Note 37

Les Testaments des douze Patriarches

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Les Testaments des douze Patriarches, trouvés par fragments à Qoumrân, mais conservés par ailleurs en version grecque, pourraient bien avoir été composés, dans leur état final, par un essénien ayant connu le Christ, la Pentecôte, et même la prédication d’un saint Paul, tout au moins dans ses débuts.

Dans cette hypothèse, ils eussent été écrits, ou réécrits, peu de temps avant la destruction ultime de Qoumrân, qui eut lieu en 68 de notre ère.

Les allusions au Christ même, ainsi qu’aux débuts du christianisme, y sont nombreuses et limpides. On donne ci-après une analyse des passages où on les trouve.

Si d’aventure l’auteur, ou les auteurs, n’avaient point connu le Christ, alors ils furent des prophètes d’une très grande envergure !

On ne cite que quelques extraits des Testaments. C’est pourquoi nous passons directement au numéro 2 : Testament de Siméon, omettant Testament de Ruben. (On omettra encore d’autres Testaments : Testament d’Issachar, Testament de Zébulon).

La traduction est celle de la Bibliothèque de la Pléiade : Ecrits Intertestamentaires, Gallimard, 1988.

Selon notre habitude, nous commentons les textes, si besoin est, entre crochets droits, et en couleur.

2°) Testament de Siméon

Admirable, extraordinaire annonce du christianisme (ou alors description du christianisme naissant), dans ce qui constitue son essence même ! Allusion théologiquement très claire à l’incarnation, à la sainte Cène, à la rédemption du genre humain, à la résurrection du Messie.

La Bibliothèque de la Pléiade commente avec justesse : « Nombre de critiques considèrent les versets 5 et 7 comme retouchés ou interpolés par des critiques chrétiens. Cette hypothèse n’est naturellement pas exclue. L’authenticité juive de ces passages ne doit pas pour autant être écartée trop rapidement, car de telles doctrines ont fort bien pu se développer en milieu essénien. »

En fait, les Testaments tout entiers sont de la même veine. On ne voit guère la place d’une interpolation. Les propos rapportés ci-dessus ne jurent absolument pas avec l’ensemble du texte. Ils en constituent même comme l’âme, ou la substance. De plus la tradition manuscrite ne garde pas la moindre trace d’une quelconque interpolation. Autant dire que les Testaments seraient interpolés dans leur intégralité !

« Et maintenant mes enfants, obéissez à Lévi et à Juda [autres fils de Jacob], et ne vous dressez pas contre ces deux tribus, car c’est d’elles que se lèvera pour nous le salut de Dieu. Car le Seigneur suscitera quelqu’un  de Lévi, en tant que grand prêtre, et de Juda, en tant que roi, Dieu et homme. C’est lui qui sauvera toutes les nations et la race d’Israël. » (Testament de Siméon, 7,1-2).

On ne trouve pas trace, ici, d’un quelconque double messianisme (l’un sacerdotal et l’autre royal) comme il est d’usage de l’attribuer aux Esséniens. Ce double messianisme n’a jamais existé, ni à Qoumrân ni ailleurs, sauf dans l’imagination de certains commentateurs modernes. L’unique Messie est à la fois, comme on le voit ici, et comme il fut dans la réalité, prêtre et roi, descendant de Lévi et de Juda.

On a là une présentation du Christ en tant que fils de Lévi ou descendant de Lévi, (sans doute par sa mère, Marie, cousine d’Elisabeth, de la tribu de Lévi, cf. Lc 1,5.36), et fils de Juda, descendant de Juda (sans doute par son père putatif, Joseph, descendant de David et de Juda, mais sans doute aussi par sa mère, et le père de sa mère, autre descendant de David par Nathan, cf. Lc 3,23-38).

Le Christ était grand prêtre, comme l’enseignerait l’Epître aux Hébreux, mais il était aussi roi comme le dirait l’ange : « Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; il règnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n’aura point de fin » (Lc 1,32-33) et comme il l’avouerait  lui-même de la façon la plus nette (cf. Mt 27,11 ; Mc 15,2 ; Lc 23,3 ; Jn 18,37) au moment de son procès.

Le Testament de Siméon, que nous venons d’étudier, enseignait l’universalisme complet et immédiat du salut, à partir du Christ, en des termes déjà pauliniens : « C’est lui [le Messie annoncé] qui sauvera toutes les nations et la race d’Israël. » (7,2).  

