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Note suivante Bossuet a donné de la prophétie fameuse des 70 semaines d’années
de Daniel (9) une interprétation classique, qui résume bien la position des
Pères, et qui tient la route : « Elle arriva [la mort de Jésus] la
quatrième année de son ministère, qui fut aussi la quatrième année de la
dernière semaine de Daniel et cette grande semaine se trouve, de cette sorte,
justement coupée au milieu par cette mort. Ainsi le compte des semaines est
aisé à faire, ou plutôt il est tout fait : il n’y a qu’à ajouter à 453 ans
qui se trouvèrent depuis l’an 300 de Rome et le vingtième d’Artaxerxés,
jusqu’au commencement de l’ère vulgaire, les trente années de cette ère qu’on
voit aboutir à la quinzième année de Tibère et au baptême de Notre
Seigneur, il des fera de ces deux sommes 483
ans. Des sept ans qui restent encore pour achever 490, le quatrième qui fut le
milieu, est celui où Jésus-christ est mort, et tout ce que Daniel a prophétisé
se trouve visiblement renfermé dans le terme qu’il s’est
prescrit. » (Discours sur l’histoire universelle, 1ère partie, 1ère époque, cité
par Arthur Loth, Jésus-Christ
dans l’histoire, pages 604-605). Bossuet s’est seulement trompé de deux ans dans sa
chronologie. Il s’est trompé à la fois pour le terme et pour le point de départ
des 70 semaines d’années. Je m’explique. Auguste est mort en l’an 14 de notre ère (le 19
août). La quinzième année de Tibère (cf. Lc 3,1) nous conduit en 28-29 et non pas en 30-31 (comme le
voudrait Bossuet). Pour avoir un calcul juste, il faut donc placer la 20e année
d’Artaxerxés en - 455 et non pas en – 453, (deux ans auparavant). On obtient alors pour les débuts de Jésus, puisque selon
la prophétie il devait apparaître après 69 semaines d’années (69 X 7 =
483) : - 455 + 483 + 1 (il n’y a pas d’année zéro) = + 29. Jésus fut en effet baptisé en 29, peu après le début du
ministère de Jean-Baptiste en 28-29. Si l’on ajoute à ce décompte la demie semaine d’années annoncée par Daniel (3
ans et demi), on tombe en 33 pour la mort du Sauveur, conformément à la réalité
historique telle qu’admise par la tradition. La chronologie achéménide rectifiée, telle qu’elle est établie par
Gérard Gertoux, mon référent habituel, après une longue discussion,
confirme ce comput. Je renvoie ici à son site avant d’essayer de résumer
son propos. Voir par exemple : Chronologie
de la vie d’Artaxerxés. Le règne de Xerxès, père d’Artaxerxés, habituellement
daté de - 486 à – 465, soit 21 ans, devrait l’être en réalité de – 496 à – 475,
soit dix ans plus tôt. Il aurait eu une corégence de 10 ans avec son père
Darius Ier le Grand et n’aurait régné seul, à partir de – 486, que pendant
11 ans avant de laisser le pouvoir à son héritier, Artaxerxés, en – 475. La chronologie achéménide aurait été
faussée car on aurait additionné son règne total de 21 ans à celui de son père
Darius, au lieu de les faire se chevaucher pendant 10 ans. Les listes officielles,
en effet, avaient tendance à ne pas tenir compte, soit des règnes des
usurpateurs, soit des corégences, considérés comme des anomalies. Cette erreur se serait
