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Structure littéraire de la première Pâque du ministère public, « 2 e apocalypse »,

illustrée par la guérison, à Cana, du fils d’un fonctionnaire royal.

Jn 2,13 --- 4,54

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De même que la précédente, cette seconde « apocalypse » de notre IV e évangile se développait sur 8 journées, qui ne formaient en réalité que 7 épisodes.

Son thème primordial serait le nouveau baptême institué par Jésus-Christ : aussi bien la théorie de ce baptême que la pratique.

Ce serait donc ici, à l’intérieur de cette seconde « apocalypse », que s’opèrerait la délicate transition, ou jonction, entre les deux baptêmes préconisés par le Baptiste lui-même : à savoir le baptême dans l’eau, et le baptême dans l’Esprit. C’était ici que devaient s’articuler les théories des deux baptêmes ; articulation délicate ; les interprétations seraient nuancées ; tant et si bien que les théologiens d’aujourd’hui en débattent encore, et ne sont pas parvenus à un parfait consensus sur la question.

Ce qu’il importait d’avoir à l’esprit, c’était que de toute évidence Jean-Baptiste n’avait pas prévu de régime intermédiaire entre d’une part le baptême d’eau, ou de pénitence, ou de conversion, ou provisoire en attendant l’ère messianique, qu’il conférait lui-même, et d’autre part le baptême définitif dans l’Esprit, et le feu, propre à l’ère eschatologique, et que le Messie instituerait lors de sa venue.

Le Christ, lui, dans sa liberté souveraine, en décidait autrement. Il inventait un baptême mixte, en fait un troisième baptême, celui que nous connaissons et nommons tel. Jésus reprenait le rite d’eau, l’humble rite de pénitence inauguré par le Baptiste, en lui associant l’invocation de l’Esprit, du Père et du Fils. Un baptême donc qui ne fût pas d’eau seulement, mais pas encore le baptême dans l’Esprit réservé, pour l’Eglise en tant que collectivité, pour le jour de la Pentecôte et, pour chacun des (futurs) chrétiens pris individuellement, pour le jour où nous recevrions l’imposition des mains des apôtres ou de leurs successeurs. Mais un baptême d’eau conféré au Nom de l’Esprit. En fait, un baptême au Nom des trois Personnes divines dont les noms venaient d’être révélés au monde depuis très peu de temps, par le témoignage de Jean-Baptiste: le nom de l’Esprit unique, puisque l’Esprit était descendu visiblement sur Jésus (cf. Jn 1,32-33), le nom du Fils unique, puisque Jésus était expressément désigné comme tel (cf. Jn 1,14.18 ; 3,16.18), et enfin le nom du Père unique, qui n’était autre que Dieu lui-même, puisque Jésus était le Fils de Dieu (cf. Jn 1,34).

De ce nouveau baptême, donc, Jésus lui-même exposait la théorie à un notable d’entre les Juifs, Nicodème, venu le trouver de nuit à l’occasion de sa première Pâque à Jérusalem. Puis, redescendu sur les rives du fleuve Jourdain, dans la région où Jean baptisait, Jésus le Christ le mettait aussitôt en pratique en l’appliquant à ses propres disciples.

Prévenu par des tiers plus ou moins malveillants, le Baptiste ne laissait pas d’être surpris. Mais bien loin de s’offusquer, il s’inclinait, il s’effaçait devant l’initiative prise par Jésus, il adorait les décrets divins : « Nul ne peut rien s’attribuer qui ne lui soit donné du ciel. » (Jn 3,27). « Qui a l’épouse est l’époux ; mais l’ami de l’époux, qui se tient là et qui l’entend, est ravi de joie à la voix de l’époux. » (Jn 3,29).

Jésus n’acceptait à aucun prix de conflit, même d’apparence, même indirect, avec son précurseur. Sur le champ il quittait la Judée et regagnait sa patrie, la Galilée.  

