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Quiconque a-t-il jamais aussi bien parlé de l’épiscopat, et de l’évêque, que Saint Ignace d’Antioche, Père de l’Eglise, l’un des tout premiers écrivains ecclésiastiques ? On peut considérer sans risque d’erreur Saint Ignace comme le promoteur et l’illustrateur providentiel de l’épiscopat fondé par les apôtres, les temps apostoliques étant à peine révolus. Ses écrits aujourd’hui sont à peu près unanimement reconnus par la critique comme authentiques.
Promis au martyre à Rome et emmené enchaîné, vers l’an 110, l’évêque Ignace écrivait aux Eglises qu’il traversait pour leur recommander son Eglise, et pour leur recommander aussi l’unité, dans l’obéissance à l’évêque.
On connaît les phrases célèbres et passionnées : « Aussi convient-il de marcher d’accord avec la pensée de votre évêque, ce que d’ ailleurs vous faites. Votre presbyterium justement réputé, digne de Dieu, est accordé à l’évêque comme les cordes à la cithare, ainsi, dans l’accord de vos sentiments et l’harmonie de votre charité, vous chantez Jésus-Christ. Que chacun de vous aussi, vous deveniez un chœur, afin que dans l’harmonie de votre accord, prenant le ton de Dieu dans l’unité, vous chantiez d’une seule voix par Jésus-Christ un hymne au Père, afin qu’il vous écoute et qu’il vous reconnaisse par vos bonnes œuvres, comme les membres de son Fils. Il est donc utile pour vous d’être dans une inséparable unité, afin de participer toujours à Dieu. » (Lettre aux Ephésiens, IV).
On pourrait résumer d’une seule phrase la pensée du christianisme primitif : le christianisme est un mystère de charité ; cette charité s’accomplit dans l’unité ; cette unité se réalise par l’obéissance concrète de tous à l’évêque. On voit donc la place irremplaçable que tient la fonction épiscopale dans l’esprit des anciens Pères : elle est pour eux la clef de voûte de la construction ecclésiale, son fondement, son sceau et, après Jésus-Christ, son articulation majeure. Tout s’ordonne autour d’elle : les prêtres, les diacres, les laïcs, l’assemblée chrétienne, la liturgie, même la charité exercée ad extra, et tout s’ordonne au Christ et à Dieu.
De même que l’Eglise de Dieu dans son ensemble est parfaitement une et doit rester une, de même dans chaque cité il ne peut y avoir qu’un seul évêque qui préside à l’Eglise locale. Tout s’exerce sous son regard et rien dans la communauté ne peut être fait sans lui.
On ne trouve pas dans l’enseignement de Saint Ignace le moindre indice d’une évolution de l’institution. L’Eglise qu’il nous décrit est bien l’Eglise telle que l’ont instaurée les apôtres, et telle qu’elle doit demeurer jusqu’à la parousie du Christ. La situation qu’il nous peint est universelle. Chaque Eglise particulière reproduit le même schéma d’organisation. Chacune obéit à son évêque tandis que la charité universelle s’établit par une sollicitude constante entre évêques et entre Eglises, par des liens incessants, par des prières, par des lettres, par des visites, par des échanges nombreux et en tous sens dont la fréquence nous étonne. La question de la prédominance d’une Eglise par rapport aux autres ne se posait pas, en ce temps-là, parce que la charité ne s’était pas encore refroidie. Les Eglises s’aimaient sincèrement et chacune avait à cœur, bien sûr, selon les recommandations de l’apôtre Paul (cf. Ph 2,3), de considérer les autres comme supérieures à elle et de se fier en elles. Cependant, quand Ignace écrivait aux Romains, on voit que persistaient dans cette Eglise le souvenir et le prestige des apôtres Pierre et Paul qui y avaient prêché et même qui y avaient gouverné. (Cf. lettre de Saint Ignace aux Romains IV, 3).
Tel est le témoignage sur l’épiscopat que nous a laissé Saint Ignace d’Antioche. On en trouverait de semblables chez les Irénée, les Tertullien, les Cyprien... La leçon que nous ont laissée les anciens Pères de l’Eglise est encore valable pour nous, en nos temps où nous avons perdu l’unité première, où nous rêvons de la recomposer. L’unité des chrétiens ne pourra se reconstituer qu’autour d’un épiscopat réunifié. Dans la mesure où nous retrouverons la charité nous retrouverons l’unité ; et dans la mesure où nous retrouverons l’ unité nous retrouverons aussi la place éminente, à la fois d’autorité et de service, qui revient à l’évêque dans le corps idéal de l’Eglise.
C’est pourquoi il importe de bien connaître la fonction épiscopale, de bien l’analyser dans ses racines apostoliques et dans sa visée évangélique. Il importe de la restaurer dans sa fraîcheur première.
Ce travail a déjà été entrepris bien sûr, et avec une autorité éminente, quoique encore d’une manière partielle, par le concile Vatican II. Mais le concile Vatican II s’est fixé consciemment, explicitement, -- c’était son droit -- des objectifs plutôt pastoraux et pratiques que doctrinaux ou dogmatiques. La restauration seconde vaticane n’empêche donc pas, elle appelle même, semble-t-il, une réflexion plus théorique sur la nature intrinsèque de l’épiscopat, sa justification, son utilité, sa finalité. On pourrait certes en dire autant de maint autre point du dogme chrétien.
Nous étudierons donc la doctrine de l’épiscopat, à la fois selon ses sources : scripturaires, traditionnelles, canoniques, historiques, … et selon des perspectives œcuméniques.