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CONCLUSION

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Le style de Marc, bien que volontairement sobre, était chargé de détails pittoresques, élégant, rapide dans la conduite du récit, avec une attaque franche. On a souvent dit que sa phrase relevait d’une grécité médiocre. Mais à la vérité cela ne se sentait guère en traduction – par exemple celle de la Bible de Jérusalem, édition de 1988, utilisée ici. Bien entendu on ne retrouvait pas, chez lui, la grande période classique, avec une syntaxe compliquée. Le vocabulaire était peut-être pauvre, quoique précis et concret. Tout simplement, c’était de la koinê populaire, le grec commun du premier siècle de notre ère. Mais dans ce registre le second évangile s’offrait à nous comme un véritable chef-d’œuvre, même du seul point de vue littéraire. Un chef-d’œuvre de sobriété, de vivacité, d’élégance, de fraîcheur, d’une étonnante fraîcheur. Il a été démontré que l’ouvrage suivait les règles de la rhétorique antique, et même de la dramaturgie antique. L’intrigue se voyait remarquablement maîtrisée et unifiée. L’auteur savait tout à fait où il nous conduisait.

Le canevas sous-jacent, donné à son opuscule, était si bien réussi qu’il servirait de modèle, ou même de fil conducteur, aux deux autres synoptiques, et même à Jean au moins pour la première multiplication des pains et les récits de la Passion. Mais il se voulait si sobre (le second évangile est de loin le plus court des quatre canoniques) que ses collègues se feraient un devoir de l’étoffer, de le compléter. Les deux autres synoptiques considèreraient Marc presque comme une matière première à exploiter, un document-source. Quant à Jean, il s’efforcerait de combler ses lacunes :

--- a) concernant le ministère de Jésus, avant l’arrestation de Jean-Baptiste ;

--- b) concernant le ministère de Jésus à Jérusalem, dans la dernière année de la vie publique.

L’évangile de Marc tirait essentiellement sa valeur historique du témoignage de Pierre, dont Marc n’était pour ainsi dire que le porte-parole, mais peut-être aussi du témoignage personnel de l’auteur, s’il était vrai que, dans ses jeunes années, il eût assisté à la passion du Christ (cf. Mc 14,51 ; Ac 12,12). Mais ce fut seulement en vertu de l’autorité de l’apôtre Pierre que le second évangile put être admis dans les Ecritures Sacrées des chrétiens. De la même manière, ce serait grâce à l’autorité de l’apôtre Paul que le troisième évangile, et les Actes, entreraient dans le Canon du Nouveau Testament. On se méprendrait absolument sur la formation du Canon si l’on oubliait cette influence, ou pour mieux dire ce patronage, apostolique sur les écrits qui le composent.

Le second évangile pouvait s’appeler l’‘évangile de Pierre’, ce qui ne signifiait pas qu’il fût une apologie de Pierre. Bien au contraire avons-nous vu. En un sens il pourrait s’intituler ‘les confessions de Pierre’, selon les deux acceptions du mot : confession de foi et confession des péchés, aveu des fautes. La foi catholique reposerait pour une grande part sur cette confession de foi de Pierre ; et la vie de l’Eglise serait à jamais édifiée par cette confession courageuse des fautes. Ce ne serait pas par hasard que l’autel de Saint-Pierre, au Vatican, porterait le nom d’autel de la confession !

Le second évangile ne s’affirmait pas forcément comme le plus pétrinien des quatre. J’entends par là celui qui mettrait le mieux en valeur les prérogatives de Pierre, comme chef et fondement de l’Eglise. Ce serait dans saint Matthieu seulement qu’on trouverait le fameux « Tu es Petrus » (Mt 16,18) ; et dans saint Jean qu’on lirait ces paroles décisives : « Pais mes agneaux… Pais mes brebis… Pais mes brebis. » (Jn 21,15.16.17). Il semblerait même que Pierre, à travers la mise en forme de Marc, eût observé une réelle discrétion à l’égard de ses dites prérogatives. Il ne s’était pas plus que cela mis en vedette. Dans ses épîtres non plus d’ailleurs.

Dans l’évangile, Marc, l’auteur, s’effaçait au profit de Pierre. Quant à Pierre, il s’effaçait infiniment devant son maître, Jésus-Christ : « Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu… » (1,1).

