Note 69

 

La prophétie des 70 semaines

(Daniel 9).

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Bossuet a donné de la prophétie fameuse des 70 semaines d’années de Daniel (9) une interprétation classique, qui résume bien la position des Pères, et qui tient la route : « Elle arriva [la mort de Jésus] la quatrième année de son ministère, qui fut aussi la quatrième année de la dernière semaine de Daniel et cette grande semaine se trouve, de cette sorte, justement coupée au milieu par cette mort. Ainsi le compte des semaines est aisé à faire, ou plutôt il est tout fait : il n’y a qu’à ajouter à 453 ans qui se trouvèrent depuis l’an 300 de Rome et le vingtième d’Artaxerxés, jusqu’au commencement de l’ère vulgaire, les trente années de cette ère qu’on voit aboutir à la quinzième année de Tibère et au baptême de Notre Seigneur,  il des fera de ces deux sommes 483 ans. Des sept ans qui restent encore pour achever 490, le quatrième qui fut le milieu, est celui où Jésus-christ est mort, et tout ce que Daniel a prophétisé se trouve visiblement renfermé dans le terme qu’il s’est prescrit. » (Discours sur l’histoire universelle, 1ère partie, 1ère époque, cité par Arthur Loth, Jésus-Christ dans l’histoire, pages 604-605).

Bossuet s’est seulement trompé de deux ans dans sa chronologie. Il s’est trompé à la fois pour le terme et pour le point de départ des 70 semaines d’années. Je m’explique.

Auguste est mort en l’an 14 de notre ère (le 19 août). La quinzième année de Tibère (cf. Lc 3,1) nous conduit en 28-29 et non pas en 30-31 (comme le voudrait Bossuet). Pour avoir un calcul juste, il faut donc placer la 20e année d’Artaxerxés en - 455 et non pas en 453, (deux ans auparavant).

On obtient alors pour les débuts de Jésus, puisque selon la prophétie il devait apparaître après 69 semaines d’années (69 X 7 = 483) :

- 455 + 483 + 1 (il n’y a pas d’année zéro) = + 29.

Jésus fut en effet baptisé en 29, peu après le début du ministère de Jean-Baptiste en 28-29.

Si l’on ajoute à ce décompte la demie semaine d’années annoncée par Daniel (3 ans et demi), on tombe en 33 pour la mort du Sauveur, conformément à la réalité historique telle qu’admise par la tradition.

La chronologie achéménide rectifiée, telle qu’elle est établie par Gérard Gertoux, mon référent habituel, après une longue discussion, confirme ce comput. Je renvoie ici à son site avant d’essayer de résumer son propos. Voir par exemple : Chronologie de la vie d’Artaxerxés.

Le règne de Xerxès, père d’Artaxerxés, habituellement daté de - 486 à – 465, soit 21 ans, devrait l’être en réalité de – 496 à – 475, soit dix ans plus tôt. Il aurait eu une corégence de 10 ans avec son père Darius Ier le Grand et n’aurait régné seul, à partir de – 486, que pendant 11 ans avant de laisser le pouvoir à son héritier, Artaxerxés, en – 475.

La chronologie achéménide aurait été faussée car on aurait additionné son règne total de 21 ans à celui de son père Darius, au lieu de les faire se chevaucher pendant 10 ans. Les listes officielles, en effet, avaient tendance à ne pas tenir compte, soit des règnes des usurpateurs, soit des corégences, considérés comme des anomalies. Cette erreur se serait répercutée dans les récits de plusieurs historiens grecs, dans le Canon de Ptolémée, pourtant renforcé par des listes d’éclipses, et jusque dans la chronologie officiellement admise aujourd’hui. Voir par exemple la chronologie des achéménides, telle que colligée par Wikipédia, l’encyclopédie libre qui en général enregistre bien le point de vue universitaire dominant.

Pour justifier sa thèse, Gérard Gertoux avance de très nombreux arguments, tous plus probants les uns que les autres.

Relevons les plus caractéristiques.

