Retour au plan : PLAN

Episode précédent

Episode suivant

100. Fête des Tentes à Jérusalem. Octobre. La femme adultère. Guérison d’un aveugle-né.

Jean 7, 2 – 10, 21.

Cependant la fête juive des Tentes approchait. Ses frères lui dirent donc : « Passe d’ici en Judée, afin que tes disciples aussi voient les œuvres que tu fais : on n’agit pas en secret, quand on veut être connu. Puisque tu fais ces œuvres-là, manifeste-toi au monde. » Même ses frères en effet ne croyaient pas en lui. Jésus leur dit alors : « Mon temps n’est pas encore venu, tandis que pour vous le temps est toujours bon. Le monde ne peut pas vous haïr ; moi, il me hait, parce que j’atteste que ses œuvres sont mauvaises. Vous, montez à la fête ; moi, je ne monte pas à cette fête, parce que mon temps n’est pas encore accompli. » Cela dit, il resta en Galilée. Toutefois, quand ses frères furent montés à la fête, alors il monta lui aussi, mais en secret, sans se faire voir. Les Juifs le cherchaient donc pendant la fête et disaient : « Où est-il ? » On chuchotait dans les groupes à son sujet. Les uns disaient : « C’est un homme de bien. » -- « Non, disaient les autres, il trompe le peuple. » Toutefois personne ne s’exprimait librement sur son compte, par crainte des Juifs.

On était déjà au milieu de la fête, quand Jésus monta au Temple et se mit à enseigner. Les Juifs, étonnés, disaient : « Comment connaît-il ses lettres sans avoir étudié ? » Jésus leur répondit :

« Ma doctrine n’est pas de moi,

mais de celui qui m’a envoyé.

Si quelqu’un veut accomplir sa volonté,

il verra si ma doctrine est de Dieu

ou si je parle de moi-même.

Celui qui parle de lui-même

cherche sa propre gloire ;

mais celui qui cherche la volonté de celui qui l’a envoyé,

celui-là est véridique ;

il n’y a pas d’imposture en lui.

Moïse ne vous a-t-il pas donné la Loi ?

Or aucun de vous ne l’observe, cette Loi !

« Pourquoi voulez-vous me tuer ? » La foule répondit : « Un démon te possède. Qui veut te tuer ? » Jésus reprit : « Pour une seule œuvre que j’ai faite, vous voilà tous étonnés. Moïse vous a donné la circoncision, -- non qu’elle vienne de Moïse, mais des patriarches, -- et vous la pratiquez le jour du sabbat. Ainsi on circoncit un homme le jour du sabbat pour que soit sauve la Loi de Moïse, et vous êtes en colère contre moi, parce que j’ai guéri un homme tout entier le jour du sabbat ! Cessez de juger sur l’apparence. Jugez sur l’équité. »

Cependant des gens de Jérusalem disaient : « N’est-ce pas lui qu’ils veulent tuer ? Le voilà qui parle en toute liberté et ils ne lui disent rien !  Est-ce que vraiment les autorités auraient reconnu qu’il est le Christ ? Nous savons pourtant d’où il est, tandis que le Christ, quand il viendra, personne ne saura d’où il est. » Jésus enseignait alors dans le Temple ; il s’écria :

« Oui, vous me connaissez

et vous savez d’où je suis.

Cependant je ne suis pas venu de moi-même,

mais il m’envoie vraiment, celui qui m’a envoyé.

Vous, vous ne le connaissez pas.

Moi, je le connais,

parce que je viens d’auprès de lui

et que c’est lui qui m’a envoyé. »

Ils voulurent alors l’arrêter ; mais personne ne porta la main sur lui, parce que son heure n’était pas encore venue.

Dans la foule, beaucoup crurent en lui : « Le Christ, quand il viendra, disaient-ils, accomplira-t-il plus de signes que n’en a accompli cet homme ? » Les Pharisiens entendirent qu’on chuchotait ainsi à son sujet dans la foule. Ils envoyèrent des gardes pour l’arrêter.

Jésus dit alors :

« Je ne suis plus avec vous que pour peu de temps :

puis je m’en irai vers celui qui m’a envoyé.

Vous me chercherez et vous ne me trouverez pas ;

où je suis, moi,

vous, vous ne pouvez venir. »

Les Juifs se dirent alors entre eux : « Où doit-il donc aller, que nous ne le trouverons pas ? Va-t-il rejoindre ceux qui sont dispersés chez les Grecs et va-t-il instruire les Grecs ? Qu’a-t-il voulu dire par ces mots :

‘Vous me chercherez et vous ne me trouverez pas ;

où je suis, moi,

vous, vous ne pouvez venir’ ? »

Le dernier jour de la fête, le grand jour, Jésus, debout, lança à pleine voix : 

« Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi

et qu’il boive, celui qui croit en moi ! 

selon le mot de l’Ecriture :

De son sein couleront des fleuves d’eau vive. »

Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croient en lui ; car il n’y avait pas encore d’Esprit, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié.

Dans la foule, plusieurs qui avaient entendu disaient : « C’est vraiment lui, le prophète ! » D’autres : « C’est le Christ ! » Mais d’autres répondaient : « Le Christ viendrait-il de Galilée ? L’Ecriture ne dit-elle pas que c’est de la descendance de David et du bourg de Bethléem que le Christ doit venir ? » La foule se divisa donc à cause de lui. Certains voulaient l’arrêter, mais personne ne porta la main sur lui.

