Note 49

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Formation du corpus

néotestamentaire

L’ « hypothèse du diacre Philippe »

Le corpus johannique

L’épître aux Hébreux

Le corpus pétrinien

Jacques, Jude

1°) « L’hypothèse du diacre Philippe » et la question synoptique

L'« hypothèse du diacre Philippe » est un aménagement du modèle des deux sources. Le diacre Philippe, l'un des Sept, serait l'auteur réel de notre premier évangile, après concertation avec Luc, compagnon de Paul, lors du séjour en Palestine de ce dernier, vers 57-59 (cf. Ac 21,8 --- 27,2).

Philippe, comme Luc, aurait hérité de deux sources: l'évangile de Marc, issu du témoignage et des prédications de l'apôtre Pierre, et les Logia du Seigneur rédigés en araméen par l'apôtre Matthieu, selon la tradition. C’est probablement Luc, familier de Paul comme Marc, qui aurait transmis l’évangile selon Marc à Philippe. Tandis que Philippe lui-même aurait transmis  les Logia du Seigneur à Luc, et peut-être même les auraient traduits, au moins oralement, à son intention. On sait que les Logia nous sont connus, par Matthieu grec et Luc, beaucoup plus dans leur sens que dans leur littéralité. Le diacre Philippe devait être un familier de saint Matthieu, comme de tous les autres apôtres de Jésus-Christ (les Douze). C’est par lui, parmi tous les autres, qu’il fut ordonné diacre (cf. Ac 6,6). Il reste fort possible qu’au moment de la dispersion des apôtres (vers l’an 44) Matthieu ait confié à Philippe le soin de publier ses notes sur les discours du Christ. Matthieu serait parti, nous dit-on, pour l’Ethiopie (H.E. III, 1 : d’après la mention de Rufin). Sans doute vint-il en Ethiopie à l’invitation du premier chrétien de ce pays : « un Ethiopien, un eunuque, haut fonctionnaire de Candace, reine d’Ethiopie, et surintendant de tous ses trésors » que, justement, Philippe avait converti et baptisé à son retour de Jérusalem, sur la route de Gaza (cf. Ac 8,26-40).

Philippe et Luc, en Palestine, auraient eu tout le temps de mener leur enquête personnelle.

L'helléniste Philippe et Luc auraient ensuite composé indépendamment l'un de l'autre, en grec, leur évangile respectif, l'un à Césarée maritime (Philippe) et l'autre à Rome (Luc).

Il ne serait pas impossible que Philippe comme Luc se fussent servis d’une version privée de Marc, plus ancienne (l’Urmarkus des exégètes allemands), non publiée, et légèrement différente de celle que nous connaissons.

Le diacre Philippe aurait laissé son évangile sous le patronage de Matthieu, l'apôtre, parce qu'il y insérait largement ses Logia et que le nom d'un apôtre était plus prestigieux.

Il faut remarquer qu'en Ac 21,8 Philippe est dit « Philippe l'évangéliste », ce qui signale pour le moins un spécialiste de l'évangile.

Cette hypothèse a l'avantage de concilier remarquablement les données de la tradition (critique externe) avec les données textuelles de la question synoptique (critique interne). Elle lève certaines apories de la Théorie des deux sources.

Pourquoi Matthieu grec (selon moi, Philippe) et Luc, quoique ayant travaillé indépendamment l'un de l'autre, connaissent-ils malgré tout des accords remarquables: même place des évangiles de l'enfance, insertion au même endroit dans la trame de Marc (Mc 3,19) des Béatitudes et du Sermon sur la montagne (quoique sous une forme très différente, et quoique Marc en cet endroit ne parle ni de béatitudes ni de sermon), utilisation de deux sources identiques: Marc et les Logia (avec des modalités très diverses), sans parler de certains accords de détails (contre Marc) qui font depuis longtemps la "croix" des exégètes.

Il n'y eut donc pas copie entre eux, mais bien concertation préalable, et même lecture commune des mêmes sources.

D'autre part, il est très vraisemblable que le premier évangile (Matthieu grec) ait été composé en Palestine, car il dénote une connaissance précise de ce pays.