 

I). La  chronologie  perse  peut  être  reconstituée  à  partir  des  données  provenant  des historiens grecs. Celles provenant de Thucydide,  l'historien de  l'Antiquité  jugé  le plus fiable, sont explicites : « Thémistocle manifestait le désir de se rendre auprès du roi de Perse (...) La tempête fit dériver le navire vers le camp des Athéniens qui assiégeaient alors Naxos (...) Accompagné d'un Perse de la côte, il pénétra ensuite dans l'intérieur du pays et adressa à Artaxerxès, qui venait de succéder à Xerxès, son père, une  lettre. » Thucydide situant  la prise de Naxos après celle de Skyros,  datée  au  début  de  l'archontat  de  Phédon en  - 476,  cela  implique  de  fixer  la rencontre avec Thémistocle peu après en 475/474.

 

II). Thémistocle, personnage considérable de l'histoire grecque et dont la vie est donc bien documentée, est mort en - 471 selon Diodore. Si Artaxerxès commença à régner en - 465, sa rencontre avec Thémistocle est impossible. Par contre, si Thémistocle est mort 3 ans après le début du règne d'Artaxerxès comme Apollodore d'Athènes l'affirme [en - 144] dans sa chronique, on retrouve une date d'accession du roi perse en - 475.

 

III). Selon  la  tablette  astronomique BM 32234, Xerxès  est mort  le 14 V  entre une  éclipse totale de lune de 40° de durée totale (1° = 4 minutes), dont 18° entre le 3e  et 4e contact, et une  éclipse partielle datée du 14 VIII. L'astronomie date  la première éclipse du 26 juin - 475 avec une durée totale de 54°, dont 14° entre le 3e et 4e contact, et la deuxième du  20  décembre  - 475.  Selon  l'astronomie,  l'éclipse  du  5  juin  - 465  fut  partielle  et  non totale, ce qui élimine cette date habituellement retenue.

 

IV). La  tablette  administrative BM  75396,  datée  du  27/XI/00  de Xerxès, mentionne  l'an [2]7 de Darius comme année à venir, ce qui confirme les 10 ans de corégence de l'an 26 à 36. La  lecture "27" est contestée (ce chiffre provient de la reconstitution spatiale des caractères de la tablette), mais la lecture "37" est impossible puisque, de toutes façons, à la date du 27/XI/36 Darius était déjà mort depuis 2 mois.

 

V). Une « Chronique  alexandrine » attribuée à Eusèbe donne à Xerxès un  règne de 11 ans, ce qui  s'harmonise  avec  les  récits  de  Thucydide  et  de  Charon  de  Lampsaque,  et  date l'accession d'Artaxerxès Ier en - 475, Darius étant mort en - 486.

 

VI). Les documents datés durant  les 10 premières années de Xerxès sont toujours scellés avec  l'inscription  "moi Darius".  Les  documents  des  années  suivantes  (11  à  21)  sont scellés  soit  "moi Xerxès"  ou  "Xerxès  grand  roi",  soit  "moi Darius". Xerxès  a  utilisé différents titres durant son règne. On observe les changements de titulature suivants : de l'accession à sa 1ère année, "Roi de Babylone, roi des pays" ; de sa 1ère année à sa 10e année, "Roi de Perse et de Médie, Roi de Babylone et des pays" ; et de sa 11e année à sa 21e année,  "Roi  des  pays".  Les  dirigeants  égyptiens  (d'Amasis  à  Artaxerxès)  sont toujours  qualifiés  de  "Seigneur  du  double  pays",  sauf  Xerxès  qui  n'est  que  "Maître  des couronnes" entre  l'an 1 et  l'an 10 de son règne. Xerxès n'est pas non plus qualifié de roi comme Darius ou Cambyse et ne reçoit le titre de "Seigneur du double pays" qu'à partir de l'an  10  de  son  règne.  Si Xerxès  avait  été  l'unique  dirigeant  pendant  les  10  premières années  de  son  règne,  les  Égyptiens  l'auraient  immédiatement  qualifié  de  "Seigneur  du double pays".

 

VII). La prosopographie des trésoriers du palais a été effectuée durant  les 36 ans de règne pour Darius et durant les 21 ans de règne de Xerxès. La double alternance (6 ans /3 ans /6  ans  /3  ans)  des  trésoriers  Baratkama  et  Shakka  est  très  étrange,  d'autant  que certaines opérations particulières se répètent presque à l'identique à 10 ans d'intervalle.