Les gardes revinrent trouver les grands prêtres et les Pharisiens. Ceux-ci leur dirent : « Pourquoi ne l’avez-vous pas amené ? » Les gardes répondirent : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme ! » Les Pharisiens leur répliquèrent : « Vous vous y êtes donc laissés prendre, vous aussi ! Est-il un seul des notables qui ait cru en lui, ou un seul des Pharisiens ? Mais cette racaille qui ignore la Loi, ce sont des maudits ! » Nicodème, l’un d’entre eux, celui qui était venu précédemment trouvé Jésus, leur dit : « Notre Loi condamne-t-elle un homme sans qu’on l’entende et qu’on sache ce qu’il fait ? » Ils lui répondirent : « Serais-tu Galiléen, toi aussi ? Etudie ! Tu verras que de la Galilée il ne surgit pas de prophète. »

Et ils s’en retournèrent chacun chez soi. Jésus, lui, s’en alla au mont des Oliviers.

Mais, dès l’aurore, il parut à nouveau dans le Temple, et tout le peuple venait à lui. Il s’assit donc et se mit à les enseigner. Les scribes et les Pharisiens lui amènent alors une femme surprise en adultère et, la plaçant bien en vue, ils disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Moïse nous a prescrit dans la Loi de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu ? » Ils disaient cela pour lui tendre un piège, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus, se baissant, se mit à écrire avec son doigt sur le sol. Comme ils insistaient, il se redressa et leur dit : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre ! » Et, se baissant à nouveau, il se remit à écrire sur le sol. A ces mots, ils se retirèrent un à un, à commencer par les plus vieux ; et Jésus resta seul avec la femme, qui était toujours là. Alors, se redressant, il lui dit : « Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a condamnée ? » -- « Personne, Seigneur », répondit-elle. -- « Moi non plus, lui dit Jésus, je ne te condamne pas. Va, désormais ne pèche plus. » 

Jésus leur adressa encore la parole. Il dit :

« Je suis la lumière du monde ;

qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres ;

mais aura la lumière de la vie. »

Les Pharisiens lui dirent : « Tu te rends témoignage à toi-même ; ton témoignage ne vaut pas. » Jésus leur répondit : 

« Oui, je me rends témoignage à moi-même

et toutefois mon témoignage vaut,

parce que je sais

d’où je suis venu et où je vais ;

mais vous, vous ne savez

ni d’où je viens ni où je vais.

Vous, vous jugez selon la chair ;

moi, je ne juge personne ;

ou, s’il m’arrive de juger, moi,

mon jugement est valable,

parce que je ne suis pas seul ;

il y a moi et celui qui m’a envoyé.

Or il est écrit dans votre Loi

que de deux personnes le témoignage vaut.

Je me rends témoignage à moi-même ;

mais pour moi témoigne aussi le Père qui m’a envoyé. »

Ils lui dirent alors : »Où est ton Père ? » Jésus répondit :

« Vous ne connaissez ni moi ni mon Père ;

si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. »

Il prononça ces paroles au Trésor, alors qu’il enseignait dans le Temple. Personne ne l’arrêta, parce que son heure n’était pas encore venue.

Jésus leur dit encore :

« Je m’en vais et vous me chercherez

et vous mourrez dans votre péché.

Où je vais

vous ne pouvez venir. »

Les Juifs se disaient : « Va-t-il se donner la mort, pour qu’il dise : ’Où je vais, vous ne pouvez venir’ ? » Jésus continua :

« Vous, vous êtes d’en bas ;

moi, je suis d’en haut.

Vous, vous êtes de ce monde ;

moi, je ne suis pas de ce monde.

Je vous ai dit : ’Vous mourrez dans vos péchés.’

Oui, si vous ne croyez pas que Je Suis,

vous mourrez dans vos péchés. »

Ils lui dirent alors : « Qui es-tu ? » Jésus leur répondit :

« D’abord ce que je vous dis.

J’ai beaucoup à dire de vous,

beaucoup à condamner ;

mais celui qui m’a envoyé est véridique

et ce que j’ai appris de lui,

je le dis dans le monde. »

Ils ne comprirent pas qu’il leur désignait le Père. Alors Jésus leur dit :

« Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme,

alors vous saurez que Je Suis

et que je ne fais rien de moi-même ;

ce que le Père m’a enseigné,

je le dis,

et celui qui m’a envoyé est avec moi ;

il ne m’a pas laissé seul,

parce que je fais toujours ce qui lui plaît. »

Comme il disait cela, beaucoup crurent en lui.

Jésus dit alors à ceux des Juifs qui l’avaient cru :

« Si vous demeurez dans ma parole,

vous serez vraiment mes disciples,

vous connaîtrez alors la vérité

et la vérité vous rendra libres. »

Ils lui répondirent : « Nous sommes la race d’Abraham et jamais nous n’avons été esclaves de personne. Comment peux-tu dire : ‘Vous deviendrez libres’ ? » Jésus leur répondit :

« En vérité, en vérité, je vous le dis,

tout homme qui commet le péché est un esclave.

Or l’esclave n’est pas pour toujours dans la maison,

le fils y est pour toujours.

Si donc le Fils vous affranchit,

vous serez réellement libres.

