’est tout un, de Notre Seigneur et de l’Eglise. » (Interrogatoire du 17 mars 1431), ainsi qu’à l’égard du pontife romain, auquel elle fit appel.

Un terrible dilemme s’offrait à la conscience de l’héroïne emprisonnée : fallait-il ou non obéir à cette Eglise de la terre représentée par des prélats malveillants et qui la détenaient injustement, si ces derniers lui demandaient quelque chose de contraire à sa conscience, de contraire enfin au message de ces « Voix » qu’elle percevait, et qui traduisaient pour elle la volonté de Dieu ?

Mais Jeanne a toujours répondu, de la manière la plus nette et la plus hardie : « Je m’en rapporte à l’Eglise militante, pourvu qu’elle ne me demande chose impossible à faire. » (Réponse dans sa prison, du 31 mars 1431).

« Ne croyez-vous pas, lui demandait-t-on, être sujette à l’Eglise de Dieu sur terre, à savoir à notre Saint-Père le pape, aux cardinaux, archevêques, évêques et prélats ?

- Oui, Notre Sire [Dieu] premier servi». (Séance du même jour).

Pour elle, l’autorité de l’Eglise ne s’exerçait que dans le domaine proprement ecclésiastique, non dans celui qui relèverait de la conscience ou du droit divin.

c) La doctrine d’un saint Louis-Marie Grignon de Montfort.

Brimé par ses supérieurs immédiats, Louis-Marie Grignon de Montfort n’hésita pas à se rendre à Rome à pied pour aller consulter le successeur de saint Pierre, sur l’orientation de vie missionnaire qu’il devait prendre. Reçu en audience privée par le pape Clément XI, le 6 juin 1706, il s’entendit conseillé de poursuivre en France son apostolat, tout en restant bien soumis aux évêques des différents diocèses. Le pape lui concéda même le titre de « missionnaire apostolique ».

Dans une Eglise de France agitée d’une part par le jansénisme et d’autre part tiraillée par des tendances gallicanes, Grignon de Montfort ne cessa d’affirmer son attachement au pape de Rome, en qui il voyait la lumière des consciences, le guide naturel des chrétiens.

« Croyez Jésus dans vicaire,  

« Dans tout ce qui touche à la foi, 

« Et prenez ce qu’il dit en chaire 

« Comme un oracle et sûre loi. »

      (Cantique 6). 

« Je crois ce que dit le saint Père, 

« Malgré les fins suppôts d’enfer, 

« Il est mon chef et ma lumière, 

« Je ne vois goutte, il voit très clair. »

      (Idem).

Dans un autre cantique, Montfort faisait l’éloge du pape Pie V, qui venait d’être canonisé :

« Il était grand lorsqu’il vivait 

« Aucun des grands ne l’égalait 

« Et tout à ses pieds s’abattait 

« Quand on savait ce qu’il était 

      « Un évêque de Rome  

« Un vicaire de Jésus-Christ 

« Un organe du Saint-Esprit 

      « D’où sortait des oracles. » 

                (Cantique 147).

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4°) L’élection du pontife romain.  

Pendant plus d’un millénaire, l’évêque de Rome fut censé élu comme les autres évêques, par le clergé et par le peuple de son Eglise propre : l’Eglise de Rome. Aujourd’hui encore ce mode d’élection s’imposerait si, par malheur et par impossible, le Collège des cardinaux venait à disparaître tout entier, en même temps que le pape.

En effet, faute d’une autre procédure prévue, on serait obligé d’en revenir provisoirement à ce mode d’élection primitif, à la fois traditionnel et spontané.

Le principe de l’élection d’un évêque, on l’a vu, est implicitement fondé sur le droit divin. Il faut bien en effet pourvoir au décès du titulaire, à sa démission éventuelle, ou encore à son transfert à un autre siège. Quant au mode d’élection lui-même, il relève exclusivement du droit ecclésiastique en vigueur. Cette règle s’applique universellement, et donc aussi dans le cas de la vacance du Siège romain.

a) Importance primordiale de l’élection du pontife romain.

L’élection du pontife romain a toujours revêtu une importance capitale dans l’histoire de l’Eglise catholique. En cas de contestation, le schisme menace. En cas de double élection, comme cela s’est hélas produit maintes fois, l’Eglise se retrouve scindée en deux obédiences, bientôt rivales. L’élection du pontife romain touche en fait directement à l’une des quatre notes qui caractérisent la véritable Eglise du Christ, à savoir son unité.

La première crise grave qui eut lieu à Rome, à l’occasion d’une élection pontificale, se produisit en 251, pendant la persécution de Dèce. Après une vacance de quatorze mois du Siège, Corneille fut élu par une majorité des fidèles et du clergé, puis consacré par 16 évêques présents à Rome (saint Cyprien, lettre LV, 24,2).Mais le prêtre Novatien, suivi par une importante minorité des fidèles, refusa cette élection et se fit lui-même ordonner évêque. Aussitôt le schisme étendit ses ramifications à l’ensemble de l’univers chrétien. Car Novatien désignait partout des évêques de son parti. Fabius évêque d’Antioche, alors une importante métropole chrétienne, faillit même se laisser entraîner dans la dissidence. Il fut rattrapé de justesse par une lettre véhémente du pape légitime, Corneille. (Cf. Eusèbe, Hist. Eccl. VI, 43,5-22). Le schisme de Novatien perdurerait ; il ne serait définitivement réduit que par la législation des premiers empereurs chrétiens.

L’une des plus graves contestations qui entoura la désignation du pontife romain, ne fut autre que celle qui engendra le Grand Schisme d’Occident, dans lequel nous avons vu intervenir Catherine de Sienne. En 1378, les cardinaux réunis à Anagni, ville du Latium, crurent devoir déposer le nouveau pape Urbain VI, sous le prétexte qu’il avait été élu dans une atmosphère d’émeute. Ils le remplacèrent peu après par Robert de Genève qui prit le nom de Clément VII, et ne pouvant conquérir Rome se réfugia en Avignon. D’où l’émergence d’une double obédience qui scinda la chrétienté et qui, en 1409, devint une triple obédience quand le concile de Pise entreprit de déposer les deux papes rivaux, et en élut un troisième. La chrétienté ne devait, canoniquement, récupérer son unité que le 4 juillet 1415. Ce jour-là le concile de Constance, convoqué à l’initiative du roi des romains (futur empereur) Sigismond de Luxembourg, après avoir écarté le successeur de Clément VII ainsi que le pape issu du concile de Pise, accepta de se laisser reconvoquer par Grégoire XII qui était le successeur d’Urbain VI, et reçut son abdication (par procurateur) au cours de la même séance.

Le concile œcuménique, désormais légitimement assemblé, géra à lui seul la chrétienté pendant plus de deux ans, vota une quantité de textes dogmatiques ou canoniques, et enfin se décida à faire élire un nouveau pape selon une procédure spéciale. Ce fut Martin V, élu le 11 novembre 1417, et qui fut reconnu par presque toute la chrétienté.

