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Théorie de la pénitence dans l’évangile de Jean

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1°) Institution, et promulgation, de la pénitence.

 «Le Seigneur a institué principalement le sacrement de pénitence quand, ressuscité des morts, il souffla sur ses disciples en disant : ‘Recevez le Saint Esprit ; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez ; ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez.’ (Jn 20,22-23). Les Pères, d’un consentement unanime, ont toujours compris que, par cette action insigne et ces paroles si claires, le pouvoir de remettre et de retenir les péchés, destiné à réconcilier les fidèles tombés après le baptême, a été communiqué aux Apôtres et à leurs successeurs légitimes … » (DZ 894).

Ce texte si précis du Concile de Trente (14 e session, 1551) résume à la perfection presque tout ce que nous avons à dire sur la théorie de la pénitence dans l’évangile de saint Jean.

C’était bien en effet par le canal de cet évangile que nous connaissions l’institution, par le Christ, du sacrement de la pénitence. Non seulement la manière dont il s’y était pris, mais encore le jour et quasi l’heure : au jour même de la Résurrection, lendemain de la Pâque juive, le dimanche au soir, sans doute au moment de se mettre à table (cf. Mc 16,14).

L’évangile n’enseignait pas expressément que seuls les Douze, ou plutôt les dix, car Judas était mort, et Thomas brillait par son absence, eussent reçu le pouvoir, et la mission, d’absoudre les péchés, à défaut d’autres disciples. Mais c’est bien ainsi que l’ont compris la tradition pérenne de l’Eglise, et singulièrement le Concile de Trente fixant la doctrine avec autorité.

Par ailleurs, les seuls apôtres (cf. Mt 26,20 ; Mc 14,17 ; Lc 22,14) étaient prêtres de la Nouvelle Alliance, au soir de la Résurrection (cf. Lc 22,19 ; 1 Co 11,24.25), toujours selon le Concile de Trente. (Cf. DZ 949).

Par parenthèse, on pourrait se demander quand Thomas surnommé Didyme, absent le jour de Pâques, aurait reçu pour sa part le charisme de pardonner les péchés. A supposer que le Christ n’eût pas soufflé spécialement sur lui, avant l’Ascension, Thomas aurait bénéficié de ce privilège au jour de la Pentecôte, en recevant, avec l’Esprit Saint, la plénitude de ce que nous appelons le sacrement de l’ordre, la plénitude de l’apostolat, en même temps d’ailleurs que Matthias, fraîchement élu.

Il peut sembler parfaitement anachronique de parler de « prêtres » à propos de l’évangile de Jean, alors que cet évangile ne relatait même pas le récit de l’institution de l’eucharistie, alors qu’il ne faisait aucune allusion à l’instauration d’un quelconque « presbytérat » dans l’Eglise. On peut cependant remarquer que, dans ses épîtres, le même apôtre, Jean le disciple bien-aimé, revendiquait pour seul titre celui de « presbytre » (2 Jn 1 ; 3 Jn 1). Jean, sans aucun doute, était prêtre depuis le soir de la Sainte Cène. La plus vieille tradition ecclésiastique se souvenait de lui comme d’un « sacerdote », « hiereus ». (Cf. Eusèbe de Césarée, H.E. III, 31,3) et comme de celui qui avait reposé sa tête sur la poitrine du Seigneur (id. ; Irénée, Adv. Haer., III, 1, 1).

Peut-on considérer que Jean, dans son évangile, avait promulgué le sacrement de la pénitence au même titre, par exemple, que Jacques, apôtre et frère du Seigneur, promulguerait dans son épître le sacrement de l’onction des malades, comme l’a défini le Concile de Trente ? (Cf. 14 e session, 1551, DZ 908). 

Pas exactement. Remarquons bien que le Concile de Trente disait seulement : « … le Seigneur a institué principalement le sacrement de pénitence quand, ressuscité des morts, il souffla sur ses Apôtres en disant… » (DZ 894). D’où l’on peut induire que la péricope évangélique concernée (Jn 20,22-23) n’était pas la seule source qui nous fît connaître l’institution de ce sacrement. Il est raisonnable de penser que la pénitence fut pratiquée dans l’Eglise bien avant la publication du IV e évangile. 