On peut relever, de surcroît, que le témoignage intensif du diacre Philippe pour la rédaction des Actes des Apôtres paraît plus que probable. Pour ma part, je n’attribue pas moins aux récits de Philippe, dans les Actes, que les sections : 6 --- 8 ; 9,31 --- 11,18 ; 12,20-23. Ce qui est considérable. Ce sont les passages où Philippe est acteur principal, ou tout au moins témoin privilégié. Mais peut-être sa contribution fut-elle plus importante encore, car Philippe avait dû se renseigner avec acribie sur tous les débuts de l’Eglise de Jérusalem (1ère partie des Actes : 1,1 --- 15,35) et pour la deuxième partie : 21,8 --- 27,2, il fut témoin du séjour de Paul en Palestine et particulièrement dans la capitale administrative, Césarée maritime.

Dans son travail de composition, Luc aurait bénéficié encore de nombreuses sources, écrites ou orales, sans compter les résultats de son enquête personnelle. Sa méthode d’exposition, particulièrement scrupuleuse, et modeste, les laisse deviner.

Voici comment, dans l’évangile de Luc et dans les Actes nous répartissons ces sources probables :

Plan de Luc, d’après ses sources présumées :

 

Marie (par Jean)

1,1 --- 2,52 (+ 3,23-38)

 

Marc

3,1 --- 6,19 (- 3,23-38)

 

Matthieu araméen

6,20 --- 8,3

 

Marc

8,4 --- 9,50

 

Matthieu araméen

9,51 --- 18,14

 

Marc

18,15-43

 

Luc (enquête personnelle)

19,1-27

 

Marc

19,28 --- 23,7

 

Luc (enquête personnelle)

23,8-12

 

Marc

23,13 --- 24,8

 

Jean

24,9-53

Plan des Actes, d’après leurs sources présumées :

 

Jean

1,1 --- 5,42

 

Philippe

6,1 --- 8,40

 

Paul

9,1-30

 

Philippe

9,31 --- 11,18

 

Paul

11,19-30

 

Marc ( ?)

12,1-19

 

Philippe

12,20-23

 

Paul

12,24 --- 16,9

 

Luc (compagnon de Paul)

16,10-17

 

Paul

16,18 --- 18,23

 

Aquila ( ?)

18,24 --- 19,7

 

Paul

19,8-22

 

Aquila ( ?)

19,23-40

 

Paul

20,1-4

 

Luc (compagnon de Paul)

20,5 --- 28,31

Cette étude des sources chez Luc, dans l’évangile comme dans les Actes, constitue encore le meilleur des plans de ces deux ouvrages, tant elles sont repérables.

L’ « hypothèse du diacre Philippe » pourrait encore être prolongée.

Une ancienne tradition nous dit que le troisième évangile aurait été composé et peut-être édité en Grèce : selon un prologue du II e siècle de l’évangile de Luc (cf. Fitzmyer, Luke 1,38-39).

Justement, Luc a sûrement suivi Paul en Grèce, après sa libération de sa première captivité romaine.

Là,  il aurait donné une deuxième édition de son livret, comprenant évangile et Actes, lequel nous est parvenu selon une double tradition manuscrite : la tradition alexandrine et la tradition dite « occidentale ». Pour moi, Luc aurait repris de mémoire son propre livret (évangile et Actes) et l’aurait restitué avec quelques ajouts, ou quelques suppressions (selon le scénario envisagé).

Luc aurait également participé, sous l’autorité de Paul, à la rédaction des épîtres dites Pastorales : 1 et 2 Tm, Tt. Cela est d’autant plus vraisemblable qu’en 2 Tm 4,11 on lit : « Seul Luc est avec moi. » Depuis longtemps la critique a cru reconnaître le style et le vocabulaire de Luc dans lesdites épîtres pastorales.

C’est à Luc également qu’il faut attribuer la réunion et surtout l’édition du corpus paulinien. Il l’aurait fait en deux étapes : une première édition,  sans les épîtres pastorales, et avant leur rédaction ; une deuxième édition avec les épîtres pastorales.

L’ « hypothèse du diacre Philippe », avec ses prolongements, nous apporte donc des lumières considérables sur la confection du corpus néotestamentaire.

2. Le corpus johannique

Le corpus de Jean comprend le IVe évangile, trois épîtres, et l’Apocalypse.

