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NARRATION : Mc 1,14 --- 6,13

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Présentation de Jésus par actions et par paroles. Il suscite l’étonnement.

1,16-20. Appel des premiers disciples, au bord du lac.

Dans les deux précédents versets (cf. 1,14-15), les deux premiers de cette narration, Marc avait situé sommairement le début du ministère public de Jésus en Galilée : « Après que Jean eut été livré… » Il faisait donc l’impasse sur tout le ministère antérieur à l’arrestation de Jean-Baptiste, et qui nous était connu seulement par le témoignage de l’évangéliste Jean. (Cf. Jn 1,19 --- 5,47).

Sans attendre, Marc nous présentait Jésus élisant ses premiers disciples, dont Simon-Pierre. « Comme il passait sur la mer de Galilée, il vit Simon et André, le frère de Simon… » (1,16). Jésus appelait ses quatre premiers compagnons : les deux frères, Simon et André, et leurs collègues et amis, les deux autres frères Jacques et Jean. On notait que Jésus s’adjoignait une équipe déjà préformée, puisque Simon, André, Jacques et Jean, et Zébédée, le père de ces deux derniers, étaient déjà associés pour la pêche. Visiblement Simon, le futur Pierre, le premier nommé de tous, était le chef de cette bande.

Le décor du ministère galiléen était déjà plantée : les bords de ce lac qui tiendrait une si grande place dans l’évangile. La barque de l’Eglise, pourrait-on dire, était déjà à flot, et c’est Pierre qui tenait la barre !

Dans Marc on pourrait croire que Jésus découvrait ses premiers disciples, à son premier passage sur les rives du lac, et qu’il les choisissait au hasard, par pur arbitraire. Mais d’après l’évangile de Jean nous savons qu’il n’en était rien : Simon et André, et probablement aussi Jean, furent recrutés comme disciples par Jésus, qui d’ailleurs les héritaient lui-même de Jean-Baptiste, dès le baptême dans le Jourdain. Si donc Jésus était descendu à Capharnaüm, après l’arrestation de Jean, inaugurer son ministère public en Galilée, c’était sans doute pour y rejoindre ses amis, et à leur invitation. Il trouverait là un lieu de résidence tout préparé, et il pourrait s’en servir comme centre de son activité. Ce fait souligne l’importance pour Jésus, et ensuite pour l’Eglise, du recrutement de Pierre et de sa bande.

1,21-28. A Capharnaüm, guérison d’un démoniaque dans la synagogue, le jour du sabbat.

Il s’agissait de la synagogue de Pierre, André et de leurs compagnons, leur « église de village » pour ainsi dire. Dès le jour du sabbat, c’est-à-dire quand tous les villageois étaient rassemblés, Jésus en prenait possession avec autorité (cf. 1,22) pour y enseigner : car il y était chez lui, comme d’ailleurs il était chez lui dans la synagogue de Nazareth (cf. 6,2). Il était essentiellement le « Rabbi », le « Maître » (cf. 4,38). Non seulement les hommes mais encore les démons reconnaissaient son pouvoir.

« Et sa renommée se répandit aussitôt partout, dans toute la région de Galilée. » (1,28). Comme un caillou lancé dans une mare provoque des ondes concentriques, la célébrité de Jésus se propageait à partir de Capharnaüm dans toute la province, en attendant d’atteindre les pays limitrophes.

1,29-31. A la maison, guérison de la belle-mère de Simon. Ce même jour.

« Aussitôt » (1,29), Jésus s’en vint dans « la maison de Simon et André » (id.). Car c’était là qu’il allait résider, en qualité d’hôte. Dès la fin de la « messe », il venait déjeuner chez ses amis, bien sûr à leur invitation.

Cette fameuse maison de Pierre serait la première Eglise chrétienne. Nous savons par l’archéologie qu’elle fut transformée en lieu de culte dès la plus haute antiquité. On en a retrouvé les vestiges, du moins avec un assez bon degré de probabilité.