Le dernier antipape, d’importance historique, fut Amédée de Savoie, Félix V, élu par le concile de Bâle, puis abdicataire (1439-1449).

Entre ces deux crises extrêmes, celle de Novatien d’une part, et celle du Grand Schisme et de ses séquelles d’autre part, bien d’autres péripéties ont entouré l’élection du pontife romain, avec des conséquences parfois aussi dramatiques. (Citons le schisme d’Anaclet qui divisa la chrétienté d’Occident de 1130 à 1138 ; le schisme de Victor IV qui eut les mêmes effets de 1159 à 1179). Tout cela démontre bien, a posteriori, l’importance qui s’attache à l’élection romaine.

Un autre enjeu essentiel, et évident, de l’élection du pontife romain, c’est d’amener aux commandes de l’Eglise le sujet à la fois le plus digne et le plus capable de la gouverner. Bien des améliorations au cours des âges sont venues modifier le processus de l’élection. Si bien que l’on peut dire qu’au XXe siècle, le plus proche de nous, le « système » semble avoir fonctionné à peu près idéalement.

b) Variations au cours des âges du mode d’élection des pontifes romains.

Dès le haut Moyen Age, les empereurs byzantins s’étaient octroyé un droit de regard sur l’élection du pontife romain, réalisée en principe par le clergé et par le peuple, selon le droit antique. Ils se réservaient ce qu’on appelait la « jussio », ou la « praeceptio ». L’élu de l’Eglise ne pouvait être ordonné sans son accord. Toutefois l’empereur ne pouvait exercer ce contrôle qu’autant que son pouvoir politique s’étendait réellement sur l’Italie et sur la ville de Rome.

Le concile du Latran, réuni sous Etienne III en 769, avait expressément réservé aux clercs le bénéfice de l’élection papale, les laïcs devant se contenter d’applaudir. Mais dès le « Constitutum » de 824, conclu entre Eugène II et l’empire carolingien, on revint sur ces dispositions. L’élection était réservée aux citoyens romains, y compris les laïcs. Mais l’élu ne devait être consacré qu’en présence du missus impérial et prêter un serment de fidélité à l’empereur.

Au Xe siècle la Papauté elle-même, et la nomination de son titulaire, étaient tombées aux mains des factions romaines, quand l’empereur se trouvait empêché. Le 13 février 962 fut signé à Rome, entre l’empereur d’Allemagne Othon Ier et le pape Jean XII, le fameux « Privilegium Othonis » (document encore conservé dans les archives vaticanes). Il renouvelait le « Constitutum » de 824. En fait, l’empire romain germanique accaparait l’élection du pontife romain, pour autant du moins qu’il restait maître de l’Italie centrale. Il s’arrogeait le droit d’imposer comme de déposer le pontife à sa guise. Mais quand l’empereur reperdait sa mainmise sur la Ville de Rome, le Saint-Siège redevenait la proie des principicules locaux. Selon le mot des historiens, l’Eglise de ces siècles de fer était tombée « au pouvoir des laïcs ».

L’émancipation de l’Eglise romaine, et par là de toute l’Eglise d’Occident, à l’égard des puissances politiques, fut seulement décrétée au concile du Latran, tenu par le pape Nicolas II, le 13 avril 1059. L’année suivante, en avril, un nouveau concile tenu au même endroit renouvelait, avec quelques variantes, ce fameux décret. Nous citons la deuxième version, plus explicite :

« En vertu de notre autorité apostolique, nous renouvelons la décision que nous avons prise en d’autres assemblées. Si quelqu’un est intronisé sur le Siège apostolique pour de l’argent, par la faveur des hommes, à la suite d’une sédition populaire ou militaire, sans l’unanimité, l’élection canonique et la bénédiction des cardinaux-évêques, puis des ordres inférieurs du clergé, qu’il soit considéré non pas comme pape apostolique, mais comme apostat. Qu’il soit permis aux cardinaux-évêques, avec les clercs et les laïcs qui vivent dans la piété et la crainte de Dieu, de chasser du Siège apostolique cet intrus en le frappant d’anathème et en recourant aux moyens d’ordre humain, puis d’installer à sa place celui qu’ils auront jugé digne. S’ils ne peuvent arriver à ce résultat à l’intérieur de la Ville, qu’en vertu de notre autorité apostolique ils se réunissent hors la Ville, au lieu qui leur conviendra, pour élire celui qu’ils considèrerons comme le plus digne et le plus utile au Siège apostolique, en lui accordant le pouvoir de gouverner la sainte Eglise romaine, de disposer de ses biens et de ses revenus en les utilisant pour le mieux, suivant les circonstances, comme s’il était déjà entièrement intronisé. » (Cf. Fliche et Martin, Tome 8, page 20).  

Par cet acte mémorable, et qui devait être déterminant pour l’avenir de l’Eglise, l’élection pontificale se voyait en pratique réservée aux seuls cardinaux-évêques, les autres cardinaux, les autres clercs et même les laïcs se bornant à donner leur assentiment.

Rappelons que, traditionnellement, les cardinaux-évêques sont les évêques suburbicaires (ou suburbains) de Rome, les titulaires des sièges suivants : Ostie, Albano, Palestrina, Porto, Silva Candida, Gabii et Labicum (ces deux sièges réunis en un seul), Velletri. Soit un collège de sept évêques quand il est au complet ; l’évêque d’Ostie étant considéré comme le doyen de tous les cardinaux, avec comme mission traditionnelle de présider l’assemblée électorale et de consacrer, s’il y lieu, le nouvel élu. (On cite souvent la seconde de ces deux fonctions, mais la première revêt une importance historique tout aussi grande).

En lisant attentivement l’acte susdit, on s’aperçoit que le pontife est investi de la plénitude de ses pouvoirs pastoraux dès que son élection est légitimement acquise, avant même sa consécration ou pleine intronisation (ce qui à l’époque se confondait dans une même cérémonie). Cela est expressément affirmé.

On peut cependant relever une certaine imprécision canonique dans la rédaction de ce document. L’unanimité des cardinaux-évêques est supposée, mais on ne nous dit pas quel serait le droit dans le cas d’un désaccord persistant entre lesdits cardinaux-évêques, ou même d’une scission parmi eux. Or, malheureusement, ces deux éventualités ne devaient pas tarder à se produire ! On ne dit pas non plus clairement si l’assentiment des autres clercs est nécessaire, ou non, à la validité de l’élection.

Tel quel ce texte imparfait, mais qui représentait un immense progrès, devait régir l’Eglise romaine pendant plus d’un siècle, sans toutefois réussir à prévenir les graves schismes d’Anaclet II (en 1130) et de Victor IV (en 1159).

