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Alors, appelant la foule en même temps que ses disciples, Jésus disait à tous : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix chaque jour et qu’il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais celui qui perd sa vie à cause de moi et de l’Evangile, celui-là la sauvera, la trouvera. Que servira-t-il donc à l’homme de gagner le monde entier s’il se perd ou se ruine lui-même, s’il ruine sa propre vie ? Ou que pourra donner l’homme en échange de sa propre vie ? Car celui qui aura rougi de moi et de mes paroles dans cette génération adultère et pécheresse, de celui-là le Fils de l’homme, à son tour, rougira quand il viendra dans sa gloire. C’est qu’en effet le Fils de l’homme doit venir dans la gloire de son Père, avec ses saints anges, et alors il rétribuera chacun selon sa conduite ». Et il leur disait : « En vérité je vous le dis, je vous le dis vraiment, il en est de présents ici même qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venant avec son Royaume, avant d’avoir vu le Royaume de Dieu venu avec puissance. » |
Mais si le Messie est venu sur terre, ce n’est pas pour se donner en spectacle. C’est pour entraîner toute l’humanité à sa suite. Et puisque lui-même va vers la croix : c’est l’avenir imminent qu’il vient d’annoncer crûment à ses apôtres, il faut aussi que ses disciples, et même l’humanité entière, le suive sur ce chemin, s’unisse à lui au moins d’intention, et de cœur.
Marc précise qu’il appela la foule, en même temps que ses disciples. Luc confirme le récit de Marc, en notant : « Puis il disait à tous. » (Lc 9, 23). Car tous sont concernés. Matthieu grec ne retient que les disciples : « Alors Jésus dit à ses disciples. » (Mt 16, 24). Une fois encore la règle quasi constante, de la Théorie des deux sources, s’applique : quand deux synoptiques sont d’accord entre eux, Marc est l’un d’eux. Indice de l’antériorité de son évangile. Mais l’on peut considérer que pour Matthieu grec aussi, la foule des auditeurs est comprise, au moins idéalement, dans le groupe des disciples.
Pour le reste, les trois évangiles s’accordent à peu de choses près. Matthieu omet la phrase de Jésus : « Car celui qui aura rougi de moi et de mes paroles dans cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l’homme à son tour rougira de lui… » (Mc 8, 38). Mais Luc, une fois de plus, atteste qu’elle était bien dans le texte original. Mais si Matthieu grec a sauté ce logion ici, c’est qu’il l’avait déjà inscrit, légèrement modifié, dans un autre endroit de son évangile, dans son discours apostolique (cf. Mt 10, 33).
C’est un fait que ce logion, présent dans Marc, appartenait comme plusieurs autres de la péricope marcienne, à la source Q, l’évangile araméen de Matthieu, puisqu’on les retrouve dans la grande insertion de Luc (cf. Lc 12, 8-9). Ces aphorismes sont répétés, à plusieurs reprises, dans les évangiles. En tant que tels, ils s’inscrivent parmi les paroles les plus sûrement authentiques de Jésus, et sans doute proférées bien des fois par le Maître. Ce sont des ipsimma verba typiques.
Marc termine par un logion, repris, à peu de chose près, par Luc et par Matthieu grec, et qui demande une explication : « En vérité je vous le dis, il en est d’ici présents qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir le Royaume de Dieu venu avec puissance. » (Mc 9, 1). Qu’entend ici Jésus par Royaume de Dieu ? Pour que sa prophétie ne soit pas fausse, il faut absolument qu’il parle ici de l’Eglise catholique, considérée comme le Royaume de Dieu, Eglise d’ailleurs fondée sur l’apôtre Pierre, et sur son successeur le pape, comme on vient de nous en avertir dans l’épisode de la profession de Pierre. Et non pas du Royaume de Dieu définitif qui surgira à la fin des temps, au jugement dernier, quand le Fils de l’homme viendra avec ses anges, comme il nous est dit dans le verset précédent de Marc. Il faut donc nettement distinguer ces deux distiques.
Le Royaume de Dieu, ou du Christ, venu avec puissance ne saurait se confondre avec le Royaume de gloire, réservé pour la fin des temps. Il surviendra dès le temps présent, dans le cours de l’histoire, et certains auditeurs du Christ, en Gaulanitide, en verront les prémices, avant même leur propre mort.
En effet, dès la fin du premier siècle de notre ère, l’Eglise chrétienne, déjà répandue dans tout l’univers connu, commencera à se donner en spectacle au monde, même si ce sera au milieu de maintes tribulations. Pour des esprits avertis, son triomphe dès lors ne pourrait faire aucun doute. Selon une légende crédible, consignée par Eusèbe de Césarée, le roi d’Edesse, Abgar V, contemporain de Jésus, se serait converti au christianisme avec tout son peuple, peu après l’Ascension. N’était-ce pas là déjà un signe de puissance ?
On doit revenir sur le fait que, d’après Marc, Jésus convoqua les foules. Nous ne sommes pourtant pas dans la fervente Galilée, mais en Gaulanitide, dans le royaume de Philippe. Certes, c’est le territoire de l’ancien Israël, puisque nous sommes dans la tribu de Dan. Mais on le sait, les tribus du Royaume du nord, avaient été déportées par Sargon II en 721 avant notre ère, et largement remplacées par des étrangers non juifs. On ne les retrouvera plus jamais. On entrait alors dans une époque de syncrétisme religieux. Seuls Juda, Benjamin et Lévi étaient revenus de Babylone. Mais, comme en Décapole, de nombreux juifs avaient pu s’installer en Gaulanitide, d’autant plus que les frontières des royaumes, mal définies, n’étaient même pas gardées, sauf aux endroits de péages comme à Bethsaïde sur le Jourdain. D’autant plus encore que la dynastie d’Hérode le Grand, bien qu’originaire d’Idumée, était circoncise et donc au moins nominalement juive. Elle n’aurait pas pu, sans cela, gouverner un peuple juif. Les iduméens avaient été convertis de force au judaïsme par Jean Hyrcan. L’hérodien Philippe, tétrarque de Gaulanitide, était donc un juif intronisé sur ce territoire avec le consentement romain, et tributaire du gouverneur de Syrie, installé à Antioche.
C’est bien pourquoi le Christ pouvait convoquer et rassembler des foules, même en Gaulanitide, un peu comme il le faisait en Galilée, et comme il l’avait déjà fait en Décapole.