Mais la critique interne de l’Apocalypse nous amènera très rapidement à la conclusion que l’Apocalypse, bien que située en dernier dans nos bibles, est loin d’être le dernier des écrits johanniques, mais bien au contraire le premier et le plus ancien.

La critique interne de l'Apocalypse conduirait très certainement à une datation de l'Apocalypse du temps de Néron, et plus précisément du temps de la persécution de Néron (vers 66-67). La Bête de 666 (cf. Ap 13,18) ne serait autre que Néron lui-même selon l'interprétation la plus fréquemment donnée de cette gématrie.

D'autre part l'écrivain nous déclare (cf. Ap 17,10) que lorsqu'il écrivait le sixième "Roi" était encore vivant. Or le sixième empereur romain (basileus, en grec) fut précisément Néron selon la manière habituelle de compter des Anciens (cf. Suétone: Vie des douze Césars). Soit:

1. César

2. Auguste

3. Tibère

4. Caligula

5. Claude

6. Néron

Cette manière de voir éclaire l'Apocalypse. Les deux témoins de Ap 11,1-13 ne seraient autres que les apôtres Pierre et Paul, victimes récentes de la persécution de Néron. Babylone, la ville assise sur 7 collines (cf. Ap 17,9), serait, bien sûr, Rome.

La Femme, mère de l'enfant mâle (cf. Ap 12), ne peut être que Marie, mère du Christ, dont, on le sait, Jean avait pris la charge (cf. Jn 19,27).

Le petit livre de Ap 10, révélé à Jean mais non encore rédigé, n'est autre que le futur quatrième évangile que Jean méditait déjà dans sa retraite de Patmos, avec sa division nettement septénaire (les sept tonnerres, ou révélations, de Ap 10,3-4).

La première tête de la Bête (cf. Ap 13,3) blessée à mort, mais qui reprit vie, fut César, fondateur de la dynastie, assassiné aux ides de mars (en - 44) mais ressuscité en la personne de ses successeurs qui reprenaient son nom de César.

On peut interpréter le millénium d'Ap 20,1-6, et la première résurrection, comme un temps de réussite provisoire de l'Eglise du Christ, temps qui devait suivre la chute de l'empire romain. En somme une époque de chrétienté.

Il faut bien comprendre que l'Apocalypse ne prétend pas décrire seulement la fin du monde, et les catastrophes qui l'annonceront, mais bien toute l'histoire humaine, avec ses péripéties: le présent (des Eglises), cf. Ap 1,9 --- 3,22 ;  le passé, éloigné ou immédiat, cf. Ap 4,1 --- 13,18 ;  et l'avenir, proche ou lointain, cf. Ap 14,1 --- 22,5.

La parousie, et la Jérusalem d'en haut, sont seulement présentées en finale: cf. Ap 20,11 --- 22,5.

L'Apocalypse fut un écrit de circonstance destiné à réconforter les chrétiens par temps de persécution et à prédire la ruine de l' "Antéchrist", Néron actuellement régnant et dans son acmé. Il se promenait en Grèce, près de Patmos, lorsque Jean mettait par écrit sa prophétie.

On s'explique que ce livre, appelé à circuler sous le manteau, fût rédigé dans un langage symbolique et même chiffré.

En aucun cas l'Apocalypse ne fut composée pendant la persécution de Domitien, dont on n'est même pas sûr qu'elle ait existé. Irénée nous dit (Adv. Hae. V, 30,3 d’après le latin) que l'auteur de l'Apocalypse, et non pas l'Apocalypse elle-même, fut vu à la fin de l’imperium de Domitien, c'est-à-dire qu'il vécut très vieux; on a une confirmation de ce fait dans la finale du IV e évangile (cf. Jn 21,23).

La théorie documentaire qui fait de l'Apocalypse un patchwork composé de morceaux rapportés, de différentes époques ou de différents auteurs, est vigoureusement réfutée, d'une part par l'unité de style de ce petit ouvrage, et d'autre part par la rigueur du plan septénaire qu'on peut y découvrir et qui l'organise comme un tout [Voir Note 35, chapitre I]. Elle n'aurait pas de sens si elle n'eût été expédiée (dans son intégralité) avant la chute et le suicide de Néron (auxquels elle ne fait aucune allusion).

