V . 3 . Le pouvoir pastoral des évêques

Retour au plan : THEOLOGIE DE L'EPISCOPAT

Chapitre précédent

Chapitre suivant

 

1°) L’exercice du magistère épiscopal.

2°) La sanctification de l’Eglise.

3°) Le gouvernement épiscopal.

Conclusion de ce chapitre.

On entend le mot « pastoral » dans son sens obvie : ce qui est propre aux ministres du culte en tant qu’ils ont charge d’âmes. Sens que le second concile du Vatican a abondamment illustré dans nombre de ses constitutions.

Le pouvoir pastoral inclut donc lui aussi toute l’activité de l’évêque, mais en tant qu’il gouverne les âmes. Ce pouvoir pastoral est intimement lié à la juridiction. Il désigne le mandat de l’évêque en tant qu’il détient la juridiction sur un diocèse déterminé, sur une portion particulière du peuple de Dieu ; en tant que ledit évêque est investi d’une fonction effective (et non pas fictive) dans l’Eglise de Dieu.

La consécration épiscopale, on l’a vu, crée le pasteur, lequel est l’image du Christ, mais elle ne lui confie pas par elle-même des brebis. L’investiture canonique, inversement, ne crée certainement pas le pasteur, mais elle lui confie les brebis. Ces deux aspects du ministère épiscopal sont donc complémentaires. Ils ne vont pas normalement l’un sans l’autre. Ils adviennent d’ailleurs dans la suite logique de la titularisation, ou élection, qui donne vocation à l’un et à l’autre. On est contraint cependant, intellectuellement, de les distinguer pour les besoins de l’analyse.

Le titre, l’ordre, la juridiction, représentent donc trois sources distinctes – certes toutes les trois d’origine évangélique – d’un même ministère épiscopal, lequel se situe dans la continuité du ministère apostolique.

La titulature désigne le pilote de l’Eglise et définit sa mission. Le sacerdoce lui concède d’en haut les moyens surnaturels de remplir cette mission. Tandis que le pastorat, ou le mandat, lui met en mains l’exercice effectif de sa charge.

Le nouvel évêque est investi normalement de sa juridiction le jour de sa prise de possession du siège. C’est ce qu’on nommait autrefois l’intronisation. Notons qu’il pouvait être procédé par l’intermédiaire d’un procurateur. Le plus fréquemment de nos jours le nouveau pontife se voit investi de sa charge le jour même de son sacre, et pendant le cours de la cérémonie. Mais lorsqu’il y a  transfert d’un siège à un autre, les deux séances, de consécration et d’intronisation  (ou prise de fonction), sont forcément distinctes, à la fois dans le temps et dans l’espace, étant donné que l’évêque transféré n’a pas besoin d’être réordonné.

Supposons maintenant le nouvel évêque réellement installé sur son siège. Quelles vont être désormais ses attributions ? Comment allons-nous décrire ses fonctions ?

Le concile Vatican II  (cf. décret Christus Dominus, 11), se conformant d’ailleurs à l’usage à la fois traditionnel et logique, distribue sous trois rubriques les charges qui incombent à l’évêque dans son diocèse (ou dans sa circonscription) du fait de son pouvoir pastoral : des charges d’enseignement ( le magistère), des charges de sanctification (la mise en œuvre des sacrements de l’Eglise), des charges de gouvernement (la régie de ses subordonnés et de son peuple).

Retour à l’en-tête

1°) L’exercice du magistère épiscopal.

Les apôtres furent « envoyés » d’abord pour témoigner de la résurrection du Christ. « Il faut donc que, de ces hommes qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, en commençant au baptême de Jean jusqu’au jour où il nous fut enlevé, il y en ait un qui devienne avec nous témoin de sa résurrection. » (Ac 1,21-22). Voilà ce que déclarait Pierre au moment de présider à l’élection de celui qui allait devenir l’apôtre Thomas.