répercutée dans les récits de plusieurs historiens grecs, dans le Canon de
Ptolémée, pourtant renforcé par des listes d’éclipses, et jusque dans la
chronologie officiellement admise aujourd’hui. Voir par exemple la chronologie des
achéménides, telle que colligée par Wikipédia, l’encyclopédie libre qui en
général enregistre bien le point de vue universitaire dominant. Pour justifier sa thèse, Gérard
Gertoux avance de très nombreux arguments, tous plus probants les uns que les autres. Relevons les plus caractéristiques. I). La chronologie
perse peut être
reconstituée à partir
des données provenant
des historiens grecs. Celles provenant de Thucydide, l'historien de l'Antiquité
jugé le plus fiable, sont
explicites : « Thémistocle manifestait le désir de se rendre auprès
du roi de Perse (...) La tempête fit dériver le navire vers le camp des
Athéniens qui assiégeaient alors Naxos (...) Accompagné d'un Perse de la côte,
il pénétra ensuite dans l'intérieur du pays et adressa à Artaxerxès, qui venait
de succéder à Xerxès, son père, une
lettre. » Thucydide situant
la prise de Naxos après celle de Skyros,
datée au début
de l'archontat de
Phédon en - 476, cela
implique de fixer
la rencontre avec Thémistocle peu après en 475/474. II). Thémistocle, personnage
considérable de l'histoire grecque et dont la vie est donc bien documentée,
est mort en - 471 selon Diodore. Si Artaxerxès commença à régner en
- 465, sa rencontre avec Thémistocle est impossible. Par contre, si Thémistocle
est mort 3 ans après le début du règne d'Artaxerxès comme Apollodore d'Athènes
l'affirme [en - 144] dans sa chronique, on retrouve une date d'accession du roi
perse en - 475. III). Selon la
tablette astronomique BM 32234, Xerxès est mort
le 14 V entre une éclipse totale de lune de 40° de durée totale
(1° = 4 minutes), dont 18° entre le 3e et 4e contact, et
une éclipse partielle datée du 14 VIII.
L'astronomie date la première éclipse du
26 juin - 475 avec une durée totale de 54°, dont 14° entre le 3e et 4e contact, et
la deuxième du 20 décembre
- 475. Selon l'astronomie,
l'éclipse du 5
juin - 465 fut
partielle et non totale, ce qui élimine cette date
habituellement retenue. IV). La tablette administrative BM 75396,
datée du 27/XI/00
de Xerxès, mentionne l'an [2]7 de
Darius comme année à venir, ce qui confirme les 10 ans de corégence de l'an 26
à 36. La lecture "27" est
contestée (ce chiffre provient de la reconstitution spatiale des caractères de
la tablette), mais la lecture "37" est impossible puisque, de toutes
façons, à la date du 27/XI/36 Darius était déjà mort depuis 2 mois. V). Une « Chronique
alexandrine » attribuée à
Eusèbe donne à Xerxès un règne de 11
ans, ce qui s'harmonise avec
les récits de
Thucydide et de
Charon de Lampsaque,
et date l'accession d'Artaxerxès
Ier en - 475, Darius étant mort en - 486. VI). Les documents datés durant les
10 premières années de Xerxès sont toujours scellés avec l'inscription
"moi Darius". Les documents
des années suivantes
(11 à 21)
sont scellés soit "moi
Xerxès" ou "Xerxès grand
roi", soit "moi
Darius". Xerxès a utilisé différents titres durant son règne.