Le magistère justifie souvent le sacrement de la pénitence en excipant du pouvoir des clefs, qui,  avec le pouvoir de lier et de délier, avait d’abord été remis au seul Pierre (cf. Mt 16,19).  Voir par exemple, à ce sujet, le Catéchisme de l’Eglise catholique, N° 981 sq. Ces clefs, c’étaient celles de David (cf. Ap 3,7), portées en sautoir par le majordome du Royaume des cieux (cf. Is 22,22). Le pouvoir de lier, puis de délier, fut ensuite assigné par le Christ à tous les apôtres (cf. Mt 18,18).

Comme l’enseignait saint Augustin (cité par le même Catéchisme) : « L’Eglise a reçu les clefs du Royaume des cieux, afin que se fasse en elle la rémission des péchés par le sang du Christ et l’action du Saint Esprit. » (Serm. 214,11). 

Notons cependant qu’au moment où le Christ adressait la parole à Pierre, le pouvoir des clefs se trouvait seulement promis : « Je te donnerai les clefs … » (Mt 16,19), c’était encore du futur, c’était une prophétie. De plus le pouvoir des clefs, de soi, ne visait pas formellement, ou uniquement, le pouvoir, ou le droit, de remettre les péchés. Il pouvait s’entendre de la charge pastorale tout entière des apôtres et de leurs successeurs, leur pouvoir « canonique », ou « ecclésiastique », et pas seulement le pouvoir d’absoudre.

Pourtant il le faut concéder, la tradition de l’Eglise, sans aucun doute sous la motion de l’Esprit Saint, a toujours considéré que le pouvoir des clefs s’exerçait prioritairement en vue de la rémission des péchés. Quel pouvoir plus sublime en effet, plus divin, et jusqu’au Christ jalousement réservé à Dieu, que celui de pardonner les péchés ! L’Eglise, ce qui est tout à son honneur, a toujours envisagé son pouvoir comme étant avant tout d’ordre spirituel, ordonné à des fins pastorales, et qu’il atteignait son sommet dans cette œuvre de miséricorde qui a pour nom la réconciliation des pécheurs.

C’était qu’en effet, selon saint Paul, Dieu avait remis aux apôtres « le ministère de la réconciliation » (2 Co 5,18). Et voila pourquoi on nommerait aussi le sacrement de pénitence, le sacrement de la réconciliation.

Jean, dans son évangile, avait pour fonction de conforter les propos de ses devanciers : Matthieu et Paul. Oui Dieu, par l’entremise de son Christ, avait accordé aux disciples la faculté de remettre les péchés. Mais de plus Jean, en tant que témoin oculaire qu’il était, nous restituait les circonstances exactes de l’institution de ce sacrement. Attardons-nous quelques instants à les méditer.

« Le soir de ce même jour, le premier de la semaine… » (Jn 20,19). Ainsi le Christ avait-il choisi délibérément le jour de sa résurrection, et l’heure de sa première apparition au groupe assemblé de ses apôtres pour leur communiquer le pouvoir d’absoudre. Entrons dans les intentions de Jésus, telles que l’évangéliste, Jean, semblait nous les suggérer. S’il avait choisi ce jour c’était que lui-même venait de triompher à jamais de la mort : la mort corporelle comme la mort spirituelle. C’était donc un pouvoir éminent de résurrection que le Christ concédait aux disciples le jour de sa propre résurrection, un pouvoir de ramener à la vie. Alors le Royaume de Dieu ne se trouvait plus seulement espéré, comme aux temps de l’Ancienne Alliance, ou préparé, comme aux jours récents de la vie publique, mais désormais ouvert à tous. Avec l’aube de ce jour avait débuté une ère nouvelle pour l’humanité. La semaine juive s’était achevée avec le sabbat. La semaine chrétienne pouvait commencer avec le premier dimanche, la première Pâque de l’ère chrétienne.

