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Théorie de la Sainte Trinité dans l’évangile de Jean

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29. --- « Le Fils ne peut faire de lui-même rien qu’il ne voie faire au Père. » (Jn 5,19). 

Le Fils tenait du Père tout son être de Fils, y compris la procession active de l’Esprit. Le Père « produisait » l’Esprit ; de même, à l’imitation de son Père, le Fils « produisait » l’Esprit : unique procession active, mais commune à l’un et à l’autre en tant qu’ils étaient un, en tant qu’ils étaient un seul et même Dieu. De même en effet que le Fils procédait de la substance de son Père, de l’être divin de son Père, de même l’Esprit procédait de l’unique substance, de l’unique être commun du Père et du Fils. A lui également, on pouvait attribuer la phrase du credo : Deum de Deo, Dieu issu de Dieu.

30. --- « Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait. » (Jn 5,20).

Le Père aimait son Fils dans, et par l’Esprit saint. Réciproquement, le Fils aimait le Père dans, et par le même Esprit Saint. Le Père montrait à son Fils comment « produire » l’Esprit Saint. C’était à dire qu’il lui accordait, lui communiquait, éternellement cette procession active de l’Esprit Saint, qu’il possédait lui-même. Dans les œuvres ad extra, il en allait de même. Car le Fils ne faisait, en tout, dans le temps comme dans l’éternité, qu’imiter son Père, même dans l’œuvre de création, même dans l’œuvre de la prédication de l’évangile, même dans l’envoi en mission sur terre de l’Esprit Saint. Tout, absolument tout, découlait du Père : la substance de la divinité comme la substance de ce monde.

31. --- « Il lui montrera des œuvres plus grandes encore que celles-ci : vous en serez stupéfaits. » (Jn 5,20).

Je venais de guérir un infirme à la piscine de Bézatha ? (Cf. Jn 5,1-18). Je ferais mieux encore : je me ressusciterais moi-même. Bien plus dans l’éternité, si vous en étiez dignes, je vous montrerais comment l’Esprit procédait de moi.

Les disciples seraient certes stupéfaits lors de la Résurrection du Christ (cf. Lc 24,37-43), lors de son Ascension (cf. Ac 1,10-11) ; ils seraient bien plus émerveillés encore dans le paradis !

32. --- « Le Fils donne la vie à qui il veut. » (Jn 5,21).

L’Esprit Saint était lui-même cette vie, mais il se recevait du Fils. Le Fils était lui-même la vie ; mais il la recevait du Père. La vie naturelle comme la vie surnaturelle nous parvenaient toujours par l’intermédiaire du Fils, qui était le canal obligé. Le Fils était celui qui donnait ce qu’il recevait, et qui ne gardait rien.

33. --- « Le Père ne juge personne : tout le jugement,  il l’a remis au Fils. » (Jn 5,22).

Le Fils était la divinité de son Père, moins la paternité : il serait cette divinité, y compris dans la fonction de juge.

34. --- « Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. » (Jn 5,23).

Un culte d’adoration serait dû à Jésus-Christ, tout comme au Père, tout comme à Dieu. Un culte de latrie.

35. --- « Il l’a constitué souverain juge parce qu’il est Fils de l’homme. » (Jn 5,27).

Parce que le Fils de l’homme était déjà destiné à s’incarner, dans le ciel où le prophète Daniel l’avait entr’aperçu, et parce qu’il s’était effectivement incarné.

En tant que « Fils de l’homme », ou plutôt en tant que « Fils » tout court, il était investi éternellement de la divinité du Père, et donc aussi de son pouvoir de « souverain juge ».

Le Fils de l’homme était une personne éternelle siégeant en permanence auprès de l’Ancien des jours, d’après le livre de Daniel (cf. Dn 7,12), ou auprès du Seigneur des esprits, selon le livre d’Hénoch (cf. 1 H 46,1).  

36. --- « Je ne puis rien faire de moi-même. Je juge selon ce que j’entends. » (Jn 5,30).

Certes, il était la divinité du Père. Mais il l’était pour l’avoir reçue. Cela, il ne l’oubliait jamais, car sa vie même était de se recevoir du Père. Il ne pouvait donc que juger selon la sentence entendue du Père.

37. --- « Si je me rends témoignage à moi-même mon témoignage ne vaut pas. Un autre me rend témoignage. » (Jn 5,31-32).

Si j’affirmais ne procéder que de moi-même, je mentirais ; mais j’affirmais bel et bien procéder de mon Père, dans tout mon être.

C’était donc un double témoignage qui était rendu en ma personne : celui de Dieu et celui de son Fils.

 Même en tant que j’étais homme, non seulement ma prière, mais encore l’exaucement de ma prière par Dieu mon Père formaient ensemble un double témoignage.

38. --- « Le Fils de l’homme, car c’est lui que le Père, que Dieu a marqué de son sceau. » (Jn 6,27).

En tant qu’homme, Jésus avait reçu au Jourdain le sceau de l’Esprit Saint. Mais en tant que Dieu, il recevait éternellement le don de l’Esprit Saint, qui était l’amour que son Père lui portait. Nous savons que sa réponse – d’homme aussi bien que de Dieu – n’était pas restée inactive.

Le sceau, c’était le comble ; le sceau, c’était la perfection ; le sceau, c’était l’achèvement. L’Esprit Saint, c’était le sceau de Dieu, car il marquait l’achèvement en Dieu des processions éternelles. Il était leur comble, leur fin insurpassable. L’Esprit était pour ainsi dire la perfection de Dieu. De même, sur cette terre, l’Esprit Saint accorderait-il la perfection de la révélation, de la foi et de l’amour.

Le baptême dans l’Esprit Saint – que nous nommerions la confirmation, ou la chrismation – confèrerait le sceau de l’initiation chrétienne.

Et ce sceau de l’Esprit Saint ne nous serait apposé que par pure grâce ; il ne nous serait connu que par pure révélation gratuite d’en haut. Il dépasserait irrémédiablement l’emprise de la raison, ou des sens : c’était pourquoi le péché contre l’Esprit Saint serait réputé irrémissible, à l’encontre du péché contre les autres personnes divines, celles du Père ou du Fils. 

39. --- « Le pain de Dieu c’est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde. » (Jn 6,33).

Le Fils était la vie, que lui-même avait reçue du Père. En s’incarnant, il donnait au monde cette vie. Le pain de Dieu, c’était ainsi Dieu qui se donnait lui-même en nourriture. Mais en empruntant des voies humaines, des voies sensibles, des voies visibles, car nous étions des êtres de chair. Des voies humaines pour aussitôt nous ramener à lui. Des moyens humains pour nous diviniser.

40. --- « Non que Personne ait vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu : celui-là a vu le Père. » (Jn 6,46).

Jésus enseignait ici sans équivoque sa préexistence éternelle au sein de Dieu.

Jésus avait contemplé Dieu dans les éthers éternels. Il le contemplait encore en Galilée, parmi les Juifs, car il ne laissait pas d’être Dieu. Autrement dit il jouissait, même ici-bas, même en tant qu’homme, de la vision béatifique. On ne saurait en effet installer de séparation, ou de division, dans la personne de Jésus-Christ. Il serait tout ensemble homme et Dieu.  