De même les successeurs des apôtres ont la charge, avant tout, d’évangéliser et d’enseigner les peuples confiés à leur vigilance. On doit les regarder comme ces « prophètes, ou encore évangélistes, ou bien bergers (poiménas) et didascales » dont parlait saint Paul (cf. Ep 4,11). Ou mieux encore comme les chefs de ces didascales, si l’on assimile les didascales aux presbytres (cf. 1 Tm 5,17 : « Les prêtres qui président bien méritent un double honneur, surtout ceux qui peinent à la parole et à l’enseignement [la didascalie]. ») Les évêques gardent le dépôt du kérygme de la foi ; ce kérygme étant la première annonce de l’évangile à ceux qui ne le connaissent pas encore. Ils doivent veiller aussi au maintien, au développement de cette foi au sein de l’Eglise. Docteurs (selon le latin), didascales (selon le grec), non seulement ils ont en charge la proclamation de la doctrine, mais encore ils doivent être considérés comme des maîtres, comme des experts, en ce domaine. Et c’est à eux que l’on doit se référer en cas de litige sur l’interprétation.

L’enseignement collectif et unanime des évêques, ce qu’on appelle leur enseignement ordinaire, participe certainement, en matières de foi et de morale proprement dites, de l’infaillibilité dont le Christ a voulu doter son Eglise. Et cette infaillibilité s’exprime encore plus clairement quand les évêques sont réunis en concile œcuménique dans l’union avec la chaire de Pierre. Selon la doctrine catholique, l’évêque de Rome, quand il parle es qualité, avec le dessein explicite d’engager définitivement l’Eglise universelle, dans le domaine de la foi et de la morale, jouit lui aussi de cette infaillibilité dont le Christ a voulu doter son Eglise. On appelle enseignement extraordinaire ces définitions de foi des conciles œcuméniques, ou du pontife romain.

Selon Vatican II, l’infaillibilité de l’Eglise « s’étend aussi loin que le dépôt lui-même de la Révélation divine à conserver saintement et à exposer fidèlement. » (Lumen Gentium, 25).

C’est dire que, la révélation étant définitivement close depuis la mort du dernier apôtre, l’Eglise a reçu non seulement le mandat mais le charisme de la conserver intacte et de l’exposer avec clarté. L’infaillibilité s’étend donc un peu plus loin que le dépôt lui-même : de manière à assurer sa transmission intégrale à travers les âges, et son exposition parfaite à tous les hommes. Non seulement l’Eglise ne peut rien ajouter à la révélation, mais elle n’en peut rien retrancher et elle n’en peut rien dissimuler. La révélation étant destinée à l’humanité entière, l’Eglise hiérarchique n’est que son canal. Le concile Vatican I professait déjà cette doctrine à propos de l’infaillibilité ex cathedra du pape seul : « Car le Saint-Esprit n’a pas été promis aux successeurs de Pierre pour qu’ils fassent connaître, sous sa révélation, une nouvelle doctrine, mais pour qu’avec son assistance ils gardent saintement et exposent fidèlement la révélation transmise par les apôtres, c’est-à-dire le dépôt de la foi. » (DZ 1836). Ce qui est vrai du pape seul, l’est a fortiori des évêques pris collégialement.

On pourrait d’ailleurs se demander sur quels textes scripturaires s’appuie cette doctrine catholique de l’infaillibilité ecclésiale.

« Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l’Hadès ne tiendront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié. »  (Mt 16,18-19).

« Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils Et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde. »  (Mt 28,19-20).

« J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères. » (Lc 22,32).

« Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet, pour être avec vous à jamais, l’Esprit de Vérité. »  (Jn 14,16-17).

« Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité toute entière. » (Jn 16,13).

« Garde le bon dépôt avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous. »  (2 Tm 1,14).

On en juge d’après ce florilège impressionnant : l’Esprit est le principal agent de l’indéfectibilité de la foi, les responsables de l’Eglise n’étant que ses instruments.

