Note 33

Le « Maître de Justice » des esséniens n’a pu être qu’Onias III

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I.) INCIPIT

Le Maître de justice, fondateur du parti des esséniens, n’a pu être qu’Onias III, le grand prêtre juif déposé en 175, à l’avènement d’Antiochus Epiphane, puis assassiné en 170.

-- Le grand prêtre Onias III, déposé en 175 avant notre ère, fut le dernier des prêtres sadocites légitimes (son frère Jason, pour Jésus, imposé par Antiochus, ne fut qu’un usurpateur). Or les esséniens se sont toujours réclamés de leur fidélité à Sadoq (grand prêtre de Salomon et donc premier grand prêtre, en date, du Temple) et à leurs successeurs. Les Oniades, en effet, furent les derniers des sadocites connus. (L’hypothèse d’Emile Puech, et d’autres, que les Oniades eussent exercé le souverain pontificat de 159 à 152, période pour laquelle le nom du grand prêtre reste inconnu, si même il y en eut un, est arbitraire. Au surplus, Jonathan qui les aurait évincés en 152 ne saurait être considéré comme un prêtre impie, même de la part des esséniens, qui furent plutôt favorables à l’insurrection maccabéenne. D’ailleurs un éloge du roi Jonathan, trouvé parmi les manuscrits de Qoumrân (4Q448), ne va pas du tout dans le sens de cette thèse, si même il ne l’infirme pas complètement.)

-- Le prêtre Onias III a subi la persécution et l’exil, comme il est dit avec insistance du Maître de justice.

-- Le prêtre Onias III a été assassiné « dans sa demeure d’exil » (en 170), à l’instigation d’un prêtre impie (Ménélas), comme il est dit du Maître de justice.

-- L’Ecrit de Damas (dont certains fragments ont été retrouvés à Qoumrân), décrivant l’origine de la Nouvelle Alliance (les esséniens), annonçait une période de 390 + 20 ans, après la déportation à Babylone, pour l’apparition du Maître de justice (Ecrit de Damas 1,5-11),

587 – 390 – 20 = 177.

Ce comput désigne sans ambiguïté le pontificat d’Onias III.  

Tous ces indices sont forts, et militent pour une reconnaissance d’Onias III comme ayant été le Maître de justice, le maître à penser et le fondateur des esséniens.

Reprenons les principaux documents.

II.) L’Ecrit de Damas

Les allusions que faisait l’Ecrit de Damas, dès ses premiers mots, aux débuts de la domination séleucide, et à la persécution d’Antiochus Epiphane étaient transparentes.

Nous citons, en inscrivant nos propres commentaires entre crochets.

« Car, à cause de leur infidélité [celle des Juifs postexiliques], à eux qui l’avaient abandonné [c’est de Dieu dont il est parlé], il cacha sa face à Israël et à son sanctuaire, et il les livra au glaive [celui des Lagides]. Mais se souvenant de l’Alliance des patriarches, il laissa un reste à Israël et ne les livra pas à l’extermination. Et au temps de la colère, trois cent quatre-vingt dix ans après qu’il les eut livré dans la main de Nabuchodonosor, roi de Babylone [la déportation], il les visita, [587 – 390 = 197, après la bataille de Panion, début de la domination séleucide] et il fit pousser d’Israël et d’Aaron [de la descendance de Jacob et plus précisément des prêtres] une racine de plantation [les Oniades, Onias II, Simon II fils d’Onias II, puis Onias III fils de Simon II] pour posséder son pays et pour s’engraisser des biens de son sol [on sait que depuis le retour d’exil, les grands prêtres furent les véritables maîtres du pays]. Et ils [les Juifs repentants] comprirent leur iniquité, et ils reconnurent qu’ils étaient des hommes coupables. [Les Oniades furent de véritables Maîtres de justice, ou de sainteté ; se reporter par exemple à l’éloge de Simon II, fils d’Onias II, donné par le livre de l’Ecclésiastique, 50, 1-21]. Mais ils [les contemporains] furent comme des aveugles et comme des gens qui cherchent le chemin en tâtonnant durant vingt ans [197 – 20 = 177, nous voici parvenus au pontificat d’Onias III]. Et Dieu considéra leurs œuvres [celle des Oniades], car d’un cœur parfait ils l’avaient cherché ; et il [Dieu] leur [les Juifs pieux] suscita un Maître de justice [Onias III] pour les conduire dans la voie chère à son cœur et pour faire connaître aux dernières générations [celles auxquelles l’auteur se voit parvenu] ce qu’il ferait à la dernière génération [la génération actuelle], à la congrégation des traîtres [les philhellènes, les partisans des Séleucides, les syncrétistes]. Ce sont eux qui se sont écartés de la voie [divine] ; c’est le temps dont il est écrit [dans Osée 4,16] : Comme une génisse rebelle, ainsi fut rebelle Israël, lorsque s’est levé l’homme de raillerie [Jason, frère d’Onias III, mais complice d’Antiochus Epiphane], qui, par ses vaticinations [ses prédications de grand prêtre usurpateur], fit couler sur Israël des eaux de mensonge [les mœurs grecques] et les égara dans un désert sans chemin, abaissant les hauteurs éternelles [de la Religion révélée] et s’écartant des sentiers de justice [suivis par les Oniades fidèles] et déplaçant la limite que les ancêtres avaient fixées dans leur héritage |violant les règles traditionnelles de succession au souverain pontificat], afin d’attacher à eux les malédictions de son alliance, les livrant au glaive vengeur [celui d’Antiochus Epiphane], vengeur de l’alliance [rompue]. Parce qu’ils avaient recherché les choses flatteuses et choisi les illusions [probablement les compétitions sportives, introduites par les grecs] ; et qu’ils avaient guetté les brèches et choisi la beauté du cou [allusion probable à l’éphébie] ; et qu’ils avaient déclaré juste l’impie [Ménélas, nouveau grand prêtre imposé] et déclaré impie le juste [Onias III], et qu’ils avaient transgressé l’alliance et violé le précepte [abandon de la Torah] ; et qu’ils avaient attenté à la vie du juste [assassinat d’Onias III, en 170, dans son exil de Daphné, près d’Antioche] et que leur âme avait pris en horreur tous ceux qui marchent dans la perfection [les Oniades et leurs partisans, ceux que nous pouvons appeler désormais les esséniens], et qu’ils les avaient persécutés par le glaive, et qu’ils avaient fomenté la discorde civile [troubles persistants à Jérusalem, de 170 à 167, à la suite du meurtre d’Onias III et du retour de Jason] : alors la colère de Dieu [la grande persécution d’Antiochus Epiphane, de 167 à 164] s’enflamma contre leur congrégation [l’assemblée désormais illégitime de Jérusalem], dévastant toute leur multitude [innombrables victimes parmi les Juifs], et leurs œuvres furent comme une impureté devant lui [apostasie des masses, devenues désormais schismatiques].«  (Ecrit de Damas I, 3 --- II, 1).  