Pour cela il lui fallait traverser la Samarie. Ce serait donc la première fois qu’il porterait son message en terre non juive.  Cette Samarie qui plus tard serait évangélisée et baptisée par le diacre Philippe (cf. Ac 8,4-13) et qui recevrait l’Esprit Saint des mains de Pierre et de Jean (cf. Ac 8,14-17), celui-là même qui devait rédiger l’évangile. 

A la femme samaritaine, venue puiser de l’eau, Jésus demandait l’eau de son puits (cette eau qui servirait pour le baptême) ; mais il lui promettait en retour de lui donner de l’eau vive, c’était dire l’Esprit Saint.

Quand l’épouse de Jésus-Christ, qui est l’humanité, aurait été purifiée de ses péchés par l’eau du baptême, et quand elle aurait été ornée des dons charismatiques de l’Esprit Saint, alors elle s’appellerait l’Eglise.

Jésus demeurait deux jours parmi les Samaritains qui recevaient de lui, sinon encore le baptême et la chrismation, du moins la foi en sa messianité, voire en sa rédemption. Puis Jésus revenait à Cana de Galilée, localité déjà un peu chrétienne puisque c’était là qu’il avait accompli son premier miracle.

En conclusion de cette « apocalypse » venait le second miracle de Cana, confirmant par la sanction divine les révélations que nous y avions reçues. Jésus guérissait le fils d’un fonctionnaire royal de Capharnaüm, terre encore juive.

Telle était le schéma de cette seconde « apocalypse » de notre évangile. Tels étaient les principaux enseignements de ce second ‘roulement de tonnerre’ (cf. Ap 10,3) qui se répercutait dans le ciel de la Palestine : à Jérusalem d’abord, puis dans la vallée du Jourdain, puis en Samarie, puis sur la haute Galilée, enfin sur les rives du lac de Tibériade.

Voici donc le détail des journées de cette « apocalypse » :

1 er jour        : 2,13-25. Jésus purifiait le Temple de Jérusalem.

2 e jour          : 3,1-21. Au Pharisien Nicodème, Jésus déclarait qu’il fallait renaître d’eau et d’Esprit pour entrer dans le Royaume de Dieu.

3 e jour          : 3,22 --- 4,3. Jean et Jésus baptisaient tous deux dans la vallée du Jourdain. Jean avalisait le baptême de Jésus.

4 e jour          : 4,4-40 a. En butte à la jalousie de quelques Pharisiens, à propos des baptêmes, Jésus se dirigeait vers la Galilée. A la Samaritaine, il promettait l’eau vive, c’était dire l’Esprit Saint. Il lui avouait qu’il était le Messie.

5 e et 6 e jours : 4,40 b-42. Jésus résidait deux jours parmi les Samaritains, des non-Juifs.

7 e jour           : 4,43-50. Revenu à Cana, où il avait changé l’eau en vin, (ville déjà un peu chrétienne), il guérissait le fils d’un fonctionnaire royal de Capharnaüm (ville encore juive).

8 e jour          : 4,51-54. Le fonctionnaire, redescendu à Capharnaüm, constatait la guérison de son fils. C’était là le second miracle de Jésus.

La campagne d’évangélisation amorcée par Jésus s’évadait du groupe des intimes, et des premiers disciples, (dans lequel elle était enfermée jusque là). Désormais elle s’étendait à toutes les nations ; ce serait l’un des thèmes sous-jacent de cette deuxième partie.

On pouvait voir un chiasme passer dans la fraction centrale de cette « apocalypse », (4 e jour), entre les versets 4,27 et 4,28. A cet instant, la Samaritaine, convaincue par la prédication de Jésus, devenait à son tour évangélisatrice et s’en allait « prêcher » ses compatriotes.

Voici comment on pouvait analyser, dans un détail encore plus fin, chacune des journées de cette première Pâque de la vie publique.

1 er jour : 2,13-25

Purification du Temple.

a) 2,13            : Jésus montait à Jérusalem.

b) 2,14-17     : Jésus chassait les vendeurs du Temple.

c) 2,18-20   : Jésus dialoguait avec les Juifs qui lui demandaient compte de son geste.

d) 2,21-22   : Commentaire de l’évangéliste.

e) 2,23-25   : Jésus séjournait à Jérusalem.