Sans doute pouvait-on considérer l’évangile selon Marc comme un de ces mémentos des premiers missionnaires, destinés à consigner par écrit les grandes lignes du ministère public de Jésus, et de sa Passion. Mémento qui, par chance et sans doute grâce à Luc qui l’aurait édité, serait parvenu jusqu’à nous

Mais ledit mémento avait été composé dans l’ombre, et dans le sillage de Pierre. Avec son aval, pourrait-on dire. D’où sa valeur inappréciable, sa pertinence et son autorité. Il eut en outre le grand honneur de servir de schéma aux deux autres synoptiques, et même de provoquer, en quelque sorte, par ses lacunes, la rédaction du quatrième évangile. Pour nous, il se plaçait donc bien à la racine du kérygme évangélique et apostolique.

La proposition souvent avancée de diviser l’évangile de Marc en deux parties distinctes : le première (1,1 --- 8,30) qui tendrait à montrer que Jésus est le Christ et la deuxième (8,31 --- 16,8) qui prouverait qu’il est le Fils de Dieu, paraissait peu idoine. Les deux titulatures : Christ et Fils de Dieu, nous l’avions affirmé en son lieu, nous paraissaient synonymes. Il en était ainsi depuis les premières annonces messianiques, dans l’Ancien Testament. (Cf. 2 Sa 7,14). Il en serait de même tout du long dans l’évangile de Marc. (Cf. 1,1.11.15.24.34 ; 2,7.10-11.28 ; 3,11 ; 4,41 ; 5,7.19-20 ; 8,29.31.38 ; 9,7.9.31.37 ; 10,34.47.48 ; 11,3.10.17 ; 12,6.7.35-37 ; 13,26-27 ; 14,36.61-63 ; 15,2.9.12.18.26.32.39 ; 16,6). Il en allait de même, déjà, dans le psaume deuxième (« Il m’a dit : ‘Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré’ » Ps 2,7), bien représentatif du messianisme juif. Il restait vrai toutefois que, dans l’évangile, la révélation de la : ‘messianité-filiation divine-royauté’ de Jésus ne se réalisait que progressivement, car elle se heurtait à l’incrédulité de l’auditoire populaire, même des disciples, et pour comble de l’autorité juive. Le Christ lui-même tenait à se prémunir d’une annonce prématurée de son identité. C’était ce qu’on avait appelé le ‘secret messianique’, mais qu’on aurait mieux fait d’intituler une ‘réserve messianique’. Car Jésus voulait éviter une interprétation politique, ou triomphaliste, de sa mission. Voilà pourquoi il s’annonçait d’abord comme le Serviteur souffrant d’Isaïe, sans cesser pour autant de revendiquer le titre de Fils de l’homme.

Episodes successifs du second évangile.

Itinéraire du Christ, d’après Marc.

(1). 1,1 : Titre.

(2). 1,2-8 : Prédication de Jean-Baptiste, au désert. Il baptise dans le Jourdain.

(3). 1,9-11 : Baptême de Jésus au Jourdain.

(4). 1,12-13 : 40 jours de tentation, au désert.

(5). 1,14-15 : Retour en Galilée, après l’arrestation de Jean. Proclamation de l’Evangile.

(6). 1,16-20 : Appel des quatre premiers disciples, au bord de la mer de Galilée.

(7). 1,21-28 : Guérison d’un démoniaque, dans la synagogue de Capharnaüm, le jour du sabbat.

(8). 1,29-31 : A la maison, le même jour, guérison de la belle-mère de Simon.

(9). 1,32-34 : Le soir venu, devant la porte, multiples guérisons.

(10). 1,35-39 : Le matin bien avant le jour, dans un lieu désert. Puis dans toute la Galilée, dans les synagogues.

(11). 1,40-45 : Guérison d’un lépreux.

(12). 2,1-12 : A Capharnaüm, à la maison, guérison d’un paralytique.

(13). 2,13-14 : Au bord de la mer, le bureau de la douane. Appel de Lévi.

(14). 2,15-17 : Repas dans sa maison.

(15). 2,18-22 : Discussions sur le jeûne.

(16). 2,23-28 : A travers des moissons. Fin mai ( ?). Le sabbat. Episode des épis arrachés.

(17). 3,1-6 : Une synagogue. Guérison d’un homme à la main desséchée. Le sabbat.

(18). 3,7-12 : Sur la mer, une barque. Multitude accourue de tous les pays, qui écoutait depuis le rivage.  

(19). 3,13-19 : Une montagne. Institution des Douze.

(20). 3,20-21 : A la maison. Démarche des parents de Jésus. 

(21). 3,22-30 : Calomnie des scribes descendus de Jérusalem.

(22). 3,31-35 : Hors de la maison, les parents de Jésus.