Songeons que les grands prêtres sadocites se succédèrent régulièrement de père en fils, depuis Sadoq lui-même jusqu’à Onias III, de Salomon jusqu’à l’avènement du persécuteur Antiochus Epiphane, de 970 environ jusqu’à 175, soit près de huit siècles. Longévité dynastique assez extraordinaire. Il ne paraît pas du tout étonnant qu’un parti important de Juifs, surtout composé de prêtres,  eût souhaité leur rester fidèle, les considérant comme seuls légitimes.

III.) Les commentaires de Qoumrân

La lecture des Pesharim (Commentaires) trouvés à Qoumrân ne fera que nous confirmer dans notre hypothèse (qu’Onias III serait le Maître de justice). En lisant ceux-ci dans les Ecrits intertestamentaires nous serons obligés de faire face, non pas certes aux traductions, mais aux interprétations tendancieuses d’André Dupont-Sommer.

Nous continuons de placer entre crochets nos propres commentaires.

« L’explication de cette parole [d’Habacuc] concerne le Prêtre  [Ménélas] qui s’est révolté et a violé les préceptes de Dieu, et il a été livré aux mains de ses ennemis et ils se sont acharnés contre lui afin de le frapper  en vertu des jugements qui punissent l’impiété ; et des profanateurs méchants ont exercé des horreurs sur lui et des vengeances sur son corps de chair. [Description du supplice horrible subi par le grand prêtre Ménélas, assassin d’Onias III, quand il fut livré par Antiochus V aux grecs de Bérée, cf. 2 M 13,3-8] » (Commentaire d’Habacuc 8,16 – 9,2).

« L’explication de ceci [toujours Habacuc] concerne le Prêtre impie [Ménélas] qu’à cause de l’iniquité commise contre le Maître de justice [Onias III] et les hommes de son conseil [son entourage de grand prêtre], Dieu a livré aux mains de ses ennemis afin de l’humilier par un coup exterminateur, dans les amertumes d’âme, parce qu’il avait agi d’une façon impie à l’égard de ses élus [Ménélas a été précipité dans une tour de cendres : cf. 2 M 13,3-8]. » (Commentaire d’Habacuc 9,9-12).

« L’explication de cette parole [toujours Habacuc] concerne le vaticineur [Jason] de mensonge qui a égaré beaucoup de gens [dans les mœurs hellènes] pour bâtir sa ville de vanité [peut-être l’Acra] dans le meurtre et pour ériger une congrégation [une communauté religieuse] dans la tromperie à cause de sa gloire [adoptant le nom grec de Jason, par vanité], afin que beaucoup peinassent à son service de vanité [dans ses travaux de bâtisseur] et afin qu’ils conçussent en des œuvres de tromperie [des stades, des gymnases] ; afin que leur labeur fût pour le néant [et non pour Dieu] ; afin qu’ils vinssent aux jugements de feu [la persécution], pour avoir insulté et outragé les élus de Dieu [les fidèles d’Onias III]. « (Commentaire d’Habacuc 10,9-13).

« L’explication de ceci [encore Habacuc] concerne le Prêtre impie [Ménélas], qui a persécuté le Maître de justice [Onias III], l’engloutissant dans l’irritation de sa fureur [à cause de ses reproches hautains] en sa demeure d’exil … [le faisant mettre à mort dans son exil de Daphné : cf. 2 M 4,33-34]. » (Commentaire d’Habacuc 11,4-6).

« L’explication de ceci [le psaume 37] concerne le Prêtre impie [Ménélas], qui a guetté le juste [Onias III] et l’a mis à mort [l’a fait mettre à mort en 170 avant J.C.], mais Dieu a délivré son âme de la mort et il l’a réveillé par l’esprit qu’il a envoyé vers lui [croyance en la survie des justes]. Et Dieu ne l’a point laissé périr et il ne l’a point abandonné quand il a été jugé [rétribution des justes dans l’au-delà, et non point résurrection, comme le voudrait André Dupont-Sommer !]. Quant à lui le Prêtre impie [Ménélas] Dieu lui paiera [plus tard] sa rétribution en le livrant aux mains des scélérats des nations pour exercer sur lui la vengeance. [Ménélas conduit à Bérée, en Macédoine, sur l’ordre d’Antiochus V, y fut exécuté selon la coutume du lieu : cf. 2 M 13,4-6]. »  (Commentaire du Psaume 37, 4,8-10).  

