Retour au plan : PLAN
« Quiconque accueille un petit enfant tel que lui à cause de mon Nom, c’est moi qu’il accueille. » Puis il dit à ses disciples : « Il est inévitable que les scandales arrivent. Mais malheur à celui par qui ils arrivent ! Si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui, mieux vaudrait pour lui de se voir suspendre, passer autour du cou une de ces meules que tournent les ânes, une pierre à moudre, et d’être englouti, précipité, jeté en pleine mer que de scandaliser un seul de ces petits. Prenez garde à vous ! « Et si ta main est pour toi une occasion de péché, coupe-la : mieux vaut pour toi entrer manchot dans la Vie que de t’en aller avec tes deux mains dans la géhenne, dans le feu qui ne s’éteint pas. Et si ton pied est pour toi une occasion de péché, coupe-le : mieux vaut pour toi entrer estropié dans la Vie que d’être jeté avec tes deux pieds dans la géhenne. Si ta main ou ton pied sont pour toi une occasion de péché, coupe-les et jette-les loin de toi : mieux vaut pour toi entrer dans la Vie manchot ou estropié que d’être jeté avec tes deux mains ou tes deux pieds dans le feu éternel. Et si ton œil est pour toi une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi : mieux vaut pour toi entrer borgne dans la Vie, dans le Royaume de Dieu, que d’être jeté avec tes deux yeux dans la géhenne où leur ver ne meurt point et où le feu ne s’éteint point. « Car tous seront salés par le feu. C’est une bonne chose que le sel ; mais si le sel lui-même devient insipide, perd sa saveur, avec quoi l’assaisonnera-t-on ? Avec quoi l’assaisonnerez-vous ? Il n’est bon ni pour la terre, ni pour le fumier : on le jette dehors. Entende, qui a des oreilles pour entendre ! « Ayez du sel en vous-mêmes et soyez en paix les uns avec les autres. « Malheur au monde à cause des scandales ! Il est fatal, certes, qu’il arrive des scandales, mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! « Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits : car, je vous le dis, leurs anges aux cieux se tiennent constamment en présence de mon Père qui est aux cieux. Car le Fils de l’homme est venu sauver ce qui était perdu. » Et il arriva, quand Jésus eut achevé ces discours, qu’il quitta la Galilée ... |
Pour cet épisode, on retrouve brièvement le parallélisme entre Marc et Matthieu grec. Luc, lui, possède des sentences parallèles, mais dispersées en deux endroits différents de sa grande insertion, et par conséquent provenant de la source Q. (Cf. Lc 14, 34-35 ; 17, 1-3a). Situation complexe, donc. Ces sentences de Luc, nous les avons mises, ici, en regard de Marc, et par contrecoup de Matthieu grec, en vertu du grand principe qui a guidé la confection de notre synopse : priorité absolue à l’ordre de Marc. Mais peut-être, ici, est-ce à tort. Nous n’aurions pas dû transférer ces logions de Luc, et les laisser dans la grande insertion, autrement dit dans la source Q. Car très probablement lesdits logions appartiennent aux deux traditions à la fois : Marc et l’évangile araméen de Matthieu. Mais comme nous n’en avons pas une certitude absolue (il est théoriquement possible, en effet, que Luc les ait copiés - ou imités - dans Marc, et les ait de sa propre initiative déplacés en un autre endroit de son évangile), nous n’avons pas voulu déroger à notre principe rigide. Nous l’avons appliqué en quelque sorte de façon mécanique. Mais procéder de façon inverse, ç’eût été tomber dans l’arbitraire, en particulier pour la suite de la synopse. Nous avons donc préféré subir cet inconvénient, limité en l’occurrence, et facilement repérable.
Après tout, notre synopse n’est qu’un instrument de travail, dont il faut savoir se servir intelligemment (compte tenu de ses principes de base qui sont a priori). Elle ne nous conduit pas vers une certitude apodictique, mais seulement vers le vraisemblable.