(23). 4,1-20 : Au bord de la mer, une barque, puis à l’écart, avec les disciples. Parabole du semeur.

(24). 4,21-23 : Parabole de la lampe. 

(25). 4,24-25 : Parabole de la mesure.

(26). 4,26-29 : Parabole du blé qui pousse tout seul.

(27). 4,30-32 : Parabole du gain de sénevé.

(28). 4,33-34 : Conclusion sur les paraboles.

(29). 4,35-41 : Le même jour, le soir venu, vers l’autre rive, en barque ; la tempête apaisée.

(30). 5,1-20. Au pays des Géraséniens. Guérison d’un démoniaque.

(31). 5,21 : Retour sur l’autre rive, au bord de la mer.

(32). 5,22-43 : Guérison d’une hémorroïsse. Résurrection de la fille de Jaïre.

(33). 6,1-6 a : Visité à Nazareth.

(34). 6,6 b-13 : Les villages à la ronde. Mission des Douze.

(35). 6,14-16 : La résidence ( ?) d’Hérode. Le tétrarque s’interroge sur Jésus.

(36). 6,17-29 : La cour d’Hérode. Exécution de Jean-Baptiste.

(37). 6,30-44 : Dans la barque, vers un lieu désert, à l’écart. Retour des disciples de mission. Première multiplication des pains.

(38). 6,45-52 : Le soir venu, vers l’autre rive, vers Bethsaïde. Jésus marche sur la mer.

(39). 6,53-56 : Arrivée à Gennésareth. Les villes, les villages et les fermes. Multiples guérisons.

(40). 7,1-23 : A la maison, à l’écart. Discussions avec les pharisiens et les scribes venus de Jérusalem.

(41). 7,24-30 : Le territoire de Tyr. Guérison de la fille d’une syro-phénicienne.

(42). 7,31-37 : Par Sidon et la Décapole, vers la mer de Galilée. Guérison d’un sourd-bègue.

(43). 8,1-10 : Un désert. Seconde multiplication des pains. Dans la barque, puis à Dalmanoutha ( ?).

(44). 8,11-13 : Les pharisiens demandent un signe.

(45). 8,14-21 : En barque. Le levain des pharisiens et d’Hérode.

(46). 8,22-26 : A Bethsaïde, guérison d’un aveugle.

(47). 8,27-30 : Villages de Césarée de Philippe. Profession de foi de Pierre.

(48). 8,31-33 : Aux disciples. Première annonce de la Passion.

(49). 8,34 --- 9,1 : A la foule. Conditions pour suivre Jésus.

(50). 9,2-8 : Une haute montagne, à l’écart, (le mont Hermon ?). Transfiguration. 6 jours après la profession de foi de Pierre.

(51). 9,9-13 : En descendant de la montagne. Question au sujet d’Elie.

(52). 9,14-29 : En retrouvant les disciples (dans la plaine ?). Guérison d’un démoniaque épileptique. Puis à la maison.

(53). 9,30-32 : A travers la Galilée. Deuxième annonce de la Passion.

(54). 9,33-37 : A Capharnaüm. A la maison. Qui est le plus grand ?

(55). 9,38-40 : Usage du nom de Jésus.

(56). 9,41 : Charité envers les disciples.

(57). 9,42-50 : Le scandale.

(58).10, 1 : La Judée, puis au-delà du Jourdain. Les foules.

(59). 10,2-12 : Question sur le divorce.

(60). 10,13-16 : Jésus et les petits enfants.

(61). 10,17-27 : Se mettant en route. L’homme riche.

(62). 10,28-31 : Récompense promise au détachement.

(63). 10,32-34 : En route, montant à Jérusalem. Troisième annonce de la Passion.

(64). 10,35-45 : Demande des fils de Zébédée.

(65). 10,46-52 : A Jéricho. En sortant de Jéricho. Guérison d’un aveugle.

(66). 11,1-11 : Approche de Jérusalem. En vue de Bethpagé et de Béthanie, près du mont des Oliviers. Entrée messianique  à Jérusalem. Le soir à Béthanie

(67). 11,12-14 : Le lendemain, en sortant de Béthanie. Le figuier stérile.

(68). 11,15-19 : A Jérusalem. Les vendeurs chassés du Temple. Le soir, hors de la ville.

(69). 11,20-26 : En passant, le lendemain matin. Le figuier desséché.

(70). 11,27-33 : A Jérusalem. Jésus circule dans le Temple. Question des juifs sur l’autorité de Jésus.

(71). 12,1-12 : Parabole des vignerons homicides.

