I . Définition . Théorie

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Introduction

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Evêque, ou épiscope, ne signifie pas exacte­ment : surveillant, ou gardien, comme on l’interprète habi­tuel­lement, mais bien plutôt : président (d’une assemblée), ou préfet (d’une administration).

L’épiscope   (episkopos) est celui qui, assis sur un siège plus élevé (epi), et dont le regard (skopos) domine de là toute la foule, préside l’assemblée et que l’assemblée elle-même regarde comme son centre. Il est le chef, l’ordonnateur, le modérateur de la réunion ecclé­siale, son sommet, son principe. Le propre de l’évêque c’est d’être unique, car il n’y a qu’un seul président et celui-là tient la place du Christ. On saisit le lien organique qui unit l’évêque à l’Eglise. L’évêque est pour l’Eglise et l’Eglise est par l’évêque. « Là où paraît l’évêque, que là soit la commu­nauté. » (St Ignace, Lettre aux Smyrniotes, VIII ,2).

Le mot latin : « antistes », pris pour tra­duire « episcopos », en dehors du simple décalque : « episco­pus », indique bien cette fonction primordiale de l’évêque, de présidence : celui qui siège (stes) devant (anti).

Sans aucun doute, dans le corps ecclé­sial, l’évêque est un chrétien parmi d’autres chrétiens. On se souvient de la sentence célèbre de Saint Augustin : « Avec vous je suis chrétien ; pour vous je suis évêque ». L’évêque est d’abord un baptisé.  Il   se tient   dans   la   construction ecclé­siale comme, en quelque sorte, sa clef de voûte. Mais il ne se situe pas en-dehors du bâtiment. L’ordination épiscopale  ne serait pas valide si le candidat ne recevait pas au pré­alable le baptême : s’il ne l’était pas il doit être d’abord baptisé, comme on l’a vu faire par exemple pour Saint Ambroise, élu évêque de Milan alors qu’il était encore catéchumène, mais qui fut baptisé bien sûr avant d’être ordonné.

L’évêque est aussi un prêtre, ou ancien (presbuteros) : « Moi, ancien comme eux » (1 P 5,1) disait Saint Pierre aux anciens auxquels il s’adressait. L’évêque est un prêtre : il est même le premier d’entre eux. C’est organiquement qu’il appartient au collège des prêtres. Il fait partie intégrante du presbyterium, comme étant son chef, son prési­dent. La fonction épiscopale est par essence une fonction presbytérale. Dans l’Eglise antique, quand on désignait « les prêtres », on nommait aussi l’épiscope inclus dans leurs rangs, à moins qu’il ne fût récemment décédé, et non encore remplacé. D’où une confusion fréquente dans l’interprétation des textes anciens. On a cru déduire de ce vocabulaire : ou bien que l’évêque n’existait pas dans l’Eglise primitive, ou bien qu’il ne se distinguait pas des autres prêtres. De là, on a pu imaginer qu’à un instant donné un épiscopat monarchique avait pu succéder à un épiscopat collé­gial. Mais c’est pure fantaisie, c’est une chimère que rien dans les sources ne vient appuyer.

L’évêque est enfin le premier des diacres, le chef de leur collège et, comme tel, il reste un diacre, un servi­teur (diakonos).Car la fonction épiscopale demeure une fonction de service : service de Dieu et de son Christ, avant tout dans la liturgie ; service de l’Eglise et service de la parole ; service des frères ; service enfin de tous les hommes, y compris les plus éloignés. De même toute la fonction presby­térale, qui est essentiellement pastorale, s’oriente-t-elle vers ce service dont les diacres restent par état les coadjuteurs.

« Le serviteur n’est pas au-dessus de son maî­tre » avait dit le Christ (Jn 13,16) et l’évêque même n’est pas au-dessus du Christ. Si Jésus-Christ est venu nous don­ner l’exemple du service (cf. Jn 13,15), et s’il a jusqu’au bout ac­compli le service suprême en donnant sa vie pour le salut de l’humanité, c’est pour que ses disciples l’imitent. L’exercice de l’autorité dans la société chrétienne demeure une fonction « diaconale ». (Cf. Mc 10,43).