Oui, je sais que vous êtes la race d’Abraham ;

n’empêche que vous voulez me tuer,

parce que ma parole n’entre pas en vous.

Moi, je dis

ce que j’ai vu chez mon Père ;

et vous, vous faites

ce que vous avez entendu auprès de votre père. »

Ils lui répliquèrent : « Notre père, c’est Abraham. » Jésus leur dit :

« Si vous étiez les enfants d’Abraham,

vous feriez les œuvres d’Abraham.

Or vous voulez me tuer,

moi qui vous dis la vérité,

que j’ai entendue de Dieu.

Cela, Abraham ne l’a pas fait !

Vous, vous faites les œuvres de votre père. »

Ils lui dirent : « Nous ne sommes pas nés de la prostitution ; nous n’avons qu’un Père : Dieu. » Jésus reprit :

« Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez,

car c’est de Dieu que je suis issu et que je viens ;

je ne suis pas venu de moi-même,

c’est lui qui m’a envoyé.

Pourquoi ne comprenez-vous pas mon langage ?

C’est que vous ne pouvez pas écouter ma parole.

Vous avez pour père le diable

et ce sont les désirs de votre père

que vous voulez accomplir.

Dès l’origine, ce fut un homicide ;

il n’était pas établi dans la vérité

parce qu’il n’y a pas de vérité en lui :

quand il dit ses mensonges,

il les tire de son propre fonds,

parce qu’il est menteur et père du mensonge.

Mais moi, c’est parce que je vous dis la vérité

que vous ne me croyez pas.

Qui d’entre vous me convaincra de péché ?

Et si je dis la vérité,

pourquoi ne me croyez-vous pas ?

Qui est de Dieu

entend les paroles de Dieu ;

si vous n’entendez pas,

c’est que vous n’êtes pas de Dieu. »

Les Juifs lui répliquèrent : « N’avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain et qu’un démon te possède ? » Jésus répondit :

« Je ne suis pas un possédé,

mais j’honore mon Père,

et vous, vous cherchez à me déshonorer.

Je ne cherche pas ma gloire ;

quelqu’un s’en occupe et juge.

En vérité, en vérité, je vous le dis,

si quelqu’un garde ma parole,

il ne verra jamais la mort. »

Les Juifs lui dirent : « Maintenant nous sommes sûrs qu’un démon te possède. Abraham est mort, les prophètes aussi, et tu dis :

‘Si quelqu’un garde ma parole,

il ne goûtera jamais de la mort.’

Es-tu donc plus grand qu’Abraham, notre Père, qui est mort ? Les prophètes aussi sont morts. Qui prétends-tu être ? » Jésus répondit :

« Si je me glorifiais moi-même,

ma gloire ne serait rien ;

c’est mon Père qui me glorifie,

lui dont vous dites : ‘Il est notre Dieu’

et pourtant vous ne le connaissez pas.

Moi, je le connais ;

Et si je disais : ‘Je ne le connais pas’,

je serais, comme vous, un menteur.

Mais je le connais et je garde sa parole.

Abraham, votre père, exulta

à la pensée de voir mon Jour ;

il l’a vu et il s’est réjoui. »

Les Juifs lui dirent alors : « Tu n’as pas cinquante ans et tu as vu Abraham ! » Jésus leur répondit :

« En vérité, en vérité, je vous le dis,

avant qu’Abraham fût,

je Suis. »

Ils ramassèrent alors des pierres pour les lui jeter ; mais Jésus se déroba et sortit du Temple.

En passant, il vit un homme qui était aveugle de naissance. Ses disciples lui demandèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » -- « Ni lui ni ses parents n’ont péché, répondit Jésus, mais c’est pour qu’en lui se manifestent les œuvres de Dieu.

« Tant qu’il fait jour,

il me faut travailler aux œuvres de celui qui m’a envoyé ;

la nuit vient,

où nul ne peut travailler.

Tant que je suis dans le monde,

Je suis la lumière du monde. »

Cela dit, il cracha à terre, fit de la boue avec sa salive, en enduisit les yeux de l’aveugle et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » (mot qui signifie : Envoyé). L’aveugle s’en alla, il se lava et il revint voyant clair.

Les voisins et les gens habitués à le voir mendier auparavant dirent alors : « N’est-ce pas celui qui se tenait assis à mendier ? » Les uns disaient : « C’est lui. » -- « Non, disaient les autres ; mais il lui ressemble. » Lui disait : « C’est bien moi. » Ils lui dirent alors : « Comment donc tes yeux se sont-ils ouverts ? » Il répondit ; « C’est celui qu’on appelle Jésus qui a fait de la boue ; il m’en a enduit les yeux et m’a dit : ‘Va te laver à Siloé. ‘ Alors je suis parti, je me suis lavé et j’ai vu. » Ils lui dirent : « Où est-il ? » Il répondit : « Je n’en sais rien. »

On l’amène aux Pharisiens, l’ancien aveugle. Or c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. Les Pharisiens lui demandèrent donc à leur tour comment il avait recouvré la vue. Il leur dit : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé et j’y vois. » Certains des Pharisiens disaient : « Cet homme ne vient pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le sabbat » ; d’autres répliquaient : « Comment un pécheur pourrait-il accomplir de pareils signes ? » Ils étaient divisés. Alors ils s’adressèrent encore une fois à l’aveugle : « Et toi, lui dirent-ils, que dis-tu de lui, de ce qu’il t’a ouvert les yeux ? » L’homme répondit : « C’est un prophète. »