Aussi le troisième concile œcuménique du Latran (1179), convoqué à l’initiative du pape Alexandre III, prit-il soin de réglementer durablement l’élection du pontife romain. Il décida que désormais il ne serait fait aucune distinction entre les cardinaux, évêques, prêtres ou diacres. Tous, et eux seuls, formeraient le collège électoral, et le nouveau pontife devrait réunir sur son nom une majorité qualifiée, celle des deux tiers, pour être élu.

Dorénavant, la procédure d’élection des pontifes romains ne connaîtrait plus que des aménagements de simple forme, jusqu’à tout récemment.

En 1274, au second concile de Lyon, fut promulguée la Constitution « Ubi periculum », par laquelle était officiellement institué le conclave, déjà imposé spontanément aux cardinaux par les populations,  à Viterbe, de 1268 à 1271.

Toutefois les précautions prises n’empêcheront pas, on le sait, à prévenir l’éclatement du Grand Schisme, en 1378.

Le pape Sixte Quint (1585-1590) fixa à 70 le nombre maximum de cardinaux. Cette disposition devait perdurer jusqu’au pape Jean XXIII.

Au début du XXe siècle, le pape Pie X, après avoir sévèrement condamné l’ « exclusive » (pratique par laquelle les gouvernements des Etats catholiques s’arrogeaient le droit de s’immiscer dans les élections pontificales, en excluant certains candidats), imposa le silence total sur les délibérations du conclave, sous peine d’excommunication, même après son ouverture. Depuis 1914, donc, on ignore tout (au moins officiellement) de l’histoire interne des conclaves, ce qui à certains égards peut sembler regrettable. Des historiens modernes ne se font pas faute d’imaginer ce qui a bien pu ses passer au sein de ces conclaves. Mais leurs supputations n’ont guère de fondements.

En 1945, par une nouvelle Constitution, Pie XII avait porté aux deux tiers des voix plus une le quorum nécessaire à l’obtention de l’élection. Pour prévenir toute hésitation de la part de l’intéressé, il priait « l’élu, notre héritier et successeur, d’accepter son élection au pontificat suprême, car [disait-il] Dieu donne la force ».

Paul VI, lui, fixait à 120 le nombre maximum de cardinaux électeurs du pape, et décidait que désormais les cardinaux âgés de 80 ans révolus ne pourraient plus prendre part au conclave.

Le même pape promulguait le 1er octobre 1975 la Constitution apostolique « Romano Pontifici eligendo », dans laquelle il abrogeait toute la législation antérieure en cette matière, et en recréait une nouvelle, mais en reprenant la plupart des dispositions antérieures. Par cette même et unique loi, il réglait tous les problèmes relatifs à la succession des papes et à la vacance du Siège.

On pouvait considérer cette norme comme un véritable chef-d’œuvre de la littérature canonique, récapitulant et complétant l’expérience millénaire de l’Eglise. Toutefois Jean-Paul II lui-même, comme on le verra, ne pourra pas s’empêcher de la juger trop compliquée et difficile à mettre en œuvre, dans certaines de ses modalités. C’est pourquoi il sera amené à la simplifier et à l’amender sur plus d’un point.

En fait, Paul VI ne prévoyait pas moins de cinq formes différentes de scrutin :

-- l’élection par acclamation, dite aussi par inspiration, à l’unanimité des électeurs ;

-- l’élection par compromis, confiée avec l’accord de l’unanimité des électeurs, à un nombre impair de cardinaux : neuf au moins, quinze au plus ;

-- le mode ordinaire de scrutin, quatre votes par jour, à la majorité des deux tiers des voix plus une ;

-- à partir du dixième jour, en cas de conclave infructueux, seulement à la majorité absolue des voix plus une, si tous les électeurs étaient unanimement d’accord pour adopter cette procédure ;

-- également à partir du dixième jour, et si tous les électeurs étaient d’accord, à la majorité absolue des voix plus une, mais seulement entre les deux candidats qui auraient obtenu le plus grand nombre de voix au tour précédent.

Cette législation comportait des innovations importantes, mais qui s’avéraient difficilement applicables, du fait que les deux premières et les deux dernières de ces procédures prévues requéraient l’unanimité des électeurs pour être mises en œuvre. Il suffisait d’un seul avis contraire pour les empêcher.

On en restait donc, en fait, au scrutin à la majorité des deux tiers des voix plus une. Avec un risque de blocage prolongé, comme cela s’est produit à maintes reprises dans le passé. 

c) Le mode d’élection actuel du pontife romain.

Dans la nouvelle Constitution « Universi Dominici Gregis », signée le 22 février 1996, le pape Jean-Paul II abolit définitivement les deux modes de scrutin par acclamation et par compromis. Il ne conserve que le scrutin secret à la majorité des deux tiers (ou à la majorité des deux tiers des voix plus une, nous le verrons) pendant les douze premiers jours de vote du conclave. (N° 62 et N°74).

Passé ce délai, si seulement la majorité absolue des électeurs est d’accord, on procède « soit à la majorité absolue des suffrages, soit par un scrutin portant sur deux noms seulement, ceux qui, dans le scrutin qui précède immédiatement, ont obtenu le plus grand nombre de voix, étant également requise dans cette seconde hypothèse la seule majorité absolue. » (N°75).

Ce numéro 75 est une innovation importante, et très heureuse, dans l’histoire mouvementée de l’élection des papes. Certes, ces dispositions étaient prévues dans la Constitution de Paul VI ; mais elles exigeaient l’unanimité pour être appliquées.

Ici, elles deviennent pratiquement la norme. En fait, à partir du 13e jour d’un conclave infructueux, le pape n’est plus élu à la majorité des deux tiers des voix, mais seulement à la majorité absolue. Le risque d’un blocage prolongé se trouve ainsi grandement diminué.

Quelques anomalies d’importance secondaire subsistent dans cette Constitution de Jean-Paul II. Signalons-les brièvement. En particulier une étonnante imprécision, ou même contradiction, apparaît sur un point très sensible : le quorum qui est nécessaire à la validité de l’élection.

Au numéro 62, le pape s’exprime ainsi : «Par conséquent, j’établis que, pour la validité de l’élection du Pontife Romain, sont requis les deux tiers des suffrages de la totalité des électeurs présents. Cependant dans le cas où le nombre des cardinaux présents n’est pas divisible en trois parties égales, un suffrage supplémentaire est requis pour la validité de l’élection du Souverain Pontife. »

Ce qui signifie en clair que lorsque le nombre des électeurs n’est pas divisible par trois, la majorité des deux tiers des voix plus une est nécessaire.

Or, au numéro 70, le pape affirme : « si quelqu’un a recueilli les deux tiers des voix, il y a élection canoniquement valide du Pontife Romain. » Ce qui contredit le numéro précédemment cité.