3°) Testament de Lévi

Continuation et confirmation de la doctrine précédente. Les Testaments donnaient à voir, entre eux, une parfaite unité de pensée, comme de style, laissant présager l’unité d’auteur.

[L’ange continuait à parler à Lévi, dans une vision :] «Sachez donc maintenant que le Seigneur exécutera le jugement sur les fils des hommes.

« Car les rochers se fendent,

le soleil s’éteint,

les eaux se tarissent,

le feu meurt,

toute la création est ébranlée,

les esprits invisibles se consument,

et le Shéol est dépouillé à la souffrance du Très-Haut.

Quant aux hommes, incrédules, ils persévèrent dans leurs iniquités,

c’est pourquoi ils seront sévèrement jugés.

Toutefois le Seigneur a exaucé ta prière

de te séparer de l’injustice et d’être pour lui un fils,

un serviteur et un ministre de Sa Face.

Lumière de connaissance, tu resplendiras en Jacob [dans la descendance de Jacob, ton propre père],

et tu seras comme le soleil pour toute la descendance d’Israël [autre nom de Jacob].

Une bénédiction te sera donnée, ainsi qu’à toute ta descendance,

jusqu’à ce que le Seigneur visite toutes les nations par la miséricorde de son fils [le Messie] à jamais ;

mais tes fils [tes descendants : les prêtres] porteront les mains sur lui pour le crucifier. » Testament de Lévi 4,1-4).

Allusion très claire à la crucifixion du Christ, qui aurait lieu à l’instigation des grands prêtres de Jérusalem, fils d’Aaron et fils de Lévi. On nous faisait assister au bouleversement de la nature, face à cet événement inouï : la crucifixion d’un Dieu venu se promener sur la terre ; on le décrivait en des termes qui n’étaient pas sans rappeler l’évangile selon saint Matthieu. (Cf. Mt 27,51-53).

« Le troisième [lot dans ta descendance, car en elle il y aura trois parts] sera appelé d’un nom nouveau, car, tel un roi, il se lèvera de Juda et exercera un sacerdoce nouveau pour toutes les nations. » (Testament de Lévi 8,14).

Nouvelle annonce, dans la bouche du patriarche Jacob, du Messie unique, à la fois descendant de Lévi et de Juda, grand prêtre et roi. Sa mission serait universelle.

Voici, je [c’est maintenant Lévi qui parle] suis innocent de votre impiété et de la profanation que vous commettrez à la consommation des siècles sur le Sauveur du monde, égarant Israël et attirant sur lui de grands malheurs de la part du Seigneur. » (Testament de Lévi 10,2).

Ce serait la tribu de Lévi, à travers les grands prêtres aaronides, qui obtiendrait la condamnation à mort du Sauveur du monde, le Christ.

Le « Sauveur du monde » dont il est question ne pouvait pas être, ni n’avait été, comme certains commentateurs le suggèrent, le « Maître de justice » des esséniens qui, lui, était apparu bien avant « la consommation des siècles ». Certes le « Maître de justice » avait lui aussi été assassiné à l’instigation d’un prêtre impie, Ménélas, descendant de Lévi ; mais le « Maître de justice » (Onias III) fut lui-même grand prêtre, lévitique, aaronide et même sadocite, et victime, dès lors, d’une lutte fratricide, à l’intérieur de la tribu de Lévi ; ce qui ne devait pas être le cas du Messie, davidique et descendant de Juda.

De plus le « Maître de justice », dans sa sainteté incontestable, et dans son martyre encore moins contestable, n’avait jamais prétendu à une œuvre salvifique universelle. Lui-même avait attendu le Messie d’Israël ;  et le dernier  carré de ses fidèles, les esséniens, attendait et prophétisait avec grande impatience le Messie davidique.

« Quant à moi, mes enfants, je sais qu’à la fin des siècles vous commettrez des impiétés contre le Seigneur, portant les mains sur lui par malice ; et vous deviendrez un objet de risée parmi toutes les nations. Mais notre père Israël est pur de l’impiété des grands prêtres qui porteront leurs mains sur le Sauveur du monde. » (Testament de Lévi, 14,1-2).

Ces grands prêtres furent : Anne et Caïphe.

« Après que leur châtiment se sera exercé de la part du Seigneur [prise de Jérusalem par les Romains] le sacerdoce disparaîtra [celui de Lévi s’effacera devant celui du Christ].