41. --- « Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais. Et le pain que moi, je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. » (Jn 6,51).

Dieu se fait pain. Le Christ se fait pain. La chair du Christ, désormais ressuscitée, en gloire au ciel, devient pour nous pain réel, pain substantiel, pain palpable, découpable, pain comestible, pain nutritionnel même pour notre corps de chair, aliment et boisson. Pain sensible, ayant toutes les propriétés et les apparences du pain matériel. Dieu s’est réellement fait pain.

Il ne s’agirait pas ici de professer une quelconque « impanation » (à la mode luthérienne) car la substance matérielle du pain sensible, sa substance « philosophique », ou « métaphysique », n’existe plus. Elle s’est volatilisée. Elle a été substituée par l’opération de la puissance divine. Non : la substance de ce pain sensible, c’est désormais la chair du Christ. « Le pain que moi, je donnerai, c’est ma chair. » Autrement dit : ce pain-là est devenu la chair du Christ. Subtil peut-être, mais non absurde : la chair glorifiée du Christ.

42. --- « De même qu’envoyé par le Père, qui est vivant, moi je vis par le Père. » (Jn 6,57).  

Je recevais dans l’éternité, et je donnais dans le temps, la vie éternelle qui n’était autre que la divinité du Père. Et je la donnais, bien entendu, dans l’Esprit. C’était Dieu qui, en réalité, se donnait.

43. --- « C’est l’Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie. » (Jn 6,63). 

La vie divine nous parvenait par des voies humaines, visibles, sensibles,  car nous n’étions que des mortels. Mais lesdites voies humaines, par elles-mêmes, n’étaient rien. Elles étaient inefficaces. Elles n’étaient que des média, des sacrements de la réalité divine laquelle, par nature, était spirituelle.

En moi et par moi, semblait dire Jésus, c’était l’Esprit Saint qui donnait la vie. Car je donnais et proférais l’Esprit aussi bien que je le recevais. Je proférais l’Esprit Saint, comme je proférais la vie.

44. --- « Nous croyons, nous, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. » (Jn 6,69).

« O Hagios toû Théoû. » « Le Saint de Dieu. » Le mot « Hagios » était au masculin, et non au neutre comme dans Luc (1,35).

Cette expression de Pierre, ou de l’évangéliste qui le plaçait dans la bouche de Pierre, serait plus difficile à analyser qu’il n’y paraîtrait de prime abord.  

Jésus était qualifié de « Saint » à plusieurs reprises dans le Nouveau Testament. Citons : Mc 1,24 ; Lc 1,35 ; 4,34 ; Ac 2,27 ; 3,14 ; 4,27.30 ; Ap 3,7.

Dieu était le Saint par excellence, et il se proclamait Saint. « Soyez saints, car moi, Yahvé votre Dieu, je suis saint. » (Lv 19,2). Les séraphins devant le trône de Dieu se criaient l’un à l’autre : « Saint, saint, saint est Yahvé Sabaot. Sa gloire remplit toute la terre. » (Is 6,3).

La sainteté était bien l’une des notions centrales de l’Ancien Testament. Elle voulait marquer l’inaccessibilité et la transcendance en soi d’un Dieu qui pourtant se révéler, la terreur qu’il inspirait dans les foudres du Sinaï.

Dieu daignait descendre parmi les hommes (immanence), mais il n’en restait pas moins le Dieu transcendant, et les hommes, sauf de rares privilégiés comme Moïse et Elie, ne pouvaient pas devenir ses familiers.

C’était pourquoi le culte de Yahvé était entouré de prescriptions rituelles, de lois de sainteté, extrêmement rigoureuses (cf. Lv 17 --- 26).   On ne pouvait oublier la distance qui séparait l’homme de son créateur.

Par extension, tout ce qui touchait à Yahvé était saint, les objets comme les personnes qui lui étaient consacrés.

Aaron lui-même était qualifié de Saint de Yahvé dans le psaume (106,16), parce qu’il avait été oint pour Dieu.

A fortiori devait être Saint de Yahvé le Messie et le Fils de Dieu.

Pierre semblait nous dire ici : parce qu’il était Dieu, le Christ était la sainteté en personne, la sainteté de Dieu. Parce qu’il était homme il devenait le Saint par excellence, celui qui avait été oint de l’Esprit Saint. Bien qu’homme au milieu des hommes, il n’en restait pas moins séparé, consacré, mis à part, en vertu de  l’élection divine.

45. --- « Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé. » (Jn 7,16).

Ma personne (éternelle) et ma doctrine (temporelle) provenaient du Père seul. Mais ma doctrine, c’était aussi mon Esprit. Ma doctrine, comme mon Esprit, en moi et par moi provenaient du Père seul.

46. --- « Celui qui cherche la gloire de celui qui l’a envoyé, celui-là est véridique ; il n’y a pas d’imposture en lui. » (Jn 7,18).

Celui [le Christ] qui cherche la gloire [l’Esprit] de celui [le Père] qui l’a envoyé, celui-là [le Christ] est véridique [est la Vérité] ; il n’y a pas d’imposture en lui [il ne peut pas mentir, car il proclame : rien ne vient de moi, tout vient du Père].

Jésus, se recevant éternellement d’un autre, se voyait entièrement dépossédé de lui-même, dans le temps comme dans l’éternité. Il était totalement désintéressé : c’était la raison pour laquelle son témoignage ne pouvait être que véridique.

Bien que Dieu, il n’était rien par lui-même, néant par lui-même ; il était d’un autre.

On pourrait parler, en un sens, de « l’humilité  de Dieu », comme a pu le faire, par exemple, le père Varillon (c’est le titre d’un de ses ouvrages). Mais ce terme d’ « humilité » visait d’abord l’homme (homo), tiré de la terre, de l’humus, du néant.

Le Christ ne venait pas du néant, mais de Dieu ; c’était à dire de l’être.

47. --- « Oui, vous me connaissez et vous savez d’où je suis… » (Jn 7,28). « Moi, je le connais, parce que je viens d’auprès de lui et que c’est lui qui m’a envoyé. » (Jn 7,29).

En tant qu’homme, je semblais provenir de la province de Galilée, de telle famille de Nazareth, de telle ascendance davidique. Et ainsi vous me connaissiez. Mais en tant que Dieu, je provenais éternellement de Dieu, et c’est lui qui m’avait envoyé dans ce monde. Et là vous ne me connaissiez pas.

Oui, je connais vraiment le Père. Je suis même la connaissance du Père. Je suis son Logos. Pour reprendre les mots d’Aristote, on pourrait dire que je suis « la Pensée de sa Pensée », la pure contemplation de son visage et de son être.

Comme il serait dit ailleurs, seul le Fils pouvait avoir une connaissance exhaustive du Père en tant que Père, et le révéler. Comme le Père pouvait seul avoir une connaissance exhaustive de son Fils en tant que Fils et nous le confier. (Cf. Mt 11,27 ; Lc 10,22). De même l’Esprit qui leur était commun avait-il une connaissance exhaustive du Père et du Fils, cet Esprit qui pénétrait les profondeurs de Dieu, comme dirait saint Paul (cf. 1 Co 2,10), et qui, par là, était Dieu.

