III . 1 . La titulature épisco­pale

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La titulature officielle actuelle de nos évêques remonte, dans son principe, aux apôtres. Elle prend son origine dans le Nouveau Testament. Le concile de Trente l’enseigne sans ambiguïté : « Aussi le saint Concile déclare, qu’outre les autres ordres de l’Eglise, les évêques, qui succédèrent aux apôtres, appartiennent à titre principal, à cet ordre hiérarchique ; qu’ils ont été ‘placés (comme dit le même Apôtre), par l’Esprit Saint, pour gouverner l’Eglise de Dieu’. » (XXIIIe session. Ch.4. DZ 960).

Ou encore : « Si quelqu’un dit qu’il n’y a pas, dans l’Eglise catholique, une hiérarchie instituée par une disposition divine, composée d’évêques, de prêtres et de ministres, qu’il soit anathème. » (Canon 6 ­ de la même session, DZ 966).

Saint Clément, pape, dans son épître aux Corinthiens (42,5), semble même affirmer que le terme d’ « évêque » aurait été emprunté à l’Ecriture, pour lui l’Ancien Testament. Il veut dire sans doute à la version de la Septante (le texte grec) du prophète Isaïe, où il figure en effet (cf. Is 60, 17 LXX : « J’établirai tes gouverneurs dans la paix et tes surveillants (episkopous) dans la justice »).

Les titres hiérarchiques d’évêques, de prêtres et de diacres remontent effectivement au Nouveau Testament, nous l’avons établi clairement dans le dossier scripturaire du chapitre précédent.

Nos évêques actuels, nos prêtres, nos diacres, sont bien les évêques, les prêtres, les diacres, dont il est parlé dans le Nouveau Testament, et non pas d’autres évêques, d’autres prêtres, d’autres diacres que ceux-ci : le concile de Trente maintient fermement cette doctrine.

Il demeure vrai que dans le Nouveau Testament pris à la lettre, et même dans Saint Clément de Rome, les rôles respectifs de l’évêque et du prêtre ne sont pas parfaitement distingués, si bien qu’on pourrait les confondre.  Certains exégètes en ont déduit, un peu rapidement, que les termes d’ « évêque » et de « prêtre «, au début, étaient synonymes et interchangeables.

Mais une telle conclusion est sans aucun doute erronée. Car à partir du second siècle de notre ère la hiérarchie à trois degrés, évêques, prêtres, diacres, apparaît universellement et immuablement installée. Dès le temps de la dispersion des apôtres, vers 44, l’Eglise en effet s’était rapidement répandue à travers tout le monde connu de l’époque : l’oïkouménê. Or depuis la chute de Jérusalem, en 70, elle avait perdu tout centre effectif de direction. Puisque les Eglises se sont vues dispersées dans toutes les parties du monde à dater des apôtres, il faut bien que ce qu’il y a de commun en elles remonte aux apôtres, en particulier leur constitution hiérarchique.

Certes, on pourrait imaginer une évolution simultanée et de même direction de la hiérarchie dans toutes les Eglises. Mais d’une telle évolution, il ne reste pas la moindre trace ni le moindre indice. De toute façon il est avéré que l’évolution des organismes vivants est toujours divergente.

On pourrait envisager encore une contamination ou une imitation, à partir d’un lieu-phare, par exemple Rome. Mais cette hypothèse non plus ne trouve pas d’appui chez les anciens Pères. Aucun témoignage de ce fait ne subsiste dans la littérature vétérochrétienne. 

Il ressort malgré tout de la discussion que nous venons de mener, que l’évêque succède certes aux apôtres, mais seulement à titre principal et non pas à titre unique. Il n’est que le premier, ou le président, du collège presbytéral qui lui aussi hérite des apôtres. A l’évêque est échue la primauté, mais non pas l’exclusivité de la succession apostolique.

Dans les tous premiers siècles de l’ère chrétienne, la titulature des évêques se résumait dans ce seul titre apostolique, je veux dire d’origine apostolique, d’ « évêque ».

Déchiffrons par exemple la pierre tombale du pape Fabien (236-250), le 20e évêque de Rome ; pierre tombale qui est sise dans la catacombe de Saint Calixte, au sud de la Ville éternelle. Le sépulcre est vide depuis longtemps, car les ossements, comme pour ceux de la plupart des martyrs, ont été rapatriés dans la Ville par crainte des pillages. Mais l’inscription, elle, est antique et authentique. On y lit :

 

Phabianos Episkopos Martus.