« … toutes portes étant closes par crainte des Juifs, là où se trouvaient les disciples, Jésus vint et se tint au milieu d’eux ; il leur dit : ‘Paix soit à vous !’… » (Jn 20,19). Sur le point d’octroyer à ses compagnons le ministère de la réconciliation, il commençait par les réconcilier : avec lui et avec leur propre conscience. Par deux fois il répétait : « Paix soit à vous ! », et huit jours plus tard, Thomas présent, il reprendrait le même refrain : « Paix à vous ! ». Les apôtres tremblaient encore de tous leurs membres à la pensée du drame qu’ils venaient de vivre. Ils se souvenaient de leur propre lâcheté, et de leur fuite éperdue lors de l’arrestation du Maître. Quant à Pierre, il pleurait son triple reniement. Jésus libérait et rassurait pleinement leurs consciences. Il les absolvait : point n’était besoin pour lui d’aucun aveu, car les consciences, et les cœurs, étaient à nu devant lui.  

« Ce disant, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie à la vue du Seigneur. » (J, 20,20).La paix que leur souhaitait Jésus, et la constatation qu’ils faisaient de la présence de leur Seigneur, vraiment ressuscité, les emplissaient de joie. Cette consolation ressemblait fort à celle qui suit ordinairement pour nous l’aveu des fautes, et la réception du pardon du prêtre, dans le sacrement de la pénitence, consolation qu’a su si bien décrire le Concile de Trente : « La difficulté de cette confession et la honte ressentie à découvrir ses péchés pourraient certes paraître lourdes si elles n’étaient allégées par les avantages et les consolations si grandes et si nombreuses que l’absolution confère très certainement à tous ceux qui s’approchent dignement de ce sacrement. » (14 e session, 1551, DZ 900).

« Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » (Jn 20,21). Jésus, n’étant plus de ce monde, envoyait ses disciples en mission, à sa place. C’était ce jour de la Résurrection que le titre d’apôtre, qui signifie envoyé, prenait sa signification véritable ; il devenait effectif. L’envoi en mission serait repris sur la montagne de Galilée, lieu de rendez-vous fixé aux disciples (cf. Mt 28,16), et le jour de l’Ascension, au mont des Oliviers proche de Jérusalem (cf. Ac 1,8). Le départ concret interviendrait le jour de la Pentecôte, quand les apôtres, sortis du Cénacle où ils étaient claustrés (cf. Jn, 20,19), auraient définitivement surmonté la crainte qui les étreignait (cf. Ac 2,14).

Alors les apôtres accompliraient ce que Jésus avait fait lui-même, entre autres, ils pardonneraient les péchés, comme lui-même avait pardonné au cours de son ministère public.

Il avait pardonné tacitement à la Samaritaine sa vie de désordre, puisqu’elle annonçait : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait » (Jn 4,29).  Il avait devancé l’aveu ; comment n’aurait-il pas esquissé le geste de l’absolution ? De même, il avait pardonné à l’infirme de la piscine de Bézatha, qu’il tançait : « Te voila guéri [de l’âme comme du corps; ne pèche plus désormais : il t’arriverait pis encore. » (Jn 5,14). Il avait pardonné ses péchés à la femme adultère : « Moi non plus, lui dit Jésus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus. » (Jn 8,11). Il avait pardonné à l’aveugle-né : « Va te laver à la piscine de Siloé. » (Jn 9,7). Sans doute cet aveugle n’avait-il commis aucun péché dans une vie antérieure, pour être né aveugle ! (cf. Jn 9,2). Mais peut-être bien avait-il commis lui aussi des péchés, depuis sa naissance. 

« Cela dit, il souffla sur eux et leur dit : ‘Recevez l’Esprit Saint’. » (Jn 20,22). C’était à une Pentecôte anticipée que nous assistions. Désormais, Jésus ayant été glorifié (cf. Jn 7,39) par sa résurrection d’entre les morts, les disciples pouvaient recevoir l’Esprit Saint. Sans doute l’Esprit n’était-il pas encore donné à l’Eglise comme telle, à l’Eglise entièrement instituée : il ne le serait qu’au grand jour de la Pentecôte (cf. Ac 1,8). Mais l’Esprit, déjà, était agissant dans l’Eglise en voie de gestation. Il pouvait être confié à quelques personnes privilégiées, comme il était descendu sur Marie, le jour de l’Annonciation (cf. Lc 1,35). L’Esprit était agissant dans l’Eglise : par la présence de Jésus lui-même, porteur de l’Esprit (cf. Jn 1,32) ; par les sacrements déjà institués : le baptême, l’eucharistie, l’ordre, peut-être l’onction des malades, peut-être le mariage. Dans quelques instants Jésus allait compléter cette panoplie, en lui adjoignant le pouvoir d’absoudre.