48. --- « Je ne suis plus avec vous que pour peu de temps ; puis je m’en irai vers celui qui m’a envoyé. » (Jn 7,33).

En tant que Dieu, je me tiens toujours auprès de Dieu, et je ne suis même pas sorti de lui. En tant qu’homme je ne réside plus avec vous que pour ce bref intermède.

Dans son être humain, comme divin, Jésus pouvait se laisser comparer à un ascenseur, qu’on renvoie aussitôt qu’il est descendu. Il ne faisait qu’accomplir l’aller et retour ; du Père vers les hommes et des hommes vers le Père ; mais aussi du Père vers l’Esprit, et de l’Esprit vers le Père. Il n’était que pur transit, pur médium ; dans la « périchôrêsis » (circulation ou circumincession) divine, comme dans l’économie du salut.

49. --- « Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas ; où je suis, moi, vous, vous ne pouvez venir. » (Jn 7,34).

De lui-même Jésus-Christ habitait dans la transcendance divine, c’était à dire dans l’inaccessible. S’il venait chez les hommes, ce n’était que par pure grâce, pure « condescendance ». Et s’il remontait vers le Père, on ne le pouvait rejoindre par ses propres efforts. On ne le pouvait qu’en passant par lui, qui était la seule voie. On ne pouvait faire l’ascension vers Dieu qu’en montant pour ainsi dire dans les bras du Christ, en empruntant son ascenseur.

Mais les apôtres, et les autres disciples, suivraient enfin le chemin du Christ, en passant par la passion, par la Résurrection, et par l’Ascension.

50. --- « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Selon le mot de l’Ecriture : ‘De son sein couleront des fleuves d’eau vive’. » (Jn 7,37-38).

« De son sein couleront des fleuves d’eau vive » : cette phrase n’existait pas comme telle dans l’Ecriture. Mais c’était évidemment, ici, une citation accomodatice, ou un targum, du fameux épisode du rocher, dans le livre de l’Exode : « Tu frapperas le rocher, l’eau en jaillira et le peuple aura de quoi boire. » (Ex 17,6).

Nous étions dans la fête des Tabernacles (cf. Jn 7,2). Et cette fête comportait une « commémoration rituelle du miracle de l’eau symbolisant le don de la Torah » (Bible de Jérusalem, note ad locum).

Implicitement Jésus s’identifiait à ce rocher qui avait abreuvé le peuple hébreu dans le désert. Saint Paul reprendrait cette image (cf. 1 Co 10,4).

Jésus-Christ accueillait perpétuellement en son sein les flots de l’Esprit Saint. Il les communiquait aussi perpétuellement. Il ressemblait à la fontaine publique du village : elle ne produisait pas l’eau ; elle ne retenait pas l’eau ; elle la dispensait inlassablement à tous les assoiffés.

De la même manière les disciples, qui puiseraient à la source de la vie, deviendraient eux aussi des fontaines publiques où les passants pourraient se désaltérer.

L’Eglise, Temple spirituel, accomplirait la vision fameuse d’Ezéchiel. Le prophète avait contemplé des flots abondants qui s’échappaient du Temple futur de Jérusalem et assainissaient toute la région. (Cf. Ez 47,1-12).

51. --- « Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en lui ; car il n’y avait pas encore d’Esprit, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. » (Jn 7,39).

L’Esprit était connu nominalement depuis le baptême de Jésus dans le Jourdain et depuis le témoignage sans équivoque du Baptiste (cf. Jn 1,32) : déjà les disciples avaient pu être baptisés au nom des Trois Personnes de la Sainte Trinité (comme nous l’avons suggéré dans notre chapitre 2). Toutefois l’Esprit n’était pas encore été donné charismatiquement, avec ses sept dons, comme il ne le serait qu’au matin (cf. Ac 2,15) de la Pentecôte.

L’Esprit reposait certes sur Jésus, en tant qu’il était le Messie, depuis le baptême. Mais il ne reposait pas encore sur les disciples de Jésus, ni sur l’Eglise en tant que corps mystique : dans notre jargon théologique d’aujourd’hui nous poserions que les Apôtres se voyaient déjà baptisés (par anticipation des mérites de la passion), mais non encore confirmés, ou chrismés.

C’était pourquoi « il n’y avait pas encore d’Esprit », car l’Esprit n’avait pas encore été envoyé par Jésus, ressuscité et monté au ciel. (Cf. Lc 24,49 ; Ac 2,33).

52. --- « Je suis la lumière du monde ; qui me suis ne marchera pas dans les ténèbres, mais aura la lumière de la vie. » (Jn 8,12).

Au soir, ou plus exactement au lendemain de la fête des Tabernacles, qui était la grande fête de la lumière, Jésus s’autoproclamait à pleine voix comme étant la lumière du monde.

Lisons le grand connaisseur de la Terre sainte et de son histoire, Mgr Clemens Kopp, dans ses Itinéraires évangéliques (traduction de 1964, page 507) : « Après le premier jour de la fête et durant toute la semaine, quatre grands chandeliers placés dans le parvis des femmes répandaient leur lumière sur la ville toute entière, éclairant les danses aux flambeaux qui se déroulaient dans le parvis. »

Les chandeliers venaient donc juste d’être mouchés.

Jésus ne se présentait pas seulement comme la fontaine publique du village d’où coule l’eau, mais encore comme le candélabre qui éclaire toute une ville, comme la lumière, ou le soleil, qui éclaire toute la terre.  

Nous étions à l’aube (cf. Jn 8,2), à la porte de Nikanor (cf. Jn 8,20), qui donnait à l’est ; Jésus se trouvait donc face au soleil levant.

Lui-même était le foyer d’où divergeait toute lumière véritable, éclairant ce monde. Il était la lumière par l’exemple de sa vie, par l’évangile qu’il annonçait. En tant qu’il était le Logos (voir le prologue), il était celui qui, aux origines du monde, avait divisé la lumière des ténèbres, et encore aujourd’hui il venait dissiper les ténèbres du mal et du péché. En tant qu’il était Dieu, il diffusait éternellement cette lumière, ou cette chaleur, qui s’appelait l’Esprit Saint. L’Esprit Saint prenait feu exactement au point d’arc où s’opérait la fusion, par amour, du Père et de son Fils, fusion en un seul Dieu.

53. --- « Ils lui dirent alors : Où est ton Père ? Jésus répondit : Vous ne connaissez ni moi ni mon Père ; si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. » (Jn 8,19).

La connaissance de Yahvé, comme Père, entraînait forcément la connaissance de Yahvé comme Fils, et même comme Esprit, du moment que le Père et le Fils étaient censés s’aimer au point de ne faire qu’un seul Esprit, car ils sont Esprit (cf. 2 Co 3,17.18).  

Le Père et le Fils étaient la même chose que l’Esprit (c’était à dire un seul Dieu), si l’on exceptait toutefois la paternité et la filiation.

Jésus prononçait les paroles rapportées, au Trésor (cf. Jn 8,20) ; c’était à dire dans le parvis des femmes ; c’était à dire à l’intérieur du « sanctuaire » proprement dit, dans le Temple de Yahvé.

Il était vrai que les Juifs connaissaient déjà Yahvé comme « Il Est » (Ex 3,15). Mais ils ne l’acceptaient pas encore comme Père, ce mot pris absolument. Sinon ils eussent reconnu et accepté aussi le Fils. C’était donc pour eux une révélation nouvelle sur Dieu que Jésus leur proposait et demandait qu’on accueillît.