Cependant les Juifs ne voulurent pas croire que cet homme eût été aveugle et qu’il eût recouvré la vue, avant d’avoir convoqué ses parents. Ils leur demandèrent : « Cet homme est-il votre fils dont vous dites qu’il est né aveugle ? Comment se fait-il qu’il voie à présent ? » Ses parents répondirent : « Nous savons que c’est notre fils et qu’il est né aveugle. Mais comment il y voit maintenant et qui lui a ouvert les yeux, nous n’en savons rien. Il a l’âge ; il s’expliquera bien lui-même. » Ses parents dirent cela par peur des Juifs ; car les Juifs s’étaient mis d’accord pour exclure de la synagogue quiconque reconnaîtrait Jésus pour le Christ. C’est pour cette raison-là que ces parents dirent : « Il a l’âge ; interrogez-le. »

Les Juifs le convoquèrent donc une seconde fois et lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous, nous savons que cet homme est un pécheur. » -- « Si c’est un pécheur, répondit-il, je ne sais pas ; je ne sais qu’une chose, j’étais aveugle et maintenant j’y vois. » Ils lui dirent alors : « Que t’a-t-il fait ? Comment t’a-t-il ouvert les yeux ? » Il leur répondit : « Je vous l’ai déjà dit et vous n’avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous l’entendre encore une fois ? Auriez-vous envie vous aussi de devenir ses disciples ? » Ils l’accablèrent d’injures : « Toi, dirent-ils, tu es disciple de cet homme ; nous, c’est de Moïse que nous sommes les disciples. Nous, nous savons que c’est à Moïse que Dieu a parlé ; mais lui, nous ne savons pas d’où il est. » L’homme leur répondit : « C’est là justement l’étonnant : que vous ne sachiez pas d’où il est, alors qu’il m’a ouvert les yeux. Nous savons bien que Dieu n’exauce pas les pécheurs, mais que si un homme est religieux et accomplit sa volonté, celui-là il l’exauce. Jamais on n’a ouï dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si cet homme-là ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » Ils lui répondirent : « De naissance, tu n’es que péché, et tu nous fait la leçon ! » Et ils le chassèrent.

Jésus apprit qu’ils l’avaient chassé. Le rencontrant, il lui dit : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? » Jésus lui dit : « Tu le vois, c’est lui qui te parle. » Alors il dit : « Je crois, Seigneur », et il se prosterna devant lui.

Jésus dit alors : 

« C’est pour un jugement

que je suis venu en ce monde :

pour que voient ceux qui ne voient pas

et pour que ceux qui voient deviennent aveugles. »

Des Pharisiens qui se trouvaient avec lui entendirent et lui dirent : « Sommes-nous des aveugles, nous aussi ? » Jésus leur répondit : 

« Si vous étiez des aveugles,

vous seriez sans péché ;

mais vous dites : ‘Nous voyons !’

Votre péché demeure. 

« En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n’entre pas par la porte dans la bergerie, mais pénètre par une autre voie, celui-là est le voleur et le pillard ; celui qui entre par la porte est le pasteur des brebis. Le portier lui ouvre et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle une à une et les fait sortir. Quand il a mis dehors ses bêtes, il marche devant elle et les brebis le suivent, parce qu’elles connaissent sa voix. Elles ne suivront pas un étranger, elles le fuiront au contraire, parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers. » Jésus leur dit cette parabole ; mais ils ne comprirent pas ce qu’il voulait leur dire. Jésus dit alors :

« En vérité, en vérité, je vous le dis,

je suis la porte des brebis.

Tous ceux qui sont venus avant moi

sont des voleurs et des pillards ;

mais les brebis ne les ont pas écoutés.

Je suis la porte.

Qui entrera par moi sera sauvé ;

il entrera et sortira

et trouvera sa pâture.

Le voleur ne vient

que pour voler, égorger et détruire.

Moi, je suis venu

pour que les brebis aient la vie

et l’aient en abondance.

Je suis le bon pasteur.

Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis.

Le berger à gages, qui n’est pas le pasteur

et à qui n’appartiennent pas les brebis,

voit-il venir le loup,

il laisse là les brebis, il se sauve

et le loup les emporte et les disperse.

C’est qu’il est berger à gages

et n’a pas souci des brebis.

Je suis le bon pasteur ;

je connais mes brebis

et mes brebis me connaissent,

comme le Père me connaît

et que je connais le Père,

et je donne ma vie pour mes brebis.

J’ai d’autres brebis encore,

qui ne sont pas de cet enclos ;

celles-là aussi, je dois les mener ;

elles écouteront ma voix ;

et il y aura un seul troupeau,

un seul pasteur.

Si le Père m’aime,

c’est que je donne ma vie,

pour la reprendre.

On ne me l’ôte pas ;

je la donne de moi-même.

J’ai pouvoir de la donner

et pouvoir de la reprendre ;

tel est l’ordre que j’ai reçu de mon Père. »

Les Juifs se divisèrent à propos de ces paroles. Beaucoup d’entre eux disaient : « Il est possédé d’un démon ; il délire. A quoi bon l’écouter ? » D’autres disaient : « Ce n’est pas là langage de possédé. Est-ce qu’un démon peut ouvrir les yeux des aveugles ? »

Episode 100. Commentaire.

