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Structure littéraire de la Semaine inaugurale, « 1 ère  apocalypse »,

illustrée par le miracle de l’eau changée en vin.

Jn 1,19 --- 2,12

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Comme l’indiquait le nom qu’on lui a donné, cette Semaine inaugurale s’articulait en 7, ou même 8 journées.

1 er jour        : 1,19-28. Interrogatoire du Baptiste par les Juifs descendus de Jérusalem. Il niait être le Messie.

2 e jour          : 1,29-34. Témoignage de Jean-Baptiste en faveur de Jésus : « Voici l’agneau de Dieu. »

3 e jour          : 1,35-39. Jean et André devenaient les premiers disciples de Jésus.

4 e jour          : 1,40-42. Sur le témoignage de son frère André, Simon devenait disciple. Il recevait de Jésus le surnom de Céphas = Pierre.

5 e jour          : 1,43-51. Philippe et Nathanaël recrutés à leur tour comme disciples de Jésus.

6 e et 7 e jours : 2,1-11. Invité à une noce à Cana de Galilée, avec ses disciples, Jésus changeait l'eau en vin à la demande de sa mère.

8 e jour          : 2,12. Il descendait à Capharnaüm avec sa mère, ses frères, et les disciples.

La 6 e journée n’étant indiquée que pour mémoire, cette Semaine inaugurale se développait, en fait, selon un plan septénaire.

Au cours de ce premier acte, nous voyions Jésus constituer son équipe, son staff, en s’appropriant les disciples de Jean-Baptiste, que celui-ci, d’ailleurs, lui cédait généreusement. Il inaugurait avec eux son ministère public. On pouvait légitimement considérer comme un sommet de cette Semaine inaugurale le moment où Jésus recrutait Simon, celui qui allait devenir la pierre d’angle de son Eglise, la pièce maîtresse de son dispositif. C’était la quatrième journée, la journée centrale donc. Si l’on considérait la Semaine inaugurale comme ayant la structure d’un chiasme, on pouvait admettre que les deux branches du chiasme (X) se croisaient entre les versets 1,41 et 1,42, entre les mots : « Christ » et « Il le conduisit vers Jésus. » A cet instant précis, Pierre reconnaissait, et acceptait, Jésus comme le Messie. Et discerner une certaine symétrie, volontaire ou inconsciente, de la narration autour de ce centre.

La veille de ce jour (le 3 e jour donc) le Christ embauchait deux disciples.

Le lendemain de ce jour (le 5 e jour) il embauchait également deux disciples.

L’avant-veille (2 e jour) Jésus fut désigné pour la première fois par Jean-Baptiste comme l’Agneau de Dieu, celui qui devait verser son sang pour le salut du monde.

Mais à Cana (le 7 e jour) Jésus changeait l’eau en vin, ce vin qui préfigurait justement son sang versé, qui deviendrait le vin du Royaume.

Enfin, autre symétrie, le 1 er jour de la Semaine on apercevait la foule des Juifs qui descendaient vers les rives du Jourdain, à la rencontre du Baptiste. 

Tandis que le 8 e, et dernier jour, on voyait Jésus lui-même, sa parenté et ses disciples, qui descendaient vers Capharnaüm.

A leur tour, chacune de ces journées de la Semaine inaugurale, que nous avions repérées, pourrait s’analyser de la manière suivante.

1 er Jour : 1,19-28

Interrogatoire de Jean-Baptiste.

a) 1,19 a         : Présentation du thème.

b) 1,19 b-22 : 1 er interrogatoire conduit par les Juifs.

c) 1,23             : Témoignage de Jean Baptiste sur lui-même.

d) 1,24            : Interlude.

e) 1,25             : Nouvel interrogatoire.

f) 1,26-27     : Témoignage du Baptiste sur Jésus.

g) 1,28            : Conclusion de l’évangéliste.

Le croisement du chiasme passait dans la partie centrale, l’interlude. A ce moment-là on décidait d’un second interrogatoire du Baptiste, qui serait symétrique du premier.

2 e jour : 1,29-34

Jésus désigné par le Baptiste.

a) 1,29 a        : Présentation du thème.

b) 1,29 b-31 : Jésus désigné comme « l’Agneau de Dieu » par Jean-Baptiste.

c) 1,32             : Témoignage capital de Jean-Baptiste : il a vu l’Esprit Saint descendre sur Jésus.

d) 1,33            : Définition de Jésus comme celui qui baptisait dans l’Esprit.

e) 1,34            : Conclusion de Jean-Baptiste.

Le croisement du chiasme passait dans la partie centrale, au verset 1,32. C’était alors que Jésus, grâce au témoignage décisif venu d’en haut, était reconnu par Jean-Baptiste comme le Messie de Dieu.