Voilà donc comment se situe l’évêque dans l’Eglise : un chrétien au milieu d’autres chrétiens, un prêtre avec les prêtres, un diacre parmi des diacres. Mais quel est-il pour l’Eglise elle-même ?  Il est un pasteur, il est un docteur, il est un liturge ou « prêtre » (hiereus).Le Christ, ayant délaissé cette terre, a abandonné toutes ses fonctions à l’évêque, et aux prêtres qui sont les adjoints de l’évêque. Il leur a confié la gérance de son Eglise jusqu’à ce que lui-même revienne, à la consom­ma­tion des siècles.

A l’exemple du Christ, l’évêque est le berger qui marche en tête de son troupeau. D’où souvent ce bâton pasto­ral qu’il arbore. « Prenez garde à vous-mêmes  et à tout le troupeau en qui l’Esprit Saint vous a placés évêques, afin de paître l’Eglise de Dieu qu’il s’est acquise au prix de son sang »  (Ac  20,28) recommandait Saint Paul aux anciens et aux évêques de la région d’Ephèse. Certes le pastorat, la fonction du berger, implique-t-il un aspect admi­nistratif, un travail de gestion. « Car celui qui ne sait pas gouver­ner sa propre maison, comment pourrait-il prendre soin de l’Eglise de Dieu ? » (1 Tm 3,5) avertissait Saint Paul en parlant du futur évêque. Mais il est avant tout une fonction spirituelle. Car l’évêque doit conduire son troupeau vers les pâturages de la vérité et du service de Dieu, vers les sources de l’évangile et des sacrements. En donnant lui-même l’exemple, le pasteur oriente son troupeau vers le Christ et c’est au Christ, chef des pasteurs qu’il devra rendre compte de sa conduite (cf. 1 P 5, 2-4). S’il reste fidèle au Christ, et s’il suit le Christ, l’évêque deviendra lui-même ce « bon pasteur » qui connaît ses brebis et que ses brebis connaissent (cf. Jn 10,14). Il deviendra ainsi l’unique berger de l’unique troupeau ; « et il y aura un seul troupeau et un seul pasteur » (Jn 10,16), car même les non chrétiens se mettront à écouter sa voix, et probablement aussi les chrétiens dispersés reviendront-ils se pla­cer sous sa houlette bienveillante.

L’évêque est pareillement docteur. D’où la mi­tre, ou la tiare, qu’il coiffe en signe d’autorité magis­trale. Ayant reçu l’évangile en partage, l’évêque est chargé de le redistribuer à tous par le moyen de l’enseignement.  Dans le rite latin l’évêque est ordonné sous l’imposition du livre sacré des évangiles, et c’est le symbole de sa mission principale. On note que dans l’Eglise ancienne l’évêque assumait pratiquement seul le service de la parole au cours de la synaxe eucha­ristique. L’évêque possède en propre, de part son état, un charisme certain de vérité. Aussi convient-il dans les ques­tions liti­gieuses de se référer à son enseignement si l’on veut préserver l’unité de la foi. Et dans la pratique des conciles œcuméniques on observe que les évêques seuls se réunissent pour décider de la doctrine au nom de tous.

Par priorité, par excellence, l’évêque est prê­tre (hiereus), pontife, liturge, car il exerce la plénitude du sacerdoce du Christ. Dans le langage de l’Eglise ancienne, et l’on constate la présence de cette métaphore implicite dès l’épître de Saint Clé­ment de Rome (fin du 1er siècle), on comparait volontiers les trois degrés du sacerdoce chrétien aux trois degrés du sacerdoce lévi­tique des Juifs : les diacres correspondant aux lévites, les prêtres (prebuteroi) de la nouvelle loi correspondant aux prêtres (hiereusi) de l’ancienne, enfin l’évêque correspondant au grand-prêtre (archierei) unique du Temple. Car c’est l’évêque qui préside à la liturgie. Il en est simultanément l’ordonnateur et le régulateur. Toute eucharistie se célèbre en sa pré­sence, ou par sa délégation, comme l’affirmait déjà Saint Ignace (cf. Lettre aux Smyrniotes VIII, 1), et la foi catho­lique nous apprend que cette délégation ne peut être confiée qu’à un prêtre (cf. DZ 424 : Profession de foi du pape Inno­cent III. Voir aussi les canons 15 et 18 du concile d’Arles, tenu en août de l’an 314, donc avant le concile de Nicée).