 Ici Jean intervient tout seul. Il est seul en effet à conter les deux fêtes liturgiques de la fin de l’année 32, qui verront tour à tour Jésus monter à Jérusalem : la fête des Tentes, ou des Tabernacles, ou Scénopégie, Souccot pour les juifs, en octobre, et la fête de la Dédicace, Hanoucca, en décembre. Dans le délai de deux mois qui sépare les deux fêtes, on est obligé de supposer, pour la vraisemblance de l’itinéraire de Jésus, qu’il est revenu en Galilée, et qu’il est ensuite monté une deuxième fois à Jérusalem, bien qu’aucun des quatre évangiles ne signalent ce retour. Mais chez Jean c’est implicite, car on constate chez lui une grande lacune entre la fête des Tentes (Jn 7, 2 – 10, 21) et la fête de la Dédicace (Jn 10, 22 – 11, 54). Il faut bien combler ce vide. Au verset Jn 10, 22 on passe brusquement en hiver, ou au début de l’hiver, tandis qu’au verset précédent, Jn 10, 21, nous étions encore en octobre 32, avec la fin de la fête des Tentes. Mais Jean dans son évangile est coutumier de ces sauts. Il n’a voulu en effet que compléter les synoptiques, et encore sans prétendre livrer une vie exhaustive de Jésus, même en y incluant l’œuvre de ses trois confrères. (Cf. le dernier verset de son évangile : Jn 21, 25).

Souccot prit place cette année-là du 15 au 23 Tishri, peu après Rosh hashana, le 1er Tishri, ou nouvel an juif, et peu après le Jour des expiations, Yom Kippour, le 10 Tishri.

En l’an 32, donc, Souccot survint, en calendrier julien, du 9 au 17 octobre très précisément. 178 jours après la Pâque 32, qui tombait, rappelons-le, le 14 avril.

Jésus n’est pas monté à Jérusalem dès le 9 octobre, mais seulement quelques jours après. Il arriva en plein milieu de la fête, nous dit l’évangéliste, donc vers le 13 octobre. Il prit la fête en route, et sans doute la prolongea d’un jour ou deux. L’épisode de la femme adultère et la guérison de l’aveugle-né, en effet, ainsi que le discours sur le bon Pasteur semblent bien se placer au lendemain de la fête. Mais la fête proprement dite se terminait le 22 Tishri (le huitième jour, cf. Lv 23, 34-36). Donc le lendemain de la fête se situerait le 23 Tishri, soit le 17 octobre 32, ou encore le lendemain.

Le 9 octobre, début de la fête, était un jeudi. Le 11, un shabbat, et le 17, un vendredi. C’est donc bien le 18 octobre 32 que Jésus a guéri l’aveugle-né, puisque c’était un jour de sabbat (http://www.imcce.fr/fr/grandpublic/temps/jour_semaine.php). Et c’est ce même jour, le matin même, qu’il avait absous la femme adultère.

Nous n’allons pas raconter ici cette fête des Tentes de Jésus à Jérusalem, en l’an 32. Elle est bien trop connue. Il suffit de se rapporter au texte de saint Jean copié ci-dessus. Le récit appelle seulement quelques remarques de nature historique ou exégétique.

Daniel-Rops dans un style somptueux, plein de couleurs et de sonorités, donne une ample description. De plus il est exactement informé Je n’ai pas réussi à savoir s’il fallait compter deux ou quatre flambeaux, de cinquante coudées, dans le parvis des femmes pour, le soir, éclairer la ville après le premier jour de la fête, et dès lors pendant toute la semaine. Les sources diffèrent. Probablement, le nombre a-t-il varié selon les époques.

On pourrait légitimement se demander pourquoi les évangiles synoptiques ne font aucune allusion à ces deux fêtes, les Tentes  et la Dédicace, dont parle le seul saint Jean, ni aux miracles éclatants qui les ont illustrées : la guérison de l’aveugle de naissance d’une part, la résurrection de Lazare d’autre part. Je ne vois personnellement qu’une seule explication : L’apôtre Pierre n’a participé à aucune de ces deux fêtes, mais seulement son confrère et ami, l’apôtre Jean qui nous les a rapportées. Pierre était resté en Galilée.

Il rejoindra Jésus en Pérée, lors de son séjour au début de janvier 33. Et malgré cela, il ne montera pas non plus avec les disciples pour la résurrection de Lazare, à laquelle il n’a pas assisté. Il ne rejoindra définitivement le groupe des disciples, et du Maître, que pour la montée décisive et dernière à Jérusalem à partir du val du Jourdain et de Jéricho, après le séjour de Jésus à Ephraïm dans les monts de Judée, dont parle saint Jean. (Cf. Jn 11, 54), donc en mars de l’année 33.

Pierre, n’étant pas témoin oculaire de ces péripéties, n’en a pas parlé dans sa prédication, à Rome ou ailleurs. Par conséquent son disciple et interprète Marc ne les a pas notées. Les deux autres synoptiques, esclaves du récit de Marc, ainsi que de l’évangile araméen de Matthieu, ont suivi son silence. Et c’est là qu’interviendra plus tard saint Jean pour réparer ce manque.