54. --- « Vous, vous êtes d’en bas ; moi, je suis d’en haut. » (Jn 8,23).

Vous êtes d’en bas en tant que créatures tirées du néant. Mais vous êtes d’en bas, aussi, en tant que pécheurs et incrédules, livrés aux puissances des ténèbres. Moi, je suis d’en haut, c’est-à-dire de Dieu. En tant que Fils éternel, je proviens de Dieu ; en tant qu’homme, je suis envoyé par Dieu.

55. --- « Si vous ne croyez pas que : ‘Je Suis’, vous mourrez dans vos péchés. » (Jn 8,24) « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que Je Suis. » (Jn 8,28).

Face aux Juifs incrédules, Jésus reprenait par deux fois la locution du livre de l’Exode : « Je Suis » (Ex 3,14). Il la reprendrait pour la troisième fois un peu plus tard, au cours de cette même fête des Tabernacles (cf. Jn 8,58), juste au moment de guérir l’aveugle-né. Il la reprendrait encore, très nettement, au cours du dernier repas (cf. Jn 13,19).

Nous étions ici toujours placés au Temple de Yahvé, face au Trésor (cf. Jn 8,20). Jésus s’affirmait Yahvé dans le Temple de Yahvé sans aucune précaution oratoire. Il y avait là, de sa part, comme une forme de provocation. Car les docteurs juifs, après une telle proclamation, ne pouvaient que, soit lui remettre les clefs du Temple en se prosternant à ses pieds pour l’adorer, soit le lapider sur-le-champ comme blasphémateur : c’était d’ailleurs cette seconde option qu’ils adopteraient,  un peu plus tard (cf. Jn 8,59), quand ils seraient absolument sûrs d’avoir bien compris et bien entendu.

Jésus n’était certes pas Yahvé, « Il Est », par lui-même, car il tenait sa divinité, son être, son « Je Suis », de son Père. Mais il était bel et bien Yahvé en lui-même depuis toute éternité. Oui, il était l’être, la substance, la vie, par le Père et avec le Saint Esprit. Il était l’être de tout être, la substance de toute substance, la vie de toute vie ; l’être qui créait tout être, la substance qui soutenait toute substance, la vie qui donnait vie à tout être vivant.

L’humanité d’alors, représentée par le peuple juif, le rejetait en tant que Yahvé. Elle récusait son témoignage, pourtant appuyé par la garantie des miracles qui avaient pour fonction de notifier la signature de Dieu, d’apporter le sceau de Dieu.

Mais quand Jésus, crucifié, aurait été élevé de terre, à la façon du serpent de bronze de Moïse (cf. Jn 3,14 ; Nb 21,4-9), alors l’humanité commencerait à croire vraiment qu’il était Yahvé, et à lui rendre un culte égal à celui de son Père.  

Par la simple « révélation » naturelle, par le raisonnement métaphysique, par les méditations des philosophes, ou des poètes, nous savions déjà que Dieu est : qu’il est l’être nécessaire, incréé, la cause incausée, le moteur non mû, l’acte pur, la Pensée de sa Pensée, l’être en soi et par soi ; le Soi de la pensée hindoue, le Tao ou la Voie des chinois, la Sagesse, la Parole éternelle, le Logos des grecs, le Fatum des latins, le Bien selon Platon et même, un peu plus tardivement (après le Christ), l’Un selon Plotin.

Quoiqu’il fût présent par immanence dans tous les êtres (cf. Ac 17,28), ce Dieu ne nous était connu que d’une manière anonyme, dans une transcendance froide et, par définition, inaccessible. Dieu n’était guère supputable, pour la raison, que par le mode de l’abstraction, ou par la voie indirecte de l’analogie.

La révélation faite à l’Horeb, à Moïse, nous avait déjà bouleversés : ce Dieu, si lointain, se manifestait en réalité tout proche de nous, il venait habiter chez nous, il venait nous parler. Certes on devait toujours dire de ce Dieu qu’ «il était ». Mais « il n’était » plus seulement dans les hauteurs de l’empyrée ; il résidait au milieu de son peuple ; il veillait sur lui, il le guidait, comme un père prend soin de son petit enfant.

Le « Il Est » que vous cherchiez, sans jamais l’atteindre, sans le connaître : « C’est Moi », me voici au milieu de vous, je suis votre providence.

Au moyen de la révélation vétérotestamentaire, le Dieu inaccessible de la raison s’était donc rendu sensible à son peuple et, par l’intermédiaire de ce peuple, s’ils le voulaient, à tous les peuples de la terre. Cependant Dieu, « Je Suis », ne s’était pas encore révélé dans sa vie intime. Nous savions déjà, par la raison, qu’ « il était » ; nous savions, par Abraham et par Moïse, qu’ « il était là », abstrait devenu concret, vivant au milieu de nous et joignable par la prière. Le Dieu abstrait de la philosophie, souvent peu distingué des faux dieux, s’était fait le Dieu unique et concret de l’histoire.

Mais en Jésus-Christ, Dieu se révélait définitivement comme Père, et Père d’un Fils, et Père d’un Fils aimé dans l’Esprit. « Je Suis », c’était donc un Père ; c’était donc un Fils ; c’était donc un Esprit ; et chacun de ces Trois pouvait dire également « Je Suis ». Mais les Trois ensemble ne composaient qu’un seul Yahvé, et devaient être adorés conjointement.

L’idée de « Père » contenait plus que celle de simple « géniteur ».

Le géniteur anonyme n’appelait que l’engendré anonyme.

Le Père appelait le Fils, et aussi l’Amour de ce Fils.

56. --- « Je ne fais rien de moi-même ; ce que le Père m’a enseigné, je le dis, et celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît. » (Jn 8,28-29).

Bien qu’étant Yahvé, Jésus ne l’était pas tout seul ! Il l’était par le Père ; il ne l’était qu’à l’imitation du Père dont il était la parfaite image, comme le diraient (ou l’avaient déjà dit au moment où Jean écrivait) : saint Paul (Cf. Col 1,15) et l’auteur de l’épître aux Hébreux (cf. He 1,3). Non seulement il était cette parfaite image du Père mais encore il ne quittait pas le Père et le Père était toujours avec lui. Entre le Père et le Fils régnait une parfaite identité dans l’unité, n’était la distinction des personnes qui subsistait. On pense ici à l’éloge que la Sagesse faisait d’elle-même, dans le livre des Proverbes : « J’étais à ses côtés [de Yahvé] comme le maître d’œuvre, faisant ses délices, jour après jour, m’ébattant tout le temps en sa présence, m’ébattant sur la surface de la terre et mettant mes délices à fréquenter les enfants des hommes. » (Pr 8,30-31).

57. --- « Moi, je dis ce que j’ai vu chez mon Père. » (Jn 8,38).

La prédication de Jésus-Christ procédait de la contemplation éternelle du Père, par son Fils : elle nous renseignait donc sur elle. Au moyen des confidences de Jésus, nous pénétrions pour ainsi dire dans l’intimité de la Trinité même.