Le premier miracle physique, noté par Marc, était la guérison de la belle-mère de Simon. Sans doute Jésus payait-il ainsi son loyer ! Séance tenante, elle se trouvait en forme pour servir le repas (cf. 1,31).

Pierre était donc marié. Avait-il des enfants ? Jamais il ne serait question de la femme de Pierre, ou de ses enfants, dans les évangiles. Nous apprendrions seulement par Paul (cf. 1 Co 9,5) que Pierre, comme d’autres apôtres, emmènerait avec lui « une femme sœur » dans ses pérégrinations à travers le monde. On peut supposer que cette « femme sœur » était sa propre femme.

1,32-34. Guérisons multiples, le même jour, le soir venu.

« Le soir venu, quand fut couché le soleil » (1,32) : notation importante, car c’était après le repos obligatoire du sabbat. L’observance cessait dès le coucher du soleil car alors commençait le premier jour de la semaine.

La ville entière se ressemblait devant la maison de Pierre où l’on amenait tous les malades, et Jésus accomplissait avec condescendance de multiples guérisons, aussi bien des corps, comme il avait fait pour la belle-mère de Simon, que des esprits, comme pour le démoniaque de la synagogue.

Le petit « Vatican » ou le petit « Lourdes », avec déjà leur parvis, fonctionnaient dès le principe à plein rendement. C’était une véritable liturgie de l’accueil qui se déployait. Si les gens étaient guéris, c’étaient pour prendre part à la vie de l’Eglise en gestation. Après le passage obligé de la Torah – et du sabbat – venait par anticipation la joie de la Résurrection.

1,35-39. Dès le lendemain. Parcours de la Galilée.

Le lendemain du sabbat, c’était le premier jour de la semaine, le futur dimanche des chrétiens. « Le matin, bien avant l’aurore, il se leva » (1,35), comme il se lèverait du tombeau le matin de Pâques.

Jésus s’échappait de la maison de Pierre, sans attendre l’aube, dès le lendemain de cette journée inaugurale à Capharnaüm si bien remplie. Jésus ne pouvait se laisser enfermer dans un lieu, même propice, même amical, car sa prédication était destinée en définitive au monde entier.

Il se retirait d’abord dans un lieu désert, pour prier. Car toute action évangélique doit être précédée de la prière. C’était là une leçon qu’il voulait laisser à ses nouveaux disciples.

Retrouvé par Pierre et ses compagnons, il décidait aussitôt, devant eux,  de parcourir la Galilée. Luc (4,44) dira « la Judée ». « C’est pour cela [leur dit-il] que je suis sorti. » (1,38). Sorti de la maison, au sens littéral (cf. 1,35) ; mais plus profondément : sorti du Père et venu dans le monde pour enseigner l’humanité.

1,40-45. Guérison d’un lépreux.

Après ce miracle, la renommée de Jésus dans sa province devenait si grande qu’il était obligé de se réfugier « dans des lieux déserts » (1,45). Il ne voulait pas devenir une « star » alors que ses disciples l’y incitaient plutôt : « Tout le monde te cherche » disaient déjà Pierre et ses compagnons, au verset 1,37.

2,1-12. Guérison d’un paralytique, à Capharnaüm.

Retour de mission, Jésus se retrouvait dans la maison de Pierre, à Capharnaüm. Et de nouveau la foule se rassemblait.

Pour introduire un paralytique devant Jésus, on défaisait hardiment « la terrasse » (2,4) de la maison de Pierre, et non pas « le toit, à travers les tuiles » (Lc 5,19) comme le dira Luc s’adressant à des Romains. Remarquons la notation plus exacte, plus historique, de Marc, notation qui émane directement du témoignage de l’apôtre Pierre, propriétaire authentique de ladite maison !  Luc, copiant Marc, l’arrangeait à sa façon.

Sur l’instant les disciples, et Pierre au premier chef, avaient dû se sentir furieux de ce sans-gêne. Mais Jésus, dans sa bienveillance, ne voulait voir dans le culot du paralysé, et de ses brancardiers, qu’une marque de foi. Soulignons la précision du récit de Marc : ces quatre porteurs, ce grabat, que ni Matthieu ni Luc ne signalent.

« Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul ? » (2,7) raisonnaient fort justement les scribes. « Pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la terre… » (2,10) répliquait sèchement Jésus. Il revendiquait nettement pour le Fils de l’homme, et donc pour lui-même, un rang divin. Puis, passant aux actes, il soutenait aussitôt cette prétention.

La littérature « apocalyptique », ou nommée telle, et qu’on devrait plutôt qualifier d’ « eschatologique » ou encore de « messianique », attribuait explicitement au « Fils de l’homme » un rang divin. Cf. Dn 7,13-14 ; 1 Hénoch 46.48.62.63. Mais elle décrivait plutôt ce personnage comme un être céleste, chevauchant les nuées, surgissant à la fin des temps. Ce qui choquait les scribes, ici, semblait-il, c’était que Jésus, apparemment un homme ordinaire, s’identifiât avec le « Fils de l’homme. » La parousie pourrait-elle bien commencer dans une humble masure de Galilée ?

2,13-22. Appel de Lévi.

Au bord du lac, avec les disciples. Jésus complétait son « staff » en interpellant un douanier, assis à son bureau. Sans doute, bien que ce ne fût pas précisé dans le texte, nous trouvions-nous à Bethsaïde, ville frontière entre Galilée et Trachonitide, dont d’ailleurs Pierre et André étaient originaires, d’après Jean (cf. Jn 1,44).

2,23-28. Les épis arrachés. A travers des moissons. Un jour de sabbat.

Jésus exonérait ses disciples des critiques malveillantes des pharisiens.

La coutume autorisait de grappiller au bord des chemins, ou de manger pour assouvir une faim. Ce que les pharisiens reprochaient aux disciples, c’était de se le permettre un jour de sabbat, c’est-à-dire en fait de travailler. C’était bien sur ce point que Jésus leur répondait ; et c’était bien ainsi que les deux autres synoptiques, lisant Marc, comprenaient l’incident.

Jamais Jésus ni ses disciples ne se seraient permis de piétiner des récoltes avant la moisson, que ce fût un jour de sabbat, ou en semaine. C’eût été un délit. Pour le coup le blâme des pharisiens eût été justifié !

Ce qui précède pour réfuter l’opinion assez extravagante de certains exégètes.

Les récoltes sur pied sont sacrées dans tous les temps et dans tous les pays, car elles représentent le travail de l’homme, et la nourriture future des populations. Ce qui n’empêche pas d’y prélever, en passant tout au long, une part infime.

S’il est dit que Jésus « passait à travers les moissons », (2,23) cela signifie par les sentiers qui divisent les terrains emblavés.

3,1-6. Guérison d’un homme à la main desséchée.

Marc était seul des synoptiques à noter le concert des pharisiens et des hérodiens pour perdre Jésus. Détail sûrement authentique. N’oublions pas que nous nous trouvions en Galilée, sous la juridiction d’Hérode Antipas.

3,7-12. Les foules à la suite de Jésus. Au bord du lac.

Des foules énormes accouraient de toute la Palestine et des pays limitrophes. Jésus demandait à ses disciples, qui étaient des pêcheurs du lac, de lui amener une petite embarcation (ploiarion) – notons le terme technique – pour qu’il pût échapper par la mer à la pression de la foule. 

3,13-19. Jésus gravissait la montagne. Institution des Douze. 

Devant l’afflux universel, Jésus se voyait contraint de se donner un état-major plus étoffé, qui serait son équipe définitive.

Le nombre douze faisait sans doute allusion aux douze tribus d’Israël et à leurs douze patriarches éponymes. L’Eglise serait en effet le nouveau peuple de Dieu, supplantant l’ancien.

En tête, il plaçait Simon, le premier « pape », le premier chef de son Eglise. En même temps, il changeait son nom en celui de Pierre : la tête deviendrait en même temps la fondation, le « roc ».