Alors le Seigneur suscitera un Prêtre nouveau [le Christ] à qui toutes les paroles du Seigneur seront révélées : c’est lui qui exercera un jugement de vérité [le Sermon sur la montagne] sur la terre durant une multitude de jours.

Son astre se lèvera dans le ciel comme celui d’un roi [cf. Mt 2,2 ; Testament de Juda 24,1 : voir ci-dessous, chapitre 4], resplendissant de la lumière de la Connaissance comme le soleil brille en plein jour,

et il sera magnifié dans le monde entier [prédication apostolique].

Il resplendira comme le soleil sur la terre,

il supprimera toutes les ténèbres de dessous le ciel,

et la paix règnera sur toute la terre.

Les cieux seront dans la jubilation en ces jours, la terre se réjouira,

et les nuées seront dans l’allégresse.

La Connaissance du Seigneur se répandra comme l’eau des mers,

et les anges de gloire de la Face du Seigneur seront dans l’allégresse à cause de lui.

Les cieux s’ouvriront [baptême du Christ],

et du Temple de gloire [le ciel] viendra sur lui la sanctification [l’Esprit Saint ; cf. Mt 3,16],

en même temps qu’une voix paternelle [celle du Père, cf. Mt 3,17] comme celle d’Abraham à Isaac.

La gloire du Très-Haut sera proclamée sur lui, et l’Esprit d’intelligence et de sanctification reposera  sur lui dans l’eau.

Car c’est lui qui donnera la magnificence du Seigneur à ses fils dans la vérité à jamais [la Pentecôte],

et nul ne lui succèdera  de génération en génération à jamais [sacerdoce éternel].

Sous son sacerdoce, les nations augmenteront dans la Connaissance sur la terre [propagande apostolique],

et seront illuminées par la grâce du Seigneur [baptême des nations, cf. Mt 28,19].

Mais Israël sera diminué dans l’ignorance,

et il sera enténébré dans le deuil [incrédulité des Juifs]. » (Testament de Lévi 18,1-9).

Ce nouveau prêtre n’était certainement pas un « Maître de justice » redivivus (Onias III ressuscité ?) ;  mais bien le Christ, le Messie.  

4°) Testament de Juda

« Parmi des étrangers [les Hérodiens] prendra fin mon royaume [à moi, Juda, à qui fut promise la royauté, parmi tous les fils de Jacob, cf. Gn 49,10], jusqu’à l’arrivée du salut d’Israël, jusqu’à la venue  du Dieu de justice. » (Testament de Juda 22,2).

Hérode, cet Iduméen, ce demi-étranger, les Romains … Alors Dieu lui-même viendra visiter son peuple.

« Après cela, une étoile [cf. Mt 2,2] se lèvera pour vous de Jacob [de la descendance de Jacob, d’Israël], dans la paix,

et un homme se lèvera de ma descendance [le Messie, fils de David, fils de Juda], comme un soleil de justice,

marchant avec les hommes dans la douceur et la justice,

et on ne trouvera en lui aucun péché. Les cieux s’ouvriront sur lui [baptême du Christ, dans le Jourdain, cf. Mt 3,16],

pour répandre l’Esprit, la bénédiction du Père saint,

et c’est lui qui répandra l’Esprit de grâce sur vous [le jour de la Pentecôte].

Vous deviendrez ses fils en vérité,

et vous marcherez dans ses ordonnances, les premières [le Sermon sur la montagne] et les dernières [le discours après la Cène].

Lui [le Christ], c’est le Germe [ou le Fils] du Très-Haut,

Elle [la bénédiction du Père], c’est la source donnant la vie à tous.

Alors le sceptre de ma royauté [à moi Juda, qui vous parle] resplendira [de nouveau],

et de votre racine [à vous, mes fils] naîtra un tronc [l’Eglise],

d’où poussera un sceptre de justice pour les nations [la prédication sacerdotale ; la hiérarchie chrétienne],

pour juger et sauver tous ceux qui invoquent le Seigneur [les croyants]. » (Testament de Juda 24,1-6).

La royauté de Juda, et de David, serait restaurée par le Christ, l’étoile de Jacob. On avait là un bon résumé de l’évangile, et de la vie du Christ.

7°) Testament de Dan

« Le salut du Seigneur se lèvera de la tribu de Juda et de Lévi. » (Testament de Dan 5,10).

Même doctrine qu’en Testament de Juda, ou de Lévi. Le Christ était issu de ces deux tribus, privilégiées.