En expirant sur la croix, Jésus avait rendu l’esprit (cf. Jn 19,30), son esprit humain, comme nous tous. Mais du même coup il avait exhalé l’Esprit Saint : envers le Père, c’est-à-dire son amour filial, et envers l’humanité, c’est-à-dire son amour rédempteur. Ce jour de Pâque, soufflant sur ses apôtres, il exhalait son souffle vital, et par le fait il leur concédait l’Esprit Saint. Il suffisait donc qu’il exhalât son souffle pour exhaler l’Esprit Saint. On a là l’un des lieux scripturaires, en même temps que théologiques, les plus précieux pour affirmer la procession du Saint Esprit à partir du Fils : l’Esprit (Pneuma) n’est autre que le souffle du Fils, son haleine. Le don missionnaire et temporel qu’il faisait ici de l’Esprit, à ses apôtres, exprimait le don intemporel, éternel, qu’il faisait de l’Esprit à son Père au sein de la Trinité : la « mission » temporelle étant à l’image de la « procession » intemporelle, et découlant d’elle.

« Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. » (Jn 20,23). Jésus, selon l’évangéliste Jean, réitérait ici la formule employée, selon Matthieu (16,19 ; 18,18), pour la remise du pouvoir des clefs. Mais avec une délimitation très sensible : la formule du don des clefs viserait avant tout la rémission (ou la retenue éventuelle) des péchés.

Il est primordial de relever le caractère absolu et universel de cette concession : elle regarderait tous les hommes, elle engloberait tous les péchés.

Tous les hommes : les Juifs, les païens, les disciples. Toutefois, le baptême étant le sacrement spécifique des Juifs ou des païens pour qu’ils entrassent dans l’Eglise et reçussent de ce fait le pardon de tous leurs péchés, le pouvoir d’absoudre, ici, incluait donc le baptême. C’était comme si le Christ avait dit : Remettez aux Juifs et aux païens leurs péchés par le baptême, et aux disciples par le pouvoir des clefs. Le Concile de Trente corroborerait très précisément cette herméneutique : non seulement les péchés commis avant le baptême sont remis, bien entendu par le baptême ; mais encore les péchés commis après le baptême le sont par la pénitence. « L’Eglise universelle a toujours compris que la confession entière des péchés a aussi été instituée par le Seigneur et qu’elle est nécessaire de droit divin, pour tous ceux qui sont tombés après le baptême. » (14 e session, 1551, DZ 899). La concession du Christ englobait tous les péchés, fussent-ils réitérés, fussent-ils après être retombé à la suite d’innombrables absolutions, fussent-ils contre le Saint Esprit.

On doit croire, par exemple, avec assurance que celui qui a recours sincèrement au sacrement de la pénitence n’a pas commis, réellement, le péché contre le Saint-Esprit, ni le péché pour lequel Jean, dans son épître, ne demandait pas de prier (cf. 1 Jn 5,16).

Le Catéchisme Romain (1,11,5) enseignerait : « Il n’est personne, si méchant et si coupable qu’il soit, qui ne doive espérer avec assurance  son pardon pourvu que son repentir soit sincère. »

L’universalité du pardon s’applique à tous les péchés : originel comme actuels.  