Sans doute le pape a-t-il voulu dire, au numéro 62 ci-dessus : « dans le cas où le chiffre des deux tiers obtenu n’est pas un nombre entier, mais comporte des décimales, il doit être arrondi, pour la validité du scrutin, au nombre entier immédiatement supérieur. » Ce qui, pour nous modernes, est une évidence dans notre manière d’apprécier une majorité des deux tiers.

Mais le pape ne le dit pas. Son texte inclut donc une incertitude qui ne porte, il est vrai, que sur une seule voix.

La Constitution de Jean-Paul II, ainsi que le Code de droit canonique, prévoient un nombre maximum de 120 cardinaux électeurs. Mais cette règle est déjà obsolète. Le pape lui-même ne l’observe pas qui, dans ses consistoires, nomme des cardinaux surnuméraires.

Dans les dispositions relatives à la déclaration de vacance du Siège, le texte n’envisage pas le cas, possible, où le corps du souverain pontife viendrait à disparaître sans laisser de traces.

Ladite Constitution stipule que l’élection doit s’opérer dans la Cité du Vatican, plus précisément dans la Chapelle Sixtine. Elle ne prévoit pas le cas où ladite Cité, ou ladite Chapelle, seraient indisponibles pour cause d’accident, ou de guerre.

Jean-Paul II décrète dans le numéro 76 : « Si l’élection était faite d’une manière différente de ce qui est prescrit dans la présente Constitution ou que les conditions fixées ici n’aient pas été observées, l’élection est par le fait même nulle et non avenue. » Il ne dit pas quelle autorité dans ce cas serait juge… En fait, ce serait le nouveau souverain pontife lui-même, même douteux.

Il n’envisage pas l’hypothèse, malheureusement possible, où le souverain pontife et tout le collège des électeurs viendraient à disparaître d’un coup. Dans ce cas, évidemment, on serait obligé d’en revenir provisoirement au mode d’élection en vigueur dans le premier millénaire : l’élection par toute l’Eglise de la Ville de Rome, clergé en tête. L’Eglise universelle, en effet, ne saurait demeurer à jamais privée de son chef visible.

La Constitution « Universi Dominici Gregis » ne prévoit pas le cas mathématiquement possible, quoique improbable, où aucun candidat ne parviendrait jamais à réunir sur son nom une majorité absolue des électeurs.

Mais il est vrai qu’aucun texte canonique ne peut atteindre la perfection. Il peut seulement s’en approcher. Au total la Constitution édictée par Jean-Paul II améliore grandement celle promulguée par Paul VI, à peine vingt et un ans plus tôt. Elle représente une étape importante dans l’évolution des prescriptions canoniques, entourant la désignation d’un pape de Rome.

d) Effets canoniques immédiats d’une élection valide. Quelques exemples historiques pour illustrer notre propos.

L’élection ‘canonique’ du pontife romain, c’est-à-dire conforme au droit en vigueur, l’investit par elle-même de la plénitude de la juridiction, ou pouvoir apostolique, sur l’ensemble de l’Eglise universelle ; ou tout au moins elle lui en attribue le droit. Elle fait de lui le successeur de saint Pierre, l’évêque titulaire (élu) de Rome, le chef visible de l’Eglise catholique. En effet, la juridiction romaine est attachée à la possession légitime (non usurpée) du titre. L’élection est acquise, irréversible, canoniquement valable au moment même du vote, dès que la majorité voulue est atteinte et vérifiée, avant l’intronisation officielle, avant l’ordination épiscopale éventuelle (si l’élu n’est pas encore évêque), avant son acceptation effective, avant même que l’élu ait pris connaissance du résultat, s’il se trouve absent du conclave. Jean-Paul II l’affirme nettement au numéro 70, déjà cité, de sa récente Constitution : « Si quelqu’un a recueilli les deux tiers des voix, il y a élection canoniquement valide du Pontife Romain. » L’élu est de droit pontife, ou « sacerdos » (prêtre), même s’il ne l’est pas encore dans les faits.

-- L’élu est évêque de Rome, avec pleins pouvoirs de juridiction, avant son intronisation officielle. (Ceci, on le sait, est moins vrai des autres évêques).

Adrien V, élu le 10 juillet 1276, décédé le 18 août de la même année, après seulement 39 jours de pontificat sans avoir jamais été couronné ni, par conséquent, intronisé, n’en fit pas moins acte de pontife. Il mit de l’ordre dans la législation ecclésiastique et suspendit les règlementations internes, très sévères, des conclaves édictées par son prédécesseur Grégoire X.

-- Le pape est chef de l’Eglise avant son ordination épiscopale éventuelle. Il le serait même avant son baptême si, tel saint Ambroise, il était élu évêque encore catéchumène.

Martin V, élu pape pendant le concile de Constance le 11 novembre 1417 alors qu’il n’était que sous-diacre, fut ordonné diacre le 12 novembre, prêtre le 13 novembre, évêque le 14 novembre des mains du cardinal-évêque d’Ostie, jusque là président ecclésiastique de l’assemblée conciliaire. Martin V sera couronné le 21 novembre suivant. Il n’en fut pas moins considéré dès la première heure comme le chef de l’Eglise.

Grégoire XVI, dernier exemple d’un pape non encore évêque le jour de son élection, fut élu le 2 février 1831 et sacré le 6 février par le cardinal Zurla.  Il dut prendre en main le gouvernement de l’Eglise sans attendre, car la révolte éclatait dans ses Etats, au lendemain même de son élection.

-- On a vu des souverains pontifes gouverner l’Eglise avant leur acceptation formelle de la papauté.

Ainsi Grégoire Ier le Grand, acclamé comme évêque par le peuple unanime et par le clergé, au lendemain du décès de son prédécesseur Pélage II, le 15 janvier 590, ne fut pourtant sacré évêque que le 3 septembre de la même année car il lui fallait obtenir de Constantinople la « jussio » impériale en usage dans ce temps-là. Grégoire, désireux de rester moine, fit tout ce qu’il put pour éviter les honneurs de l’épiscopat, écrivant même des lettres à l’empereur Maurice (qu’il connaissait personnellement) pour lui demander, comme un service, de ne pas souscrire à son élection. Il n’en assuma pas moins, dès le premier jour, la charge de l’Eglise romaine et de la Ville de Rome pour faire face notamment aux cataclysmes qui s’étaient abattus sur les populations : inondations, peste, famines …

-- L’élu devient pape avant d’avoir pris connaissance de son élection, s’il se trouve absent du conclave.

Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, élu au conclave de Pérouse le 5 juin 1305, alors qu’il était en tournée pastorale dans le centre de la France, n’apprit cette nouvelle que le 20 ou 21 juin 1305, à Lusignan près de Poitiers. Rentré aussitôt à Bordeaux, il reçut la délégation officielle du Sacré Collège venue lui présenter le décret de son élection. Il prit alors le nom de Clément V. Pendant quinze jours donc, il avait ignoré qu’il était pape. Pourtant les travaux du conclave étaient suspendus, les cardinaux accouraient vers lui ; et déjà les regards de la chrétienté commençaient à converger sur lui. Il détenait sans le savoir les droits du pontificat.