A l’intérieur de l’Eglise locale, diocésaine, la vigilance de l’évêque peut s’exercer sur tous les aspectes de l’enseignement chrétien : la catéchèse, l’enseignement scolaire et universitaire, l’enseignement destiné aux adultes, mais surtout la prédication. C’est par l’eucharistie que s’édifie principalement le corps du Christ, et c’est par l’homélie au cours de l’eucharistie qu’est principalement nourrie la foi des fidèles. L’évêque dirige cette annonce de la parole. Il s’en charge lui-même, ou il désigne tel ou tel prêtre, ou tel ou tel diacre pour l’assurer. Il peut même faire appel à des laïcs comme lecteurs ou pour leur demander d’apporter leur témoignage. De toutes façons les prêtres ou les divers responsables qu’il délègue à la direction des cellules infra-diocésaines : paroisses et autres communautés, sont chargés ex officio de prêcher en ses lieu et place. On sait que dans la primitive Eglise les évêques assumaient pratiquement seuls le service de la parole.

L’évêque enfin est le responsable de la diffusion du message chrétien à l’extérieur de l’immédiate communauté ecclésiale. Il utilise pour ce faire toutes les compétences, et il se sert de tous les moyens honnêtes qui peuvent être mis à sa disposition. L’écho de la voix du Christ doit retentir dans toutes les vallées, et ce qu’on a entendu dans le creux de l’oreille (la révélation) doit être proclamé sur tous les toits : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le au grand jour ; et ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits. » (Mt 10,27).

Jamais le pape n’est plus évêque, successeur des apôtres, héraut de la foi, que quand il annonce, le matin de Pâques, du haut de la loggia de Saint-Pierre : « Le Christ est ressuscité ! »

Retour à l'en-tête                 

2°) La sanctification de l’Eglise.

Les évêques ont le devoir de sanctifier l’Eglise de Dieu. Ils le font par la mise en pratique des divers sacrements qui leur ont été confiés par l’ordination. Ils exercent alors dans leur éparchie, mais aussi au dehors, au profit de tous les fidèles, les pouvoir d’ordre qui leur ont été remis par l’imposition des mains et qui proviennent, à travers les apôtres et grâce à la succession apostolique, du Christ lui-même. Les évêques baptisent, confirment, absolvent ; ils président l’eucharistie ; ils oignent les malades ; ils imposent les mains aux nouveaux clercs ; ils bénissent les mariages des fidèles. Mais, comme nous l’avons établi antérieurement, seule l’imposition des mains aux évêques, aux prêtres et aux diacres leur est réservée exclusivement, et réservée, semble-t-il, de droit divin, bien que ce point ne soit pas expressément défini par le magistère. Leur est strictement réservée aussi,  par les canons ecclésiastiques,  la bénédiction des saintes huiles qui se fait le jeudi saint, huiles qui  servent aux sacrements de baptême, de confirmation, d’onction des malades et d’ordre, ainsi qu’à différents sacramentaux comme la consécration des autels, ou des églises. Dans les communautés de rite oriental, la préparation comme la bénédiction des saintes huiles sont réservées le plus souvent au patriarche. Dans certaines obédiences, même, le patriarche ne confectionne les huiles saintes que tous les sept ou huit ans.

Tout dans la vie sacramentelle de l’Eglise s’ordonne autour de l’eucharistie qui est le sacrement à la fois majeur et central. Les autres sacrements confèrent la grâce. L’eucharistie contient l’auteur de la grâce. Tous les sacrements s’ordonnent autour de l’eucharistie dont ils sont en quelque sorte comme le préambule, ou la conséquence. Le baptême et la pénitence permettent l’accès à l’eucharistie. La confirmation (ou chrismation) parachève l’initiation chrétienne, elle rend adulte le chrétien qui participe à la messe ; elle lui donne en même temps le courage de témoigner au dehors de sa foi. L’ordre prépare de nouveaux ministres pour l’eucharistie, tandis que le mariage est orienté vers l’accroissement du peuple de Dieu et le renouvellement des générations. L’onction des malades, enfin, soit guérit les malades pour qu’ils rejoignent au plus vite l’assemblée chrétienne, soit, si leur temps est venu, elle les rend aptes à participer à l’eucharistie éternelle !