Ainsi, des sculpteurs sur pierre et sur bois sont mentionnés à la fin de l'an 32 de Darius mais aussi au début de l'an 7 de Xerxès. Ces bizarreries disparaissent complètement si on  reconstitue  la prosopographie  avec  une  corégence  de Xerxès  débutant  à partir  de l'an 26 du règne de Darius.

 

VIII). La chronologie babylonienne est une chronologie officielle élaborée à partir des  listes royales.  Toutes  les  corégences  ont  été  délibérément  ignorées,  comme  le  règne  des usurpateurs.  Or  plusieurs  tablettes  datées  de  Xerxès  et  de  Darius  montrent explicitement qu'ils ont eu une période commune de règne (fait qui n'était d'ailleurs pas rare chez les rois perses), ce qui est conforme aux récits des historiens grecs.

 

IX). Les  tablettes Murashû  indiquent  que  le  roi  Artaxerxès  Ier a  commencé  à  corégner  à partir  de  sa  41e année  avec  un  roi  nommé  Darius,  ce  qui  semble  confirmer  la chronologie  babylonienne.  Mais  deux  anomalies  infirment  ce  schéma.  En  effet,  les anciens  historiens  sont  unanimes  pour  dire  que  la  succession  entre Artaxerxès  Ier et Darius  II  a  été  séparée  par  le  règne  successif  de  deux  usurpateurs :  Xerxès  II  et Sogdianos,  pendant  une  période  qui  a  duré  9  mois.  La  seule  corégence  d'un  roi Artaxerxès mentionnée  par  ces  auteurs  est  celle  avec  un  de  ses  fils  dont  le  nom  est précisément Darius. La mort d'Artaxerxès Ier est fixée par Thucydide juste à la fin de la 7e année de guerre, soit autour de mars - 424 avant une éclipse partielle de soleil que l'on  peut  dater  du  21 mars  - 424.  Comme  le  1er Nisan  tombait  le  20  avril  en  - 424, Artaxerxès  Ier n'a  pas  pu  commencer  sa  41e année  de  règne.  Si  Darius  II  avait immédiatement été reconnu, son accession aurait eu lieu à la fin de la 40e année et non au  début  de  la  41e ,  ce  qui  décalerait  tout  son  règne  de  1  an.  Il  y  a  une  deuxième anomalie  dans  le  règne  d'Artaxerxès,  car,  étant mort  à  la  fin  de  la  40e année  de  son règne, les tablettes datées de l'accession de Darius et de l'an 41 s'expliqueraient alors par une  corégence posthume, ce qui  est  sans précédent  connu. De plus,  cette explication est  démentie  par  des  tablettes  datées  de  l'an  42. En  effet,  la  tablette CBS  5506  est  un contrat daté du --/VI/41 qui doit prendre effet le 1er mois de l'an 42, et la tablette CBS 4986 datée du 17/VII/41 est une obligation de payer en dattes et en grain à la prochaine récolte, soit au 7e mois [de l'année courante] et au 2e mois de l'an 42. Si Artaxerxès Ier était mort à la fin de l'an 40 de son règne, les scribes n'envisageraient pas une nouvelle année de règne d'un roi mort l'année précédente. Le seul moyen de concilier toutes ces données est d’accepter une corégence entre Artaxerxès, encore vivant en  l'an 41, avec son fils Dariamush (Darius B), mais 10 ans avant la succession mouvementée avec son autre fils Umakush (Ochos) qui régna ensuite lui sous le nom de Dariamush (Darius II).

 

X). Le  contrat  (BM  65494) daté  de  la  50e année  d'Artaxerxès  Ier confirme  le  schéma  chronologique  suivant :  Artaxerxès  Ier règne  seul  pendant  41  ans,  puis  avec  son  fils Darius (Darius B) pendant 8 ans jusqu'au début de sa 50e année, la 51e année étant celle de Xerxès II et de Sogdianos (la tablette CBM 12803 datée de l'accession de Darius II est aussi  datée  de  la  51e année  d'Artaxerxès),  brève  période  d'un  an  suivie  du  règne  de Ochos sous  le nom de Darius (II). En tenant compte de  l'épisode de 10 ans constitué des 8 ans de corégence de ce Darius B, suivis par 1 an de règne d'Artaxerxès Ier et de 1 an de transition (Xerxès II/Sogdianos), la 41e année d'Artaxerxès Ier doit être reculée de 10 ans, soit en - 434, et donc son accession fixée en - 475.