On observe les changements de titulature suivants : de
l'accession à sa 1ère année, "Roi
de Babylone, roi des pays" ; de sa 1ère année à sa 10e année, "Roi de Perse et de Médie, Roi de Babylone et
des pays" ; et de sa 11e année à sa 21e année, "Roi des
pays". Les dirigeants
égyptiens (d'Amasis à
Artaxerxès) sont toujours qualifiés
de "Seigneur du
double pays", sauf
Xerxès qui n'est
que "Maître des couronnes" entre l'an 1 et
l'an 10 de son règne. Xerxès n'est pas non plus qualifié de roi comme
Darius ou Cambyse et ne reçoit le titre de "Seigneur
du double pays" qu'à partir de l'an
10 de son
règne. Si Xerxès avait
été l'unique dirigeant
pendant les 10
premières années de son
règne, les Égyptiens
l'auraient immédiatement qualifié
de "Seigneur du
double pays". VII). La prosopographie des trésoriers du palais a été
effectuée durant les 36 ans de règne
pour Darius et durant les 21 ans de règne de Xerxès. La double alternance (6
ans /3 ans /6 ans /3
ans) des trésoriers
Baratkama et Shakka
est très étrange,
d'autant que certaines opérations
particulières se répètent presque à l'identique à 10 ans d'intervalle. Ainsi, des sculpteurs sur pierre et sur bois sont
mentionnés à la fin de l'an 32 de Darius mais aussi au début de l'an 7 de
Xerxès. Ces bizarreries disparaissent complètement si on reconstitue
la prosopographie avec une
corégence de Xerxès débutant
à partir de l'an 26 du règne de
Darius. VIII). La chronologie babylonienne est une
chronologie officielle élaborée à partir des
listes royales. Toutes les corégences ont
été délibérément ignorées,
comme le règne
des usurpateurs. Or plusieurs
tablettes datées de
Xerxès et de
Darius montrent explicitement
qu'ils ont eu une période commune de règne (fait qui n'était d'ailleurs pas
rare chez les rois perses), ce qui est conforme aux récits des historiens
grecs. IX). Les tablettes
Murashû indiquent que
le roi Artaxerxès
Ier a commencé à
corégner à partir de
sa 41e année avec
un roi nommé
Darius, ce qui
semble confirmer la chronologie babylonienne.
Mais deux anomalies
infirment ce schéma.
En effet, les anciens historiens
sont unanimes pour
dire que la
succession entre Artaxerxès Ier et Darius II
a été séparée
par le règne
successif de deux
usurpateurs : Xerxès II et
Sogdianos, pendant une
période qui a
duré 9 mois.
La seule corégence
d'un roi Artaxerxès mentionnée par
ces auteurs est
celle avec un
de ses fils
dont le nom
est précisément Darius. La mort d'Artaxerxès Ier est fixée par
Thucydide juste à la fin de la 7e année de
guerre, soit autour de mars - 424 avant une éclipse partielle de soleil que
l'on peut dater
du 21 mars - 424.
Comme le 1er Nisan tombait
le 20 avril
en - 424,
Artaxerxès Ier n'a pas
pu commencer sa 41e année de
règne. Si Darius
II avait immédiatement été
reconnu, son accession aurait eu lieu à la fin de la 40e année et non
au début
de la 41e , ce
qui décalerait tout
son règne de
1 an. Il y a
une deuxième anomalie dans
le règne d'Artaxerxès,
car, étant mort à
la fin de
la 40e année de son
règne, les tablettes datées de l'accession de Darius et de l'an 41
s'expliqueraient alors par une corégence
posthume, ce qui est sans précédent connu. De plus, cette explication est démentie
par des tablettes
datées de l'an
42. En effet, la
tablette CBS 5506 est un
contrat daté du --/VI/41 qui doit prendre effet le 1er mois de l'an
42, et la tablette CBS 4986 datée du 17/VII/41 est une obligation de payer en
dattes et en grain à la prochaine récolte, soit au 7e mois [de
l'année courante] et au 2e mois de l'an 42. Si
Artaxerxès Ier était mort à la fin de l'an 40 de son règne, les
scribes n'envisageraient pas une nouvelle année de règne d'un roi mort l'année
précédente. Le seul moyen de concilier toutes ces données est d’accepter une
corégence entre Artaxerxès, encore vivant en
l'an 41, avec son fils Dariamush (Darius B), mais 10 ans avant la
succession mouvementée avec son autre fils Umakush (Ochos) qui régna ensuite
lui sous le nom de Dariamush (Darius II). X). Le contrat (BM