58. --- « C’est de Dieu que je suis issu et que je viens. » (Jn 8,42).

Cela était vrai au plan temporel comme au plan éternel. L’un était à l’image de l’autre et procédait de l’autre. La mission du Fils, comme la mission de l’Esprit, étaient à l’image de leurs processions éternelles et par conséquent nous les décrivaient ; elles en étaient comme des décalques.

Le Fils était envoyé par le Père seul, comme il procédait du Père seul. L’Esprit était envoyé conjointement par le Père et par son Fils, de la même manière qu’il procédait de l’un et de l’autre.

Les missions divines avaient pour vocation de nous révéler Dieu, mais aussi de nous faire accéder à Dieu, proprement de nous diviniser. Elles étaient un déploiement, ou encore un rayonnement, dans la réalité créée de la réalité incréée.

59. --- « Dès l’origine, ce fut un homicide ; il n’était pas établi dans la vérité. » (Jn 8,44).

Dès l’origine de son existence, qui fut contemporaine de celle du monde (« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » [Gn 1,1] ; le ciel, c’était à dire les esprits célestes ; la terre, c’était à dire la réalité physique), bien que créé bon en tant que créature de Dieu, le démon refusa la grâce et fut un meurtrier – un meurtrier d’intention. Dès l’aube de l’humanité, il provoquait le meurtre d’Abel (cf. Gn 4,7). Mais dès les origines du monde il fomentait son complot contre l’homme, et surtout contre l’homme Jésus, oui, dès le « principe ». 

60. --- « Es-tu donc plus grand qu’Abraham, notre Père, qui est mort ? » (Jn 8,53).

Ayant devant les yeux un simple homme, un mortel, un homme encore jeune, les docteurs juifs ne pouvaient admettre qu’il fût plus grand qu’eux, vieillards rassis, qu’il fût plus grand que leur ancêtre Abraham, encore moins qu’il fût Yahvé en personne, comme il semblait l’affirmer. Yahvé, selon eux, ne pouvait pas se promener sur la terre sous forme humaine. Et pourtant, eussent-ils réfléchi ! Et pourtant se fussent-ils remémorés : Abraham, leur ancêtre dont ils se réclamaient, avait bel et bien accueilli spontanément Yahvé sous forme humaine, au chêne de Mambré (cf. Gn 18) ; ç’avait été trois hommes (Trois Personnes) qui passaient près de sa tente, au moment de faire la sieste ; mais lui-même ne dormait pas : « Dès qu’il les vit, il courut de l’entrée de la tente à leur rencontre et se prosterna à terre. » (Gn 18,2). Il avait reçu ; il avait reconnu ; il avait adoré.

61. --- « Vous dites : ‘Il est notre Dieu’ et pourtant vous ne le connaissez pas. Moi je le connais. » (Jn 8,54-55).

Les Juifs connaissaient Yahvé nominalement, comme étant le Dieu révélé, à Abraham d’abord, ensuite à Moïse. Mais ils ne le connaissaient pas intimement, personnellement. Ils ne le reconnaissaient pas comme Père. Leur péché actuel, c’était de ne pas accepter le témoignage concret des miracles qui accréditaient la mission de Jésus. Mais leur péché, c’était d’abord de ne pas faire confiance à Jésus, sur parole. Puisqu’ils croyaient en Dieu, disaient-ils, ils eussent dû comprendre que Dieu pût à tout instant leur envoyer un prophète pour leur parler, tel Jean-Baptiste, ou même leur déléguer son propre Fils : comme le Testament des douze Patriarches, par exemple, l’avait expressément annoncé. (Cf. Testament de Lévi 4,4).

62. --- « Avant qu’Abraham fût, Je Suis. Ils ramassèrent alors des pierres pour les lui jeter. » (Jn 8,58-59).

Nous voici parvenus sur l’un des sommets de la révélation néotestamentaire, et par tant biblique. Lesdits propos reprenaient, notons-le, l’essentiel de la révélation mosaïque, en ses propres termes. Ils reprenaient même tout l’acquis de la révélation naturelle, ou rationnelle. Selon les philosophes, en effet, Dieu pouvait se définir comme celui dont l’essence c’était d’être, son essence se confondant avec son existence. En lui donc, aucune distance entre l’essence et l’existence, entre l’être et la pensée. Pour cette raison qu’il était l’être sans aucune détermination ; et ceci non par défaut mais par excès, par infinité, par totalité. Il était l’Etre, tout simplement, l’Etre pris absolument.

Moïse, le futur libérateur, le futur législateur, avait ouï dans le buisson ardent (cf. Ex 3,14-15) Yahvé lui dire : cet Etre (celui des philosophes, celui de la religion naturelle), c’est moi ; je suis le « Je Suis ». « Il Est », Yahvé, est mon nom.

Jésus, devant les Juifs, reprenait avec insistance ce mot qui les heurtait : « Moi, Je Suis ». En Jn 8,30, un peu auparavant, nous avions vu quelques Juifs, ou même beaucoup, croire en lui. Ici, placés devant l’alternative inéluctable  de la foi, ou de la lapidation pour blasphème (cf. Lv 24,16), ils choisissaient la lapidation.

Il était vrai, mis en présence d’un quidam se promenant dans le Temple de Jérusalem et se prétendant Yahvé, les Juifs avaient bien le droit, peut-être même le devoir, de diligenter une enquête objective, ainsi d’ailleurs qu’ils n’avaient pas manqué de le faire au moment du surgissement du Baptiste (cf. Jn 1,19-28). Mais ils n’avaient pas le droit de récuser a priori le témoignage de Jésus, sans audition, sans confrontation, sans délibération, sans parole donnée à la défense.

L’un des leurs, Nicodème, n’avait pas manqué, comme on nous le rapportait un peu plus haut, de le leur reprocher vertement : « Notre Loi condamne-t-elle un homme sans qu’on l’entende et qu’on sache ce qu’il a fait ? » (Jn 7,51).

63. --- « Crois-tu au Fils de l’homme ? » (Jn 9,35). « ‘Je crois, Seigneur’, et il se prosterna devant lui. » (Jn 9,38).

Le Fils de l’homme, c’était l’équivalent de l’Homme éternel, de la Personne éternelle, dans les visions grandioses du prophète Daniel et dans les Paraboles d’Hénoch : c’était l’équivalent de Yahvé. Placé devant ce Fils de l’homme, l’aveugle-né – guéri – faisait ce que les chefs juifs n’avaient point fait, ce que pourtant Abraham (cf. Gn 18,2), lui, avait fait : il se prosternait pour adorer.