Le nom de l’apôtre Pierre, très souvent cité dans le quatrième évangile, un chapitre entier lui sera même consacré, le chapitre 21, n’apparaît pas dans les chapitre 7 à 11 de ce même évangile. C’est là l’indice très sûr qu’il était absent des épisodes racontés. J’ai moi-même vérifié plusieurs fois ce fait. Au verset Jn 11, 16, on voit même l’apôtre Thomas prendre provisoirement la tête des condisciples. On a donc là trois indices convergents de la défection de Pierre : le silence des synoptiques, l’absence de son nom dans les chapitres 7 à 11 de Jean, et l’initiative intempestive de l’apôtre Thomas qui décide de la montée risquée à Béthanie pour secourir Lazare. Cette convergence est significative, et probante d’un point de vue historique. De  la même manière Pierre, selon toute vraisemblance, n’avait pas participé au ministère judéen, au début de la vie publique de Jésus.

L’évangéliste Jean, quant à lui témoin de bout en bout, a fait de cette fête des Tentes à Jérusalem un élément essentiel de son évangile septénaire.

Je dis bien septénaire, car il semble qu’il soit structuré en sept parties : une semaine inaugurale et six fêtes religieuses juives, qui correspondent aux sept tonnerres, ou révélations, d’Apocalypse 10, 1-7. Il faut considérer que le prologue (Jn 1, 1-18) et l’appendice (Jn 21) ont été rajoutés après coup.

Les chapitres 7 et 8 de saint Jean composent la cinquième partie de ce plan septénaire. C’est donc le cinquième tonnerre de l’Apocalypse.

Cette cinquième partie se subdivise elle-même en cinq journées distinctes, clairement marquées, comme il est usuel chez Jean. Cinq journées, et non pas sept, étant donné que Jésus n’a pas participé à toute la fête. Il l’a seulement prolongé d’un jour.

1er jour : Jn 7, 2-9. (Le verset 7, 1 est un verset de transition, que nous avons placé en synopse de la deuxième annonce de la Passion : notre épisode 94). Jésus refuse de monter à la fête alors que ses ‘frères’ l’y invitent.

Parmi les quatre ‘frères’, ou cousins, de Jésus, il y en eut un, Joset, ou Joseph (cf. Mt 13, 55 ; 27, 56 ; Mc 6, 3 ; 15, 40) qui ne fit pas partie du groupe des apôtres. Peut-être en raison de son incrédulité foncière, ou plutôt de son scepticisme à l’endroit de Jésus, et de sa mission. On ne doit pas dramatiser cette opposition (peut-être temporaire ?) de la famille de Jésus, à Jésus. Marie, femme de Clopas, et mère des ‘frères’ de Jésus, sera présente au Calvaire, au pied de la croix.

2e jour : Jn 7, 10-13. Jésus se ravise et monte incognito à la fête.

3e jour : Jn 7, 14-36. En plein milieu de la fête, Jésus prêche à Jérusalem, dans le Temple même. Vives discussions avec les juifs.

4e jour : Jn 7, 37 – 8, 1. Le dernier jour de la fête proprement dite. Clôture de la fête. Promesse de l’eau vive. Jésus s’inspire du rite de la fontaine de Siloé. Un prêtre allait chaque jour puiser avec une aiguière d’or, à la fontaine de Siloé, l’eau nécessaire au sacrifice du matin, où elle était répandue en libation. C’est à cette même fontaine que le Christ enverra le lendemain l’aveugle de naissance, pour se purifier.

Nouvelles discussions avec les juifs sur l’origine du Christ. Délibérations, et concertations des Grands Prêtres et des Pharisiens. Nicodème, membre du Sanhédrin, et disciple secret de Jésus, se trouve bien placé pour renseigner Jean, futur auteur de l’évangile. On entend ledit Nicodème intervenir timidement en faveur de Jésus.

Le soir, Jésus et les disciples (Pierre étant toujours absent) retournent à leur cabane de branchage qu’ils s’étaient construite, pour la durée de la fête, au bas du mont des Oliviers.

5e jour : 8, 2 – 10, 21. C’est le lendemain de la fête. Le jour du sabbat, 18 octobre de l’an 32. Jésus vient au Temple de très bonne heure. (Il devait faire frisquet sur le mont des Oliviers). Il prêche dans le Temple dès l’ouverture des portes, dès l’aurore. La distance ne dépassait pas ce qui était permis le jour du sabbat. Journée qui sera bien remplie. Jésus s’assoit pour enseigner.

Des scribes et des Pharisiens, dans le parvis des femmes, à la porte de Nicanor, traînent une femme par le col de sa robe. Dans la nuit, elle a été surprise en flagrant délit d’adultère. Naturellement le mâle s’est enfui, ou on l’a laissé s’enfuir. On demande au Maître ce qu’il en pense. Ce n’est qu’un prétexte pour l’embarrasser, le mettre en contradiction avec lui-même.

Jésus se contente de griffonner sur le sol, sans répondre. Mais on insiste. « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre. » (Jn 8, 7). L’autorité morale du Maître est telle, que tous s’éclipsent sur la pointe des pieds, en commençant par les plus vieux, ou les plus pécheurs. La femme est libre. Il l’absout et la renvoie.

La scène n’avait duré que quelques instants. C’était l’aube. Le soleil éclatant d’octobre se levait. Le Temple, orienté à l’est, recevait de plein fouet l’inondation de lumière.