L’évêque tient dans sa main la plénitude des sa­crements de l’Eglise, le fameux septénaire, car il est le seul à pouvoir les administrer tous. Seul en effet parmi les ministres il peut ordonner validement les évêques, les prêtres et les diacres, d’après le consensus constant de la tradi­tion. Cette dernière définition de l’épiscopat étant d’ailleurs la seule vraiment univoque et par conséquent spécifique.

On observe combien il est difficile de donner de la fonction épiscopale une définition exactement synthé­tique.

L’évêque hérite des apôtres en tant que pre­mier des prêtres et, également, parce que sa fonction propre a été instaurée par les apôtres. En un sens, tous les prêtres et tous les diacres succèdent aux apôtres. Mais l’évêque est le suc­cesseur des apôtres à titre principal, ou  primordial, ou encore, en un  sens, à titre total. Car  les  simples  prêtres  et  les  dia­cres, à l’instar des autres  ministres  ecclé­siastiques, ne succèdent aux apôtres qu’à titre participé, ou partiel, ou encore subordonné.

Certes, il est bien vrai que l’épiscopat est une fonction interne à l’Eglise (et non pas supérieure à elle !) comme le sont par ailleurs le sacerdoce (de second rang), le diaconat et les autres ministères de rang inférieur. De la même manière l’épiscopat ne constitue pas un sacrement spécifique, mais seulement un degré du sacrement de l’ordre : il représente la plénitude, ou l’achèvement, ou la perfec­tion de ce sacrement. Pourtant l’ordination épiscopale possède un caractère vraiment sacramentel : le doute qui pouvait subsister là-dessus a été définitivement levé par le concile Vatican II. (Cf. Lumen Gentium, 21). L’ordination épiscopale suppose au préalable l’ordination presbytérale ou diaconale pour des raisons de convenance, mais non de façon abso­lue. Un simple baptisé, ordonné évêque, recevrait validement l’ordre épiscopal et, avec lui, la plénitude du sacerdoce. Ce type d’ordination, « per saltum », était couramment pratiqué dans l’Eglise ancienne. En principe l’ordination épisco­pale se pratique-t-elle d’une manière collégiale. Depuis le concile de Nicée (en 325) trois évêques, au moins, sont requis pour ordon­ner le nouvel évêque. Mais l’ordination resterait valide quand bien même un seul évêque serait présent et imposerait les mains, à condition que lui-même fût validement or­donné.

On le voit : la « notion d’évêque » est riche de sens dans le christianisme. Et nous sommes loin sans doute de l’avoir épuisée. Aussi bien en tant qu’elle participe du mystère sacramentel de l’Eglise, cette notion demeure-t-elle inépuisable. Mais, a contrario, on doit tenir pour certain que la notion épiscopale reste accessible à l’intelligence ordinaire et moyenne de l’Eglise et par conséquent du chrétien moyen et instruit. Dans l’hypothèse inverse, cette notion s’avèrerait incompréhensible, voire inefficace, voire inapte pour assurer un bon fonctionnement de la vie ecclésiale. En un certain sens, il en est de même de toutes les notions révélées : elles sont révélées pour être mises à la portée du simple fi­dèle. L’épiscopat est pour le peuple. Il doit rester compréhen­sible au peuple.

Au terme de cette description sommaire de l’épiscopat, une question subsi­diaire peut encore se poser, et qui, à certains égards, paraîtra paradoxale. Toute la doctrine que nous venons d’exposer est-elle de foi certaine, de foi catholique et définie, ou bien seulement de foi probable et, dans certaines de ses catégories, obtenue seulement par déduction ?  On doit répondre ici que certains pans du dogme catholique ne sont pas encore parfaitement définis. Tout dans la notion épiscopale ne baigne pas encore dans une égale et parfaite clarté. Les évêques sont-ils vrai­ment les seuls à pouvoir conférer le sacrement de l’ordre, ou bien dans certaines circonstances les simples prê­tres peuvent-ils les suppléer dans cet office ? Nous avons nettement répondu oui à la première question et non à la seconde, en nous basant sur la pratique constante de l’Eglise uni­verselle depuis les origines, et aussi sur le bon sens, et la logi­que interne de la fonction épiscopale. Mais il faut recon­naître que ce point n’appartient pas explicitement au dogme défini. Le magistère ne s’est pas encore prononcé d’une manière irréversible.