(72). 12,13-17 : L’impôt dû à César.

(73). 12,18-27 : La résurrection des morts.

(74). 12,28-34 : Le plus grand commandement.

(75). 12,35-37 : Dans le Temple. Le Christ, fils et Seigneur de David.

(76). 12,38-40 : Jugement sur les scribes.

(77). 12,41-44 : Face au trésor. L’obole de la veuve.

(78). 13,1-37 : Hors du Temple. Assis sur le mont des Oliviers, en face du Temple. Entretien eschatologique avec quatre disciples.

(79). 14,1-2 : Complot contre Jésus. Deux jours avant la Pâque et les Azymes.

(80). 14,3-9 : Onction à Béthanie.

(81). 14,10-11 : Trahison de Judas.

(82). 14,12-16 : Premier jour des Azymes. A la ville. Une grande salle à l’étage. Préparatifs du repas pascal.

(83). 14,17-25 : A table. La Sainte Cène.

(84). 14,26-31 : Départ pour le mont des Oliviers, après le chant des psaumes. Prédiction du reniement de Pierre.

(85). 14,32-42 : Un domaine appelé Gethsémani. Agonie de Jésus.

(86). 14,43-52 : Arrestation de Jésus.

(87). 14,53-64 : Chez le grand prêtre. Comparution devant Caïphe.

(88). 14,65 : Premiers outrages.

(89). 14,66-72 : En bas, dans la cour. Reniement de Pierre, au chant du coq.  

(90). 15,1 a : Réunion du Sanhédrin, à l’aube.

(91). 15,1 b : Jésus livré à Pilate, le matin de ce même jour.

(92). 15,2-5 : Première comparution devant Pilate.

(93). 15,6-15 a : Deuxième comparution devant Pilate.

(94). 15,15 b : Flagellation.

(95). 15,15 c : Jésus livré à la mort.

(96). 15,16-20 a : A l’intérieur du palais qui est le Prétoire du gouverneur. Couronnement d’épines.

(97). 15,20 b-22 : Vers le Golgotha, le lieu du Crâne. Portement de croix.

(98). 15,23-32 : Crucifiement à la troisième heure (9 heures du matin).

(99). 15,33 : Ténèbres à la sixième heure (midi).

(100). 15,34-37 : Mort de Jésus à la neuvième heure (3 heures de l’après-midi).

(101). 15,38-41 : Après la mort.

(102). 15,42-47 : Le soir venu de la Préparation, veille du sabbat. Ensevelissement dans une tombe taillée dans le roc. Une pierre est roulée à l’entrée.

(103). 16,1-8 : De grand matin, le premier jour de la semaine. Découverte du tombeau vide. Première annonce de la Résurrection, par un ange.

(104). 16,9-11 : Apparition du Christ à Marie de Magdala.

(105). 16,12-13 : En chemin, à la campagne, apparition à deux disciples.

(106). 16,14-18 : A table, apparition aux Onze.

(107). 16,19-20 : Ascension du Seigneur et mission universelle des disciples.

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De même que l’annonce du Baptiste : « Il vient derrière moi celui qui est plus puissant que moi » (1,7) était aussitôt confortée, confirmée, appuyée par la descente visible de l’Esprit sur Jésus (cf. 1,10) ; de même que la confession de foi de Pierre : « Tu es le Christ ! » (8,29) était peu après corroborée par la théophanie de la Transfiguration (cf. 9,2-8) ; de même l’affirmation du centurion au Golgotha : « Vraiment cet homme était fils de Dieu » (15,39) se voyait presque aussitôt vérifiée par la Résurrection même de Jésus-Christ (cf. 16,6).

Le drame, car c’était un drame puisqu’il débouchait sur la mort du principal protagoniste, et non seulement sur sa mort mais encore sur sa déchéance apparente aux yeux des hommes, sur une humiliation inouïe pour un prétendant Messie (exécution par ses propres chefs religieux et politiques !), ce drame donc se voulait d’une seule tenue, sans aucune pause, sans entracte : 107 scènes qui s’enchaînaient sous nos regards, dans une mobilité permanente de temps, de lieux, de décors. Cependant les acteurs principaux restaient les mêmes, d’un bout à l’autre. Un flux incessant. On montait du fleuve Jourdain vers la Galilée. On tournait plusieurs fois au milieu du lac de Galilée, puis autour du lac en cercles concentriques de plus en plus larges. On grimpait sur une moyenne montagne pour le choix des Douze, ensuite sur une haute montagne pour la révélation transcendante. Enfin l’on se dirigeait inexorablement vers la Judée et Jérusalem, à la rencontre du destin. Ainsi Jésus, d’abord Messie, deviendrait pour toujours le Crucifié. Le roi serait devenu serviteur. Mais alors Dieu interviendrait pour l’élever à sa droite. L’évangile de Marc se présentait à nous comme l’illustration parfaite de cette parole de saint Paul (n’oublions pas que Marc fut longtemps disciple de saint Paul, et qu’il rejoignit l’apôtre à Rome vers la fin de sa vie) : « Je n’ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. » (1, Co 2,2).