Alors Jésus, devant la foule devenue compacte, se dressait, et face au soleil il s’écriait : « Moi, je suis la lumière du monde. » (Jn 8, 12).

Après cette allocution, nouvelle discussion avec les Pharisiens. Jésus se proclame d’autorité comme le Messie. Mais s’il se rend témoignage à lui-même son témoignage est sans valeur. C’est là un cercle vicieux, diraient les platoniciens, ou les aristotéliciens. La Torah juive elle-même exige au minimum deux témoins dans toute affaire judiciaire. Je ne suis pas seul, réplique Jésus : le Père témoigne pour moi, par les œuvres qu’il me donne d’accomplir.

Le témoignage de l’évangéliste Jean est précis. C’est au Trésor que Jésus prononce ces paroles, donc toujours dans le parvis des femmes. On disposait là de treize troncs pratiqués dans les murs, avec des ouvertures étroites, où chacun homme ou femme pouvait déposer son obole.

De fil en aiguille, la discussion amène Jésus à se proclamer Fils de Dieu, puisque il nomme Dieu son propre Père, et de ce fait antérieur à Abraham. Ce que les juifs, alors, n’avaient pas osé faire pour la femme adultère, ils en esquissent le geste à l’égard de Jésus. On fait mine de le lapider, mettant fin à tout débat.

C’est au tour de Jésus de s’esquiver. Il abandonne le terrain à ses adversaires qui ont des arguments frappants. Il sort prestement avec ses disciples par la Belle Porte qui donne sur le parvis des gentils. Là comme d’habitude, comme à la porte de nos églises, se tenaient des mendiants. Même un jeune aveugle, manifestement de naissance, qu’on menait là, et qui tentait d’apitoyer les foules par son visage lunaire. 

On connaît l’histoire. Les apôtres, dont bien sûr Jean, posent la question à Jésus : « Rabbi, qui a péché ? Lui ou ses parents ? » (Jn 9, 2). Dans la mentalité de l’époque le mal physique était obligatoirement la conséquence d’une faute morale. Mais Jean avait-il bien réfléchi ? Ce pauvre jeune homme aurait-il pu pécher avant sa naissance ? Jésus le détrompe de sa superstition. En cela, il opère, une fois de plus, une sorte de révolution mentale, dont notre civilisation bénéficiera peu à peu. On le mesure à peine aujourd’hui, tant cela nous paraît évident : même la maladie, ou le handicap, entrent dans le plan de la Providence ; ils ne sont pas l’indice d’une malédiction divine.

Jésus observe le cérémonial qu’on lui a vu pratiquer bien des fois. Avec son crachat, et de la terre, il confectionne un collyre qu’il applique sur les yeux du mendiant. Puisque on est au lendemain de la fête des Tabernacles, en commémoration du rite, il lui demande d’aller se laver à la piscine de Siloé. 

Le mot de ‘Siloé’ signifie en hébreu ‘envoyé’, et Jean le souligne. Les eaux de Siloé étaient en effet ‘envoyées’, en ce sens qu’elles provenaient de l’unique fontaine de Jérusalem, Gihon, par une canalisation invisible, construite du temps d’Ezéchias.

Quand l’ancien aveugle revient au Temple, tout joyeux et tout triomphant, ce sont les habitués des lieux qui, à leur tour, font une drôle de tête ! Quant à ce Jésus, qu’on n’a pas pu coincer, et qui s’est échappé, ne tiendrait-on pas là contre lui un sérieux chef d’inculpation ? Il a fabriqué de la boue avec sa salive devant tous les autres mendiants. N’a-t-il pas effrontément travaillé le jour du Shabbat ? Et sur les marches du Temple, même ? Les Pharisiens se saisissent de l’affaire. De la très longue investigation qui s’ensuit, on aboutit à cette seule sentence de Jésus, qui résume bien la morale de cette fête des lumières qu’on vient de vivre : « C’est pour un jugement que je suis venu en ce monde : pour que voient ceux qui ne voient pas et pour que ceux qui voient deviennent aveugles. » (Jn 9, 39). 

Jean place ensuite un discours de Jésus sur le Bon Berger, le véritable berger que Jésus est lui-même (Jn 10). A première vue, ce sermon paraît hors de propos, mis là par hasard. Après tout ce serait possible : Jean de cette façon aurait voulu ne pas le laisser perdre.

Cependant la conclusion qui lui donne Jean est tout à fait en situation. Elle se trouve tout à fait en harmonie avec cette fête des Tentes qu’on vient de vivre, et avec la guérison de l’aveugle-né qui l’a illustrée : « Ce n’est pas là langage de possédé. Est-ce qu’un démon peut ouvrir les yeux des aveugles ? » (Jn 10, 21).

Notre commentaire sur cette fête des Tentes de l’an 32, est déjà long. Nous avons essayé de cerner les circonstances historiques. Il reste cependant un problème exégétique crucial, que nous n’avons pas encore abordé : c’est celui de l’authenticité, ou non, de la péricope dite de la femme adultère : Jn 7, 53 – 8, 11. 