L'Apocalypse et le quatrième évangile, bien que du même auteur, furent rédigés dans des circonstances et à des époques très différentes. L'Apocalypse est plus ancienne que l'évangile de Jean, et son style nettement plus fruste, et d'autre part truffé de réminiscences vétérotestamentaires.

Dans ses épîtres, plus tardives également, Jean ne déclarera plus que Néron fût l'Antéchrist: c'était désormais obsolète; mais bien tout homme qui nie Jésus-Christ (cf. 1 Jn 2,22 ; 4,3).

Si donc l’Apocalypse fut rédigée par temps de persécution, vers les années 66-67, le IV e évangile et les épîtres témoignent d’un climat beaucoup plus serein. Ils sont plus tardifs, et ont été composés sous les Flaviens, dans les années 80-90. On ne saurait dire si les épîtres ont précédé la publication de l’évangile, ou si elles l’ont suivie.

Il me semble pourtant que la langue – aussi bien que la doctrine – sont encore mieux maîtrisées dans les épîtres que dans l’évangile, et la pensée plus systématique et aussi plus abstraite. Elles seraient donc plus récentes.

La rédaction du IV e évangile a dû représenter un processus assez long, puisque ce « petit livre » était déjà clairement annoncé dans l’Apocalypse (chap. 10) comme nous l’avons dit, avec ses sept divisions principales (semaine ou fêtes juives, compte non tenu de l’appendice). Cet évangile semble bien avoir fait l’objet de longues méditations, et même de compléments : surtout le chap. 21 (que nous appelons l’appendice), avec sa nouvelle conclusion de l’évangile. Mais ces remaniements furent tous rédigés de la même main. L’unité de style est trop flagrante.

Même des phrases comme : « Son témoignage est véritable et celui-là sait qu’il dit vrai. » (Jn 19,35) ou encore : « C’est ce disciple qui témoigne de ces faits. » (Jn 21,24) sont particulièrement typiques du style de Jean, et de son parti pris d’anonymat dans l’évangile. On peut y voir de discrètes signatures.  

Jean, quand il composait, a dû avoir l’évangile de Luc sous les yeux, car on  discerne pas mal d’affinités dans sa langue avec celle de Luc. Il parle des Douze (cf. Jn 6,67) sans se soucier de montrer comment ils furent nommés. Par ailleurs, il déclare comme une évidence, sans le démontrer, que le Messie (donc le Christ) devait naître à Bethléem (cf. Jn 7,42). Jean suppose connus les trois évangiles que nous appelons synoptiques.

3. L’épître aux Hébreux

L’appartenance de l’épître aux Hébreux au corpus paulinien est très ancienne dans la  tradition chrétienne. Dans le papyrus P 46, daté des environs de l’an 200, l’épître aux Hébreux se situe juste après l’épître aux Romains. La finale de l’épître aux Hébreux ressemble beaucoup aux finales des autres épîtres de Paul, avec la mention, en particulier, de Timothée, un proche de l’apôtre Paul. De plus l’épître est envoyée d’Italie (cf. He 13,24), et probablement de Rome où l’on sait que Paul a séjourné.

Cependant cette épître ne comporte pas dans son en-tête la mention habituelle de l’apôtre ; elle est anonyme, contrairement aux autres épîtres du corpus paulinien. Le style du corps de l’épître, comme son argumentation, et sa manière de solliciter les Ecritures sont différents de ceux de Paul.

On peut conclure de tous ces indices que cette épître fut composée par un membre de l’entourage de Paul, l’un de ses familiers. Mais en même temps elle dénote une personnalité forte, ayant beaucoup d’autorité sur les correspondants auxquels elle s’adresse, probablement des judéo-chrétiens, de langue grecque cependant, en un mot des hellénistes. Peut-être même fut-elle expédiée par le secrétariat de l’apôtre Paul, tant la finale de l’épître se calque sur le modèle des épîtres authentiquement pauliniennes. Ce secrétariat a dû en garder une copie, et la joindre aussitôt à la collection des épîtres de Paul. L’épître aux Hébreux fut connue très tôt en Occident ; elle est citée dans l’épître de saint Clément romain (fin du Ier siècle).

