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Comme ils passaient sur l’autre rive, les disciples avaient oublié de prendre des pains et ils n’avaient qu’un pain avec eux dans la barque, lorsque Jésus leur fit cette recommandation : « Ouvrez l’œil et méfiez-vous, gardez-vous du levain des Pharisiens et des Sadducéens et du levain d’Hérode. » Et eux de faire en eux-mêmes, entre eux, cette réflexion : « C’est que nous n’avons pas pris de pains. » Mais Jésus s’en aperçut et leur dit : « Gens de peu de foi, pourquoi faire en vous-mêmes cette réflexion que vous n’avez pas de pains ? Vous ne comprenez pas encore et vous ne saisissez pas ? Avez-vous donc l’esprit bouché, des yeux pour ne point voir et des oreilles pour ne point entendre ? Et ne vous rappelez-vous pas quand j’ai rompu les cinq pains pour les cinq mille hommes, combien de couffins pleins de morceaux vous avez ramassés ? Le nombre de couffins que vous en avez retirés ? » Ils lui répondent : « Douze. » -- « Et quand j’ai rompu les sept pains pour les quatre mille hommes, combien de corbeilles pleines de morceaux avez-vous ramassées ? Le nombre de corbeilles que vous en avez retirées ? » Et ils lui disent : « Sept. » Alors il leur dit : « Ne comprenez-vous pas encore ? Comment ne comprenez-vous pas que ma parole ne visait pas du pain ? Méfiez-vous, dis-je, du levain des Pharisiens et des Sadducéens ! » Alors ils comprirent qu’il avait dit de se méfier, non du levain dont on fait du pain, mais de la doctrine des Pharisiens et des Sadducéens. |
La traversée est assez longue. Plus de 11 km de navigation. On a le temps de disputer ferme dans la barque. Même si l’on est toujours respectueux à l’égard du Maître. Remarquons-le. Dans cette barque qui se dirige vers Bethsaïde se trouvent Pierre, Jean et Matthieu, les trois personnes par le truchement desquelles nous connaissons presque exclusivement tout ce que nous savons sur Jésus, ses paroles, ses actes, et ses pensées. Matthieu se spécialisera dans les paroles, Pierre dans les actes, et Jean dans les pensées. Ils seront les trois fidèles rapporteurs de la saga évangélique. Que dans n’importe quel épisode de la vie publique, seulement le groupe des apôtres soit présent, ou au contraire des foules énormes (pour l’époque), nos sources d’information sont quasiment les mêmes. Elles se réduisent finalement à ces trois vecteurs, qu’il importe de toujours bien identifier. Certes le diacre Philippe plus tard, ou Luc lui-même, ou pourquoi pas Marc avant la rédaction de son propre évangile, ont pu interroger d’autres témoins directs de la vie de Jésus, ces personnes pour nous demeurent totalement anonymes, non identifiées. On peut excepter, pour les évangiles de l’enfance, le témoignage de la Vierge Marie, qui, s’il n’est pas cité explicitement, reste pourtant inscrit, très nettement, en filigrane. On peut y ajouter aussi, peut-être, le témoignage des ‘frères de Jésus’, pour les enfances du Christ, vues du côté de saint Joseph.
En partant de Magdala, les apôtres ont oublié de passer à la boulangerie. Il ne restait qu’un seul pain dans le sac de la barque ! Peut-être rescapé de la récente multiplication des pains. Dans ce cas-là, il devait tout de même être un peu dur. Quand les disciples s’en aperçoivent et font grise mine, Jésus était en train de leur dire, résumant la triste expérience qu’ils venaient de vivre dans cette bourgade : « Gardez-vous du levain des Pharisiens et du levain d’Hérode. » (Mc 8, 15). Jésus n’a décidemment pas perdu la manie des paroles malencontreuses !
Le levain ? Quel levain ? C’est que nous avons oublié le pain. L’association d’idées, à la Pavlov, fonctionne presque automatiquement.
Jésus est alors obligé de leur rappeler les deux multiplications des pains, assez spectaculaires, qu’ils viennent de vivre. Spectaculaires surtout pour eux, qui avaient distribué les pains et les poissons, puis recueilli les restes. Un apôtre du Christ, un disciple du Christ, ne doit pas se préoccuper du boire et du manger, quand le Seigneur lui-même, sous leurs yeux, par leurs mains, répand la nourriture à foison, et jusqu’à satiété. La nourriture de l’âme passe avant la nourriture du corps. Ou même y supplée, pour le vrai croyant.
Le levain des Pharisiens, c’était cette incrédulité sournoise, qu’ils cherchaient à communiquer aux autres, et pourquoi pas même aux disciples proches.
Le levain d’Hérode, c’était son hostilité larvée, son silence embarrassé et politique, qui ne prenait pas parti, mais qui, comme pour Jean-Baptiste dans un passé récent, pouvait être tenté par la voie de fait. A Magdala, on n’était qu’à quelques kilomètres, 4,500 exactement, de Tibériade, la capitale d’Hérode Antipas. Le tétrarque devait être là, tapi dans son palais, et son influence se faisait sentir. Jésus, d’ailleurs, va s’échapper quelque temps de son emprise invisible, en se réfugiant dans la Trachonitide. En cet instant, Jésus et ses douze disciples s’éloignent de lui, à force de rames.
Matthieu grec maintient à peu près le récit de Marc. Mais il remplace le levain d’Hérode par le levain des Sadducéens, dans la bouche de Jésus, car dans l’épisode précédent, il a associé les Sadducéens aux Pharisiens de la ville de Magdala. Pour lui, la prégnance d’Hérode se faisait moins sensible. Il savait bien que les Sadducéens nourrissaient à l’endroit de Jésus à peu près la même antipathie que les Pharisiens. Ils étaient présents, eux aussi, en Galilée. Après la destruction du Temple, les familles sacerdotales juives, auxquelles ils étaient liés, se réfugieront en grand nombre en Galilée. A Magdala même, l’une des vingt-quatre classes sacerdotales vint s’établir lors de l’expulsion des juifs de Judée.
Selon Matthieu grec, le levain des Pharisiens et des Sadducéens, représentait avant tout leur doctrine, faite d’observances rigoureuses des anciennes traditions, au détriment parfois du devoir de miséricorde.