« Ceux à qui vous les retiendrez ils leur seront retenus. » (Jn 20,23). Car c’est un pouvoir discrétionnaire, un pouvoir de juges, que Jésus-Christ entendait confier à ses ministres. Le Concile de Trente a été très net là-dessus. L’absolution du prêtre « est comme un acte judiciaire : une sentence y est prononcée par le prêtre comme par un juge. » (14 e session, 1551, DZ 902). Ce pouvoir implique la faculté de jauger des intentions et des dispositions du pénitent et donc, dans certains cas, de refuser ou différer l’absolution. Mais ce ne devrait dans aucun cas être un pouvoir arbitraire, si l’on se souvient des paroles que le Christ avait prononcé à peine quelques jours auparavant : « Vous aussi devez vous laver les pieds les uns les autres. » (Jn 13,14). Aussitôt avait-il ajouté : « Je vous ai donné l’exemple, pour que vous agissiez comme j’ai agi envers vous. » (Jn 13,15).   

L’expérience des siècles l’a démontré : l’Eglise de Jésus-Christ a toujours usé avec une extrême modération de ce pouvoir, en soi exorbitant, de refuser le pardon.

Je ne fais pas allusion, ici, à l’excommunication, qui est, de soi, la sanction d’une rébellion, et non pas le refus de réconciliation opposé à ceux qui viendraient à résipiscence

L’Eglise a quelques fois exclu ceux qui s’excluaient eux-mêmes ; mais elle n’a jamais refusé le pardon à ceux qui revenaient à elle, qui faisaient amende honorable. Ainsi le Christ avait-t-il voulu manifester l’immensité de la confiance qu’il plaçait dans ses ministres, et le respect religieux que le peuple croyant leur devait témoigner. Lesdits ministres prendraient vraiment la place du Christ, et par conséquent la place de Dieu. Ils détiendraient une délégation vicaire. « Qui reçoit celui que j’envoie me reçoit et qui me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé. » (Jn 13,20).

2°) La pénitence comme chemin de conversion. La « métanoia ».

Le sacrement de la pénitence ne représente qu’un aspect de la « métanoia », qui est la conversion. Il ne peut venir qu’en conclusion du processus de  conversion individuelle. Il la suppose ; il l’appelle ; il la couronne, mais il ne saurait la remplacer.

Les appels à la pénitence, entendue au sens de : conversion, purification, expiation des fautes, affleurent tout au long du IV e évangile, en cela bien conforme à l’esprit des évangiles synoptiques, comme à leur intention de pointe. 

Reprenant une lecture diachronique du texte, relevons les principales étapes de cette invitation à la « Metanoia », conversion-purification.

1°)

 

Dès le prologue (cf. Jn 1,1-18), le prophète Jean sommait pour ainsi dire tout le cosmos de se convertir à la foi en Christ. Les ténèbres devaient céder la place à la vraie lumière, qui n’était autre que le Logos de Dieu.

2°)

 

Aux noces de Cana (Jn 2,1-12), les eaux qui servaient jadis aux ablutions des Juifs étaient « converties », mutées, en une liqueur plus excellente : le vin du Royaume nouveau. Au total, c’était l’eau du baptême de Jean, l’eau de toute la tradition juive, de la tradition noachique, de la tradition adamique qui se trouvait purifiée, changée, assumée.

3°)

 

Peu après, Jésus purifiait le Temple de Jérusalem (cf. Jn 2,13-22) : il chassait les marchands et les animaux qui encombraient ses parvis ; il voulait, ce faisant, laisser place nette à la religion du cœur.

4°)

 

Jésus promettait à la Samaritaine (cf. Jn 4,5-42) de changer l’eau de son puits, celle de tous les non-Juifs, de tous les païens, en une eau vive jaillissant pour la vie éternelle.

5°)

 

Mais revenons à Cana (cf. Jn 4,43-54). Jésus invitait de manière pressante les Galiléens à changer leur foi chancelante et utilitaire – « Si vous ne voyez des signes et des prodiges, vous ne croirez donc pas ! » (Jn 4,48) – en une foi, pour le coup, efficace et désintéressée.

6°)

 

Jésus guérissait ensuite un infirme à la piscine de Bézatha (cf. Jn 5,1-18). De ce fait il semblait vouloir assainir, et purifier, l’eau de cette piscine jusqu’alors servile, et propre aux usages ordinaires des Juifs, en une eau agissante (cf. Jn 5,17) pour le Royaume de Dieu.