L’évêque préside au déploiement harmonieux de toute cette activité sacramentelle, car c’est lui qui reste le maître d’œuvre de la construction ecclésiale. Mais il le fait surtout en assumant lui-même la présidence de la synaxe eucharistique, présidence qui - de facto et de jure – apparaît comme son rôle essentiel. L’évêque est pour l’eucharistie, comme l’eucharistie est par l’évêque, ou grâce à lui.

Toute eucharistie est célébrée par l’évêque, ou au nom de l’évêque, et son nom doit toujours être prononcé pendant l’office. Dans les patriarcats d’Orient, on cite en plus le nom du patriarche. Et dans toute l’Eglise catholique, on fait mention du nom de l’évêque de Rome, symbole et facteur d’unité.

En sus des sacrements proprement dits, l’évêque a l’usage des sacramentaux, anciens ou modernes, avoués ou implicites, traditionnels ou improvisés. L’évêque bénit, l’évêque consacre les personnes et les objets, l’évêque prie et rend grâces. Il se tient comme le souverain prêtre agissant au milieu de son peuple. Il devient de ce fait le modèle et le maître de la prière parmi les chrétiens, et tous doivent le regarder comme tenant la place du Christ.

Retour à l'en-tête

3°) Le gouvernement épiscopal.

Du fait de sa vocation dans l’Eglise, une vocation de pasteur et de chef (« poimên », cf. Ep 4,11 ; « hêgoumên », cf. He 13,7), outre ses fonctions magistrales et sacerdotales proprement dites, l’évêque a la tâche plus large encore de régir et gouverner le peuple de Dieu sur toute l’étendue de sa juridiction. Cette régence et ce gouvernement s’entendent plutôt aujourd’hui de l’administration d’ensemble de l’Eglise concernée.

L’évêque dispose d’une juridiction de nature ecclésiastique ou religieuse, laquelle s’exerce dans le domaine religieux et non pas, de soi, dans le domaine civil ou politique, bien que puissent survenir des phénomènes de suppléance, ou même d’empiétement.

Bien loin d’être adventice, ou secondaire, cette fonction de gouvernement est affirmée, voire soulignée, avec force dans les Ecritures. « Il faut donc que l’évêque soit irréprochable […] sachant bien diriger sa propre maison […]. Car si quelqu’un ne sait pas diriger sa propre maison, comment prendra-t-il soin de l’Eglise de Dieu ? »  (1 Tm 3,2.4.5). « L’évêque, en effet, en effet en sa qualité d’intendant de Dieu, doit être irréprochable. » (Tt 1,7). Ou encore, dans la parénèse de l’épître aux Hébreux : « Obéissez à vos chefs [hêgoumenois] et soyez-leur dociles, car ils veillent sur vos âmes, comme devant en rendre compte. » (He 13,17).

L’évêque est l’économe de l’Eglise, laquelle est la maison de Dieu : quelle soit l’église bâtiment de pierre ou l’Eglise communauté des croyants. L’évêque gère ses intérêts tant matériels  que spirituels : les intérêts matériels en priorité avec l’assistance des diacres, chargés du service des tables (d’après Ac 6, 2-3) ; les intérêts spirituels avec la collaboration ou, le cas échéant, la suppléance des prêtres (cf. 1 Tm 5,17 ; 1 P 5,1-2).

Le gouvernement épiscopal revêt un aspect législatif, un aspect exécutif ou administratif, enfin un aspect judiciaire. Car dans le domaine spirituel il n’existe pas de séparation des pouvoirs.

a)  La législation épiscopale.

L’autorité suprême dans l’Eglise, pape ou concile, édicte des lois valables pour le monde entier, ou pour des portions considérables du peuple de Dieu, telles que l’Eglise latine ou les Eglises d’Orient. La législation ecclésiastique suprême ne reconnaît pour normes que le droit divin, la révélation même, et bien entendu les droits de l’homme qu’elle doit aussi sauvegarder.