C’était parce qu’il était un homme que Jésus-Christ pouvait être reconnu comme ce fameux Fils de l’homme qu’avaient entrevu le prophète Daniel (cf. Dn 7) et l’auteur du livre d’Hénoch (cf. 1 H, seconde et troisième paraboles). Mais c’était en même temps parce qu’il était le Fils de l’homme qu’il était Dieu. Chez les auteurs cités, en effet, Fils d’homme, ou fils d’Adam, ou « comme un fils d’homme », signifiait seulement Personne, ou « semblable à une personne humaine ».  Mais ce « Fils d’homme », cette personne d’aspect « humain », pouvait fort bien être éternel, comme l’affirmait explicitement l’auteur du livre d’Hénoch (cf. 1 H 48,3.6). Personne éternelle, ou encore Fils éternel, siégeant auprès d’un Dieu éternel et partageant son trône. Mais tant qu’on n’avait pas vu Jésus sur cette terre, tant qu’on n’avait pas vu le Logos vivant, tant qu’on n’avait pas pu le toucher, le palper, l’entendre, boire et manger avec lui, on pouvait subodorer ou craindre que le Fils de l’homme annoncé ne fût autre chose qu’un rêve sorti tout droit de l’imagination des poètes, une figure de rhétorique, une simple image aimable de la divinité. Mais une fois qu’on avait rencontré et reconnu Jésus-Christ, on ne pouvait plus douter que le Logos, la Sagesse de Dieu et le Fils de l’homme ne formassent plus qu’une seule et même Personne distincte, celle du Fils.

64. --- « Si vous étiez des aveugles, vous seriez sans péché. » (Jn 9,41).

L’aveugle avait vu, et même il avait cru, parce qu’il avait avoué son aveuglement. Les chefs juifs ne voyaient plus, au dire de Jésus (cf. Jn 9,39), et a fortiori ne croyaient pas, parce que, précisément, ils prétendaient voir : la suffisance, et la vertu d’humilité qui lui fait face, sont à la source de l’incrédulité comme de la foi.

65. --- « Je suis la porte. » (Jn 10,9).

« Je Suis », et je suis la porte. La porte, c’était à dire le passage obligé, le seuil à franchir, la voie du trafic.

Plus que jamais Jésus se proclamait Yahvé. Car il s’affirmait la porte, la voie, le lieu du transit, le canal, la communication Il était le milieu, le médium, le moyen.

Il l’était déjà en Dieu, car toutes les processions divines passaient par lui : il était engendré par le Père, mais le Saint-Esprit procédait également du Père par le Fils : procession médiate du Saint-Esprit, selon la formule autorisée du Docteur angélique. 

Il l’était pour les hommes : le salut en effet, et la réception de l’Esprit Saint n’advenaient que par lui. La création ne s’était opérée que par lui et le rachat du monde ne se réaliserait jamais que par lui. Il était le Médiateur (cf. 1 Tm 2,5) universel de la grâce, mais aussi le passage obligé de l’accès au Père. Cette notion de Médium se conciliait d’ailleurs fort bien avec celle de Logos. Etymologiquement, on le sait, Logos signifie « lien » (racine indo-européenne : leg).

Le Logos était celui qui liait Dieu, en Dieu ; et celui qui liait Dieu et le monde.

66. --- « Je suis le bon pasteur. » (Jn 10,11).

Encore un titre messianique, ou yahvique.

Dans l’Ancienne Alliance, Yahvé s’était fait connaître comme le berger de son peuple Durant l’exode, il avait conduit sa marche à travers le désert. Le psaume (23) avait célébré Yahvé comme le Bon Pasteur et, par le truchement d’Ezéchiel (cf. Ez 34), Yahvé avait annoncé qu’à la fin des temps il reprendrait la guidance de son peuple, écartant les mauvais bergers.

En Jésus, qui était Messie-Berger-Yahvé, s’accomplissait sciemment cette prophétie.

67. --- « Comme le Père me connaît et que je connais le Père. » (Jn 10,15).

Connaissance absolue, le Fils étant l’icone (sans accent circonflexe) du Père, parfaite image de sa divinité (cf. Col 1,15). A son tour, le Père se connaissait lui-même dans son Fils, « pensée de sa pensée » (formule d’Aristote). De cette connaissance réciproque jaillissait l’Amour.

Entre les brebis et leur berger (voir paragraphe précédent, n°66) pouvait aussi s’établir une connaissance similaire (œuvre du Logos), d’où pouvait aussi jaillir l’amour (œuvre de l’Esprit).

68. --- « Si le Père m’aime, c’est que je donne ma vie. » (Jn 10,17).

Etant le Médium, étant un pur passage, le Fils ne devait rien garder pour lui-même ; il devait tout donner, y compris sa propre vie sur terre, y compris dans l’éternité l’Esprit Saint. C’était à ce prix qu’il était aimé, pour son absolu dessaisissement, son absolu désintéressement, sa kénose (cf. Ph 2,6-8) : don de soi, de tout ce qu’il était ou avait. S’il était Yahvé c’était, pour ainsi dire, pour autrui.

Les discours qui précèdent venaient d’être prononcés par Jésus dans le Temple, lors de la fête des Tabernacles, en automne donc. Jésus les reprendrait dans ce même Temple, en hiver, à l’occasion de la fête de la Dédicace.  

69. --- « Le Père qui me les a données est plus grand que tous et nul ne peut rien arracher de la main du Père. Le Père et moi, nous sommes un. » (Jn 10,29-30).

On ne saurait s’y tromper : le Père de Jésus-Christ, c’était Yahvé, le Seigneur des univers, le Dieu du Sinaï, terrible et redoutable. Plus grand que tous les êtres, car seul être de soi. Si ce Dieu s’était voulu l’unique pasteur d’Israël, ce n’était pas pour se laisser dépouiller des brebis par quiconque. 

Or, c’était en parlant de ce Dieu-là que Jésus affirmait avec tranquillité : Lui et Moi, nous ne sommes qu’un. « Hen », en grec (h représentant l’esprit rude), c’était le nombre cardinal au neutre ; un, c’était à dire « une seule chose ». Ce que les théologiens postérieurs traduiront : une seule substance, une seule nature divine, un seul Etre. Dans la bouche de Jésus, cette formule revenait à poser : le Père et moi sommes non pas deux, mais un seul Dieu. Une seule divinité, car la divinité ne pourrait se partager, au sens de se scinder. Un seul infini, car deux infinis réalisés ne sauraient logiquement coexister. Affirmation à la fois du monothéisme le plus radical, mais aussi d’une connaissance nouvelle de l’être intime de Dieu : l’absolu se dévoilait soudain comme relation.  

Il faut bien voir que le monothéisme est une exigence impérieuse de la raison humaine, laquelle ne saurait admettre plusieurs principes.

Mais ceci posé, il convient de relever aussi que le monothéisme philosophique a du mal à rendre compte de la diversité dans l’être. S’il est un, radicalement un, comment peut-il se diviser à l’infini dans les êtres créés ? Comment peut-il engendrer le multiple ? Ceci est le problème éternel de l’Un et du Multiple, bien délimité, en occident, par les philosophes présocratiques.

L’enseignement de Jésus permettait d’entrevoir la relation, et par conséquent le pluriel, au sein de l’Être unique.

Ainsi la doctrine de la Trinité, loin de s’opposer aux vœux secrets de la raison, les comblait au contraire à la perfection, au-delà de ses espérances.

70. --- « Toi, qui n’est qu’un homme, tu te fais Dieu. » (Jn 10,33).

La prétention divine de Jésus pouvait sembler incompatible avec son humanité bien réelle, car il eût fallu soupçonner le fait nouveau, jusqu’alors inouï, de l’incarnation. Jésus allait entraîner progressivement son auditoire juif à entrer dans cette perspective.

71. --- « N’est-il pas écrit dans votre Loi : j’ai dit, vous êtes des dieux ? » (Jn 10,34).