Fabien, évêque, martyr.

L’Eglise romaine, à cette haute époque, parlait encore grec. Dans toute la cité on ne rencontrait qu’un seul évêque. D’où son titre : l’ « Evêque », nous dirions aujourd’hui le « pape «. Le déterminatif, ou génitif : « de Rome », ou « des romains », est seulement sous-entendu. L’identité de l’évêque en question ne saurait pourtant faire aucun doute, puisque nous découvrons cette épitaphe dans le cimetière officiel des papes du troisième siècle. Là furent inhumés douze autres pontifes. Le titre officiel d’ « évêque » est seulement marqué d’une manière abrégée : .

       La mention :   

, martus, martyr, est plus tardive.

Avec Fabien, nous sommes en présence de la titulature épiscopale réduite à sa plus simple expression. Et c’est la seule qui soit vraiment d’origine apostolique. Tout ce qui s’y est ajouté dans la suite n’est que le fruit du développement de la tradition ecclésiastique.

A titre de comparaison, collationnons la titulature officielle complète du pontife romain actuel (en ce début du XXIe siècle), 263e successeur de Saint Pierre, le pape Jean-Paul II :

1°)   Titulature honorifique :

Sa Sainteté le pape (ou le Saint-Père)

2°)   Le nom :

Jean-Paul

3°)    Le nombre   ordinal, (ou l’adjectif numéral ordinal) :

         II

(second)

4°) Le titre épiscopal proprement dit, (ou son synonyme) :

évêque

(pontife)

5°) La titulature juridictionnelle, (ou ses synonymes) :

de Rome

(ou romain)

(ou de l’Eglise romaine)

(ou des romains)

(ou de l’Eglise catholique)

6°) La titulature qualificative, (et ses synonymes) :

vicaire de Jésus-Christ

successeur du Prince des apôtres

(ou vicaire de saint Pierre)

(ou successeur de saint Pierre)

7°)   La titulature hiérarchique :

Souverain Pontife de l’Eglise universelle

Patriarche d’Occident

Primat d’Italie

Archevêque et Métropolite de la province romaine

8°) La titulature temporelle

Souverain de l’Etat de la Cité du Vatican

9°) La titulature qualificative additionnelle :

Serviteur des serviteurs de Dieu

En Occident, le mot pape (Père) est réservé à l’évêque de Rome depuis le Ve siècle environ. Les deux lettres « P P » qu’on déchiffre intercalées dans la signature usuelle des papes, « Johannes Paulus PP II », ne signifient nullement : « Pontifex Pontificium », pontife des pontifes, comme on l’a quelques fois suggéré, mais bien :   « Papa », dont elle sont une abréviation. (J’ai relevé personnellement cette inscription sur un monument romain, mots écrits en toutes lettres : « Alexander Papa Sextus »).

En latin les vocables : « episcopus », « pontifex », « antistes », sont exactement synonymes : « episcopus » étant un décalque du grec ; « pontifex » imité de la vieille religion romaine ; « antistes » signifiant Président.

Dans les premiers siècles, on l’a vu, la titulature juridictionnelle était seulement sous-entendue. Elle est pourtant essentielle. On peut soutenir qu’elle-même est d’origine apostolique. Car l’évêque est forcément attaché à une Eglise locale déterminée, à un Siège. Dans le cas très précis de l’évêque de Rome, c’est à cette titulature juridictionnelle qu’est liée la juridiction universelle suprême dans l’ordre ecclésiastique, le mandat pétrinien. Celui qui possède légitimement – par élection régulière, ou canonique – le titre d’évêque de Rome, possède du même coup et immédiatement la plénitude du pouvoir ecclésial, la primatie sur toute l’Eglise.

Le fait qu’elle était autrefois sous-entendue, elle l’est encore on le verra dans le cas des bulles pontificales rédigées en forme ancienne par la chancellerie pontificale, explique le grand nombre de synonymies qu’elle peut revêtir :

-- de Rome,

-- des romains,

-- romain,

-- de l’Eglise romaine,

-- de l’Eglise catholique.

(Paul VI a signé ainsi les décrets du concile Vatican II : « Ego Paulus catholicae Ecclesiae Episcopus », « Moi, Paul, évêque de l’Eglise catholique »).

Pendant le premier millénaire, les souverains pontifes revendiquaient plutôt le qualificatif de « vicaire de Saint Pierre ».  C’est depuis Innocent III (1198-1216) qu’est utilisé, semble-t-il, ce vocable de « vicaire de Jésus-Christ ».