On peut souhaiter une évolution sur ce point. Mais le flou qui subsiste n’a pas forcément que des inconvé­nients. Une trop grande précision du dogme catho­lique empê­cherait peut-être les fidèles d’autres confessions de s’y rallier.

Des difficultés d’ordre historique peuvent en­core s’opposer à l’élucidation complète dudit dogme : on ne connaît pas toujours avec une parfaite exactitude, ou certi­tude, qu’elle était la pratique de l’Eglise ancienne en ce domaine.

Quoiqu’il en soit, la figure exacte de l’évêque dans l’Eglise du Christ se dessine déjà pour nous sans ambi­guïté : on peut dire en résumé qu’il tient vraiment la place du Christ et de Dieu dans tous les aspects de la vie ecclé­siale, mais spécialement durant la synaxe eucharistique.

Comme le Christ, donc, et en attendant son re­tour, il est le Roi, il est l’Epoux, il est l’Officiant, mais il est aussi le Serviteur. Ce que le Christ devenu invisible demeure pour  l’Eglise  invisible et surnaturelle,  l’Eglise des âmes, l’Eglise éternelle, l’évêque visible l’est pour l’Eglise visible, locale, temporelle, celle qui pérégrine sur la terre dans la peine et dans l’espoir.

Mais ces deux réalités se rejoignent dans l’esprit : car le Christ demeure présent à son Eglise visi­ble, quoique d’une manière cachée. Lui-même l’a déclaré : « Je ne vous laisserai pas orphelins.  Je reviendrai vers vous. » (Jn 14,18).Ou encore : « Et moi, je suis avec vous pour toujours, jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28,20).

En tant qu’elle est une communauté sociale constituée, le Christ est présent à son Eglise dans et par l’évêque. En l’évêque, il en est le Roi, car tous les fidèles doivent obéir au pasteur institué comme au Christ lui-même : « Obéis­sez à vos chefs et soyez leur soumis. » (He 13,17). En l’évêque, il est l’Epoux, d’où souvent l’anneau pastoral que l’évêque porte au doigt. Et quand l’évêque est mort, l’Eglise veuve n’a qu’une hâte, c’est d’élire un nouveau pasteur. En l’évêque, ainsi que dans les prêtres, il est l’Officiant. En eux la liturgie éternelle célébrée dans le ciel par l’Agneau immolé (cf. Ap 5,6-14) se transporte par anticipation sur la terre. Il leur est donné de prononcer en la personne du Christ (in personna Christi) les paroles même du Christ à la Cène :  « Ceci est mon corps ; ceci est mon sang ». En l’évêque, enfin, il est le Serviteur car « le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir. » (Mt 20,28).

L’évêque fait l’Eglise en la rassemblant sous lui, car sans lui elle se diviserait en de multiples sectes. Il apparaît vraiment comme son moteur et son anima­teur,…après Dieu.

Pour autant, l’autorité épiscopale ne se situe pas au-dessus de la conscience, humaine ou chrétienne, du sim­ple fidèle. L’évêque se place au-dessus du fidèle en qualité de responsable de la vie ecclésiale et de dispensateur des sacre­ments, afin de le conduire vers les pâturages éternels, afin de l’élever non de l’amoindrir. Mais il ne se place pas au-dessus de la conscience du fidèle qui ne doit des comptes qu’à Dieu et à son Christ. Si parfois de mauvais bergers s’introduisaient à la tête du troupeau, pour le piller plutôt que pour le servir  --  on sait, hélas, que cette éventualité s’est maintes  fois produite au cours de l’histoire  --  le fidèle gar­de­rait sa pleine liberté de jugement et de critique, ce qui ne veut pas dire sa pleine indépendance. Bien plus, il devrait souvent se considérer comme personnellement responsable de cet affadissement des pasteurs. C’est en vue de sa conversion, fina­le­ment, que Dieu  permettrait cette épreuve.

Le présent chapitre, écrit au courant de la plume, manque un peu de suite dans les idées, je le re­connais. Mais je n’ai pu vraiment le corriger. Je le laisse donc tel quel avec son aspect un peu foisonnant…

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