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Ils arrivent à Bethsaïde et on lui amène un aveugle, el le priant de le toucher. Prenant l’aveugle par la main, il le conduisit hors du bourg. Après lui avoir craché sur les yeux et lui avoir imposé les mains, il lui demandait : « Vois-tu quelque chose ? » Et l’autre, qui commençait à voir, de répondre : « J’aperçois les gens, c’est comme si c’était des arbres que je les voit marcher. » Après cela, il mit de nouveau ses mains sur les yeux de l’aveugle, et celui-ci vit clair et fut guéri, et il voyait tout nettement, de loin. Et Jésus le renvoya chez lui, en lui disant : « N’entre même pas dans le bourg. » |
De nouveau Marc est seul. Matthieu saute encore cet épisode, et Luc termine sa grande omission, car il reprendra le parallélisme avec Marc (et un peu moins fidèlement avec Matthieu) dès l’épisode suivant, celui de la profession de foi de Pierre. Mais nous n’aurons dans cette synopse et synthèse aucune hésitation à suivre l’ordonnance de Marc, et à la considérer comme primitive, car l’enchaînement de son discours est remarquablement cohérent, avec tout ce précède comme avec tout ce qui suit. Ce n’est pas le cas de Luc qui, pour l’instant, est absent. Ce n’est guère mieux le cas pour Matthieu qui, non seulement omet des épisodes, mais qui n’assure pas tellement le lien entre ceux qu’il maintient. Avec lui, nous arriverons comme une fleur près de Césarée de Philippe dans l’épisode suivant, sans qu’il ait pris soin de nous indiquer le trajet parcouru. Pour lui, dans son projet d’évangile, il estimait que c’était d’une importance moindre.
De nouveau Jésus emploie pour ce miracle, accompli dans la ville natale de Pierre, un cérémonial individualisé et symbolique, comme pour le sourd-bègue guéri en Décapole, il y a peu (juste avant la seconde multiplication des pains) et que seul Marc, déjà, avait rapporté, conformément aux souvenirs précis de l’apôtre Pierre. Dans la mémoire sélective de Pierre s’était incrusté, notons-le, seulement un fait saillant, généralement un miracle de guérison, par bourgade évangélisée, par ville, ou région, traversée.
La fille d’une Syrophénicienne, près de Tyr. Le sourd-bègue en Décapole, et maintenant un aveugle à Bethsaïde.
Prenant l’aveugle par la main, Jésus prend soin de le conduire lui-même en dehors du bourg, comme se mettant à son service. Voilà comment il faut appliquer, selon lui, le commandement de Yahvé son Père, et d’autres semblables, si souvent énoncés dans l’Ancien Testament : « Tu ne maudiras pas un muet et tu ne mettras pas d'obstacle devant un aveugle, mais tu craindras ton Dieu. Je suis Yahvé. » (Lv 19, 14). Jésus fait preuve, avant toute guérison, et c’est même le mobile qui l’inspire, d’une infinie compassion devant la misère humaine. Mais elle n’est pour lui que le symbole d’une misère encore plus grande : celle du péché.
Il lui crache dans les yeux (sic). Sa salive est encore le meilleur des collyres. Il lui impose les mains, par exorcisme. Il lui demande si ça va mieux. Il joue les toubibs précautionneux, et attentifs. Oui, ça va un peu mieux. Je vois les gens comme si c’étaient des arbres qui bougent. Alors Jésus réitère sa médecine, lente à fonctionner. Il pose de nouveau les mains sur les yeux de l’aveugle. Alors celui-ci est complètement guéri. Vérification faite, il voit tout très clair, même de loin. Jésus a voulu montrer, par cette guérison à étapes, que le rétablissement des facultés naturelles n’était pas, même pour le Fils de Dieu, une opération banale, ou comme magique. Il y faut tout un processus. Ce n’est tout de même pas si simple de remplacer un œil mort, par un œil qui voit. La nature est emplie de prodiges insoupçonnés, que la science d’aujourd’hui déchiffre peu à peu, mais qui n’en font pas moins partie depuis toujours du quotidien le plus ordinaire.
Jésus demande à l’aveugle de ne pas revenir dans le bourg, car il était manifestement un mendiant, comme beaucoup, qui tentait d’apitoyer les gens par son infirmité. Ne retourne pas en ville. C’est un lieu de perdition. Maintenant que tu as recouvré la santé de l’âme comme du corps, sors de tes habitudes vicieuses. Va-t-en réjouir ta famille et lui porter la bonne nouvelle du salut. Rentre dans ton foyer.
Marc, et Jésus lui-même, qualifient de bourg la ville de Bethsaïde. Kômê, c’était, en grec, la bourgade où se rassemblent les joyeux drilles, les comiques. Où l’on festoie en troupe, au point même de tomber parfois dans un sommeil très lourd : le coma. Le mot latin cum, ensemble, dérivait sans doute du même étymon indoeuropéen.
A l’origine, Bethsaïde ‘la maison des poissons’, était un village modeste, sur les bords du lac, à l’embouchure du petit Jourdain. Philippe le tétrarque l’avait agrandie. Il y avait même importé des habitants. Il y avait construit un palais où il résidait. Il y avait préparé son tombeau, où il sera enterré. Il l’avait surnommée Julias, en l’honneur de la fille d’Auguste, mais les habitants, comme les juifs, ne tenaient pas compte de ce nom surajouté, et continuaient de l’appeler Bethsaïde. En ce moment même, fin 32, Philippe, devenu veuf, venait d’épouser Salomé, la fille d’Hérodiade, qui avait parue au festin fatal à saint Jean-Baptiste. Il ne survivra pas longtemps, car il mourra dès 34, après 37 ans de règne. Dans le Talmud, un peu postérieur, on continue de parler de Bethsaïda, qu’on a fini par appeler : Saydan.
Il ne semble pas que la petite ville de Bethsaïde ait pris beaucoup d’extension, malgré les embellissements de Philippe. On a peine aujourd’hui à en repérer les vestiges. Mais peut-être sont-ils enfouis sous les alluvions du fleuve dans cette région mouvante ?