Ce n’était pas exactement dans la Torah, c’était dans le psaume qu’on lisait : « Moi, j’avais dit : ‘Vous, des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous !’ » (Ps 82,6).  

Yahvé s’adressait en ces termes à des juges et à des magistrats ; il les assimilait ainsi à des fils de Dieu, c’était à dire à des anges. 

On sait que dans la Genèse (6,1-4) les fils de Dieu étaient les anges, par opposition aux fils des hommes, les fils de la terre.

Le psaume faisait équivalentes les deux notions : celles de dieux et de fils de Dieu, et les appliquait proprement aux anges, auxquels les juges, les magistrats, pouvaient être comparés.

Certes, les anges n’étaient pas des dieux, à proprement parler. Mais des êtres divinisés, admis à participer aux séances de la cour céleste et à la compagnie du Grand Roi. Si les docteurs juifs ne se choquaient pas de ces vocables, appliqués à des créatures – ils étaient bien forcés de les admettre, puisqu’ils les lisaient dans les Ecritures – a fortiori devaient-ils les tolérer du Messie, celui qui venait d’en haut, de la part de Dieu.

Il était vrai que Jésus se disait Fils de Dieu, et par conséquent Dieu, en un sens propre et univoque ; mais cela encore n’était-il pas admissible du Messie eschatologique ? Du Fils de l’homme des prophéties ? Et si jamais il avait préexisté à sa propre naissance d’ici-bas ?

On pouvait relever dans la Bible, et dans l’abondante littérature parabiblique, bien des pressentiments d’une telle hypothèse. Les docteurs juifs eussent dû s’y montrer attentifs.

Et puis, il y avait les miracles flagrants, qu’on ne pouvait récuser d’un revers de main. Jésus allait en traiter dans quelques instants.

72. --- « A celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde, vous dites : ‘Tu blasphèmes’, pour avoir dit : ‘Je suis Fils de Dieu !’ Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas. » (Jn 10,36-37).

Les Juifs eussent dû être attentifs, car les assertions de Jésus s’appuyaient sur des miracles authentiques qui marquaient l’approbation divine. (Le processus élémentaire de la foi se trouvait ici décrit : enseignement, miracles, ou prophéties authentiques, certification divine qui réclamait alors l’assentiment).  

On pourrait se demander dans quel sens Jésus-Christ pouvait être dit « consacré ». « Hêgiasen » disait le texte, littéralement : « a sanctifié ».   

Il était sanctifié et consacré de toute éternité par l’onction du Saint Esprit, en tant que propre Fils de Dieu. Mais il était aussi consacré dans le temps, le Saint-Esprit ayant reposé sur sa mère de la terre, lors de sa conception (cf. Lc 1,35). Il avait été consacré par l’Esprit, comme l’Oint de Yahvé, dans les eaux du Jourdain (cf. Jn 1,32). Il serait plus tard consacré, sanctifié, « accompli », éminemment par son martyre, puis par sa sainte Résurrection, puis par son Ascension, enfin par sa Session à la droite du Père comme juge eschatologique.

73. --- « Croyez en ces œuvres et sachez une bonne fois que le Père est en moi et moi dans le Père. » (Jn 10,38).

Par ces paroles, Jésus enseignait avec clarté ce que les théologiens postérieurs appelleraient la circumincession. Le Père était tout entier dans le Fils et le Fils tout entier dans le Père. On pourrait dire la même chose du Saint-Esprit, à l’égard de l’un et de l’autre. Car il n’existait qu’un seul Dieu. Non seulement les Personnes divines étaient-elles unes par leur origine, qui était unique, mais encore par leurs relations, leur circumincession et leur unique divinité. Elles se récapitulaient toutes dans leur unique divinité : le Père étant la divinité du Fils et de l’Esprit ; le Fils étant la divinité du Père et de l’Esprit ; l’Esprit étant la divinité du Père et du Fils.

Elles étaient unes à la fois par l’origine et par le résultat.

Il n’était qu’une Origine, qui était le Père. Il n’était qu’un Médium, qui était le Fils. Il n’était qu’une Fin, qui était le Saint-Esprit.

Les Trois ne pouvaient être adorées qu’ensemble. La présence de l’une, ou la mention de l’une, impliquait nécessairement la présence, ou la mention, des deux autres. C’était pourquoi on disait qu’elles étaient relatives l’une à l’autre.

Cependant, quoique relatives, elles ne laissaient pas d’être ensemble l’absolu.

Certes, elles restaient toutes les Trois relatives l’un à l’autre, mais d’une manière très différente l’une de l’autre. Car le Père était tout entier Par-soi, et tout entier Pour-le-Fils. Le Fils était tout entier Par-le-Père et tout entier Pour-le-Père. L’Esprit était tout entier à la fois Par-le-Père-et-le-Fils et Pour-le-Père-et-le-Fils. La divinité de chacune des Personnes, le Dieu de chacune, c’étaient les deux autres, en tant qu’elles étaient une.

Un tel enseignement ex professo, délivré par le Christ, devait être accueilli de confiance, accepté sur parole. Cependant pour les aveugles, pour les sourds, pour les infirmes, pour les obtus, il restait le témoignage des miracles : « Croyez en ces œuvres et sachez une bonne fois… »

74. --- « Je suis la résurrection. » (Jn 11,25).

Sur le point de ressusciter son ami Lazare, Jésus proclamait avec force, et même solennité, qu’il était lui-même la Résurrection. Il semblait solliciter la foi à l’égard de ce titre. Il demandait qu’on le crût. Marthe, pour sa part, saisissait aussitôt que ce titre impliquait à la fois la filiation divine et la messianité : « Je crois [répondait-elle] que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui devait venir en ce monde. » (Jn 11,27).

En tant que Fils, Jésus était la Naissance éternelle. Il ne laissait donc pas de naître de toute éternité, et même tous les jours dans un éternel présent. Invoquons ici le psaume qui faisait dire à Dieu : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. » (Ps 2,7).

Un tel verset de psaume se retrouvait trois fois dans le Nouveau Testament, appliqué au Christ : Ac 13,33 ; He 1,5 ; 5,5.

Le Fils possédait une Naissance éternelle, à partir de l’être du Père. Mais lui-même, le Fils, à son tour, à l’aube des temps, donnait naissance à tout l’univers. Il était à l’origine de toute vie, la naturelle comme la surnaturelle. Bref, il était la Naissance ; Mais il était aussi la Renaissance, ou la Résurrection. Car lui-même, en tant qu’homme, pouvait franchir les portes de l’Hadès, ou même retirer ses créatures de l’Hadès. Il pouvait faire surgir à nouveau ses créatures de leurs tombes, à commencer par la tombe du péché.

Le sacrement de pénitence, ou pardon des péchés, que nous avions examiné dans notre chapitre 4, nous fournissait un bel exemple de ce pouvoir de résurrection.

Le Christ faisait donc surgir. Mais il faisait aussi resurgir. Lui-même avait surgi par sa naissance sur la terre ; mais il resurgirait de la terre, au matin de Pâques.

C’était par le moyen de sa propre résurrection que le Christ prouverait définitivement, à Marthe comme aux autres disciples, qu’il était la Résurrection.