La situation avait été encore plus typique pour le pape Grégoire X. Elu à Viterbe le 1er septembre 1271, alors qu’il se trouvait à Saint-Jean-Acre en Palestine, il n’apprit son élection que le 23 octobre suivant. Parvenu à Viterbe le 10 février 1272, il fut ordonné prêtre le 19 mars de la même année. Enfin il fit son entrée solennelle à Rome, fut consacré évêque et couronné le 27 mars suivant. Pendant 53 jours il avait ignoré qu’il était pape et, pendant 5 mois, il exerça la papauté sans être ordonné évêque. 

De nos jours, bien entendu, le souverain pontife n’exerce de fait ses pouvoirs qu’après son acceptation. De même il ne pourrait remplir ses fonctions sacerdotales dans leur plénitude qu’après son ordination épiscopale : pour agir en qualité d’évêque, il doit d’abord être évêque. Jean-Paul II, après Paul VI, et dans les mêmes termes que le nouveau code de droit canonique, au numéro 88 de la Constitution dont nous venons de parler, prescrit : « Si l’élu n’a pas le caractère épiscopal, il doit être aussitôt ordonné évêque ».

Pour autant, le conclave est lié par son vote, dès que la majorité requise est atteinte. Il ne pourrait être éventuellement délié que par l’intéressé lui-même, renonçant à son élection, et qui ferait alors acte de souveraineté.

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5°) La consécration épiscopale du pontife romain.

On vient de le voir : la nouvelle Constitution de Jean-Paul II, reprenant d’ailleurs celle de Paul VI, prévoit que le pontife élu, s’il n’est pas évêque, reçoive immédiatement après son acceptation du pontificat l’ordination épiscopale.

Dans le passé, il n’en fut pas toujours ainsi. Ce qui montre bien que cette disposition n’est pas de droit divin, mais seulement de droit ecclésiastique. Et il pourrait ne pas en être ainsi, si l’intéressé lui-même jugeait ne pas devoir être consacré aussi vite. Il aurait l’autorité suffisante pour modifier sur ce point la Constitution établie par son prédécesseur ou, tout simplement, pour ne pas l’appliquer.

La Tradition apostolique de saint Hippolyte (début du IIIe siècle) prévoyait qu’un nouvel évêque, et donc l’évêque de Rome, fût ordonné par l’ensemble des évêques présents, et naturellement en présence de tout le peuple, le dimanche qui suivait l’élection.

Prenons un exemple historique. Didier, abbé du Mont Cassin, pressenti dès le 25 mai 1085 à la mort de Grégoire VII, canoniquement élu pape le 24 mai 1086, n’accepta le pontificat que le 21 mars de l’année suivante, devenant ainsi le pape Victor III ; il fut sacré évêque le 9 mai suivant par Eudes de Châtillon, cardinal-évêque d’Ostie (et futur Urbain II), assisté des cardinaux-évêques de Tusculum, Porto et Albano.

C’est l’évêque d’Ostie, doyen du Sacré Collège, qui est en effet, on le sait, le consécrateur-né des pontifes romains. Peut-être depuis les origines de l’Eglise. Il ne l’est cependant pas en vertu du droit divin, mais seulement en vertu d’un droit ecclésiastique. En cas d’absence, il peut être remplacé. La Constitution de Jean-Paul II se conforme sur tous ces points à l’usage antique. (Cf. n° 90).

Conformément aussi à l’usage antique, la consécration épiscopale du pontife romain doit s’accomplir solennellement (cf. n° 89) et à la manière de l’Eglise (more Ecclesiae, cf. n° 90). C’est-à-dire que le doyen du Sacré Collège se fera assister de deux autres évêques au moins, pour obéir aux prescriptions du concile de Nicée.

L’évêque élu de Rome a, bien entendu, un droit strict non seulement à la pleine juridiction, mais encore à la consécration épiscopale, que personne ne peut lui refuser. Non seulement en vertu de la Constitution de Jean-Paul II (cf. n° 88), mais de droit divin, c’est-à-dire depuis la fondation de l’Eglise.

Dans l’antiquité chrétienne, il arrivait que le pontife élu, simple diacre, fût ordonné « per saltum », sans être au préalable ordonné prêtre. Ainsi saint Léon, diacre de l’Eglise romaine, élu pape alors qu’il se trouvait en Gaule, envoyé en mission diplomatique par son prédécesseur, reçut la consécration épiscopale dès son retour à Rome, le 29 septembre de l’an 440.

De nos jours, les papes sont toujours évêques au moment de leur accession, puisqu’ils sont choisis, sans qu’il y ait là d’obligation, parmi des cardinaux qui eux-mêmes sont évêques.

Quels sont les effets de la consécration épiscopale pour le nouvel évêque de Rome ? Les mêmes que pour tout autre évêque, sauf qu’ils intéressent l’accomplissement d’un pastorat universel.

De par son élection, et par l’acceptation de celle-ci, l’évêque élu de Rome possède en droit et en fait la plénitude de la juridiction, avec la liberté de l’exercer. La Constitution de Jean-Paul II le marque expressément au numéro 91 : dès cet instant, il peut être approché par les responsables venus lui demander ses instructions, en même temps sans doute qu’il reçoit d’eux leurs félicitations.

Cependant la consécration épiscopale lui est nécessaire (s’il ne l’a pas encore reçue) pour exercer pleinement son ministère universel. Non seulement pour acquérir les pouvoirs sacerdotaux inhérents au sacrement de l’ordre (sans la consécration épiscopale en effet le souverain pontife ne pourrait ordonner ni les diacres, ni les prêtres, ni les évêques) ; mais encore pour s’acquitter avec fruit de sa charge pastorale. Ce que le concile Vatican a défini de tout évêque, dans Lumen Gentium, s’entend éminemment et d’abord de l’évêque de Rome : « La consécration épiscopale, en même temps que la charge de sanctifier, confère aussi des charges d’enseigner et de gouverner […] de telle sorte que les évêques, d’une façon éminente et visible, tiennent la place du Christ lui-même, Maître, Pasteur et Pontife, et jouent son rôle. »  (N° 21).

Par l’élection (de droit) et par l’acceptation (de fait) le pontife romain possède la charge du pastorat. Mais c’est seulement par la consécration qu’il acquiert la grâce, ou la force, ou le charisme  (pourrait-on dire), de l’exercer. C’est seulement par la consécration que le nouvel élu est pleinement habilité d’en haut à remplir sa fonction, qu’il en devient capable surnaturellement.

Comme celle de tout évêque, mais à un degré particulier, la fonction papale est une fonction sacrée, qui de soi fait du titulaire un saint, même si l’homme reste par ailleurs faible et pécheur.