Juste avant la montée à Jérusalem, qui dans les quatre évangiles interviendra à partir de leur épisode suivant, et, chez Jean, dès l’épisode suivant (notre épisode 100), Marc, imité par Matthieu grec, a cru devoir placer quantité de dictons relatifs au scandale des disciples, sans ordre précis, et qui, pour plusieurs, se retrouvent dans la source Q : soit dans la grande insertion de Luc, soit encore dans le Sermon sur la montagne de Matthieu grec, qui lui-même, comme nous l’avons vu, est inspiré de la source Q. Autrement dit, ces dictons appartiennent pour beaucoup à la double tradition : celle de Marc, et celle de l’évangile araméen de Matthieu, ce qui est un gage certain, nous l’avons noté plusieurs fois, d’authenticité christique.
Si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits (les disciples qui sont évoqués dans l’épisode précédent, à qui l’on donnait à boire une coupe d’eau) il vaudrait mieux pour lui qu’on lui passât une meule autour du cou, et qu’on le précipitât dans la mer.
Si ta main te scandalise, coupe-la.
Tous seront salés par le feu.
Si le sel devient insipide, avec quoi l’assaisonnerez-vous ?
Ayez du sel en vous-mêmes.
Vivez en paix.
Matthieu grec, pour sa part, a profité de ces sentences éparses, qu’il met à la suite de l’incident de Capharnaüm sur le plus grand des disciples (notre épisode 96), pour composer son discours ecclésiastique : tout le chapitre 18 de son évangile. Ce discours ecclésiastique devient le quatrième des cinq grands discours qui structurent tout son ouvrage, et qui se situe, chez lui aussi, juste avant la montée de Jésus à Jérusalem (cf. Mt 19, 1).
Mais il a considérablement étoffé le propos de Marc. Il va même jusqu’à insérer dans ce discours une parabole inédite : celle du débiteur impitoyable (Mt 18, 23-35), qu’on ne trouve que chez lui. Comme les quatre autres discours, celui-ci, également, adopte un rythme septénaire, qui est une caractéristique majeure de notre premier évangile. (De l’évangile de saint Jean aussi, quoique d’une manière différente.) Ce discours, en effet, s’organise selon un plan en sept parties.
1.) Qui est le plus grand ? Mt 18, 1-4. Ce fut notre épisode 96.
2.) Le scandale. Mt 18, 5-11. C’est notre épisode actuel, qui traite du scandale, et qui est imité de Marc. Mais Matthieu grec enrichit considérablement le texte.
Il est probable que Matthieu grec, ici, imite la source Q, puisqu’on rencontre une pensée qui ne provient pas de Marc, mais qui ressemble étonnamment au Luc de la grande insertion. Matthieu grec écrit : « Malheur au monde à cause des scandales ! Il est fatal certes, qu’il arrive des scandales, mais malheur à l’homme par qui ils arrivent ! » (Mt 18, 7). Tandis que Luc prononce : « Il est inévitable que les scandales arrivent, mais malheur à celui par qui ils arrivent. » (Lc 17, 1).
Matthieu grec ajoute au propos de Marc, dans l’épisode en cours, une notation originale qu’on ne trouve que chez lui : « Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits : car, je vous le dis, leurs anges aux cieux se tiennent constamment en présence de mon Père qui est aux cieux. » (Mt 18, 10). ‘Aucun de ces petits’ désigne ici, non seulement les disciples, mais encore tout enfant quel qu’il soit. L’un de ces enfants que Jésus lors de l’épisode sur Qui est le plus grand ? (96) avait appelé, embrassé et béni. Tout être humain, même le plus insignifiant en apparence, a un prix infini aux yeux de Dieu, puisqu’il l’a créé, et même sauvé.