« Naissance » et « Résurrection », ces mots signifiaient à peu près la même chose que la vie. Jésus était donc la vie éternelle. Or c’était bien pour la vie que nous étions créés…

Mais lesdits mots décrivaient la vie, l’un dans ses commencements, l’autre dans ses recommencements. Ils symbolisaient la vie en tant qu’elle sourdait, au point où elle jaillissait : de Dieu, ou de l’être, s’il s’agissait du Fils ; du néant, de la mort, voire du péché, s’il s’agissait de l’homme.

Toute vie, en chacun de ses instants, ne ressemble-t-elle à une perpétuelle naissance, ou renaissance ?

75. --- « Qui croit en moi, fût-il mort vivra. » (Jn 11,25).

Ce serait par la foi seule, la foi en Christ, qu’on échapperait à la mort, qu’on renaîtrait à la vie.

76. --- « Il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation. » (Jn 11,51).

Quant au Christ, c’était seulement par-delà sa propre mort qu’il était la Résurrection. C’était par sa mort, et par-delà sa mort, qu’il nous donnait la vie.

On pourrait soulever à ce propos un problème philosophique, dont le simple énoncé fera sans doute frémir les théologiens ou les exégètes de formation traditionnelle : Oui, le Christ, en tant qu’homme, passait à travers la mort, à travers, par conséquent une sorte de néant ; mais le Christ en tant que Dieu, ou Dieu lui-même, autrement dit la divinité, passaient-ils à travers la mort ? La mort humaine de Jésus serait-elle en rapport avec une mort divine ? Serait-elle à son image ?

Autrement dit : pourrait-on découvrir un rapport essentiel, une liaison nécessaire, entre la Vie et la Mort, l’Etre et le Néant, comme semblaient l’insinuer certains systèmes philosophiques, tels qu’en occident l’hégélianisme, ou certaines sagesses orientales, telles que le taoïsme ? La résurrection du Christ, dans son humanité, aurait-elle un lien obligé avec une quelconque Résurrection éternelle dans la divinité, dont elle ne serait, en quelque sorte que le reflet ?

Car toute la vie terrestre de Jésus-Christ, avons-nous dit et même posé en principe, était à l’image de sa vie divine.

L’hégélianisme se voulait un système dialectique. Il soutenait que l’être et le néant, à la fois , s’opposaient et se recomposaient pour n’enfanter qu’un seul devenir, lequel apparaissait de ce fait comme la véritable entité dynamique : thèse, antithèse, synthèse. Et le monde, sur un mode purement idéal, se construisait par des synthèses indéfiniment emboîtées les unes dans les autres.

Notons-le dès le principe : on pouvait déceler dans ces prémisses une forme de paralogisme. Car enfin si le néant n’était pas, il ne pouvait ni s’opposer ni se composer. Il ne servait strictement à rien. Seul l’être était, dans une parfaite immobilité, dans son immutabilité impassible, à moins qu’il ne fût lui-même une plénitude infinie de dynamisme, un Acte. Mais dans ce dernier cas, remarquons-le, rien ne pourrait l’empêcher d’inviter librement, et par pure bonté, des créatures limitées à jouir de sa propre infinité.

Le taoïsme croyait, expliquait, enseignait (il était une sagesse, tout autant qu’une philosophie) que l’être sourdait à jamais du néant et que réciproquement le néant sourdait de l’être, et ce mouvement éternel composait la Voie, ou le Tao, dans une sorte de circumincession infinie ou indéfinie. Mais là encore on pouvait subodorer le paralogisme : car du néant, nul être ne saurait surgir, et dans l’être infini on ne pourrait déceler la moindre trace de néant. L’être était, ou n’était pas.

Par ce système binaire, le taoïsme tentait de rendre compte de la réalité duale du monde : lumière et ténèbres, jour et nuit, bien et mal, vie et mort, masculinité et féminité, etc.…c’était là la Voie, ou le sort commun, de tous les étants.

On pourrait tenir sans difficulté que ces pensées, étrangères au christianisme, étaient fausses au premier degré. Toutefois on ne peut se défaire de l’impression, le sentiment demeure, que ces doctrines, fausses encore une fois dans les termes où elles étaient posées, ne continssent une part de vérité, une intuition juste. On ne pourrait écarter l’idée qu’il ne subsistât une sorte de complicité, une intime connexion entre l’être et le néant. Non pas certes un rapport de causalité, ce qui serait absurde, mais un rapport en quelque sorte de coexistence, de cohabitation, de concomitance.

Le néant par lui-même ne saurait coexister, cohabiter, accompagner : puisqu’il n’est rien. Mais l’être, lui, pourrait tout : coexister, cohabiter, se faire accompagner, même du néant s’il le voulait. Le néant n’était qu’une pure potentialité, mais, en Dieu, une potentialité réelle. Le néant n’existait pas en soi, mais du côté de Dieu, du côté de l’être, comme un espace de liberté, comme une pure éventualité, comme une potentialité qui resterait purement passive (selon une formule qu’Aristote lui-même n’aurait sans doute pas reniée). Il le fallait bien, puisque si Dieu créait, c’était à partir du néant qu’il créait : ex nihilo.

Dieu ne procédait pas du néant, puisqu’il était par lui-même (aséité). Mais il s’anéantissait en quelque sorte par l’amour, le don de soi. Absolu, il créait pourtant du relatif, et même du relatif qui pouvait s’opposer à lui par sa liberté. Ce qui équivalait pour lui à une espèce de mort, une dépossession de soi. La création représentait pour Dieu comme une espèce de diminution d’être, une diminution qui était certes consentie.

On observait cette dépossession de soi dans chacun des membres de la Sainte Trinité, au profit des deux autres. Une dépossession réciproque et simultanée. Chacune des Personnes s’anéantissait en quelque façon en faveur de l’autre, par le don plénier qu’elle faisait de soi. Certes elles se retrouvaient éternellement, mais c’était dans l’autre, et d’une certaine manière grâce à l’autre.

La mort et la résurrection temporelles du Christ semblaient donc faites à l’imitation de cette « Mort » et de cette « Résurrection » éternelles en Dieu.

Les Personnes divines ne mouraient pas, elles ne disparaissaient pas. Cela serait absurde. Mais elles mouraient à elle-même en faveur de l’objet aimé. Elles se donnaient totalement, et par là se retrouvait totalement. Elles mouraient éternellement à elles-mêmes et renaissaient dans l’autre. De ce don plénier, de cette vie pour et dans l’amour, le Christ devait nous dévoiler la parfaite image sur la croix, et par sa résurrection d’entre les morts.

Peut-être ne parvins-je pas tout à fait au bout de mes analyses, ou n’arrivai-je pas à exprimer vraiment ce que je voulais dire, faute d’une culture philosophique (ou théologique) suffisamment ample, et faute d’un style réellement formé.  

J’ai du moins le sentiment d’avoir côtoyé quelque chose d’important.   

77. --- « La Pâque des Juifs était proche. » (Jn 11,55).

Nous parvenions ainsi, dans notre lecture, à la dernière Pâque du Christ à Jérusalem, et bientôt à sa mort et à sa résurrection, son « passage vers le Père ».

Les prophéties allaient s’accomplir, et l’enseignement de Jésus-Christ ne resterait pas théorique…

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