IV.) Le livre d’Hénoch

Si maintenant nous parcourons le livre d’Hénoch, pseudépigraphe dont la composition a pu s’étaler, selon la critique, du retour d’exil jusqu’a – 40, et dont on a retrouvé à Qoumrân des fragments araméens, nous n’aurons pas de démenti à nos idées.

1°) L’Apocalypse au bestiaire (1 H 85-90)

Le visionnaire de l’Apocalypse au bestiaire (cf. I Hénoch 85 - 90), semblait fixer l’apparition de la secte des esséniens à la 59 ème des périodes pastorales après l’exil.

Périodes de 7 ans.

Soit entre 181 [587 – (58 X 7) = 181] et 174 [587 – (59 X 7) = 174], ce qui correspond remarquablement au pontificat d’Onias III.

Lisons plutôt.

« Tous les pasteurs [c’étaient des anges qui étaient censés paître Israël, depuis l’exil] avaient accompli, chacun en son temps, cinquante-huit périodes [ on était donc rendu en l’an 181], et voici qu’il naquit de ces moutons |les Juifs] des agneaux blancs [les esséniens, des prêtres, et qui se faisaient un devoir d’être vêtus de blancs comme les prêtres] qui commencèrent à ouvrir les yeux [de leur conscience], à voir et à appeler les moutons [pour les interpeller]. Mais ceux-ci les persécutèrent ; ils n’écoutaient pas leur appel ; au contraire, leur surdité et leur aveuglement allèrent en s’aggravant. J’ai vu [c’est Hénoch, personnage antédiluvien, qui est censé parler] en vision les corbeaux [sans doute les païens, les grecs] fondre sur ces agneaux [les esséniens], saisir l’un d’eux [le grand prêtre Onias III], déchirer les moutons [tous les Juifs]  et les dévorer [dans la persécution]. » (I Hénoch 90,5-8).

André Caquot commente ainsi en note (Ecrits intertestamentaires, La Pléiade, pages 590-591) :

« (Ces soixante périodes pastorales qu’avait vues le prophète) nous conduisent, semble-t-il, soixante semaines d’années après 587, soit après 167. On a peut-être ici la limite de l’expérience vécue de l’auteur à partir de laquelle la rétrospective historique fait place à l’annonce apocalyptique. L’Apocalypse au bestiaire aurait donc été composée durant la soixante et unième période, celle qui s’ouvre en 167. Rappelons que 167 est l’année où la persécution d’Antiochus Epiphane atteint son point culminant et où éclate la révolte maccabéenne, à laquelle 90,9 [la suite immédiate] fait une allusion assez claire. A l’intérieur de ces soixante périodes, ou semaines, l’auteur distingue un événement qui aurait eu lieu au bout de cinquante-huit périodes, soit après 181. »

« L’événement de la cinquante-neuvième période est l’apparition de la secte à laquelle l’auteur se rattache : elle est représentée par les agneaux blancs et clairvoyants qui appellent leurs frères à la conversion. Nous retrouvons ici le symbolisme de la couleur, abandonné depuis 89,12, où il était question de Jacob, ce qui pourrait suggérer que le groupe des agneaux blancs se considère comme le véritable Israël. On sait par Flavius Josèphe (Guerre juive, II, 8, 2.123) que les esséniens se faisaient un devoir d’être toujours vêtus de blanc. C’est peut-être la même date que L’Ecrit de Damas (1,5-10) a voulu distinguer en parlant de quatre cent dix ans d’aveuglement après la ruine de Jérusalem par Nabuchodonosor, ce qui nous conduit en 177, toujours en supposant que ce milieu avait une connaissance à peu près exacte de la chronologie. L’apparition du Maître de justice, signalée ensuite par l’Ecrit de Damas, serait placée un laps de temps indéterminé après cette date. »

« L’agneau enlevé paraît être Onias III, le dernier grand prêtre légitime, déposé par Antiochus Epiphane en 174 [ou 175] et assassiné en 170. Onias III était regardé comme un saint (voir 2 Maccabées 4,2) et s’il est représenté par un agneau, c’est probablement qu’il est revendiqué par la secte, peut-être à titre posthume. Comme dans Daniel 9,26 la disparition d’Onias III marquerait ainsi le début de la grande persécution. »

André Caquot ne conclut pas expressément de tout ceci qu’Onias III fût le Maître de justice des esséniens. Mais c’est contre la force prégnante des textes.

Le parti des esséniens nous apparaît de plus en plus comme une mouvance fidèle aux Oniades, considérés comme les successeurs légitimes de Sadoq, et plus spécialement au pontife déposé puis assassiné, Onias III.

C’était des Oniades que la secte des esséniens tenait vraisemblablement son calendrier solaire de 364 jours, opposé au calendrier lunaire officiel, imposé sans doute au Temple et aux Hasmonéens par les Séleucides, son hymnologie, son idéal de sainteté et même de pauvreté, et sa théologie particulière.