Cette péricope, on le sait, ne nous est donnée que par la tradition occidentale du texte (le TO), essentiellement représentée par le Codex Bezae, et les manuscrits qui en dépendent. Mais on la trouvait aussi dans de vieilles versions latines, et dans des manuscrits coptes. Preuve de son ancienneté, et de son authenticité apostolique, on la trouvait dans le Diatessaron de Tatien qui écrivait vers la fin du second siècle. Des traductions intégrales du Diatessaron ont été conservées en latin et vieux haut allemand. Voir les chapitres CXIX et CXX, à cette adresse : http://users.belgacom.net/chardic/html/tatien.html

La critique interne de la péricope s’avérait tout à fait favorable à son authenticité johannique. Seul le mot ‘scribes’, ‘grammateis’, ne se trouvait pas semble-t-il dans la reste de l’évangile de saint Jean. Mais tous les autres vocables, toutes les autres tournures s’y trouvaient, parfois avec insistance. Le style de la péricope, à l’analyse, se révèle typiquement johannique. L’apostrophe des Pharisiens à Jésus : « Toi donc, que dis-tu ? » (Jn 8, 5) rappelle à s’y méprendre l’interpellation que les mêmes Pharisiens avaient adressée à Jean-Baptiste, dans les débuts de l’évangile. « Toi, qui es-tu ? … Qui es-tu ?... Que dis-tu de toi-même ? » (Jn 1, 19.22). « Et ils le disaient en l’éprouvant » de Jn 8, 6 est quasiment identique, au nombre près, à « Il le disait en l’éprouvant » de Jn 6, 6. La manière dont Jésus interpelle la femme : « Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a condamnée ? »  (Jn 8, 10) est tout à fait dans sa manière de parler aux femmes, d’après l’évangile de saint Jean.

De plus, tout l’environnement de la péricope, ce qui vient après comme avant, cadre exactement, jusque dans les mots, à l’ambiance qui y règne. Le verset 8, 15 qui suit de près la péricope semble bien la résumer toute entière : « Vous, vous jugez selon la chair ; moi, je ne juge personne. » Ainsi dans la péricope, il est deux fois question de lapidation : « lapider ces femmes-là. » (8, 5), « … lui jette la première pierre ! » (Jn 8, 7). Or, dans la suite immédiate du texte, on ne notera pas moins de deux tentatives de lapidation contre Jésus. (Cf. Jn 8, 59 et Jn 10, 31). « Dans la Loi, à nous, Moïse a commandé » disent les juifs dans la péricope (Jn 8, 5). « Et dans la Loi, la vôtre, il est écrit que » semble leur répliquer Jésus quelques versets plus bas (Jn 8, 17).

De plus, tout bien considéré, la présence de la péricope semble nécessaire à l’équilibre général de tous ces chapitres. Nous avons vu que cette fête des Tentes dans saint Jean, qui est sa cinquième partie, se subdivise très naturellement en cinq journées distinctes, au moins sur un plan littéraire : quatre pendant la fête, et une autre qui est le sabbat suivant. Or c’est la péricope seule qui introduit cette cinquième journée et ce lendemain de fête, ce qui paraît très naturel chez Jean. Car Jésus, parti le soir au mont des Oliviers, se lève avant l’aurore et survient au Temple de bon matin.

Que si l’on supprime la péricope, on est alors obligé de regrouper le texte en quatre journées seulement, ce qui a pour effet d’alourdir considérablement la composition. De plus, on débouche sur des invraisemblances historiques, car Jésus aurait prononcé un grand nombre de discours, pendant la fête, en un lieu encombré par les cérémonies liturgiques. Un lendemain de fête est de loin le plus vraisemblable pour caser toutes les péripéties narrées par saint Jean. Or ce lendemain de fête, nous ne le connaissons que par la péricope (Cf. Jn 7, 53 – 8, 2). Ces lendemains de fête sont tout à fait habituels dans la rythmique de saint Jean, qui construit son évangile sur des fêtes juives. Ainsi au lendemain de la première Pâque, il y eut l’entretien avec Nicodème. Après la fête de la Dédicace, viendra s’inscrire la résurrection de Lazare. Et après la dernière Pâque de Jésus à Jérusalem, et son martyre sur la croix, prendra place sa Résurrection.

Les historiens, les exégètes, ont pris soin de noter la vraisemblance historique de cet épisode de la femme surprise en adultère, un lendemain de Souccot. Les arguments avancés par Daniel-Rops sont toujours valables. Le fait de cohabiter pendant sept jours dans des huttes de branchage pouvait être favorable à des unions illégitimes. De plus, on sait par le Talmud que les femmes surprises en adultère étaient traînées par le col de leur robe jusqu’à la porte de Nicanor, dans le parvis des femmes. Or c’est là justement, et en ce lendemain de fête, que les destins de la pécheresse et de Jésus se sont croisés pour la miséricorde et pour le pardon.

Si l’on ne peut prouver apodictiquement, ou mathématiquement, l’authenticité de la péricope, cette authenticité nous apparaît du moins comme d’une très haute vraisemblance. Quant à moi, je ne conçois guère le quatrième évangile sans ces quelques versets.

De plus, ce n’est que par la péricope qu’on sait que Jésus est venu de grand matin au Temple. Sa déclaration solennelle face au soleil levant, qui intervient juste après : « Moi, je suis la lumière du monde » (Jn 8, 12) ne se comprend bien que dans ce contexte. Le Temple, redisons-le, était orienté à l’est. 

Retour à l’en-tête