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82. Guérison d’un sourd-bègue. En Décapole.

Marc 7, 31-37.

S’en retournant du pays de Tyr, il vint par Sidon vers la mer de Galilée, en plein territoire de la Décapole. Et on lui amène un sourd, qui de plus parlait difficilement, et, on le prie de lui imposer la main. Le prenant hors de la foule, à part, il lui mit ses doigts dans les oreilles et avec sa salive lui toucha la langue. Puis, levant les yeux au ciel, il poussa un gémissement et lui dit : « Ephphatha », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! » Et ses oreilles s’ouvrirent et aussitôt le lien de sa langue se dénoua et il parlait correctement. Et Jésus leur recommanda de ne dire la chose à personne ; mais plus il le leur recommandait, de plus belle ils la proclamaient. Au comble de l’admiration, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »

Episode 82. Commentaire.

Marc est seul. On ne sait pourquoi Matthieu grec n’a pas repris ce miracle, ni le voyage en Décapole, qui en fut l’occasion. Luc, quant à lui, est toujours dans sa grande omission (pour 9 épisodes consécutifs de Marc) ; si bien que l’on ne peut pas contrôler, d’après lui, que la séquence de Marc, en cet endroit, est bien la séquence primitive que les autres suivent, tout en l’interprétant à leur mode. La Théorie des deux sources, en cette occurrence, reste comme en suspens, hésitante. Mais tout ce qui précède la grande omission de Luc, et bien plus encore tout ce qui la suit, confirment ladite Théorie, au-delà du doute raisonnable. Tout conduit donc à l’accepter, même ici, où elle fonctionne un peu en aveugle. D’autant plus que cette lacune unitaire (portant sur un seul épisode) de Matthieu grec (il y en a eu et il y en aura d’autres), si elle ne conforte pas la Théorie des deux sources, ici, ne lui est pas non plus contradictoire. Elle s’accommode fort bien avec elle. On n’est donc pas en présence d’une objection dirimante.

C’est donc bien Matthieu grec qui n’a pas cru devoir retenir ce miracle (pour une raison qu’on ignore). Sans doute n’entrait-il pas dans le plan déjà saturé de son évangile. Dans l’épisode suivant, il fera revenir Jésus directement sur les bords du lac de Galilée, probablement à Capharnaüm, juste avant la seconde multiplication des pains, qui aura lieu, certainement, dans cette zone.

Marc, lui, intercale un périple du Christ par le littoral est du lac, jusqu’en plein territoire de la Décapole, et juste avant cette seconde multiplication des pains, qui aura lieu sans doute après retour vers l’ouest du lac. Ce voyage est fort vraisemblable. Il dépend des seuls souvenirs de l’apôtre Pierre. Il n’est emprunté à aucun autre évangéliste. Marc met dans la bouche du Christ ce mot araméen : Ephphatha, qui signifie : Ouvre-toi. Il est sûrement authentique, et en situation.

L’aller vers Tyr avait représenté plus de 50 km en ligne directe. Le voyage de Tyr à Sidon par le littoral méditerranéen au moins 35 km et le retour vers le sud du lac de Tibériade, sans doute en empruntant la haute vallée du Jourdain, avait compté plus de 80 km. Le tout, à vol d’oiseau. En réalité bien plus. Ce voyage de près de 200 km avait dû prendre quelque 10 jours. Une véritable escapade pour l’équipe de Jésus.

Saint Pierre n’a guère retenu de ces grandes randonnées que les miracles, celui de la Syrophénicienne précédemment, près de Tyr, et celui, aujourd’hui, du sourd-bègue en Décapole. C’était pour lui des exemples concrets qu’il citait dans sa prédication, pour mettre en évidence la miséricorde du Christ.

On amène à Jésus un sourd, qui de plus avait la langue pâteuse. C’est normal. S’il était sourd depuis sa tendre enfance il avait certainement du mal à articuler. On prie Jésus de lui imposer les mains. C’était son mode habituel d’accomplir des guérisons, comme on le voit par d’autres exemples. Mais là, il emploie tout un cérémonial inhabituel. Il voulait démontrer, ce faisant, qu’une guérison charismatique ne devait jamais se réduire à un automatisme. Opérer un miracle, c’est toujours un acte grandiose, une faveur insigne accordée, non pas indistinctement, mais spécialement à une seule personne. Un sacrement, en quelque sorte, avec tout un assortiment de pratiques symboliques. Comme l’Eglise catholique le pratique encore aujourd’hui pour l’Onction des malades.

Jésus le prend à part de la foule. Il l’entraîne vers le baptistère ou la chapelle (le futur baptistère ou la future chapelle).

Il lui met les doigts dans les oreilles, pour mimer la surdité. Il prend de sa salive pour lui toucher la langue et guérir le mal. Il lève les yeux au ciel afin d’implorer la grâce divine en faveur de ce pauvre homme. Il gémit profondément sur ses péchés que, pour l’occasion, il lui pardonne (que serait la guérison du corps sans le pardon des péchés ?) Enfin il pratique l’exorcisme avec la formule, non pas magique, mais presque sacramentelle : Ephphatha, efficace ex opere operato. Et « aussitôt », dit Marc, ses oreilles s’ouvrent, sa langue se délie. En sortant du local, Jésus recommande à la famille du bénéficiaire de tenir sa langue, de ne pas s’exalter outre mesure, de ne pas ameuter la foule. Mais ouat ! C’est un hourvari de bravos. La famille rayonnante, et l’intéressé, dansent de joie.

Comme David sur la harpe, on chante le refrain tiré des psaumes, ou s’il ne l’est pas, ça y ressemble : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. » (Mc 7, 37).

Non. C’est plutôt le prophète Isaïe qu’on évoque : « Les oreilles des sourds s’ouvriront, alors le boiteux bondira comme un cerf et la langue du muet criera de joie. » (Is 35, 5-6). Il ne faut pas s’étonner d’ouïr les habitants de la Décapole, ce pays à demi païen, citer les prophètes. Se trouvait en effet sur ce territoire une forte colonie juive, pour laquelle Jean-Baptiste avait déjà prêché.  

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