2°) L’Apocalypse des semaines (1 H 93-91)

Voici  un autre extrait du livre d’Hénoch, tiré de l’Apocalypse des semaines (1 Hénoch 93-91).  Il prouve avec évidence que la Congrégation des esséniens est apparue avant la révolte maccabéenne, au temps des Oniades.

Rappelons, d’après les notes d’André Caquot dans les Ecrits intertestamentaires, La Pléiade, 1987, que l’ordre des versets a été bouleversé dans la version éthiopienne, sur laquelle est bâtie la numérotation en usage. Mais cet ordre a été rétabli d’après d’importants fragments trouvés à Qoumrân ; c’est assez dire l’importance capitale de cette péricope.

Comme d’habitude, mes interprétations sont placées entre crochets droits. C’est l’histoire de l’humanité qui nous est décrite en termes de prophétie.

« Je [Hénoch] suis né le septième dans la première semaine [le premier stade antédiluvien]. Jusqu’à moi la justice et le droit avaient régné. Après moi, dans la deuxième semaine [celle du déluge], le mensonge et la violence fleuriront. Alors aura lieu le premier accomplissement [le déluge], mais alors aussi un homme sera sauvé [Noé]. Après l’accomplissement, la violence grandira, mais une loi sera instituée pour les pécheurs [la loi noachique]. Ensuite, dans la troisième semaine, à son accomplissement, un homme sera élu [Abraham], pour devenir une plante de juste jugement et sa postérité [Israël] deviendra une plante de justice pour l’éternité. Ensuite, dans la quatrième semaine [celle du séjour en Egypte], à son accomplissement, on aura des visions des saints et des justes, et il leur sera donné une loi et un enclos pour toutes les générations [Moïse]. Ensuite, dans la cinquième semaine [celle des juges], à son accomplissement, la maison de gloire et de royauté [celle de David] sera fondée pour l’éternité. Ensuite, dans la sixième semaine [celle des rois], ceux qui y vivront seront tous aveugles, et le cœur de chacun oubliera la sagesse, mais alors un homme [Eli] montera au ciel. A l’accomplissement de la semaine, la maison de royauté sera consumée par le feu [587], et alors toute la race issue de la racine élue [celle de Jessé] sera dispersée [dans la déportation]. Ensuite, dans la septième semaine [celle de l’auteur réel, la période postexilique], se lèvera une génération perverse [celle des contemporains]. Elle fera beaucoup de choses, et toutes ses œuvres seront perverses. Mais à l’accomplissement de la semaine seront choisis des justes comme témoins de la vérité issus de la plante de justice éternelle [les Oniades, les esséniens], et ils recevront au septuple la sagesse et la connaissance. Par eux seront extirpés les fondements de l’iniquité ainsi que l’œuvre du mensonge, à l’accomplissement du jugement. Ensuite viendra une huitième semaine, celle de la justice [celle des Maccabées], dans laquelle une épée sera donnée à tous les justes pour accomplir le juste jugement sur les impies, et ceux-ci seront livrés en leurs mains [l’auteur fut donc témoin de l’insurrection maccabéenne et de son succès]. A l’accomplissement de la semaine [dans le futur], ils acquerront des biens légitimes et le palais royal du Grand Dieu [le futur Temple] sera bâti dans la grandeur de sa majesté, pour toutes les générations. Ensuite viendra une neuvième semaine [celle du Messie]. »

« La justice et le juste jugement seront dévoilés à tous les fils de la terre entière [universalité de la rédemption], toute l’œuvre des impies s’en ira de toute la terre, on les jettera dans la fosse éternelle [à la parousie] et tous les hommes verront la voie de la justice éternelle. Ensuite, dans la dixième semaine, en sa septième partie aura lieu le jugement du monde [la fin du monde], viendra le temps du grand jugement qui sera exercé parmi les anges. Les premiers cieux passeront ; alors des cieux neufs apparaîtront, toutes les puissances des cieux brillant et resplendissant au centuple. Ensuite viendront des semaines nombreuses, innombrables, sans fin [l’éternité] où tous accompliront la vertu et la justice, et dès lors le péché ne sera plus nommé à jamais. » (1 Hénoch 93,3-10 ; 91,11-17).

Les esséniens avaient indubitablement précédé les Maccabées. Nous retrouverons le même tempo de l’histoire dans le Testament de Lévi. (Voir plus loin chapitre VI, le Testament des douze Patriarches).  

V.) Le livre de Daniel

Deux autres chronologies, outre celles que nous venons déjà d’examiner (rappelons-nous : celles de l’Ecrit de Damas, de l’Apocalypse au bestiaire et de l’Apocalypse des semaines) viennent encore corroborer notre identification d’Onias III avec le Maître de justice et le fondateur du parti des esséniens : celle de Daniel (9,24-27) et celle du Testament de Lévi (16,1 --- 17,11), le Testament de Lévi (16,1) se référant explicitement à la chronologie des 70 semaines, celle de Daniel.

Dans Daniel donc, nous lisons ceci : « Sont assignées septante semaines [d’années] pour ton peuple et ta ville sainte pour mettre un terme à la transgression. » (Dn 9,24).

Le point de départ du comput est à fixer en 604, date de la révélation faite à Jérémie des soixante-dix ans d’exil (cf. Jr 25,11).

Un peu plus loin nous lisons dans Daniel : « Et après les soixante-deux semaines un Oint supprimé et il n’y a point de crime en lui. » (Dn 9,26 d’après la traduction de Théodotion ; cf. B.J. note ad locum).