 

XI). Un lot de tablettes concernant le domaine de Mardonios et se rapportant aux années 3 à 10 de Xerxès est daté selon la chronologie babylonienne de - 483 à - 476, soit 3 ans après la mort de Mardonios  lors de  la bataille de Platées en - 479. Il est difficile de croire à une  administration  posthume  de  Mardonios ;  la  chronologie  grecque  est  donc préférable.

 

XII). Les  rois perses  de  la  période  achéménide  sont mentionnés  à  de  nombreuses  reprises dans  des  papyrus  d'Éléphantine  qui  ont  l'avantage  d'être  doublement  datés  dans  les calendriers  égyptien  et  babylonien.  Une  analyse  historique  des  calendriers  de  cette époque indique cependant que les Juifs d'Éléphantine, une importante ville dans le sud de  l'Égypte, ont utilisé  le calendrier  lunaire d'origine égyptienne (et non celui d'origine babylonienne),  le  seul  disponible  à  cet  endroit,  pour  dater  leurs  documents administratifs.  Le  cycle  lunaire  égyptien  débutait  à  la  pleine  lune  et  non  au  premier croissant, ce qui recule les coïncidences de dates de 10 ans.

 

XIII). Selon  le  texte  de Daniel (9,24-25),  dans  la  traduction  juive  de  Théodotion : « Un  nombre  de  70 semaines a été fixé (...) Sache-le donc et comprends : à partir de l'édit qui sera émis pour que Jérusalem soit mise à part et réédifiée, jusqu'au Christ chef, il y aura 7 semaines et 62 semaines. » Les semaines désignent  des  semaines  d'années,  ce  que  tous  les  traducteurs  acceptent ;  comme  l'édit émis  pour  reconstruire  Jérusalem  est  daté  de  la  20e année  d'Artaxerxès,  le Messie devait apparaître 483 ans [= (7+62)x7] après cette date. Or, d'après le texte de Luc (3,1.15), le peuple juif attendait un messie dans la 15e année de Tibère, soit en 29 de notre ère. Le point de départ des 483 ans fixe donc la 20e année d'Artaxerxès Ier en 455 (= 483 - 29 +1, car pas d'année 0), soit une accession en 475 (= 455 + 20).

 

Cette liste vous a-t-elle convaincus ? Moi, oui. Elle me paraît forte, même si je n’ai pas les moyens de la contrôler de bout en bout. Les études de prosopographie, en particulier, c’est-à-dire de relevés systématiques de personnages responsables pour une période donnée, ou pour un règne donné, me paraissent convaincantes. Manifestement, les trésoriers Baratkama  et  Shakka  se sont succédés pour une période de 6 ans, puis 3 ans, à la fois sous le règne de Darius Ier le Grand et sous le règne de son fils Xerxès, preuve qu’il y eut bien une corégence entre les deux princes. Leurs deux trésoriers n’ont pas pu se succéder deux fois dans le même ordre et pour les mêmes durées sous le premier prince d’abord, puis sous le second.

La mort de Thémistocle encore, vers – 471, me paraît bien établie. S’il a rencontré le jeune roi Artaxerxès Ier, avec son ministre Artaban, c’est bien la preuve que le vieil Xerxès est mort en – 475, avant cette rencontre, et non pas comme le veut la chronologie officielle en – 465.

La vingtième année d’Artaxerxès, qui sert de point de point de départ aux soixante-dix semaines d’années (490 ans) annoncées par le prophète Daniel (9) doit donc être fixée en – 455. Le point d’arrivée nous conduit en 36 de notre ère. Et le milieu de la dernière des 70 semaines correspond à l’année 33, qui vit le messie supprimé, entrevu par le prophète. C’est l’année de la mort du Christ.

 

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