L’exemple de l’évêque de Rome nous le démontre : la consécration épiscopale possède une virtualité quasi infinie, puisqu’elle est susceptible de coïncider avec une juridiction universelle …

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6°) L’intronisation du pontife romain, son inauguration, ou son couronnement.

En vertu du droit canonique en vigueur dans l’Eglise latine, mais aussi en vertu d’un droit ancestral et coutumier de l’Eglise en général, les évêques ordinaires n’accèdent à une juridiction entière et effective, sur leur diocèse, qu’au moment de leur installation, ou prise de fonction, manifestée par la cérémonie liturgique de l’intronisation, on dirait plutôt, aujourd’hui, l’inauguration.

On sait qu’il n’en est pas de même pour les papes puisque ceux-ci, dès le principe, possèdent le droit d’accomplir sans entraves une pleine juridiction. Cependant les pontifes romains eux-mêmes tiennent à marquer le début de leur pontificat, ou de leur règne, par une cérémonie solennelle que naguère on appelait le couronnement et qu’on nomme aujourd’hui l’inauguration. (Cf. Universi Dominici Gregis, n° 92). C’est alors qu’ils prennent ostensiblement, devant le peuple (coram populo), possession de leur trône ou de leur chaire épiscopale.

Cette cérémonie paraît d’autant plus utile dans les temps modernes que les papes, le plus souvent, sont évêques au moment de leur accession au siège de Pierre. Ils n’ont donc pas besoin d’être sacrés solennellement dans leur cathédrale. L’intronisation tient lieu de cérémonie du sacre pour qu’ils puissent recevoir l’adhésion et les acclamations liturgiques du peuple chrétien.

 Il est notoire que les papes, depuis le moyen âge et ceci jusqu’au concile Vatican II, dataient le début de leur règne du jour de leur couronnement dont ils fêtaient l’anniversaire. Depuis le concile, les papes fêtent l’anniversaire, non pas de leur inauguration, mais de leur élection.

Dans l’antiquité, l’intronisation des pontifes romains coïncidait avec leur sacre épiscopal, qu’ils appelaient leur « natale », le jour de leur naissance (à l’épiscopat). A l’anniversaire de ce jour, ils réunissaient souvent un synode des évêques de la province romaine, dans lequel ils pouvaient prendre des décisions importantes pour la vie de l’Eglise.

Au Moyen Age le couronnement des papes, à l’imitation de celui des rois, a été organisé progressivement. Dans l’Ordo romain, on trouve les premières prières pour le couronnement d’un pape à partir d’Innocent III (1198-1216). La tiare conique traditionnelle des pontifes romains, d’abord ornée d’un simple galon doré, a été enchâssée dans une couronne de métal précieux sous le pontificat de Nicolas III (1277-1280). Cette couronne est devenue une double couronne à partir de Boniface VIII (1294-1303) et une triple couronne à partir de Clément V (1305-1314) et des papes d’Avignon. Il semble bien que la première tiare à triple couronne (trirègne), confectionnée par un joaillier français, ait été offerte au pape Clément V par le roi de France Philippe le Bel, à l’occasion du couronnement du pape à Lyon, ville d’Empire et limitrophe, à l’époque, du Royaume de France.

Depuis, la tiare à triple couronne (à laquelle on a attribué différentes significations symboliques) est devenue l’emblème de la papauté. Elle le reste encore, au moins dans l’héraldique, et dans les en-têtes des lettres pontificales.

Paul VI ayant renoncé à porter la tiare, la cérémonie du couronnement a été remplacée, depuis le pape éphémère Jean-Paul Ier (1978), par celle de l’inauguration.

Devant les caméras de télévision du monde entier, les papes reçoivent le dernier hommage du Sacré Collège, auquel ils donnent congé. On les revêt, non plus de la tiare, mais seulement de l’antique pallium, bande d’étoffe de laine blanche, ornée de croix noires en usage, semble-t-il, depuis le pape saint Marc (336). Le pallium, dont sont honorés aussi les archevêques, symbolise pour eux leur union indéfectible avec le siège de Rome.

Puisque depuis longtemps, en fait depuis le temps de leur exil en Avignon, les pontifes romains ne sont plus sacrés, ou intronisés, dans leur cathédrale, qui est le Latran, ils prennent possession dans un délai raisonnable, par eux-mêmes ou, quand ils en sont empêchés, par procurateur de l’antique basilique patriarcale de Saint-Jean de Latran. (Cf. N° 92 de la Constitution Universi Dominici Gregis). Cette cérémonie correspond, si l’on veut, à l’intronisation proprement dite, puisque la chaire épiscopale de Rome, la cathèdre du pape, se trouve au Latran depuis le temps de l’empereur Constantin. Bien que de simple institution ecclésiastique, et non pas divine, le lieu du siège propre du pape n’a jamais été canoniquement transféré, alors qu’il aurait pu l’être. (Le titre d’évêque de Rome est de droit divin ; mais non pas le lieu précis du siège dans Rome.)

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7°) La constitution divine de l’Eglise pendant la vacance du siège apostolique.

La plus longue vacance du Siège apostolique intervint pendant la persécution de Dioclétien. Du fait de cette persécution, le pape Marcellin, mort martyr le 25 octobre 304, ne fut remplacé que le 27 mai 308 par le pape Marcel, selon le Liber Pontificalis, soit 3 ans et 7 mois de vacance du Siège.

La plus longue vacance, en dehors des temps de persécution, intervint au cours du second millénaire. Après le décès du pape Clément IV, survenu à Viterbe le 29 novembre 1268, son successeur, Grégoire X, ne fut élu que le 1er septembre 1271, soit une vacance de 2 ans et 9 mois. On se souvient de l’exaspération qui s’empara des habitants de Viterbe, qui enlevèrent la toiture du palais des papes et mirent les cardinaux au pain sec et à l’eau. Ces incidents amenèrent, on le sait, une réglementation plus sévère des conclaves, promulguée au 14e concile œcuménique, Lyon, 1274.

A la mort de Clément V, le 20 avril 1314, le conclave réuni dans le palais épiscopal de Carpentras, siège provisoire de la papauté, fut dispersé par une émeute après quelques temps de délibérations. Les cardinaux, réunis à grand peine dans la ville de Lyon après de longs mois de pourparlers, n’élurent le pape Jean XXII que le 7 août 1316, soit après une vacance de 2 ans et 3 mois.

Grégoire XII, démissionnaire, on l’a vu, par procuration au sein du concile œcuménique de Constance le 4 juillet 1415, ne trouva un successeur en la personne de Martin V que le 11 novembre 1417, soit après une vacance de 2 ans et 4 mois.

Plus près de nous, Pie VI mort en exil à Valence en France le 29 août 1799 ne serait remplacé au conclave de Venise, par Pie VII, que le 14 mars 1800 : 6 mois et demi d’interrègne.