7°)

 

Après la multiplication des pains (cf. Jn 6,15-71), Jésus fuyait le messianisme politique, et purement temporel, que lui proposaient les Juifs. Il imposait à ses disciples, et il s’imposait à lui-même, de traverser la mer de nuit, et d’affronter la tempête, pour se mettre à distance, ainsi que ses compagnons, de ce concept erroné. Et dans la synagogue de Capharnaüm, il décevait définitivement ceux qui n’acceptaient pas qu’il se dît le Fils de Dieu, et le pain descendu du ciel.  

8°)

 

Jésus appliquait de la boue, qu’il avait confectionnée avec sa salive, sur les yeux d’un aveugle-né ; puis il lui demandait d’aller se rincer à la fontaine de Siloé (cf. Jn 9). Ce faisant, Jésus purifiait encore les eaux de ce réservoir pourtant déjà sacré, puisqu’il servait aux rites du Temple, en particulier pendant la fête des Tabernacles, où nous étions (cf. Jn 7,2). Si l’aveugle était renvoyé à la piscine, dont le nom signifiait « envoyé » (cf. Jn 9,7), c’était parce que lui-même, l’aveugle, serait envoyé aux Juifs pour leur témoigner de sa foi (cf. Jn 9,8-38), de la même manière que Jésus était l’envoyé du Père auprès de tous les hommes.

9°)

 

Après un bref séjour sur les bords du Jourdain, là où Jean avait baptisé (cf. Jn 10,40-42), Jésus, en ressuscitant son ami Lazare,  purifiait, élevait encore la foi, ainsi que l’espérance, de ses sympathisants hiérosolymitains (cf. Jn 11,1-54).

10°)

 

Avant de subir sa passion, Jésus tentait de purifier les consciences, et d’élever la charité, de ses douze disciples, en leurs lavant les pieds (cf. Jn 13,1-15).Il voulait ainsi leur laisser un exemple de charité fraternelle, et d’humilité. Il obtenait cette purification au moins pour onze d’entre eux : « Vous aussi vous êtes purs ; pas tous cependant. » (Jn 13,10). Pendant le repas, après le départ de Judas, il reprenait cette sentence : « Déjà vous êtes purs, à cause de la parole que je vous ai annoncée. » (cf. Jn 15, 3).

11°)

 

Mais sur la croix, s’accomplirait l’expiation de toute soif, et de tout désir trop humains : « J’ai soif » (Jn 19,28). Jésus expirait, et de sa poitrine transpercée jaillissait, avec le sang, l’eau qui symbolisait à la fois le nouveau baptême de Jésus, la conversion-purification (métanoia) des consciences, et l’Esprit Saint. «De son flanc couleront des fleuves d’eau vive… » (Jn 7,38).

12°)

 

Après sa résurrection, apparaissant sur les bords du lac (cf. Jn 21), Jésus achevait de purifier les consciences, et de redresser la foi chancelante de ses intimes. Il recevait leur repentir sincère, et spécialement celui de Pierre : «Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » (Jn 21,15). Question impertinente, avouons-le, à l’égard des six autres présents, dont Jean ! Mais elle pouvait s’entendre ainsi, à demi-mot : « Tu as péché plus que ceux-ci. Compenses-tu par un amour plus grand ? » Il achevait d’assainir, redresser, guérir les psychologies, comme nous dirions aujourd’hui, peu avant d’envoyer les disciples en mission jusqu’au bout du monde.

Cet appel à la METANOIA, qui se répercutait dans tout l’évangile, se situait au cœur de l’intrigue du drame humano-divin qui se jouait. Car l’homme est libre. Libre d’accepter ou de refuser le message qui lui était adressé de la part de Dieu, ou par Dieu même. La grâce de la purification et conversion nous était certes allouée d’en haut. Encore fallait-il que nous l’accueillissions.

Même Pierre, s’il voulait être purifié, avait dû accepter volens nolens de se laisser laver les pieds par le Christ : « Si je ne te lave pas, tu n’as pas de part avec moi. » (Jn 13,8). Ainsi était soulignée la place du libre arbitre humain dans le processus de la justification.

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