8°) Testament de Nephtali

« Le Seigneur les dispersera [les descendants de Jacob, les Israélites, dans la diaspora] sur toute la surface de la terre, jusqu’à ce que vienne la miséricorde du Seigneur, un homme pratiquant la justice et pratiquant la pitié, envers tout ceux qui sont loin [les païens] et ceux qui sont près [les Israélites]. » (Testament de Nephtali 4,5).

C’était le Messie, visitant les nations, par exemple la Syrophénicie (cf. Mc 7,26), ou la Décapole (Mc 7,31), aussi bien qu’Israël.

« Car par Juda [mon frère] se lèvera le salut [le Messie] pour Israël,

et en lui Jacob [notre père, père des douze patriarches] sera béni.

Par son sceptre [son règne], Dieu apparaîtra,

habitant parmi les hommes sur la terre,

pour sauver la race d’Israël et rassembler les justes d’entre les nations. » (Testament de Nephtali 8,2-3).

Résumé synthétique, dans une terminologie typiquement juive, mais pourtant absolument universaliste, de l’aube du christianisme. L’incarnation de Dieu, affirmée dans toute sa force, était donnée comme une évidence, d’une manière presque provocante. Le Nouveau Testament lui-même n’emploierait pas de raccourci aussi saisissant.

9°) Testament de Gad

« Vous aussi, dites cela à vos enfants, afin qu’ils respectent Juda et Lévi [mes deux frères], car c’est de leurs tribus que le Seigneur suscitera le salut d’Israël. » (Testament de Gad 8,1).

Unité plénière de doctrine des divers Testaments. Le salut viendrait de Juda, et subsidiairement de Lévi. Le salut, dans ces vieux textes, n’était pas considéré comme quelque chose d’abstrait, de théorique, mais bien comme un homme, et un homme appartenant à telle race, à telle tribu.

10°) Testament d’Aser

« Car je sais que vous [mes enfants, mes descendants] pècherez, que vous serez livrés aux mains de vos ennemis, que votre pays sera dévasté, que votre sanctuaire sera détruit [en 587 avant l’ère chrétienne], que vous serez dispersés aux quatre coins de la terre, et que vous serez dans la dispersion [la diaspora], méprisés comme une eau hors d’usage, jusqu’à ce que le Très-Haut  visite la terre [par son Messie] et qu’il vienne lui-même comme un homme [qu’il sera vraiment] manger et boire avec les hommes et qu’il écrase la tête du dragon [Satan] sur l’eau [du lac de Tibériade ? du baptême ?]. Il sauvera Israël et toutes les nations [cf. Jn 11,50-52], Dieu assumant un rôle d’homme. » (Testament d’Aser 7,2-3).

Impeccable théologie de l’incarnation ; unité des douze Testaments. Dieu s’était fait homme en Jésus-Christ, le Sauveur ; Yeshouah : Yahvé sauve.

11°) Testament de Joseph

Langage apocalyptique pour décrire, en condensé, l’histoire évangélique, envisagée sous un angle pleinement juif, en même temps qu’extraordinairement ouvert. L’auteur anticipait en effet sur le vocabulaire et les images de l’Apocalypse de Jean. Et l’auteur connaissait de toute évidence l’histoire de Marie et de Joseph, et la conception virginale de Jésus. On a noté au passage les contacts littéraires qu’on pouvait relever ici avec l’évangile de saint Luc, à propos de la « joie des anges » (Lc 2,13-14) et celle « des hommes » (Lc 2,18.20), à propos des événements qui arrivent « en leur temps » (Lc 1,20).

« Vous donc, mes enfants, gardez les enseignements du Seigneur et honorez Lévi et Juda [les deux tribus privilégiées d’Israël], car c’est de leur descendance que se lèvera pour vous l’agneau de Dieu qui, par grâce, sauvera toutes les nations et Israël. Car sa royauté sera une royauté éternelle qui ne passera pas … »  (Testament de Joseph 19,11-12).

En qualité de descendant de Lévi, comme de Juda, Jésus se trouvait prêtre et roi d’Israël. Il sauvait l’humanité « par grâce », non par dû, et non, aussi, par la force des armes. Les nations passaient avant Israël, qui cependant n’était pas exclue (influence du langage paulinien). « Royauté éternelle » faisait penser au langage de l’ange Gabriel, au moment de l’Annonciation (cf. Lc 1,32-33) ;  mais ce thème de la « royauté éternelle » était lié depuis toujours, dans la Bible, au thème de la promesse messianique (cf. 2 S 7,13 ; 23,5 ; Ps 89,30-38 ; 132,11-12 etc.)