3 e jour : 1,35-39

Deux disciples.

a) 1,35-36   : Le Baptiste montrait Jésus du doigt.

b) 1,37-39 a : Deux de ses disciples dialoguaient avec Jésus.

c) 1,39 b        : Ils restaient avec Jésus comme ses nouveaux disciples.

La césure se situait entre 1,38 et 1,39. A cet instant-là, les deux disciples devenaient disciples de Jésus.

4 e jour : 1,40-42

Simon.

a) 1,40           : Identification d’André, comme l’un des deux précédents disciples.

b) 1,41-42 a : André rencontrait son frère Simon, et l’amenait à Jésus.

c) 1,42 b        : Jésus accueillait ce Simon, et lui attribuait le surnom de Céphas.

Le chiasme passait par la partie centrale, entre les versets 1,41 et 1,42. Pierre alors reconnaissait Jésus comme le Messie.

5 e jour : 1,43-51

Philippe et Nathanaël.

a) 1,43-44  : Jésus appelait Philippe.

b) 1,45            : Philippe rencontrait Nathanaël.

c) 1,46            : Scepticisme de Nathanaël.

d) 1,47-48   : Rencontre de Jésus et de Nathanaël.

e) 1,49            : Profession de foi de Nathanaël.

f) 1,50             : Réplique de Jésus à Nathanaël.

g) 1,51             : Jésus tirait lui-même les conclusions de la journée.

Le chiasme passait dans la partie centrale, au verset 1,48, entre les mots : « D’où me connais-tu ? » et « Jésus répondit ». A cet instant, Nathanaël se rendait à Jésus.

7 e jour : 2,1-11

Cana.

a) 2,1-2           : Il y avait des noces à Cana de Galilée.

b) 2,3-5          : Incident du manque de vin.

c) 2,6-8          : Miracle de l’eau changée en vin.

d) 2,9-10      : Conséquences du miracle.

e) 2,11             : Conclusions du narrateur.

Le chiasme passait dans la partie centrale, entre les versets 2,7 et 2,8 : à ce moment précis l’eau était changée en vin.

Après un prologue déjà si explicite (mais qu’on pouvait considérer, rappelons-le, comme faisant déjà partie de la Semaine inaugurale), Jésus nous était donc révélé comme étant l’ « Agneau de Dieu » (1,29), l’« Elu de Dieu » (1,34), le « Maître » (1,38), le « Messie », le « Christ »  (1,41), le « Fils de Dieu » (1,49), le « roi d’Israël »  (ib.), le « Fils de l’homme » (1,51), et enfin, pourrait-on dire, le thaumaturge des temps nouveaux (cf. 2,11). Que de révélations, en peu de phrases ! Quelle riche « apocalypse » ! Le miracle de Cana venait authentifier, de la part de Dieu, venait sceller cette nouvelle foi, dont les disciples, Pierre le premier, se feraient les colporteurs.

Au début de cette Semaine inaugurale, nous voyions les Juifs enquêter à propos de Jean-Baptiste. Ils ne s’intéressaient pas encore à Jésus, qu’ils ne connaissaient pas. On sentait leur peu de sympathie pour ce baptême jordanien, et pour tous ceux qui accouraient à l’appel de ce nouveau prophétisme. Nous n’ignorions pas, par ailleurs, que les Juifs n’avaient pas ajouté foi au message du Baptiste. (Cf. Mt 21,25 ; Mc 11,31 ; Lc 20,5).

Les disciples, quant à eux, croyaient d’enthousiasme. Aussitôt, ils adoptaient Jésus pour leur Maître, et se mettaient à sa suite. Jean-Baptiste lui-même se désistait en sa faveur, lui abandonnait l’équipe qu’il avait constituée.

Marie dans l’ombre, et qui n’en sortait jamais que malgré elle, apparaissait comme la foi même.

Il fallait souligner cette foi de Marie, qui se manifestait dans l’épisode de Cana. Les disciples, eux, croyaient une fois que le miracle était accompli (cf. Jn 2,11) ; Marie, elle, croyait avant. Non seulement elle croyait avant, mais elle croyait malgré un net refus de son fils, même si ce refus avait été prononcé avec douceur. En quelque sorte, elle lui forçait la main. Et pour elle, ce n’était pas seulement croire en un quelconque prestidigitateur. D’évidence elle ajoutait foi en la divinité de ce Fils. L’attitude de Marie dénotait beaucoup de courage, et d’esprit d’initiative. Ce même courage l’animerait, chancelante mais debout, auprès de la croix, dans cette scène du Calvaire qui ferait pendant, à bien des égards, à celle de Cana. La foi de Marie, notons-le, s’exerçait au bénéfice de la charité fraternelle. C’était parce qu’elle avait ressenti le désarroi de leurs hôtes, qui étaient en même temps leurs parents, qu’elle était intervenue auprès de son fils et, subsidiairement, pour conforter la foi des disciples.