Les autres instances subordonnées, par exemple les évêques diocésains, portent des lois valables pour leur circonscription, territoriale ou non territoriale. Ces autres instances, quant à elles, sont soumises non seulement au droit divin, mais encore au droit ecclésiastique en vigueur, promulgué par les autorités universelles ou même régionales (par exemple un patriarcat) qu’elles ne font qu’appliquer   ou moduler. Certaines fois elles peuvent en dispenser si le cas est formellement prévu.

b)  L’exécutif épiscopal.

L’évêque administre l’Eglise dont il a la charge.

Les évêques supérieurs, tels que le pape assisté de ses conseils, ou tels que les patriarches orientaux entourés de leur synode, gouvernent journellement l’Eglise dont ils sont responsables. Ils nomment à tous les postes dont ils se sont réservés l’attribution. On sait que dans l’Eglise romaine, le pape nomme tous les évêques, ou au moins entérine leur élection, et ceci sans aucune restriction depuis le concile Vatican II. (Cf. le décret Christus Dominus, 20).

Quant à lui, l’évêque diocésain organise la vie catéchétique, intellectuelle ou spirituelle de son Eglise particulière ; sa vie liturgique, sa vie caritative, son activité missionnaire ; la gestion matérielle des biens appartenant à l’Eglise, le secrétariat central de l’évêché, sans oublier le service d’archives  ou même la bibliothèque. L’ordinaire du lieu, l’évêque donc ou son suppléant, pourvoit aux principaux postes de son Eglise. Il désigne pour commencer ses principaux adjoints, qu’on appelle dans l’Eglise latine les vicaires généraux ou épiscopaux, ou encore les délégués diocésains. Il nomme les responsables des paroisses, ou des secteurs, ou des communautés de base. L’évêque donne ses consignes à ses subordonnés et ses instructions pour régler les cas particuliers.

Mais il le fait toujours dans l’application du droit canonique en vigueur, lequel peut comporter pour lui de sérieuses restrictions, et dans l’obéissance aux instances suprêmes de l’Eglise. De plus en plus aujourd’hui les évêques gèrent leur diocèse en lien étroit avec l’assemblée épiscopale régionale dont ils sont membres.

Bien entendu l’évêque est le gestionnaire né du presbyterium et du collège des diacres. A lui revient en priorité la responsabilité de la vocation des prêtres et des diacres, de leur formation, de leur ordination, de leur affectation et de leur direction, tant spirituelle que pastorale. Il lui revient même de prendre soin de leurs besoins matériels, de leur santé, et de leur assurer le moment venu une retraite décente.

Mais l’évêque a le devoir de veiller spécialement sur les plus pauvres et les plus démunis, à l’exemple du divin fondateur de l’Eglise même ; les marginaux qui se rencontrent soit dans l’Eglise, soit à l’extérieur de l’Eglise, ceux qu’on nomme aujourd’hui les exclus de la société. Le soin assidu assuré aux prisonniers, aux malades, aux mourants, fait partie des attributions prioritaires de l’évêque.

On s’en rend compte à la lecture de ces énumérations, l’activité de l’évêque est d’abord une activité de service, car l’évêque est le remplaçant du Christ qui s’est premièrement voulu serviteur et qui a expressément demandé aux chefs et aux responsables de son Eglise d’agir dans un esprit de service. (Cf. Mt 20,26-28 ; Jn 13,13-15).

Enfin l’évêque devient le représentant attitré de son Eglise particulière ou éparchie, tant auprès des instances supérieures, régionales ou universelles, de l’Eglise, que dans le monde, et d’abord à l’égard des autorités civiles. Il est le porte-parole naturel de l’Eglise. Il parle, il agit en son nom.

En un mot, l’évêque est l’animateur né de la vie ecclésiale, et ceci à tous les échelons. Il reste le principal « moteur « (celui qui meut) du « système » (sustêma : ce qui se tient ensemble). On peut le désigner avec un peu de grandiloquence, en se servant d’un vocable d’origine philosophique mais repris par la théologie : « l’hypostase visible » de l’Eglise, tandis que le Christ en serait « l’hypostase invisible ». En d’autres termes, il personnifie l’Eglise, il l’ « incarne », tant au plan local qu’au plan universel. C’est par lui primordialement que le Christ conduit son Eglise. L’évêque agit au nom du Christ. L’évêque est le « vicaire du Christ » (Cf. Vatican II, Lumen Gentium, 27).

c)   La justice   épiscopale.