On s’en rend compte par ces exemples, les vacances du Siège apostolique occupent une place importante dans l’histoire de l’Eglise. Rien par ailleurs ne garantit, dans la constitution divine de l’Eglise, que des intérims plus longs encore ne puissent survenir. On a vu des patriarcats orientaux, dont le fonctionnement ecclésiastique est assez semblable à celui du Saint-Siège, connaître des vacances de l’ordre d’un siècle et demi, par suite de diverses vicissitudes historiques. (Le patriarcat melkite d’Antioche, aux VIIe et VIIIe siècle). 

Un temps de vacance du pontificat suprême est par ailleurs incompressible et, on pourrait le dire, implicitement inscrit dans la constitution divine de l’Eglise. D’abord parce que les pontifes sont mortels, ou même peuvent démissionner comme cela est prévu formellement dans le nouveau Code de droit canonique et comme cela a été affirmé solennellement, en 1294, par le pape Célestin V sur le point de déposer la charge suprême. Quand le pontife est mort (ou démissionnaire) un temps plus ou moins long est nécessaire pour le remplacer. Un temps de vacance obligatoire peut même être décrété par les papes. Ainsi en l’an 1058, le pape Etienne IX, mourant, donna l’ordre de surseoir à l’élection de son successeur jusqu’au retour d’Allemagne du moine Hildebrand, dépêché auprès de l’impératrice régente Agnès. Depuis Pie XI en 1922, et cela est maintenu dans la Constitution de Jean-Paul II, les cardinaux doivent patienter au moins quinze jours (vingt jours, au plus) avant d’entrer en conclave et donc de commencer la procédure des votes. (N° 37).

Les faits qui précèdent sont patents. Ils méritent par conséquent une étude théologique. Ne peut-on pas se demander d’un point de vue théologique, donc, ou encore canonique, quels sont les principes qui régissent la divine constitution de l’Eglise pendant la vacance du Siège apostolique (de même qu’on a pu le faire, par ailleurs, pour la vacance de tout siège parmi les Eglises particulières), et comment ils s’appliquent. C’est pendant ces périodes d’exception, souvent, qu’on perçoit le mieux les ressorts intimes qui meuvent réellement les institutions.

On connaît la maxime célèbre et antique, encore inscrite dans le droit canonique actuel : « Sede vacante nihil innovetur », le Siège vacant, on ne doit rien innover. On ne doit rien décider tant que le nouveau pape n’est pas élu. Mais un tel axiome se révèle bien difficile à observer quand la vacance se prolonge, et lorsque les problèmes urgents assaillent le gouvernement central de l’Eglise, privé de son chef.

Une chose est sûre : quand le pape est mort, l’Eglise subsiste. L’Eglise visible du Christ demeure, avec ses quatre notes, qui sont l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité. La constitution divine de l’Eglise continue d’agir.

Une tête provisoire, et visible, assume forcément le gouvernement de l’Eglise universelle pendant l’intérim, et maintient sa cohérence. Sinon l’unique troupeau du Christ se disperserait, s’égaillerait en une multitude de bergeries ; la désignation même d’un unique pasteur visible deviendrait aléatoire. L’unité, mais aussi la foi de l’Eglise, mais aussi sa vie sacramentelle, sont préservées pendant la vacance du Siège. Le Christ, pasteur invisible, continue de régir son Eglise, lui qui a promis à ses apôtres et à leurs futurs successeurs : « Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28,20 ; derniers mots du premier évangile).

Le collège épiscopal (de l’univers entier), et même le collège presbytéral (de la ville de Rome), momentanément privés de leur chef, continuent de sauvegarder leur propre unité, de maintenir et d’animer l’Eglise de Dieu. Le Saint Esprit, plus que jamais nécessaire si l’on peut dire, continue d’assister l’Eglise.

Un principe à tenir est que l’Eglise, pendant la vacance du Siège, n’est plus régie par le droit divin, mais seulement par le droit ecclésiastique en cours de validité.

En effet, quand le pape est vivant, il enseigne et conduit l’Eglise en vertu de son autorité apostolique, qu’il tient de Pierre et qui est donc de droit révélé : cela est immuable.

Mais quand le pape est mort, ce sont les dispositions canoniques prises par les conciles ou par les papes, et non révoquées par eux, qui entrent en application. Bien loin d’être immuables, elles peuvent varier considérablement selon les époques, dans des limites toutefois compatibles avec la constitution divine de l’Eglise. Ces dispositions doivent nécessairement préserver l’unité de l’Eglise, et prévoir dans un délai suffisamment bref la nomination du nouveau pasteur, successeur de Pierre, sur le siège de Rome.

Contrairement à ce qu’on peut lire parfois, le personnage principal, pendant la vacance du siège, n’est pas le cardinal camerlingue, mais bien le doyen du Sacré Collège, évêque d’Ostie. C’est lui qui convoque les cardinaux, lui qui préside leurs assemblées et le conclave, lui qui demande le consentement de l’élu, lui qui, éventuellement, le consacre si le nouveau promu n’est pas encore évêque au moment de son avènement.

Mais ce pouvoir du doyen est uniquement de présidence et non pas de juridiction. Le doyen, évêque d’Ostie, ne peut rien sans l’aval des autres cardinaux. Le droit canonique, et spécialement le droit canonique actuel, s’appliquent à minimiser son rôle, l’intitulant : « primus inter pares «, (code de doit canonique), premier entre des égaux, et sans aucun pouvoir de gouvernement sur eux ni, par contrecoup, sur l’Eglise. Il ne faudrait pas en effet que, sous prétexte de vacance du siège, le doyen ne se substituât au pontife.

Le véritable « Chef de l’Etat », le véritable détenteur du pouvoir légitime, pendant la vacance, n’est autre que le Sacré Collège des cardinaux, mais le Collège considéré comme un corps et présidé par son doyen. « Durant la période où le Siège apostolique est vacant, le gouvernement de l’Eglise est confié au Collège des cardinaux seulement pour expédier les affaires courantes ou celles qui ne peuvent être différées […] et pour la préparation de ce qui est nécessaire en vue de l’élection du nouveau Pontife. « (Universi Dominici Gregis. N° 2). « Les congrégations générales des cardinaux se tiendront dans le Palais apostolique du Vatican ou, si les circonstances le demandent, dans un autre lieu que les cardinaux eux-mêmes jugeraient plus adapté. Elles seront présidées par le Doyen du Collège ou, s’il est absent ou légitimement empêché, par le Vice Doyen. » (Id. N° 9).

Le cardinal doyen, évêque d’Ostie, conserve donc un rôle précis et non négligeable. Il sert de point de ralliement aux autres cardinaux. Il incarne et symbolise en quelque façon, en sa personne, l’unité visible de l’Eglise.