On pourrait résumer par cette courte phrase l’intrigue de Marc : du Jourdain au lac, et du lac au Golgotha.

Par deux fois on entendait Jésus désigné par Dieu lui-même comme son « Fils bien-aimé » (1,11 ; 9,7). Mais les deux fois incluaient une allusion évidente au sacrifice d’Abraham (cf. Gn 22,2) où, précisément, Isaac était nommé comme « le fils bien-aimé ». Jésus ferait donc un nouvel Isaac ; mais, à la différence du premier, il ne serait pas épargné, car il était, lui, l’agneau prévu pour le sacrifice. (Cf. Gn 22,7.8.13). Et quand le centurion s’écrirait : « Vraiment cet homme était fils de Dieu » (15,39), il le ferait en montrant du doigt le corps de Jésus immolé. 

On retrouvait l’expression : « fils bien-aimé » dans la parabole des vignerons homicides (12,6). Elle qualifiait par avance Jésus-Christ comme n’étant pas ménagé par les gérants de la vigne.

La séquence du second évangile se laissait donc condenser dans cette formule lapidaire : du Jourdain au lac, autour du lac, puis du lac au Golgotha. La « mer », ou « lac »,  de Galilée, et plus largement la Galilée se présentaient comme des personnages importants, quoique muets, de l’intrigue romanesque de Marc. Nous disons bien intrigue romanesque, quoique tout y fût authentique, et scrupuleusement exact. Authentique quant à la vérité historique, basée sur des témoignages. Exact quant aux circonstances, aux détails, aux décors. Marc ne prenait jamais la peine de se justifier. Il demandait à être cru sur parole. Tout pour lui était fondé sur les confidences qu’il avait recueillies à bonne source, ou sur son propre souvenir. Et quand l’auteur rassemblait en un seul faisceau des paroles qui avaient pu être prononcées dans des occasions très diverses, il le laissait clairement entendre. (Cf. 4,33 : « C’est par un grand nombre de paraboles de ce genre qu’il leur annonçait la Parole. »)

Le drame s’avançait sans aucune halte vers son dénouement, comme conduit par la fatalité antique, en réalité par la Providence, au travers du jeu des libertés humaines. Tout y était libre et spontané, mais en même temps tout y semblait écrit d’avance. Tout avançait vers son but, au milieu d’un apparent désordre. Ce désordre, Papias le commentateur antique l’avait perçu, qui disait : « Marc, qui était l’interprète de Pierre, a écrit avec exactitude mais pourtant sans ordre. «  (Cité par Eusèbe, Hist. Eccl., III, 39,15). Mais dans le même temps le récit de Marc était parfaitement construit, selon les règles de la rhétorique antique. Des exégètes récents l’ont montré d’une façon convaincante. (Cf. Benoît Standaert. L’évangile selon Marc, Commentaire, 1983, Les Editions du Cerf). Nous adoptons sans réticence ce point de vue.  

Selon ces règles, on pouvait donc distinguer dans l’œuvre de Marc trois parties principales : la narration (ou présentation) (1,14 --- 6,13) ; l’argumentation (6,14 --- 10,52) ; le dénouement (11,1 --- 15,47), précédées comme il se doit d’un court prologue (1,1-13) et suivies d’un épilogue (16,1-8). Ce qui faisait cinq parties.

Mais en réalité sept, car l’argumentation centrale elle-même se laissait subdiviser en trois sections :

 - Interrogation de plus en plus pressantes sur l’identité de Jésus (6,14 --- 8,26) ;

- Reconnaissance de l’identité de Jésus (8,27 --- 9,13) ;

- Conséquences pratiques ou morales (halakha) de cette reconnaissance (9,14 --- 10,52).

 Si l’on ajoutait une huitième partie contenant la finale traditionnellement donnée à l’évangile, mais non rédigée de la main de Marc (16,9-20), on aboutissait au plan que nous avions proposé dans l’introduction.

 (Voir : Introduction : Plan)

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