Jacques et Jean, les associés de Pierre, recevaient le surnom de « fils du tonnerre », sans doute en prévision de leur futur génie prophétique (cf. Ap 10,3-4) ; le tonnerre étant la voix de Dieu, comme l’expliquait le psaume 29. Sans doute Jacques le majeur, ou premier Jacques, mourrait prématurément (cf. Ac 12,2). Mais Jean laisserait comme témoignage de son génie prophétique, comme « voix de Dieu », ou « voix du tonnerre », son Apocalypse, ses épîtres, son évangile.

En cet endroit de Marc, les évangélistes Matthieu (probablement le diacre Philippe en son nom) et Luc intercalaient le Sermon dit « sur la montagne », avec la promulgation des Béatitudes. (Cf. Mt 5,2 --- 7,29 ; Lc 6,20-49). Ils opéraient d’une manière parallèle mais cependant très dissemblable par le contenu. Sans doute s’étaient-ils concertés au préalable. Philippe et Luc, en effet, avaient pu se rencontrer longuement, lors du voyage de Luc en Palestine à la suite de Paul (cf. Ac 21,8 --- 27,2). Ils avaient pu échanger des informations et des documents, avant de rédiger chacun de leur côté indépendamment l’un de l’autre.

3,20-35. Démarche des parents de Jésus. Calomnie des scribes.

 On revenait à la maison de Pierre, qui était le centre d’activité de Jésus. Les amis et les ennemis convergeaient vers elle : les foules de tous les pays nommés en 3,7-8 ; sa famille de Nazareth ; les scribes de Jérusalem.

Si les scribes étaient descendus de Jérusalem, cela supposait une enquête de nature religieuse, et non plus seulement politique comme en 3,6 (coalition des pharisiens et des hérodiens). L’imputation, par les scribes, du bien que faisait Jésus à l’esprit du mal était une faute contre l’Esprit, qui de soi était irrémissible. Ainsi les ennemis de Jésus tendaient-ils à s’enfermer sans retour dans leur malveillance.

Quant à la famille ancestrale de Jésus, elle disputait sa personne à sa nouvelle famille, qui était celle des disciples. Mais Jésus choisissait son camp. « Voici ma mère et mes frères » (3,34) disait-il en montrant ses disciples. Sans les renier, il faut savoir dépasser les liens naturels.

L’Eglise de Jésus deviendrait elle-même une famille où tous seraient frères et soeurs. Mais une famille aux dimensions universelles, une famille « catholique» donc. Aucun clan ne saurait accaparer Jésus, pas même le clan des disciples immédiats, comme on s’en était déjà aperçu en 1,38.

4,1-34. Le discours parabolique.

L’espace devant la maison devenant décidemment trop exigu pour les foules, Jésus gagnait la campagne, près des rives du lac qui lui offraient un amphithéâtre gigantesque. C’était de la mer, et dans la barque, probablement celle de Pierre, qu’il enseignait « une foule très nombreuse » (4,1). On sait que sur l’eau la voix humaine porte fort loin.

La scène était bucolique, comme on ne le remarque généralement pas assez. Les abords du lac de Tibériade offrent aujourd’hui encore des paysages ravissants, parmi les plus beaux du monde. On imaginerait volontiers Orphée enchantant les poissons, les oiseaux, les pierres, les collines, sans parler des peuples.

Jésus, quant à lui, enseignait, car telle était sa fonction : enseigner et chasser les démons. Cette fonction, il l’avait déjà concédée à ses douze apôtres (cf. 3,14-15) car elle devrait se prolonger après lui.

Mais qu’enseignait-il ? Comment enseignait-il ? Pour la première fois, il nous en était fourni quelques notions. Jésus ne se lançait pas dans de grandes tirades, philosophiques ou théologiques. Mais il proposait des images, des métaphores, car il se mettait à la portée d’un peuple fruste.

Quant à lui Marc, dans son évangile, inaugurait le genre parabolique.