604 – (62 x 7) = 170

Ce qui correspond remarquablement à l’année de l’assassinat d’Onias III.

Onias III se voyait ici sobrement mais très exactement décrit : car il était oint en sa qualité de grand prêtre, et il avait une réputation de sainteté. C’était ce même Onias III, probablement, que Daniel qualifierait de Prince d’une Alliance, en 11,22. « Prince d’une Alliance » ou « chef d’une l’Alliance », voila bien un vocabulaire typiquement qoumranien pour désigner le Maître de justice.

VI.) Le Testament des douze Patriarches

Le Testament de Lévi, troisième des douze testaments, se situait d’emblée dans le même comput des soixante-dix semaines, faisant manifestement référence au livre de Daniel : « Et maintenant, je sais que vous errerez pendant soixante-dix semaines [celles de Daniel, à dater de la prophétie de Jérémie], que vous profanerez le sacerdoce [dont les fils de Lévi étaient les détenteurs] et que vous souillerez les sacrifices. Vous transgresserez la Loi et vous mépriserez les paroles des prophètes par dépravation. Vous persécuterez des hommes justes [les Oniades] et vous haïrez des pieux [les Hasidim, ou encore les esséniens] ; vous aurez en abomination les paroles de vérité. L’homme qui aura renouvelé la Loi par la puissance du Très-Haut [Onias III], vous le saluerez du titre d’imposteur [sa déposition en 175] et, finalement, vous vous jetterez sur lui pour le tuer [son meurtre en 170], ne sachant pas qu’il se relèvera [par la Congrégation de ses partisans et successeurs] et faisant retomber dans votre malice le sang innocent sur votre tête [mort ignominieuse de Ménélas]. Mais, je vous le dis, à cause de lui votre sanctuaire sera souillé jusqu’aux fondements [profanation du Temple par Antiochus Epiphane]. Vous n’aurez plus un lieu pur [les esséniens considéraient comme souillé désormais le Temple de Jérusalem], mais vous deviendrez parmi les nations un objet de malédiction et une dispersion [allusion à la Diaspora juive], jusqu’à ce que lui-même vous visite à nouveau et qu’ému de pitié il vous reçoive par la foi [celle en Jésus-Christ ?] et l’eau [celle du baptême ?] ». (Testament de Lévi 16,1-5).

Le Testament de Lévi se lançait aussitôt après dans un nouveau comput (décidemment !), celui des sept jubilés sacerdotaux (cf. 17,1-11) dans lequel, très justement, André Dupont-Sommer et son élève, Marc Philonenko, voyaient une description de la dynastie des Hasmonéens, laquelle précisément avait pris naissance à l’occasion de la persécution d’Antiochus Epiphane. (Révolte de Mattathias en 167).

L’auteur décrivait six jubilés successifs.

« Dans le septième jubilé [celui qui correspond au pontificat d’Hyrcan II, 76-67, puis 63-40], il y aura une souillure telle que je ne puis la dire devant les hommes ; car ils les connaîtront, ceux qui auront commis ces crimes ! » (Testament de Lévi 17,8).

André Dupont-Sommer et Marc Philonenko voyaient dans ce crime horrible une allusion au meurtre du Maître de Justice. Mais c’était manifestement une erreur. Le meurtre d’Onias III venait d’être décrit un peu plus haut, au verset 16,3, dans un segment que nous avons analysé longuement (cf. supra). Il se plaçait dans  la période précédant l’avènement des Hasmonéens, celle des soixante-deux semaines (le meurtre d’Onias III intervenant toutefois au tout début de la 63 e semaine, comme indiqué dans Daniel).

La phrase énigmatique du Testament de Lévi, ici même (17,8), ne faisait pas référence au meurtre du Maître de justice, décrit et proclamé très ouvertement par nombre d’écrits qoumraniens ou esséniens, et dans ce même Testament de Lévi, quelques lignes plus haut. On ne voit vraiment pas pourquoi l’auteur le tairait maintenant : « une souillure telle que je ne puis le dire devant les hommes. » Non, l’auteur devait faire allusion à quelque crime sexuel, tel que ceux évoqués verset 11 : « Dans la septième semaine [celle précisément d’Hyrcan II], viendront des prêtres idolâtres, adultères, cupides, orgueilleux, iniques, dépravés, pédérastes et adonnés au crime de bestialité. » (17,11).

Le meurtre du Maître de justice avait certainement précédé la révolte des Maccabées. C’est bien ainsi qu’il faut comprendre le Testament de Lévi. 

Finalement nous obtenons cinq chronologies distinctes (celles de L’Ecrit de Damas, de l’Apocalypse au bestiaire, de l’Apocalypse des semaines, de Daniel et du Testament de Lévi, dont les quatre premières peuvent être dites indépendantes l’une de l’autre) pour désigner sans conteste Onias III comme le Maître de Justice. Si celle de Daniel est peu explicite, la chronologie du Testament de Lévi la complète heureusement, avec toute la clarté désirable.

VII.) Identification du « Maître de justice » des esséniens.

Méthode d’identification judiciaire, dite aux 17 points

Dans le tableau ci-dessous nous comparons systématiquement, selon les méthodes d’identification de la police judiciaire, les qualificatifs qui concernent le Maître de justice dans les documents esséniens, les pseudépigraphes et le livre de Daniel, et d’autre part les données historiques sur les grands prêtres juifs, et Onias III en particulier, contenues dans Ezéchiel, les Livres des Maccabées et l’historien Josèphe.