La juridiction épiscopale inclut nécessairement un volet judiciaire ; dans l’hypothèse contraire on ne pourrait pas l’appeler véritablement une juridiction !

Les sujets, ou justiciables de l’évêque, sont ceux qui appartiennent, en tant que fidèles, à sa circonscription (territoriale ou non territoriale), ceux qui relèvent de son obédience.

A l’échelon suprême de l’Eglise, aussi bien qu’aux échelons intermédiaires : patriarcats, diocèses, il existe des tribunaux présidés par l’évêque ou son délégué, aptes à connaître des litiges qui peuvent surgir dans le domaine ecclésiastique, aptes à punir les coupables qui enfreignent les lois ou les ordres des autorités. Un arsenal de peines est prévu par le droit canonique (quelque soit l’Eglise), peines spirituelles dont la plus grave est l’anathème ou excommunication, peines éventuellement temporelles quand l’Eglise se rencontre liée à la société civile et comme imbriquée en elle. « L’Eglise n’a pas le droit de punir de peines temporelles ceux qui violent ses lois » : proposition condamnée par le pape Pie IX dans l’encyclique Quanta Cura de 1864 (DZ 1697). Il est notoire que les plus nombreuses causes qui se présentent devant les officialités diocésaines surgissent à propos des affaires matrimoniales.

La Cour de Rome se reconnaît un droit d’appel universel. On peut toujours recourir à elle dans un litige d’ordre ecclésiastique.

Les patriarcats orientaux en agissent de même à l’égard de leurs ressortissants.

La cause des saints, au sujet de laquelle l’Eglise se reconnaît le droit de proclamer des bienheureux ou des saints, dignes d’un culte  régional ou universel, relève en quelque sorte de cette compétence judiciaire de l’Eglise. On n’ignore pas que les causes des saints, à Rome et semblablement dans les patriarcats orientaux détachés de Rome, font l’objet de véritables procédures judiciaires.

Retour à l'en-tête

Conclusion de ce chapitre.

Au terme de ce chapitre sur le pouvoir pastoral des évêques, on ne manquera pas de relever que les simples prêtres peuvent les remplacer ou les suppléer en toutes choses, sauf, dans le domaine sacramentel, pour l’ordination des évêques, des prêtres et des diacres, et sauf pour la consécration des saintes huiles. De plus les prêtres assurent l’intérim du gouvernement ecclésiastique. Car enfin l’évêque peut mourir, ou devenir indisponible ; mais la vie de l’Eglise, elle, en particulier sa vie liturgique, ne doit pas subir d’interruption.

Quant à lui, le prêtre possède aussi le sacerdoce du Christ, mais d’une manière liée. Nous nous souvenons de la phrase de Saint Hippolyte de Rome : « Le prêtre, en effet, n’a que le pouvoir de le recevoir, mais il n’a pas le pouvoir de le donner. » (Tradition apostolique, 8).

En cas d’absence ou de décès de l’évêque, les prêtres le suppléent en toutes choses (excepté pour l’ordination des clercs majeurs), ce qui est tout de même considérable. Ils administrent provisoirement l’Eglise en attendant le retour de leur pasteur, ou la désignation du successeur. Ils garantissent la continuité de la vie sacramentelle avec, en tout premier lieu, la présidence de l’eucharistie. Ils assument la vie sociale et caritative de la communauté. Mais, naturellement, ils ne le font que dans le respect du droit ecclésial en place, et dont ils ne sont pas les maîtres.

Car si le pouvoir de l’évêque dans l’Eglise est de droit divin, son intérim, lui, ainsi que la procédure d’élection de son successeur, ne sont réglés que par le droit ecclésiastique. C’est la raison pour laquelle leurs modalités ont pu varier si considérablement au cours de l’histoire.  


Retour à l'en-tête