J’avoue que l’attribution de cette épître à saint Barnabé, compagnon de Paul, par Tertullien dans le De Pudicitia (20) me paraît très convaincante. Cette attribution précise est la seule vraisemblable qui nous soit parvenue de l’antiquité chrétienne.

Les écrits pseudo-clémentins mentionnent la venue de saint Barnabé à Rome, où il aurait rejoint l’apôtre Paul. Ces écrits sont romanesques, ou légendaires. Mais ils ont pu conserver un souvenir historique précis. 

L’analyse interne de l’épître ne fait que renforcer cette attribution. On peut trouver des correspondances remarquables entre l’épître aux Hébreux et la description de saint Barnabé qui nous est livrée dans les Actes des Apôtres. On peut énumérer de cette façon les principales :

1°) « Fils d’exhortation » et « Paroles d’exhortation » :

Ac 4,36

He 13,22

2°) Compétence particulière dans l’exhortation et l’encouragement :

Ac 11,23 ; 13,15 ; 15,31-32

He 3,13 ; 6,18 ; 12,5 ; 13,19

3°) Connaissance approfondie, plus livresque que vécue, de l’ancien culte d’Israël :

Ac 4,36 (lévite originaire de Chypre)

He 1,5 --- 10,18

4°) Insistance sur la nécessité de la mise en commun des ressources :

Ac 4,37

He 13,16

5°) Résolution de se bien conduire et réputation de bonne conscience ;

Ac 11,24

He 13,18

6°) Autorité insigne sur les communautés judéo-chrétiennes de Palestine ou d’Antioche :

Ac 11,23.26.30 ; 14,27-28 ; 15,2-4 ; 15,12.22.25.35

Toute l’épître aux Hébreux, à commencer par son titre.

7°) Insistance sur la déférence due aux chefs, et spécialement aux apôtres :

Ac 4,37 ; 11,30

He 13,7.17

8°) Intime connaissance de la pensée de saint Paul :

Ac 9,27 ; 11,25 --- 15,40

He 7,18-19 ; 9,9-10 ; 11 ; etc...

9°) Une certaine tendance à la dramatisation et à l’intransigeance :

Ac 5,1-11 (la fraude d’Ananie, aux conséquences terribles, est le contrepoint de la générosité de Barnabé).

He 2,2-3 ; 3,7 --- 4,11 ; 6,4-8 ; 10,26-31 ; 12,14-17 ; 13,17

On a pu relever dans la pensée de l’auteur de l’épître aux hébreux des influences alexandrines, et en particulier de Philon.

Mais l’on sait, justement, que Chypre, dont était originaire Barnabé, était depuis la plus haute antiquité dans la mouvance de l’Egypte et de sa capitale : Alexandrie, dans la période grecque. Une influence de la pensée philonienne sur Barnabé n’aurait donc rien d’invraisemblable.

4°) Le corpus pétrinien

 Les deux épîtres, mises sous le nom de l’apôtre Pierre, portent bien entendu la marque des secrétaires de Pierre qui les ont rédigées en grec sur ses indications. On connaît les noms de ces secrétaires, cités dans la première épître ; c’étaient Silvain et Marc lui-même (cf. 1 P 5,12-13), qui étaient aussi des disciples de Paul. C’est pourquoi leur pensée est très proche de celle de Paul, et parfois même étonnamment proche, jusqu’à reprendre ses expressions. D’ailleurs, dans la deuxième, il est expressément parlé des lettres de Paul, déjà mises au rang des Ecritures inspirées (cf. 2 P 3,15-16). Pas étonnant qu’on ait cherché à les imiter.

On doit insister sur le fait que, dans l’antiquité chrétienne, le « paulinisme », ou la pensée théologique de Paul, fut très tôt laissé comme en friche. Le paulinisme, et la doctrine de la grâce, ne referont guère surface dans l’Eglise qu’avec saint Augustin. Raison de plus pour opiner que le corpus pétrinien fut pratiquement contemporain des épîtres de Paul.

Par deux fois au moins, dans la seconde épître, saint Pierre menace le monde d’un embrasement général (cf. 2 P 3,7.10). Pas étonnant qu’après l’incendie de Rome, on ait accusé les chrétiens d’avoir mis le feu à la ville, si l’enseignement apostolique comportait habituellement de telles menaces ! Que de pareilles intentions aient été mises sous la plume de Pierre par un pseudépigraphiste postérieur paraît bien peu vraisemblable. D’après Tacite, les chrétiens étaient soupçonnés de « haine du genre humain ».