(Les références aux écrits esséniens et aux pseudépigraphes renvoient aux traductions de : La Bible, Ecrits intertestamentaires, Gallimard, 1987).

Rubriques

Le Maître de justice

Références

Textes esséniens

Pseudépigraphes

Livre de Daniel

Onias III

Références

Livres des Maccabées

Ezéchiel

Josèphe

I. Prêtre

Oui

E. Damas 1,7

E. Damas 2,12

E. Damas 6,1

E. Damas 6,2-3

P. du Ps 37, 3,15

Dn 9,26

Oui

2 M 3,1

II. Prêtre sadocite présumé

Oui

Règle 5,2

Règle 5,8-9

Règle annexe 1,2

Règle annexe  1,24

Règle annexe 2,3

Bénédictions 3,22

E. Damas 3,21 – 4,6

Oui

Ant. Jd. 10 – 11

Ez 40,46

Ez 43,19

Ez 44,15

Ez 48,11

III. Zélé pour la Loi

Oui

E. Damas 6,2-11

Hymnes, H 4,10

Hym. ,J, 6,10-11

Hym. ,L, 7,19,22

Hym.,X, 14,13-15

Hym., X, 14,21-22

Hym., Y, 14,25-26

P. du Ps 37, 3,14-17

P. du Ps 37, 4,3-5

Test. de Lévi 16,3

Oui

2 M 3,1 --- 4,38

2 M 15,12

IV. Il a détesté les richesses et les gains

Oui

Hym., R, 10,22-23

Hym., R, 10,29-30

Hym., X, 14,20

Oui

2 M 3,1

2 M 3,12

2 M 3,15

2 M 4,2

2 M 4,33

2 M 15,12

V. En butte à l’hostilité des impies

Oui

E.Damas 1,11 –- 2,1

Hym.,B,C,D,E,F,H

Hym., I,5,17

Hym.,J,K,L,P

P. d’Hab. 5,8-12

P. d’Hab. 11,4-6

P. du Ps 37, 1,26-27

P. du Ps 37, 4,7-8

Test. de Lévi 16,3

Oui

2 M 3,1 --- 4,38

VI. Ses ennemis veulent adopter les mœurs étrangères, ou païennes

Oui

E. Damas 1,18-19

E. Damas,B, 1,21-24

Hym.,B, 2,18-19

Hym.,H, 4,15-17

Oui

1 M 1,11-15

2 M 4,10-20

VII. Ses ennemis sont les « bâtisseurs du mur »

Oui

E. Damas 8,12

E. Damas 8,18

E. Damas,B,1,24-25

P. d’Hab. 9,15 – 10,1

Oui

1 M 1,33-36

2 M 4,9

VIII. Ses ennemis sont mus par l’appât du gain

Oui

Hym., R, 10,24-25

P. d’Hab. 8,3-13

P. d’Hab. 9,12 – 10,1

P. d’Hab. 10,11

P. d’Hab. 12,3

P. d’Hab. 12,6-10

P. du Ps 37, 3,7-8

P. du Ps 37, 4,15

Oui

2 M 3 --- 4

2 M 13,7

IX. Exilé

Oui

E. Damas 4,6

Hym., H, 4,8-9

Hym., I,5,5-9

Hym., O, 8,26

P. d’Hab. 11,6

Oui

2 M 4,33

X. Présumé exilé au « pays de Damas », la Syrie

Oui

E. Damas 6,2-11

E. Damas 6,19

E. Damas 8,21

E. Damas,B, 1,33-34

E. Damas, B, 2,12

Oui

2 M 4,5

2 M 4,33

XI. Le « Maître de justice » réprimande ses ennemis avant sa mort

Oui

Hym. P, 9,8-9

Oui

2 M 4,33

XII. Frappé dans sa « demeure d’exil »

Oui

P. d’Hab. 11,4-6

Oui

2 M 4,33-34

XIII. Martyr

Oui

E. Damas 1,20

E. Damas,B, 1,7-9

Hym.,B, 2,17

Hym.,C, 2,22-24

Hym.,D, 2,32-33

Hym.,P, 9,23-28

Hym.,R, 10,33-36

P. d’Hab. 5,10

P. d’Hab. 11,4-6

P. du Ps 37, 4,7-8

I Hénoch 90,8

Test. de Lévi 16,3

Dn 9,26

Oui

2 M 4,30-38

XIV. Survivant en esprit

Oui

Hym., C, 2,23-25

Hym., F, 3,19-23

Hym., L, 7,12-15

Hym., L, 7,23-25

Hym., P, 9,24-26

P. du Ps 37, 4,7-9

Test. de Lévi 16,3

Oui

2 M 15,12-14

XV. Apparaissant après sa mort

Oui

P. d’Hab. 11,6-8

Oui

2 M 15,12-14

XVI. « Prince d’une Alliance »

Oui

Hym., H, 4,24-25

Hym., I, 5,9

Hym., J, 5,23

Hym., L, 7,19-22

Hym., X, 14,18-19

P. d’Hab. 2,3-4

P. du Ps 37, 3,15-17

Dn 8,11

Dn 11,22

Oui

2 M 3,1

XVII. Lié aux prophètes

Oui

P. d’Hab. 7,4-5

(cf. P. d’Hab. 2,1-10)