12°) Testament de Benjamin

« En toi [Joseph ; Benjamin rapportait ici les paroles adressées par son père Jacob, à son frère Joseph] s’accomplira la prophétie céleste [pour nous, celle d’Isaïe (53,7)] sur l’agneau de Dieu et le Sauveur du monde : celui qui est sans tache sera livré pour les criminels, et celui qui est sans péché mourra pour les impies dans le sang de l’Alliance, pour le salut des  nations [cf. Mt 26,28 : le récit de l’institution de l’eucharistie] et d’Israël, et il détruira Béliar et ses serviteurs [Satan, et ses suppôts : cf. Ap 20,9-10]. » (Testament de Benjamin 3,8).

Déjà Joseph, fils de Jacob, innocent expiant pour des coupables, à la place de ses propres frères, (cf. Gn 45,5) préfigurait le Messie souffrant annoncé, plus tard,  par Isaïe.

Toutefois ce Messie souffrant ne descendrait pas de Joseph, mais bien de Juda et de Lévi.

La victoire du Messie serait avant tout une victoire sur Satan, et non pas sur les hommes. (Cf. Jn 12,31).  

« Toutefois, le Temple de Dieu sera dans votre lot [à vous mes enfants ; c’était Benjamin qui parlait à ses enfants : il en fut bien ainsi ; Jérusalem, et par conséquent le Temple, furent dans le lot de Benjamin ; cf. Jos 18,28], et le dernier [celui d’Hérode] sera plus glorieux que le premier [celui de Salomon] ; les douze tribus  y seront rassemblées avec toutes les nations [on venait du monde entier au Temple de Jérusalem , y compris nombre de prosélytes ;  cf. Jn 12,20 : « Il y avait là quelques Grecs, de ceux qui montaient pour adorer pendant la fête. »], jusqu’à ce que le Seigneur envoie son salut par la visite d’un prophète unique [Jésus]. Il entrera dans le premier Temple [Jérusalem, le mont Sion], là le Seigneur sera insulté et il sera élevé sur le bois [au Golgotha]. Le rideau du Temple sera déchiré [cf. Mt 27,51] et l’Esprit de Dieu descendra sur les nations comme un feu qui se répand [à la Pentecôte]. Et montant du Shéol [cf. 1 P 3,19-20], il passera de la terre au ciel [l’Ascension]. Je sais quelle sera son humilité sur la terre [celle du Serviteur souffrant d’Isaïe (52,13 – 53,12)] et sa gloire dans le ciel [celle du Fils de l’homme eschatologique, de Daniel (7,13-14) et de I Hénoch (69,26-29)]. » (Testament de Benjamin 9,2-5).

Il est difficile de nier, pour cette page, la connaissance historique des premiers temps du christianisme. Les allusions y sont trop ciblées. Remarquons toutefois que le langage restait profondément juif, peut-être même essénien (ce qui représentait la quintessence du judaïsme). On ne discerne aucune discontinuité de style ou de pensée, dans cet extrait, avec l’ensemble du Testament de Benjamin, ou avec la totalité des douze Testaments. C’est partout la même doctrine qui s’affirme, avec la même tranquille audace. La suite achèvera de nous édifier.  

« Alors [à la parousie], nous aussi nous ressusciterons, chacun dans notre tribu, adorant le Roi des cieux, qui paraît sur la terre sous la forme d’un homme humble, et tous ceux qui auront cru en lui sur la terre se réjouiront avec lui. Alors, tous ressusciteront, les uns pour la gloire, les autres pour le déshonneur, et le Seigneur jugera d’abord Israël pour l’injustice commise envers lui, car, quand Dieu vint en chair, comme un libérateur, ils ne crurent pas en lui. Alors il jugera toutes les nations, toutes celles qui n’ont pas cru en lui, quand il parut sur la terre. Il fera accuser Israël par ceux qu’il aura choisis d’entre les nations, comme il fit accuser Esaü par les Madianites … » (Testament de Benjamin 10,7-10).

C’était bien Yahvé lui-même qui s’était incarné en Jésus-Christ, comme un libérateur, selon l’étymologie du mot « Yeshouah » (Yahvé sauve) (cf. Mt 1,21). Remarquons la hardiesse de cette doctrine que le Nouveau Testament lui-même ne formulerait pas d’une manière aussi abrupte, mais qu’il se contenterait de suggérer. Remarquons aussi la sévérité très paulinienne envers l’incrédulité d’Israël. Mais, comme chez Paul, il s’agissait de reproches faits par dépit, de Juifs à l’égard de leurs frères juifs, et non pas d’antisémitisme puisque le vocabulaire restait profondément sémite, voire biblique.