Ces épîtres ont été envoyées de Rome (cf. 1 P 5,13 : Babylone = Rome). Elles sont consciemment liées entre elles : « Voici déjà, très chers, la deuxième lettre que je vous écris » (2 P 3,1) et forment un corpus.

Les prophéties contenues au futur dans la seconde épître, sont considérées comme réalisées par l’épître de Jude qui y fait de nombreuses allusions ; elle s’y réfère même explicitement : « Mais vous, très chers, rappelez-vous ce qui a été prédit par les apôtres de notre Seigneur Jésus Christ. » (Jude 17). L’épître de Jude est donc postérieure aux épîtres de Pierre, contrairement à l’opinion assez commune des exégètes, et les suppose connues. Ce qui laisse deviner que les épîtres de Pierre ont acquis assez tôt une grande renommée.

5. Jacques. Jude

Jacques et Jude furent les deux « frères du Seigneur », qui faisaient également partie du collège des Douze (cf. Ac 1,9) ; et Jude était le frère (et non le fils, comme habituellement traduit !) de Jacques. D’ailleurs, il commence ainsi son épître : « Jude, serviteur de Jésus-Christ, frère de Jacques. » (Jude 1).

On peut remarquer que Jacques (cf. Jc 1,1), pas plus que Jude (cf. supra), ne se nomment « apôtre », par modestie. Jean non plus dans ses épîtres, ni dans l’Apocalypse, ne se dit  « apôtre ». 

On a parfois essayé de dédoubler les « frères du Seigneur », Jacques, Simon et Jude, des apôtres du même nom. Mais l’antiquité, pas plus que saint Paul lui-même (cf. Ga 1,19, correctement traduit : « Je n’ai pas vu d’autre apôtre, sinon |ei mê, nisi] Jacques le frère du Seigneur »), n’ont connu ce dédoublement. Jusqu’au Concile de Trente inclus, l’Eglise d’Occident n’a jamais douté de l’identité de ces personnages.

Les fantomatiques Apôtres : Jacques, Simon et Jude, non « frères du Seigneur », n’ont laissé aucun souvenir à la postérité. On a aucune idée, historique ou légendaire, des lieux où aurait pu se développer leur apostolat.  Par contre Jacques, Simon et Jude, Apôtres et « frères du Seigneur » tiennent une grande place dans l’histoire de l’Eglise ancienne, ne serait-ce que par les deux épîtres canoniques qu’on leur attribue.

Clément d’Alexandrie, cité par Eusèbe (H.E. II, 1, 5), affirme formellement : « Il y eut deux Jacques : l’un, le juste qui, ayant été jeté du pinacle du Temple, fut frappé jusqu’à la mort d’un bâton d’un foulon, et l’autre qui fut décapité. » Il montrait bien par là, et Eusèbe avec lui, qu’il n’avait entendu parler que de deux Jacques : le Majeur (ou le premier) frère de Jean ; le Mineur (ou second) « frère du Seigneur » et apôtre.

Jacques et son frère Simon sont connus par l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe comme ayant été les deux premiers évêques successifs de Jérusalem. Jude aurait été le seul « frère du Seigneur » marié. Sa descendance aurait été inquiétée à plusieurs reprises par le pouvoir romain comme héritière de David, et aspirante implicite à la royauté (cf. H.E. III, 12 ; 19-20).

L’épître de Jacques est forcément antérieure à l’an 62, date probable du martyre de l’apôtre Jacques le mineur. Mais elle semble bien donner une interprétation de la parole de la Genèse : « Abraham crut à Dieu, cela lui fut compté comme justice » (Gn 15,6 ; cf. Jc 2,23-24), différente de celle de l’épître aux Galates (3,6-7) et de l’épître aux Romains (4,3-5). Elle serait donc postérieure à la diffusion de ces deux épîtres de saint Paul, par ailleurs presque contemporaines (vers 54-56). 

L’épître de Jude, comme on l’a vu, se réfère abondamment à la Secunda Petri. Elle serait donc postérieure au martyre de Pierre, et probablement à la ruine de Jérusalem, en 70.

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