Oui

2 M 15,13-16

XVIII. Victime d’un « vaticineur »

Oui

E. Damas 1,13-19

E. Damas 5,20 – 6,2

E. Damas 8,12-13

P. d’Hab. 10,5-13

P. du Ps 37, 1,26-27

Oui

2 M 1,7

2 M 4,7-22

XIX. Victime d’un « Prêtre impie »

Oui

P. d’Hab. 1,12-13

P. d’Hab. 5,10-12

P. d’Hab. 8,16-17

P. d’Hab. 9,9-10

P. d’Hab. 11,2-6

P. du Ps 37, 4,13-15

P. du Ps 37, 4,7-8

Oui

2 M 4,23-38

XX. Le « Prêtre impie » est d’abord apparu sous un « nom de vérité »

Oui

P. d’Hab. 2,4

P. d’Hab. 8,9

Oui

2 M 4,24

2 M 4,27

XXI. Le « Prêtre impie » fut mû par l’appât du gain

Oui

P. d’Hab. 8,3-13

P. d’Hab. 9,12 – 10,1

P. d’Hab. 12,3

P. d’Hab. 12,6-10

P. du Ps 37, 4,15

Oui

2 M 4,23-50

2 M 13,7

XXII. Le « Prêtre impie » victime de la vengeance divine « sur son corps de chair »

Oui

Hym.,C, 2,29

P. d’Hab. 2,1-2

P. d’Hab. 8,16 – 9,2

P. d’Hab. 9, 9-12

P. d’Hab. 11,8-15

P. d’Hab. 11,17 – 12,6

P. du Ps 37, 4,9-10

P. du Ps 37, 4,13-15

Oui

2 M 13,1-8

XXIII. Le décès du Maître de justice est suivi de la discorde civile

Oui

E. Damas 1,21

Oui

2 M 5,1-10

XXIV. Le décès du Maître de justice est suivi d’une « vengeance divine », une « colère », une persécution

Oui

E. Damas 2,1

E. Damas 8,18

E. Damas,B, 1,10-13

E. Damas, B, 1,31

P. du Ps 37,1,26 –2,1

Test. de Lévi 16,3

Oui

1 M 1,64

2 M 4,16-17

2 M 5,20

2 M 6,12-17

XXV. Cette vengeance divine fut vraisemblablement la persécution d’Antiochus Epiphane

Oui

E. Damas 1,17 – 2,1

E. Damas 7,21 – 8,1

E. Damas 8,9-12

E. Damas,B,1,22-26

E. Damas,B,2,22-23

Hym., C, 2,27-28

P. Nahum 2,3

Dn 8,11-14

Dn 9,26-27

Dn 11,21-39

Dn 12,11

Oui

1 M 1,10-64

2 M 1,7-8

2 M 2,20-22

2 M 5,11 --- 9,29

XXVI. Une «souillure du Temple» fut consécutive à la mort du Maître de justice

Oui

E. Damas, B, 2,23

P. d’Hab. 12,8-9

Test. de Lévi 16,4-5

Dn 8,11-14

Dn 9,27

Dn 11,31

Dn 12,11

Oui

1 M 1,21-28

1 M 1,36-64

1 M 2,8-13

1 M 4,36-59

2 M 2,16

2 M 2,19

2 M 5,11-21

2 M 6,1-7

2 M 8,2

2 M 10,1-8

XXVII. Apparu 390 + 20 ans après la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor, en 587

587 – 390 – 20 = 177

Oui

E. Damas 1,5-12

Oui

2 M 3,1 --- 4,7

XXVIII. Apparu avant la révolte maccabéenne, pendant l’ère postexilique. Avant 167

Oui

E.Damas, B, 2,22-24

I Hénoch 90,8

I Hénoch 90,9-13

I Hénoch 93,10 –- 91,12

Test. de Lévi 16,3-5

Test. de Lévi 17,1-11

Oui

1 M 2

2 M 8

N. B. : P = Pesher = Commentaire

Conclusion de cette enquête :

Pour l’identification des cadavres, la police judiciaire se contente de 12 à 17 points de concordance entre la victime présumée et le corps à identifier.

Au-delà de 17 points, la preuve est considérée comme surabondante.

Ici, nous ne trouvons pas moins de 28 points de concordance entre le « Maître de justice », tel qu’il nous était décrit par les textes esséniens, les pseudépigraphes, le livre de Daniel, et le grand prêtre Onias III, tel qu’il nous est connu par les livres des Maccabées et l’historien Josèphe.

On remarquera que ce sont des points caractéristiques, nettement distincts les uns des autres. Par le dossier de références qui précède on peut vérifier que chacun des points est solidement documenté, aussi bien dans les textes esséniens, ou proches d’eux, que dans l’histoire.

On peut conclure que l’identification du grand prêtre Onias III, déposé puis assassiné, avec le « Maître de justice » des esséniens, et de Ménélas avec le « Prêtre impie », est non seulement prouvée, mais surabondamment prouvée par les textes. 