Chiasme passant dans la partie centrale (c), entre les versets 2,19 et 2,20. Alors la pensée se transférait du seul Temple de pierres, qu’envisageaient les Juifs, au Temple de chair qui était son propre corps et que désignait Jésus. Le commentaire de l’évangéliste (2,21-22) tendait à élucider ce malentendu, cet imbroglio.

2 e jour : 3,1-21

L’entretien avec Nicodème.

a) 3,1-2 a       : Circonstances de l’entretien.

b) 3,2 b-10   : Dialogue de Nicodème et de Jésus.

c) 3,11-21      : Discours de Jésus adressé à Nicodème et, à travers lui, à tous les Juifs.

Le chiasme passait entre les versets 3,9 et 3,10 dans la partie centrale (b). A cet instant, Nicodème passait du questionnement au silence et à l’écoute.

3 e jour : 3,22 --- 4,3

Jésus et Jean dans la vallée du Jourdain.

a) 3,22-24  : Jésus et Jean séjournaient ensemble sur les bords du Jourdain.

b) 3,25-36   : Incident à propos des baptêmes.

c) 4,1-3           : Jésus en tirait aussitôt les conséquences, et quittait la région du Jourdain.

Le chiasme passait entre les versets 3,26-27 : Jean le Baptiste, sondé par les Juifs, avalisait et reconnaissait personnellement le baptême de Jésus.

4 e jour : 4,4-40 a

La Samaritaine.

a) 4,4-6         : Voyage de Jésus à travers la Samarie. Il était laissé seul, sur les bords du puits, par ses disciples.

b) 4,7-26      : Jésus dialoguait avec une Samaritaine.

c) 4,27-30   : Retour des disciples, et sortie de la Samaritaine pour aller évangéliser ses frères.

d) 4,31-38   : Enseignement donné par Jésus à ses disciples.

e) 4,39-40 a : Les Samaritains accueillaient le message de Jésus.

Le chiasme passait entre les versets 4,27-28 (partie centrale,  c) : les disciples entraient, chargés de provisions, tandis que la Samaritaine abandonnait son seau, et courait porter la Bonne Nouvelle à ses compatriotes.

7 e jour : 4,43-50

Guérison du fils d’un fonctionnaire royal.

a) 4,43-46 a : Jésus revenait à Cana.

b) 4,46 b-50a : Jésus guérissait le fils d’un officier. Chiasme entre les mots : « ton fils vit. » et « L’homme crut », au verset 4,50. A cet instant, l’enfant fut guéri, et l’officier crut.

c) 4,50 b       : Départ de l’officier vers Capharnaüm.

Les révélations qui nous étaient proposées sur la personne du Christ, en cette seconde « apocalypse », semblaient à première vue moins riches, moins nouvelles, que celles du Prologue ou de la première : il était vrai si fracassantes. Il nous était cependant rappelé avec insistance que la maison de Yahvé était la maison de son Père (cf. Jn 2,16), que lui-même devait ressusciter d’entre les morts (cf. Jn 2,22), qu’il était un « docteur venu de Dieu » (Jn 3,2), qu’il était le Fils de l’homme descendu du ciel (cf. Jn 3,13), et qu’il serait élevé comme le serpent de bronze de Moïse (cf. Jn 3,14), qu’il était le Fils monogène du Père, en qui tous devaient croire pour hériter du salut (cf. Jn 3,16.18), qu’il était l’époux promis à l’humanité nouvelle (cf. Jn 3,29), qu’il venait d’en haut et qu’il était au-dessus de tous (cf. Jn 3,31), qu’il était celui envoyé par Dieu, qu’il prononçait les paroles de Dieu et qu’il recevait l’Esprit sans mesure (cf. Jn 3,34), qu’il était le Fils aimé du Père (cf. Jn 3,35), qu’il était le Messie (cf. Jn 4,26), qu’il était vraiment le Sauveur du monde (cf. Jn 4,42), et même un prophète (cf. Jn 4,44), et un thaumaturge (cf. Jn 4,46 sq).