La tradition occidentale (codex Bezae), le Washingtonus, divers manuscrits latins, syriaques ou bohaïriques, ajoutent ici un verset dans Matthieu grec, qu’on supprime d’ordinaire dans les éditions critiques, mais qui pourrait fort bien être authentique : « Car le Fils de l’homme est venu sauver ce qui était perdu. » (Mt 18, 11). Il a son parallèle dans Luc, qui terminera par lui l’épisode consacré à Zachée (cf. Lc 19, 10), notre futur épisode 182. Il semble bien que Matthieu grec comme Luc ont emprunté ce logion à la source Q.
3.) La brebis égarée. Mt 18, 12-14. Parabole reprise de la source Q, l’évangile araméen puisqu’on la retrouve dans la grande insertion de Luc. (Cf. Lc 15, 4-7). Dans notre synopse-synthèse nous la laissons dans Luc, et dans la grande insertion, en vertu de notre second principe constitutif : (en l’absence de Marc) priorité absolue à l’ordre de Luc.
4.) La correction fraternelle. Mt 18, 15-18. Egalement reprise de la source Q, où nous la laissons dans la synopse. Cf. Lc 17, 3b. Mais Matthieu grec transforme et enrichit le dicton, en faisant intervenir la communauté chrétienne. « Que s’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté. » (Mt 18, 17). Nous verrons cela dans l’épisode 156.
5.) La prière en commun. Mt 18, 19-20. Composition originale de Matthieu grec, sans parallèle exact. Mais, dans la synopse-synthèse nous la laissons à la suite de la correction fraternelle en vertu du principe : dissocier au minimum les textes, et suivre systématiquement la séquence de Matthieu grec, quand il se retrouve tout seul. Ce choix se justifie ici, comme il se justifiera dans les numéros 6 et 7 ci-dessous, car les péricopes concernées, absentes de Marc, procèdent très probablement de la source Q, même si elles n’ont pas d’équivalent dans Luc. Ce sera donc notre épisode 157.
6.) Le pardon des offenses. Mt 18, 21-22. Il a son parallèle dans la source Q. (Cf. Lc 17, 4). Mais dans Luc il est seulement question de pardonner sept fois par jour, ce qui n’est déjà pas si mal ! Matthieu grec raconte une anecdote, mettant de nouveau en scène Pierre tout seul, et qui a tout l’air d’être authentique, c’est-à-dire rapportée directement par l’apôtre Pierre au diacre Philippe : « Alors Pierre, s’avançant, lui dit : Seigneur combien de fois devrai-je pardonner ? » (Mt 18, 21). Il l’a casée là très opportunément dans son discours ecclésiastique. L’apôtre Pierrot, en effet, n’était-il pas le premier pape ? Le premier concerné par la vie en Eglise ? Ne devait-il pas montrer l’exemple à ses frères ? Mais cette anecdote, même authentique, est difficile à situer historiquement. C’est pourquoi dans la synopse-synthèse nous la laissons dans la source Q, à la suite des propos précédents de Matthieu grec. Ce sera notre épisode 158.
7. La parabole du débiteur impitoyable. Mt 18, 23-35. Nous la laissons également dans la source Q, à la suite des versets précédents de Matthieu grec. Elle n’a pas d’équivalent dans Marc ni dans Luc. Il est fort possible qu’elle soit empruntée, en effet, à cette source Q, l’évangile araméen de Matthieu. Mais il existe une autre solution : peut-être a-t-elle été racontée par l’apôtre Pierre, directement au diacre Philippe, à la suite des propos du paragraphe précédent, le pardon des offenses, et comme son illustration. Elle commence, en effet, par ces mots : « A ce propos… » (Mt 18, 23). Mais comme nous n’en avons pas la certitude, nous maintenons la disposition initiale, telle que prévue. Cette disposition est imposée en effet par les principes rigides qui président à la confection de la synopse. Nous retrouverons donc cette parabole, regroupée avec le pardon des offenses dont on vient de parler, dans l’épisode 158 de la synthèse.