« Je [c’était toujours Benjamin qui s’exprimait] ne serai plus appelé ‘loup rapace’ [surnom de Benjamin, d’après la Bible ; cf. Gn 49,27 : « Benjamin est un loup rapace »] à cause de vos rapines, mais ‘ouvrier du Seigneur’ [cf. Ac 18,3 ; 1 Co 4,12 ; 1 Th 2,9 ;  2 Th 3,7-9 ; 2 Tm 2,15], distribuant la nourriture à ceux qui travaillent à faire le bien [cf. 2 Co 8 -- 9 ;  2 Co 12,15]. De ma descendance se lèvera, dans les derniers temps [le siècle présent, pour l’auteur réel des Testaments], l’Aimé du Seigneur [saint Paul], écoutant Sa voix [cf. Ac 9,4-6], faisant le bon plaisir de sa volonté, illuminant d’une nouvelle Connaissance toutes les nations [par ses missions, ses nombreux voyages apostoliques]. Lumière de Connaissance [par sa prédication apostolique], il foulera Israël aux pieds [par sa polémique antisynagogale], le dépouillant comme un loup [comme le loup éponyme de sa tribu] de ce qu’il donnera à la synagogue des nations [l’Eglise catholique, répandue dans le monde entier]. Jusqu’à la consommation des temps, il sera, dans les synagogues des nations [les églises] et parmi leurs chefs [les évêques], comme un chant dans la bouche de tous [lecture des épîtres de Paul dans les assemblées chrétiennes, jusqu’à la fin du monde]. Il exposera dans les livres saints [ses épîtres] son œuvre [d’ « ouvrier »] et son message [apostolique], et il sera l’Elu de Dieu à jamais [cf. Ap 11,12 : « Ils montèrent donc au ciel dans la nuée, aux yeux de leurs ennemis. »]. A cause de lui, Jacob, mon père, m’apprit ce qui suit : ‘C’est lui qui comblera les manques de ta tribu.’ [La plus infime des tribus d’Israël deviendra grande à cause de Paul, qui appartenait effectivement à la tribu de Benjamin ; cf. Rm 11,1 ; Ph 3,5]. » (Testament de Benjamin 11,1-5).

Si l’auteur de ces lignes n’avait pas connu le ministère de l’apôtre Paul, c’est qu’il était vraiment un très grand prophète !

La Bibliothèque de la Pléiade, œuvre laïque s’il en est, l’admet parfaitement ! Mais elle  voit plutôt dans cette page une allusion au Maître de justice des esséniens, … décidemment presque une obsession ! Lequel Maître de justice n’appartenait certainement pas à la tribu de Benjamin, mais bien à celle de Lévi, aaronide, sadocite et grand prêtre qu’il était ; ou (dans toutes les hypothèses) sûrement prêtre.

Observons une nouvelle fois la vigueur avec laquelle était soulignée la polémique de l’apôtre Paul contre ses coreligionnaires juifs : « Il foulera Israël aux pieds … Il le dépouillera comme un loup… »

La personnalité mystique de saint Paul était décrite avec un tel luxe de détails, et son rôle dans l’évangélisation du monde (jusqu’à la parousie !) analysé de façon si pertinente que, s’il se confirmait que le livre des « Testaments des douze patriarches » se trouvait à Qoumrân, il ne pourrait guère avoir été composé, et achevé, que dans les années 60 à 68 de notre ère. Ce serait un écrit esséno-chrétien.

Epilogue, en guise de conclusion

On ne peut affirmer absolument que la thèse avancée dans notre exorde soit démontrée. Il reste la possibilité, soit d’une prophétie étonnamment perspicace, nous l’avons dit, soit d’un texte d’origine juive très largement interpolé, dans la suite, par des copistes chrétiens.

Mais, comme il a aussi été dit, il ne subsiste aucune trace, aucun indice de ces interpolations…   

On ne trouve pas trace d’interpolations, ni dans le texte même, qui garde une parfaite cohérence en soi (accréditant la thèse de l’unité d’auteur) ; ni dans la tradition manuscrite où elles seraient aisément repérées par les divergences, entre eux,  des différents témoins.

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