Le pape est reconnu comme le « patriarche d’Occident » depuis les fameuses « Novelles » de l’empereur Justinien (527-565), et sa doctrine officielle sur les cinq patriarcats : Rome, Constantinople, Antioche, Alexandrie, Jérusalem. 

Le pape arbore le titre de « Souverain de l’Etat de la cité du Vatican » depuis la signature des accords du Latran, en 1929.

La formule « Serviteur des serviteurs de Dieu » est usitée chez les papes depuis Saint Grégoire le Grand (590-604). Elle fait figure, pour ainsi dire, de « sésame » personnel.

Dans les bulles officielles, par exemple pour la nomination de nouveaux évêques, pour l’octroi de privilèges concédés à perpétuité, la seule titulature invoquée est celle d’évêque, suivie de la formule grégorienne :

« Johannes Paulus Episcopus Servus Servorum Dei ». « Jean-Paul, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu ».  

Ce libellé s’est maintenu sans changement à travers les âges. Par sa teneur très sobre, très évangélique, il nous transporte presque aux temps apostoliques. Il suggère pourtant que le pape de Rome est l’« Evêque » par excellence, l’évêque des évêques, selon la formule dont usait déjà Tertullien, même si c’était chez lui avec une connotation ironique (cf. De pudicitia I,6).

Prenons d’autres exemples de titulatures épiscopales. Voici qu’elle était la carte de visite d’un évêque français, parmi d’autres, au XVIIIe siècle : 

1°) Titulature honorifique :

Monseigneur l’Illustrissime et Révérendissime

2°) Le nom :

Jean de   Vaugirauld

3°) Titulature qualificative préalable :

Par la miséricorde de Dieu et la grâce du Saint Siège apostolique

4°)   Le titre épiscopal :

évêque

5°)   Titulature juridictionnelle :

d’Angers

6°)   Titulature civile mandatée :

Conseiller de Roi en tous ses Conseils

Nous sommes là dans une Eglise gallicane, jalouse en principe de ses libertés. On remarque cependant la référence expresse au Siège de Rome et l’attachement à la chaire de Pierre que cela suppose.

Depuis le concordat de Bologne en 1516, ou même depuis la pragmatique sanction de Bourges (1438), les évêques français étaient pratiquement nommés par le roi de France, même si la nécessité de l’institution canonique par le Saint-Siège subsistait. D’où les liens étroits qui unissaient la couronne et l’épiscopat de l’Eglise de France.

Voici une titulature moderne, celle d’un évêque français de ce début du XXIe siècle. Il s’agit de Mgr Marcus, évêque de Nantes, transféré à Toulouse en 1996 :                                       

1°)    Titulature honorifique :

Son excellence Monseigneur

2°)    Le nom :

Emile Marcus

3°)    Le titre épiscopal :

 archêque-coadjuteur

4°)    La titulature juridictionnelle :

  de Toulouse

5°)    La titulature ecclésiastique mandatée :

Vice-président de la Conférence des évêques de France

Membre de la congrégation romaine pour l’éducation catholique

                                                                                                                                                                                                                                   On constate que, depuis le concile Vatican II, la titulature des évêques catholiques, loin de se simplifier, a plutôt tendance à s’amplifier du fait de la prolifération des mandats ecclésiastiques.

Donnons la titulature de l’archevêque anglican de Cantorbéry, primat de l’Eglise d’Angleterre et Président de la communion anglicane :

1°)    Titulature honorifique :

Most Reverend and

Right Honourable

2°)    Le nom:

Georges Leonard

Carey

3°)   Le titre épiscopal   :

Archbishop

4°)    Titulature juridictionnelle:

of Canterbury

5°)     Titulature hiérarchique:

Primate of all England

and Metropolitan

L’archevêque de Cantorbéry est en outre reconnu comme le Président de la Communion anglicane, le Président de la Conférence de Lambeth qui se tient tous les dix ans.

Voici la titulature du Catholicos arménien d’Etchmiadzine :

1°)    Titulature honorifique :

Sa Sainteté

2°)   Le nom :

Karékin

3°)   Le nombre ordinal, ou adjectif numéral ordinal :

I

ou Ier   (premier)

4°)   La titulature hiérarchique :

Catholicos de tous les Arméniens du Saint-Siège d’Etchmiadzine

Le titre épiscopal proprement dit : « évêque d’Etchmiadzine » est sous-entendu.