VIII.) Lettre de Mr André Caquot, de l’Institut

Ayant adressé ce dossier à Mr André Caquot, de l’Institut, et l’un des principaux auteurs de l’ouvrage : Les Ecrits intertestamentaires (Bibliothèque de La Pléiade, 1987), j’en ai reçu la lettre manuscrite suivante, que j’espère déchiffrer correctement :

Institut de France

Paris le 10 Avril 2000

Académie des inscriptions et belles-lettres

Monsieur,

J’ai lu avec le plus grand intérêt vos observations sur l’identité du Maître de justice qoumranien. Votre méthode d’identification judiciaire ne me semble pas avoir été appliquée à ce cas historique avec une rigueur comparable à celle que vous déployez. Elle entraînerait la conviction si certaines de vos 28 données n’étaient inacceptables, parce qu’elles procèdent de traductions erronées et/ou tendancieuses. Ces traductions remontent au travail d’André Dupont-Sommer dans les années 1950 et nul ne l’accepte aujourd’hui sans une sévère critique. Je suis personnellement désolé que la Bible de la Pléiade ait repris cette traduction, la plus contestable parmi toutes celles qu’a produites A. D.-S. Un point crucial est votre point XV, car le texte hébreu de p. Hab. XI, 6-8 dit : « dans sa demeure d’exil (du M.J.), et au temps de la fête chômée du jour des expiations, il (= le prêtre impie) a surgi pour les (la communauté du Maître de justice) engloutir. » Tous les interprètes y voient maintenant une allusion à une persécution des sectaires par le prêtre impie, en un Kippour de ceux-ci qui ne coïncidait pas avec celui de leurs adversaires. Dupont-Sommer n’a pas tenu compte du fait que le verbe traduit « apparaître » n’a pas dans la langue tardive la connotation « théophanique » que semblent lui conférer ses cinq attestations bibliques.

Autre point (sur lequel j’ai une opinion plus personnelle que sur le précédent) : le titre « prêtre » pourrait se dire du grand prêtre, mais il n’a jamais été prouvé qu’il le devrait. A mon sens on a fait fausse route en érigeant en dogme l’hypothèse « prêtre impie = un grand prêtre » (Hyrcan II selon D.S., Jonathan Maccabée selon la majorité des chercheurs). Le « prêtre » en question était certainement un grand personnage du Temple, et je penserais volontiers à un « stratège » du Temple (tel est son titre grec pour l’hébreu Sagan) comme le persécuteur anonyme des apôtres, selon Actes 4,1. Le texte dit 4 QMMT indique que le fondateur (ou réformateur) de la communauté qoumranienne a d’abord été en rapports courtois avec le destinataire de son épître, tout en se disputant avec lui sur des points de rituel. Peut-être a-t-on là le germe d’un conflit devenu violent à l’époque du p. Hab.

Ces réserves faites, je dois dire que si le M.J. était réellement un grand prêtre, votre hypothèse « Onias » serait la plus convaincante. Elle avait été envisagée, tout au début de la « qoumranologie », par l’excellent historien belge R. Goossens : « Onias le Juste, le Messie de la Nouvelle Alliance.. », Nouvelle Clio,1-2,1949-50, p. 336-353) ; par H.H. Rowley (The Zadokite fragments and the Dead Sea Scrolls, Oxford, 1952) ; et encore dans « The History of the Q. Sect. » Bulletin of the John Rylands Library, 49, 1966-7, p. 203-292) ; c’était aussi l’opinion d’E. Dhorme (d’après les CRRI, 1951, p. 199 sq.). Cette opinion semble avoir été oubliée vu le succès de l’identification du M.J. à Jonathan [A. Caquot veut sans doute dire : l’identification du Prêtre impie à Jonathan]. Plus près de nous, P.A. Rainbow : « The Last Oniad and the Teacher of Righteousness ». Journal of Jewish studies, 48, 1997, 30-52) pense que le M.J. était un fils d’Onias III (Simon III ?), mais c’est une curiosité.

Veuillez recevoir mes remerciements pour la réflexion  que vous m’avez proposée et la qualité de votre recherche. Veuillez également dire mon bon souvenir à M. Cornu et accepter, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

                                                     A. Caquot

Je n’ai pas répondu à Mr Caquot, car je ne désirais pas l’importuner. Mais j’aurais pu lui faire part de mon étonnement de le voir critiquer le livre de la Pléiade : « Les écrits intertestamentaires » (1987) alors qu’il en fut l’un des principaux auteurs et collaborateurs. Et comme il n’existe pas encore d’autre édition critique des textes de Qoumrân, et des pseudépigraphes, à la portée du grand public, on est bien obligé de s’en servir encore comme texte de référence.

C’est pourquoi je n’ai rien changé (sauf améliorations de détails) au libellé de mon « Identification du Maître de justice ». Si l’un des points sur lesquels elle repose, en l’occurrence le point XV, se révèle défaillant, cela n’enlève rien à la solidité de l’ensemble. Il reste encore, je le rappelle, 27 autres points soit un chiffre largement superfétatoire. Les points se veulent, et sont effectivement, indépendants les uns des autres.

De plus, l’argumentation de Mr Caquot ne me semble pas pleinement convaincante, même sur le fameux point XV (qui n’est qu’un élément dans un ensemble, une fibre dans un faisceau). En effet l’auteur du pescher d’Habacuc avait très bien pu utiliser le verbe, traduit par « apparaître », volontairement dans son sens biblique, ne serait-ce que par souci d’archaïsme. Et alors, dans ce cas précis, c’est André Dupont-Sommer qui aurait raison !

Une chose est certaine : en m’appuyant sur un ouvrage collectif qui n’allait pas du tout, ou fort peu, dans le sens de ma thèse je ne risquais pas de produire un travail tendancieux !

J’ai parcouru l’édition définitive des textes de Qoumrân donnée par les Américains et traduite de l’anglais. A mon sens, elle n’a pas de valeur critique. Elle n’ajoute que fort peu de choses à ce que nous connaissions déjà, et les commentaires théologiques dont elle a cru devoir accompagner ses traductions me paraissent insignifiants.  

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