Mais il ne l’incarne que sur un mode purement passif et lié, car c’est le Sacré Collège seul qui détient le pouvoir de décision, et encore dans des limites très étroites. Les fonctions attribuées au doyen, évêque d’Ostie, elles-mêmes, ne sont que de droit ecclésiastique et non pas divin : la preuve c’est qu’en cas d’absence il est remplacé, soit par le vice doyen, soit à défaut par le cardinal le plus ancien. Le rôle de l’évêque d’Ostie est cependant traditionnel dans l’Eglise puisqu’il remonte presque aux origines. D’après le Liber Pontificalis, ce serait le pape Marcel (336), le même qui créa le pallium, qui aurait réservé à l’évêque d’Ostie le privilège de sacrer le pontife romain.

Monarchique pendant la vie du pontife, le gouvernement de l’Eglise devient donc provisoirement collégial pendant l’intérim, puisque ce sont les cardinaux, groupés en corps, qui l’exercent.

Le cardinal camerlingue assume au nom du Sacré Collège les pouvoirs d’une sorte de premier ministre. (Il remplace le Secrétaire d’Etat pendant l’interrègne). Sa fonction est plus récente que celle du doyen, puisqu’elle ne remonte guère qu’au temps des papes d’Avignon. A l’origine le camerlingue n’était même pas cardinal, mais simplement camérier, c’est-à-dire ministre des finances du pape, et le responsable de la « Chambre apostolique » (d’où son nom).

Aujourd’hui encore le cardinal camerlingue gère les biens temporels du Saint-Siège pendant la vacance.

C’est lui qui constate officiellement le décès du pape, ouvrant ainsi, canoniquement, le début de l’interrègne.

Il arbore les insignes de la souveraineté, au nom du Sacré Collège.

Il peut battre monnaie et frapper des médailles à son effigie. Il applique à la lettre les dispositions de la Constitution « Sede Vacante » (du siège vacant).

Il organise la préparation matérielle du conclave. Mais il ne peut rien décider d’important sans en référer au collège des cardinaux qui se réunit tous les jours sous la présidence du doyen, ou de son suppléant.

Il gère l’ordonnancement interne du conclave, et veille en particulier à son strict hermétisme.

La récente Constitution de Jean-Paul II a même prévu qu’il intervienne pendant le cours du vote, si au bout de 12 jours le résultat n’est pas encore acquis, pour demander aux cardinaux leur opinion sur la manière de poursuivre la procédure de l’élection. (Cf. N° 75).

Le cardinal camerlingue, enfin, rédige après l’issue du conclave un compte-rendu de tous les scrutins qui sera déposé aux archives secrètes du Vatican. (Cf. N° 71).

On le voit, le cardinal camerlingue tient en mains toute l’intendance du Saint-Siège pendant la vacance, mais sous la responsabilité et la supervision du Sacré Collège, lui-même présidé par son doyen, l’évêque d’Ostie.

Lors du conclave assemblé hors de Rome, à Venise, en 1799-1800, le cardinal camerlingue n’apparut pratiquement pas. Ce fut le  cardinal doyen, Albani, qui assuma la charge de tout l’interrègne, en plein accord du reste avec les cardinaux, jusqu’à traiter avec les souverains temporels. Aujourd’hui encore la Constitution de Jean-Paul II (cf. N° 19) stipule qu’il appartient au doyen de correspondre avec les chefs d’Etat étrangers. Ce qui définit bien la répartition des tâches qui s’instaure entre le doyen et le camerlingue.

On pourrait se demander en terminant quel serait le droit naturel et spontané, s’il n’existait aucune disposition canonique positive pour assurer la succession du pontife.

L’évêque étant mort, la responsabilité de l’Eglise revient, sauf disposition contraire, à son presbyterium, ici donc au presbyterium de l’Eglise romaine, sous la présidence du plus ancien des prêtres (par l’ordination, et non par l’âge).

Mais dans le droit actuel de l’Eglise, l’évêque d’Ostie, intégré au clergé romain par son titre de cardinal de la Sainte Eglise romaine, fait fonction de premier des prêtres. C’est pourquoi, à la mort du pape, il devient tout naturellement le président provisoire de ce collège presbytéral, et le président des assemblées électorales qui vont élire le nouveau pontife. En outre, en sa qualité d’évêque, il peut sacrer le nouveau pape, si besoin est.

Le collège des cardinaux, rappelons-le, tient lieu à la fois de collège presbytéral, et même diaconal, de la ville de Rome, avec ses cardinaux prêtres et diacres, de synode épiscopal de la province romaine, avec les cardinaux suburbicaires. De plus, aujourd’hui, étant exclusivement composé d’évêques choisis dans le monde entier, il fait fonction de concile romain élargi. 

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8°) Conclusion sur la primauté romaine, et transition vers la suite.

La monarchie épiscopale, qui est inhérente à l’institution divine : « Il y aura un seul troupeau, un seul pasteur », Jn 10,16), s’applique au plan local, dans les Eglises particulières, par l’intermédiaire des évêques locaux. Elle s’applique au plan universel par le truchement de l’évêque de Rome, successeur de saint Pierre, vicaire de Jésus-Christ, « Evêque de l’Eglise catholique » selon les termes employés par Paul VI pour promulguer les constitutions du concile.

Le propre de l’évêque, avons-nous répété, c’est d’être unique. Mais ceci s’entend avant tout de la juridiction épiscopale, non du sacerdoce. En tant que prêtres (sacerdotes, hiéreis), les évêques forment un collège d’égaux, successeur du collège d’égaux qu’étaient à cet égard les apôtres, indépendamment de la primauté pétrinienne qui était déjà une primauté dans la juridiction, non dans le sacerdoce. Mais en tant que pasteurs, ou chefs, ils redeviennent inégaux, et subordonnés les uns aux autres.

Monarchie universelle (la papauté) et monarchies locales (les diocèses, les éparchies, les patriarcats, les vicariats apostoliques, les prélatures …) sont toutes d’institution divine, au moins dans leur principe, mais pas forcément dans leur réalité concrète : car les apôtres n’ont pas fondé, loin de là, toutes les Eglises particulières. Ils ont fondé l’Eglise romaine et quelques autres : Antioche, Alexandrie, Ephèse, Thessalonique, Corinthe...

Quant à l’existence de chaque Eglise particulière prise une à une, l’étendue et les modalités de sa juridiction, elles sont réglées non par le droit divin mais seulement par le droit ecclésiastique.

Entre la monarchie universelle du pape et les monarchies locales des simples évêques diocésains, on peut discerner tout un échelonnement de monarchies intermédiaires dont les titulatures ont pu varier, ou peuvent encore varier, selon les temps ou selon les rites, et dont les juridictions peuvent s’exercer selon des modalités très diverses : patriarches, primats, archevêques, métropolites ou métropolitains, présidents d’assemblées épiscopales etc.…         

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