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Ils vinrent à Capharnaüm. Une discussion s’éleva entre eux : lequel d’entre eux pouvait bien être le plus grand ? Et une fois à la maison, il leur demanda : « De quoi discutiez-vous en chemin ? » Eux se taisaient car ils avaient discuté en chemin qui était le plus grand. A ce moment les disciples s’approchèrent de Jésus pour lui demander : « Qui donc est le plus grand dans le Royaume des Cieux ? » Alors Jésus, sachant ce qui se discutait dans leur cœur, s’étant assis, appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, il se fera le dernier de tous et le serviteur de tous. » Puis il appela un petit enfant ; prenant un petit enfant, il l’attira à lui, le plaça près de lui, au milieu d’eux ; et, l’ayant embrassé, il leur dit : « Quiconque accueille un de ces petits enfants, ce petit enfant, à cause de mon Nom, c’est moi qu’il accueille ; et quiconque m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais il accueille Celui qui m’a envoyé. « En vérité je vous le dis, si vous ne retournez à l’état des enfants, vous ne pourrez entrer dans le Royaume des Cieux. Qui donc se fera petit comme ce petit enfant-là, voilà le plus grand dans le Royaume des Cieux. En effet celui qui parmi vous tous est le plus petit, c’est lui qui est le plus grand. » |
On est à Capharnaüm puisque on vous le dit. Saint Marc ne fait pas mentir saint Matthieu. On est même dans la maison. Tous se trouvent réunis dans la grande salle accueillante. La belle-mère de Pierre a servi les jus de fruits. Mais Jésus en bon pédagogue, avec des élèves qui ne sont pas toujours très sages, lève sur eux un regard inquisiteur. De quoi discutiez-vous en chemin derrière mon dos ? Quel était l’objet de vos conciliabules ? Allez ! Avouez. Dites-moi tout.
Eux ne sont pas très fiers. Ils ne répondent guère que par des balbutiements. S’étant assis à la place d’honneur, invitant ses Douze à s’asseoir de même, il leur dit gravement, regardant spécialement Pierre, le patron des lieux : « Si quelqu’un veut être le premier, il se fera le dernier de tous et le serviteur de tous. » (Mc 9, 35).
C’est en souvenir de cette parole qu’un successeur de Pierre, un jour, saint Grégoire le Grand pour ne pas le nommer, se fera appeler en latin : « Servus servorum Dei » l’esclave des esclaves de Dieu. Et c’est encore aujourd’hui la devise des papes, qu’ils inscrivent en tête de leurs bulles, dont la diplomatique est immuable : « Benedictus episcopus, servus servorum Dei …. ».
Alors Jésus convoque un petit enfant, choisi à la porte, parmi les curieux agglutinés comme d’habitude, quand il est à la maison. Il l’embrasse et le place au milieu de leur cercle. Quiconque accueille un petit enfant comme celui-ci, en mon Nom, c’est-à-dire en tant qu’il est un fidèle du Christ, c’est moi qu’il accueille. Le plus petit doit être considéré, pas moins, comme le Christ en personne. Et le recevoir, c’est recevoir Dieu.
En ce temps-là, on ne savait pas s’occuper des enfants comme on le fait aujourd’hui. On les considérait un peu comme une quantité négligeable. C’est à peine si on leur adressait la parole. Jésus, en cela, a opéré une petite révolution dans les mœurs.
Matthieu grec et Luc, tout en racontant la même scène, présentent un peu différemment les choses. Chez Matthieu grec, ce sont les disciples qui posent directement à Jésus la question : « Qui donc est le plus grand dans le Royaume des Cieux ? » (Mt 18, 1). C’est alors que Jésus appelle un petit enfant qu’il place au milieu d’eux. Il demande à ses auditeurs de revenir à l’état d’enfance, comme condition pour entrer dans ledit Royaume des Cieux. L’esprit d’enfance ! Ce sera là la spiritualité favorite d’une sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Celui qui se fait petit, voilà le plus grand dans ledit Royaume des Cieux. On remarque que Matthieu grec reprend trois fois de suite son expression favorite de ‘Royaume des Cieux’.
Luc résume à peu près le propos de saint Marc. Mais il a une conclusion qui se rapproche de la leçon de Matthieu grec : « Celui qui parmi vous tous est le plus petit, c’est lui qui est grand. » (Lc 9, 48).
Dans l’épisode en cours (96), nous avons retrouvé le parallélisme complet entre les trois synoptiques. Mais c’est pour le perdre aussitôt. En effet, nous ne le rencontrerons à nouveau, dans cette synopse-synthèse, qu’au numéro 171. Autrement dit 75 numéros après. Ce qui est énorme. C’est qu’entre temps viendra s’insérer la grande plage de Luc, du numéro 101 au numéro 166, qui n’a pas de parallélisme exact avec Marc et qui trouve des équivalents seulement dans Matthieu grec, et encore dispersés comme au hasard dans tout cet évangile. Cet intermède de Luc qui ne trouve son parallèle, sauf exception, qu’avec Matthieu grec est supposé tiré de la source Q. Luc l’aura introduit là, après le verset 9, 50 de Marc, que parce qu’il ne trouvait pas d’autre place convenable dans l’évangile. Il profitait de ce que Marc au verset suivant : 10, 1 parle d’une montée dans la région de Judée et au-delà du Jourdain, pour inscrire ce document, juste avant, dans le cadre de cette montée vers Jérusalem.
La plupart des événements, qui seront racontés sans ordre chronologique précis dans cette grande insertion de Luc, viendront se placer historiquement, sans doute, pendant les deux mois qui séparent les deux fêtes de Souccot, (du 9 au 17 octobre) et de la Dédicace (du 17 au 24 décembre), signalées et décrites par le seul saint Jean. Mais beaucoup de paroles et de discours enregistrés dans ladite grande insertion pourront concerner toute la vie publique du Christ. En effet, c’est ainsi que les utilise Matthieu grec, en les disséminant sans aucun ordre dans tout son évangile, qui est notre premier évangile. Il s’en sert comme d’un matériel authentique, avec le souci primordial, comme Luc, de ne pas le laisser perdre.