65494) daté de
la 50e année d'Artaxerxès
Ier confirme le schéma chronologique suivant :
Artaxerxès Ier règne seul
pendant 41 ans,
puis avec son fils
Darius (Darius B) pendant 8 ans jusqu'au début de sa 50e année, la 51e année étant
celle de Xerxès II et de Sogdianos (la tablette CBM 12803 datée de l'accession
de Darius II est aussi datée de la 51e année d'Artaxerxès), brève
période d'un an
suivie du règne
de Ochos sous le nom de Darius
(II). En tenant compte de l'épisode de
10 ans constitué des 8 ans de corégence de ce Darius B, suivis par 1 an de
règne d'Artaxerxès Ier et de 1 an de transition (Xerxès II/Sogdianos), la 41e année d'Artaxerxès
Ier doit être reculée de 10 ans, soit en - 434, et donc son accession fixée en - 475. XI). Un lot de tablettes concernant le domaine de Mardonios
et se rapportant aux années 3 à 10 de Xerxès est daté selon la chronologie
babylonienne de - 483 à - 476, soit 3 ans après la mort de
Mardonios lors de la bataille de Platées en - 479. Il est
difficile de croire à une
administration posthume de
Mardonios ; la chronologie
grecque est donc préférable. XII). Les rois perses de
la période achéménide
sont mentionnés à de
nombreuses reprises dans des
papyrus d'Éléphantine qui
ont l'avantage d'être
doublement datés dans
les calendriers égyptien et
babylonien. Une analyse
historique des calendriers
de cette époque indique cependant
que les Juifs d'Éléphantine, une importante ville dans le sud de l'Égypte, ont utilisé le calendrier
lunaire d'origine égyptienne (et non celui d'origine babylonienne), le
seul disponible à
cet endroit, pour
dater leurs documents administratifs. Le
cycle lunaire égyptien
débutait à la
pleine lune et
non au premier croissant, ce qui recule les
coïncidences de dates de 10 ans. XIII). Selon le texte
de Daniel (9,24-25), dans la
traduction juive de
Théodotion : « Un nombre de 70 semaines a été fixé (...) Sache-le donc et comprends
: à partir de l'édit qui sera émis
pour que Jérusalem soit mise à part et réédifiée, jusqu'au Christ chef, il y
aura 7 semaines et 62 semaines. » Les semaines désignent des
semaines d'années, ce
que tous les
traducteurs acceptent ; comme
l'édit émis pour reconstruire
Jérusalem est daté
de la 20e année d'Artaxerxès,
le Messie devait apparaître 483 ans [= (7+62)x7] après cette date. Or,
d'après le texte de Luc (3,1.15), le peuple juif attendait un messie
dans la 15e année de Tibère, soit en 29 de notre ère. Le point de
départ des 483 ans fixe donc la 20e année
d'Artaxerxès Ier en 455 (= 483 - 29 +1, car pas d'année 0), soit une
accession en 475 (= 455 + 20). Cette liste vous a-t-elle convaincus ? Moi, oui. Elle
me paraît forte, même si je n’ai pas les moyens de la contrôler de bout en
bout. Les études de prosopographie, en particulier, c’est-à-dire de relevés
systématiques de personnages responsables pour une période donnée, ou pour un
règne donné, me paraissent convaincantes. Manifestement, les
trésoriers Baratkama et Shakka
se sont succédés pour une période de 6 ans, puis 3 ans, à la fois sous
le règne de Darius Ier le Grand et sous le règne de son fils Xerxès, preuve
qu’il y eut bien une corégence entre les deux princes. Leurs deux trésoriers
n’ont pas pu se succéder deux fois dans le même ordre et pour les mêmes durées
sous le premier prince d’abord, puis sous le second. La mort de Thémistocle encore, vers – 471, me paraît bien
établie. S’il a rencontré le jeune roi Artaxerxès Ier, avec son ministre
Artaban, c’est bien la preuve que le vieil Xerxès est mort en – 475, avant
cette rencontre, et non pas comme le veut la chronologie officielle en – 465. La vingtième année d’Artaxerxès, qui sert de point de
point de départ aux soixante-dix semaines d’années (490 ans) annoncées par le
prophète Daniel (9) doit donc être fixée en – 455. Le point d’arrivée nous
conduit en 36 de notre ère. Et le milieu de la dernière des 70 semaines
correspond à l’année 33, qui vit le messie supprimé, entrevu par
le prophète. C’est l’année de la mort du Christ.