L’apologue, dont la parabole présente une variété, est en soi vieille comme le monde. Toutes les littératures l’ont utilisée, la biblique comme les païennes. Mais Jésus la portait à un point de perfection tel qu’elle deviendrait inimitable. Dans l’avenir on songerait à utiliser abondamment les paraboles de Jésus, à les commenter sans fin, mais on ne s’aviserait pas d’en créer de nouvelles.

Jésus enseignait le Royaume de Dieu advenant au moyen d’exemples quotidiens : le blé qui pousse, le grain de sénevé, la lampe qu’on pose sur le lampadaire, la femme qui cherche une drachme perdue. Les foules pouvaient cueillir ces perles de langage, emporter ces anecdotes empruntées à leur vie ordinaire et les méditer. Quant aux disciples, ils bénéficiaient d’un enseignement ésotérique, car le Maître revenu à la maison leur livrait l’explication en clair : « Le semeur, c’est la Parole qu’il sème [etc.…] » (4,14).

Toutefois Jésus laissait percer un certain pessimisme car la Parole, estimait-il, pénétrait peu dans le cœur des foules. Les disciples eux-mêmes étaient lents à comprendre et s’attiraient des reproches.

4 ,35-41. La tempête apaisée. L’hiver. Le même jour.

Le soir venu, dans la même grande barque (ploion) que tout à l’heure (cf. 4,1), Jésus passait sur l’autre rive. D’autres embarcations chargées suivaient.

Jésus, recru de fatigue par sa longue journée d’enseignement,  s’endormait sur le coussin à l’arrière, à la place du pilote, autrement dit de Pierre lui-même. Notons l’acribie du détail qui trahit non seulement le témoin oculaire mais encore le professionnel.

On abandonnait pour ainsi dire à Jésus la responsabilité du bateau. Que ne lui faisait-on confiance jusqu’au bout ! Mais non, la tempête s’élevait, la panique s’installait parmi l’équipage. On se décidait à secouer le dormeur qui d’un mot apaisait les éléments.

L’allégorie se répercuterait jusqu’à la fin des âges : la barque de l’Eglise, celle de Pierre et des apôtres, affronterait bien des tempêtes, connaîtrait des bourrasques, paraîtrait plus d’une fois sur le point de sombrer. Mais elle devrait garder une foi inébranlable car Jésus résidait à son bord.

5,1-20. Le démoniaque gérasénien.

Sur l’autre rive du lac, au pays des géraséniens.

La ville de Gérasa se situait à près de 50 kilomètres du lac, à vol d’oiseau. Matthieu (pour moi le diacre Philippe) corrigerait en parlant du pays des gadaréniens (cf. Mt 8,28), Gadara étant beaucoup plus proche : quelque 10 de nos kilomètres.

Un miracle spectaculaire était narré par Marc avec force détails. On sentait à l’œuvre les souvenirs très nets de Pierre. Fort curieusement, on constaterait que l’évangéliste Matthieu (pour moi, je le répète, le diacre Philippe) dédoublerait le personne du démoniaque (cf. Mt 8,28-34). Il serait assez coutumier du fait, car il dédoublerait aussi l’aveugle de Jéricho (cf. Mt 20,29-34), et même l’âne de la procession des rameaux (cf. Mt 21,1-7).

Il appert que nous voyagions dans un pays non juif, païen, puisqu’on y élevait des porcs, animaux impurs. Les gens suppliaient Jésus de quitter leur territoire parce qu’ils ne pouvaient supporter d’être privés de leur gagne-pain, ou de leurs coutumes ancestrales.

Jésus obtempèrerait, mais il trouverait le moyen de les évangéliser quand même : par le truchement du possédé remis dans son bon sens. Jésus n’imposait donc pas sa présence d’une manière indiscrète ; il tenait compte des différents niveaux de culture religieuse des peuples.

5,21-43. Retour sur l’autre rive. Guérison d’une hémorroïsse. Résurrection de la fille de Jaïre.