Catholicos était à l’origine un titre administratif grec, désignant quelque chose comme un « Préfet ». Dans le langage ecclésiastique, il vise précisément le délégué d’un patriarcat ou d’une métropole. L’Eglise d’Arménie, en effet, est issue de l’Eglise de Césarée de Cappadoce et n’a jamais renié cette origine.

Venons-en maintenant à la titulature, instructive en matière ecclésiale, du patriarche œcuménique de Constantinople :

1°)   Titulature honorifique :

Sa Sainteté

2°)   Le nom :

Bartholoméos

3°)   Le nombre ordinal (ou adjectif numéral ordinal) :

I (un)

ou Ier (premier)

4°)   Le titre épiscopal :

archevêque

5°)    Titulature juridictionnelle :

de Constantinople

6°)    Titulature qualificative du Siège :

la Nouvelle Rome

7°)    Titulature hiérarchique :

et Patriarche Oecuménique

Le patriarche de Constantinople (actuellement Istanbul en Turquie), revendique le titre d’œcuménique depuis le Ve siècle au moins. Les papes de Rome s’y sont longtemps opposés, en particulier Saint Grégoire le Grand. Constantinople est reconnue comme « la Nouvelle Rome » depuis le concile œcuménique de 381, en fait le second concile œcuménique (Canon 3). Remarquons-le : si le patriarche de Constantinople revendique une primauté, au moins honorifique, sur l’ensemble des Eglises orthodoxes, c’est uniquement au titre d’évêque de la Nouvelle Rome, en tant que doublure de l’évêque de Rome en quelque sorte.

Sortant du domaine proprement épiscopal, ayons la curiosité de lire la titulature du Président de la Fédération protestante de France :

1°)    Titulature honorifique :

Monsieur le Pasteur

2°)    Le nom :

Jacques Stewart

3°)   Titulature hiérarchique :

Président de la Fédération protestante de France

On peut légitimement assimiler cette présidence à un titre épiscopal, ou primatial.

L’inflation de tous ces titres, et parfois leur grandiloquence, ne doivent pas nous faire oublier que le principe de la titulature ecclésiastique remonte à Jésus-Christ lui-même, fondateur de l’Eglise. « Il en choisit douze, qu’il nomma apôtres... » (Lc 6,13). Les noms mêmes d’ « évêque », de « prêtre », et de « diacre », ont été créés par les apôtres.

Malgré certaines exagérations que l’on a pu constater, et qui remontent souvent à un passé lointain, ou qui, au contraire, sont le fruit d’un désir bien moderne d’innovations, le fait même de la titularisation est nécessaire à la cohésion de la société ecclésiale, à l’identification des responsables, au respect et à l’hommage qui leur sont dus.

Ces titres mêmes peuvent être utilisés dans un esprit de service et d’humilité. Toutes les sociétés en général ont aimé les titres, et malgré les consignes de modération du Christ (cf. Mt 23,8-10 : « Pour vous, ne vous faites pas appeler ‘Rabbi’ ; car vous n’avez qu’un Maître, et tous vous êtes des frères. N’appelez personne votre ‘Père’ sur la terre : car vous n’en avez qu’un, le Père céleste. Ne vous faites pas non plus appeler ‘Docteurs’ : car vous n’avez qu’un Docteur, le Christ. »), les Eglises chrétiennes, même les plus ‘évangéliques’, n’ont cessé de développer ces titulatures, en quelque sorte inévitables, de leurs chefs.

En lui-même le titre d’ « évêque » implique de la part des apôtres qui l’ont choisi, et peut-être même de la part du Christ, un appel à de très hautes fonctions dans l’Eglise, et pas seulement des fonctions administratives ou purement charitables, en lien surtout avec les diacres, mais aussi bien des fonctions liturgiques, eucharistiques, sacramentelles, en lien avec le collège presbytéral dans son entier.

Paul l’affirme : « Elle est sûre cette parole : celui qui aspire à la charge d’évêque désire une noble fonction. » (1 Tm 3,1).

En l’an 2000, on ne dénombrait pas moins de 4541 évêques dans la seule Eglise catholique romaine. Il faudrait probablement doubler ce chiffre si l’on voulait estimer le nombre de tous ceux qui, au sein de toutes les confessions chrétiennes, portent ce titre ou qui  exercent, en fait, des fonctions équivalentes à celle d’un évêque.                                     

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