C’était ici, dans cette seconde « apocalypse », que l’on trouvait prononcés les Noms des Trois Personnes divines dans une formule ramassée, l’une des rares fois dans les évangiles (avec Mt 28,19), et même dans tout le Nouveau Testament (cf. Ga 4,6). Je la cite : « Celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu, qui lui donne l’Esprit sans mesure. Le Père aime le Fils ; il a tout remis en sa main. » (Jn 3,34-35).

L’évolution des protagonistes du drame, au long de ce second acte, était intéressante à considérer.

L’hostilité des Juifs à l’égard de Jésus montait d’un cran. Au début, rappelons-nous, l’enquête des Juifs portait seulement sur la personnalité de Jean-Baptiste, lequel les renvoyait à Jésus. Ici, les Juifs se montraient fort surpris de voir Jésus chasser les vendeurs du Temple. Certes, ils ne contestaient pas la légitimité de son geste, car Jésus avait la Loi pour lui, ni la qualité du zèle qui le dévorait. Mais ils requéraient de lui seulement de démontrer l’origine céleste de son autorité. Ils voudraient le mettre à l’épreuve en lui demandant un signe. Jésus répondait en les mettant eux-mêmes à l’épreuve : « Détruisez ce sanctuaire… », sous-entendu : qui vous est si cher. Comme les Juifs, et pour cause, refusaient cette alternative, lui-même refusait le miracle.

Dans Jérusalem, beaucoup de Juifs crurent en lui, mais Jésus ne se fiait pas à eux, doutant de la qualité de leur foi (cf. Jn 2,23-25). Il se plaignait à Nicodème du manque de foi de ses concitoyens : « Vous ne recevez pas notre témoignage. » (Jn 3,11). Et sur les rives du Jourdain, Jésus se heurtait à la jalousie de certains Pharisiens, jalousie qui faillit créer un incident entre lui et le Baptiste.

Les Samaritains, par contre, accueillaient avec sympathie le message du Christ. Quelques années plus tard, ils se convertiraient avec enthousiasme sous l’effet de la prédication du diacre Philippe (cf. Ac 8,5-8). Même ses compatriotes Galiléens recevaient Jésus avec une curiosité bienveillante, ayant vu ce qu’il avait fait à Jérusalem pour la fête, et cela bien que lui-même eût déclaré « qu’un prophète ne jouit d’aucun égard dans son pays. » (Jn 4,44). 

L’officier venu de Capharnaüm paraissait plus soucieux de miracles extraordinaires que de foi authentique. Mais devant l’urgence de la maladie de son fils, il acceptait de supplier Jésus : et Jésus se contentait de cette foi primaire.

Dans cette seconde « apocalypse » de l’évangile, les disciples adoptaient à l’égard du Christ une attitude un peu moins spontanée, un peu moins euphorique, que dans la première. Nicodème, l’un des rares partisans de Jésus parmi les notables de Jérusalem, venait certes le trouver pour discuter avec lui de théologie. Mais c’était de nuit, de peur s’afficher. Il semblait mû par la curiosité, tout autant que par l’amour de la vérité. Il s’attirait les reproches discrets de Jésus et aussi, en pointillé, de l’évangéliste. Cependant il était sincère et son intervention personnelle, après la mort de Jésus, prouverait la qualité de sa foi.

Quant au Baptiste, il continuait de s’humilier toujours davantage, avant de quitter définitivement la scène, au profit de celui qu’il avait publiquement reconnu comme le « Fils ». Voilà que le Christ usurpait son baptême : il acquiesçait et prononçait un discours admirable sur la Sainte Trinité que lui-même, en ce monde, fut le premier homme, en dehors du Christ, à contempler.

Les disciples immédiats de Jésus le suivaient, lors de son second retour en Galilée ; mais ils semblaient plus préoccupés de nourritures terrestres que de nourritures spirituelles. Entichés de leurs préjugés nationaux, ils s’étonnaient de voir leur Maître converser avec une femme de Samarie. Jésus se voyait contraint de leur adresser toute une homélie pour tenter d’élever leur horizon mystique.

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