On revenait sur l’autre rivage mais l’on ne savait exactement où. « Un des chefs de synagogue » (5,22) lui demandait de sauver sa fille. Démarche humiliante pour lui, car il était probablement l’un de ces pharisiens plutôt hostiles à Jésus par tempérament. Mais il était pressé par l’urgence.

Entre-temps, Jésus guérissait une hémorroïsse qui était parvenue à toucher furtivement son manteau dans la foule.

Parvenue chez le chef de synagogue, Jésus ne laissait entrer avec lui que ses plus proches disciples, ses intimes : Pierre, Jacques, Jean ; les mêmes qui seraient aussi les témoins privilégiés de la Transfiguration (cf. 9,2) et de l’agonie au jardin des Oliviers (cf. 14,33).

Marc seul déclinait à notre intention le mot araméen de Jésus, ressuscitant la jeune fille : « Talitha koum » (5,41) et il en donnait aussitôt la traduction : « Fillette, je te le dis, lève-toi ! » (id.) Là encore on devinait la déposition d’un témoin oculaire et auriculaire : Pierre en personne. On tenait la preuve, presque irrécusable, que le texte de Marc était bien la version originale de ce récit parmi les synoptiques. Ce fait conforte « l’hypothèse des deux sources ».

Si Jésus demandait le silence sur cette guérison, c’était certes pour éviter une publicité tapageuse. Mais c’était aussi par discrétion envers le chef de synagogue, afin de ne pas trop le compromettre aux yeux de ses congénères.

6,1-6a. Visite à Nazareth.

Jésus s’en venait à Nazareth, que Marc appelait « sa patrie » (6,1).  Toujours suivi par ses disciples.

Cette visite différait de celle racontée par Luc (cf. Lc 4,16-30) car, pour lors, Jésus n’était plus menacé de mort. Il pouvait accomplir quelques miracles malgré le manque de foi de ses compatriotes, au contraire de ce qui se passait dans la relation de Luc.

Il faisait même de son bourg d’origine un centre temporaire de son action. On le nommait le charpentier, ou l’artisan (tektôn) du village, au lieu de son père Joseph qui sans doute était déjà mort.

La visite à Nazareth, chez Luc, se plaçait au tout début du ministère public de Jésus en Galilée, la première année. Tandis que chez Marc et chez Matthieu elle se situait après l’hiver, après la tempête apaisée, au début de la deuxième année.

6,6b-13. Mission des Douze.

Première mission des Douze en leur qualités d’apôtres = envoyés. Jésus les envoyait par paires, précaution sans doute contre l’exaltation solitaire. Il les investissait du triple ministère dont il était lui-même revêtu (cf. 1, 34. 39) :

1°) prêcher qu’on se repentît (cf. 6,12) ;

2°) chasser les démons (cf. 6 ,13) ;

3°) guérir les malades (id.).

Cet envoi des Douze en mission concluait la seconde partie de l’évangile (faisant suite au prologue), celle que dans le plan on avait intitulé : narration, ou présentation de Jésus par actions et par paroles (cf. 1,14 --- 6,13. Il formait inclusion avec son début : les versets 1,14-15, car l’action des apôtres reprenait et prolongeait celle du Christ.

Le Royaume de Dieu, initié de manière publique par le baptême du Christ dans le Jourdain, commençait à prendre forme même en l’absence du Christ, et par son mandat. Non seulement la hiérarchie était désormais instituée en les personnes des Douze depuis l’appel sur la montagne (cf. 3,13-19), mais elle se mettait à fonctionner sui generis. Elle faisait ses premiers pas autonomes.

On remarquait la nature quasi sacramentelle de l’onction que les envoyés du Christ administraient en son nom sur les malades (cf. 6,13).

Cette seconde partie de l’évangile (cf. 1,14 --- 6,13)  était précédée, dans le prologue, de l’évocation du ministère du Baptiste (cf. 1,1-13). Elle serait suivie, au début de la troisième partie et d’une manière inclusive, de la mention de son arrestation et du bref récit de sa fin tragique (cf. 6,14-29).

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