Nous devions reconnaître Jésus d’enthousiasme comme le Fils de Dieu, tel était le message principal, tel était le thème majeur, que nous retiendrions de cette première « apocalypse » de notre IV e évangile. C’était là le premier des sept coups de tonnerres successifs qui devaient retentir pour proclamer la Bonne Nouvelle : « Après quoi, les sept tonnerres firent retentit leurs voix. » (Ap 10,3). Le miracle de Cana venait, le premier, renforcer notre conviction que Jésus était le Fils de Dieu. Voilà quel était, au premier degré, le message de cette Semaine inaugurale.

Toutefois un thème sous-jacent parcourait aussi toute cette première partie de l’évangile : c’était celui du changement, de la mutation, de la nouveauté, provoqués par la venue de Jésus-Christ. C’était comme un printemps nouveau qui sourdait de toutes parts pour renouveler la nature

Ladite Semaine inaugurale entamait avec une grande fraîcheur d’âme le récit du ministère public de Jésus. Tout changeait, tout bougeait, tout évoluait, tout se transformait quand Jésus survenait.

Ainsi les Juifs, descendus de Jérusalem au Jourdain, ne se préoccupaient que de Jean-Baptiste ; mais Jean-Baptiste, aussitôt, les renvoyait à Jésus. Il faisait dévier l’objectif de leurs investigations. Quant à eux, les disciples de Jean-Baptiste étaient changés sur le champ en disciples de Jésus. Sans tarder le moins du monde, Jésus montait avec ses nouveaux disciples à Cana de Galilée, et là il sauvait in extremis le festin des noces, qui allait sombrer, et le transformait en une fête joyeuse. Tout de suite, il redescendait avec ses gens à Capharnaüm, sur les bords du lac.

Tout changeait, tout évoluait, quand arrivait Jésus. Les enquêteurs auprès de Jean-Baptiste étaient conviés à croire en Jésus-Christ. Jean-Baptiste, quant à lui, baptisait dans l’eau : pourtant c’était lui qui annonçait le nouveau baptême dans l’Esprit. Les disciples du dernier des prophètes étaient mutés en disciples officiels du Messie.

Simon était changé, par le Christ, en Céphas : d’homme fragile, pécheur, présomptueux même, il devenait le roc sur lequel serait bâtie l’Eglise. Nathanaël, certes un véritable israélite, devenait un authentique disciple de Jésus, un vrai chrétien avant la lettre. Marie, de mère effacée et inconnue, se voyait soudain commuée en mère de celui qui était ouvertement proclamé comme le Messie et le Fils de Dieu. Les noces humaines de Cana se transformaient en symbole des noces éternelles de Jésus avec toute l’humanité. Les urnes des Juifs, destinées aux ablutions rituelles, étaient changées en les vases sacrés du culte nouveau en Esprit. L’eau ordinaire se changeait en un vin délicieux, qui préfigurait celui du Royaume. Après sa visite à Cana, près des lieux où il avait grandi, Jésus se dirigeait aussitôt vers d’autres horizons.

Un dynamisme nouveau était né, qui pourrait bien gagner toute la terre, à commencer par Israël. Il semblait que le miracle de Cana, réalisé en présence de nombreux témoins, eût eu un grand retentissement par toute la Palestine, et jusque dans Jérusalem. Peu de temps après (cf. Jn 2,18), les Juifs de cette ville, faisant semblant d’ignorer ce miracle, mais sachant bien que Jésus accomplissait des miracles, sollicitaient de sa part un nouveau signe, sans doute encore plus éclatant. Mais, après Cana, cette demande paraîtrait incongrue, et serait rejetée.

Jésus avait accompli ce signe au bénéfice de la foi, signe donné en gage d’accréditation divine. Un tel signe devait être reçu dans la foi, pour nourrir la foi. Le miracle ne saurait faire l’objet d’une requête pour lui-même. Il valait comme signe destiné à corroborer des affirmations essentielles. Jésus ne se présentait pas, d’abord, en qualité de thaumaturge, mais bien de prophète.

Vous prétendiez être un ambassadeur tout droit descendu du ciel. Où étaient donc vos lettres de créance ?

Vous affirmiez tranquillement que vous étiez le Fils de Dieu, le Messie promis. Encore fallait-il en apporter une preuve, en donner un signe authentique.

Voilà ce signe.

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