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En sortant de là, partant de là, Jésus se retira dans la région de Tyr et de Sidon. Etant entré dans une maison, il ne voulait pas que personne le sût, mais il ne put pas rester ignoré. Car aussitôt voici qu’une femme, dont la petite fille était possédée d’esprit impur, entendit parler de lui et vint se jeter à ses pieds. Cette femme était païenne, syrophénicienne de naissance, Cananéenne. Etant sortie de ce territoire, elle se mit à lui crier : « Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David : ma fille est fort malmenée par un démon. » Mais il ne lui répondit pas un mot. Ses disciples s’approchant, le sollicitaient : « Fais-lui grâce, car elle nous poursuit de ses cris. » A quoi il répondit : « Je n’ai été envoyé que pour les brebis perdues de la maison d’Israël. » Mais la femme était arrivée et se tenait prosternée devant lui en disant : « Seigneur, viens à mon secours ! » Et elle lui demandait d’expulser le démon hors de sa fille. Il lui répondit : « Laisse d’abord les enfants se rassasier, car il ne sied pas de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens. » Mais elle de répliquer et de lui dire : « De grâce, Seigneur ! Aussi bien même les petits chiens sous la table mangent-ils des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres, les miettes des enfants. » Alors Jésus lui répondit : « Ô femme, grande est ta foi ! Qu’il t’advienne selon ton désir ! A cause de cette parole, va, le démon est sorti de ta fille. » Et dès ce moment sa fille fut guérie. Elle retourna chez elle et trouva l’enfant étendue sur son lit et le démon parti. |
Matthieu et Marc seuls continuent leur synopsie.
Brusquement, Jésus se retire en Syro-Phénicie. La Phénicie, c’est le territoire de Tyr et de Sidon. Elle faisait partie intégrante de la Syrie, capitale Antioche et province romaine. C’est pourquoi l’on parle de Syro-Phénicie. En réalité Jésus s’en va au pays de Tyr, c’est-à-dire dans les environs de la ville de Tyr. Partant de Capharnaüm, il a dû filer tout droit par les monts de Galilée, dont certains culminent à mille mètres.
Jésus se déplaçait apparemment incognito, puisque il ne voulait pas que personne ne le sût. Nous ne connaissons pas la raison de cette excursion, comme de la suivante vers la Décapole. Il ne semble pas que c’était une tournée apostolique. Ce n’était pas non plus une virée thaumaturgique, avec grand rassemblement de malades sur les places publiques, comme il le faisait depuis plus d’un an maintenant, en Galilée. Puisque il n’entendait même pas guérir cette syrophénicienne insistante qui le dérangeait dans ses plans. Mais elle a ouï parler de lui par une indiscrétion, car beaucoup de gens de sa contrée, sans doute des juifs, avaient fait le déplacement du lac de Tibériade pour aller à la rencontre du fameux Rabbi. Le Jésus de Nazareth est là, lui dit-on. « Aussitôt », s’exclame Marc à son habitude, elle se précipite pour se jeter à ses pieds.
Matthieu grec, le diacre Philippe, qui avait longuement interrogé tous les apôtres sur la vie de Jésus, croit devoir introduire des compléments dans le récit de Marc. Parfois, on croirait même, fugitivement, que sa narration est primitive, et que Marc ne fait que l’imiter. Matthieu grec appelle Cananéenne la femme autochtone, la Syrophénicienne de Marc. Il entend souligner par là qu’elle n’est pas juive mais païenne, qu’elle n’appartient pas par le sang à la maison d’Israël. Or Jésus décrétera n’avoir été envoyé qu’aux brebis perdus de la maison d’Israël. Elle n’est pas fille, ni épouse, de circoncis. Elle n’est donc pas sujette de la Torah.
Matthieu grec précise qu’elle le poursuivait de ses cris : « Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David : ma fille est fort malmenée par un démon. » (Mt 15, 22). Et les apôtres sont obligés de supplier Jésus de lui faire grâce, devant son importunité. Ce titre de ‘fils de David’ est fort étonnant dans la bouche d’une païenne. Mais à la réflexion il est très plausible, car ce prédicat était depuis longtemps attribué à Jésus, surtout par les aveugles, par les infirmes de tout acabit. C’est bien sous ce nom que les étrangers désignaient de préférence le futur Messie, car tout le monde avait en tête qu’il ne serait autre que le souverain légitime d’Israël, donc le descendant du grand David, revenu prendre possession de son royaume. Ainsi les mages, non juifs, et sages persans, avaient demandé : « Où est le roi des juifs qui vient de naître ? » (Mt 2, 2). Roi des juifs, ou fils de David, c’était tout un.
Jésus, bien sûr, surmonte son impatience, car il est la bonté même. Mais il reste surpris de la pétulance de cette femme qui l’agresse presque. Elle semble exiger cette guérison comme un dû.
Un jour, le frère André, du Canada, en un temps où l’on ne parlait pas encore beaucoup d’œcuménisme, est agressé dans son bureau, parmi d’autres solliciteurs, par une protestante (de riche famille en plus) qui exige sur un ton sans réplique sa guérison immédiate.
Frère André, qui était de tempérament vif, la met à la porte en l’engueulant comme poisson pourri. Elle sort, rouge de colère en se promettant bien de ne plus remettre les pieds chez un catholique.
Mais sa colère ne dure pas longtemps. En descendant les escaliers, elle s’aperçoit qu’elle est guérie. Alors elle revient sur ses pas, et se précipite aux pieds de Frère André pour le remercier. Histoire authentique. Va-t-on reprocher au Frère André d’avoir humilié cette femme ? On n’y songerait même pas, étant donnée la grande grâce dont elle vient de bénéficier. Il a seulement voulu la remettre à sa place, tout en l’exauçant de la part de Dieu.
Ainsi Jésus voulait-il faire comprendre à cette Syro-phénicienne que le miracle n’était jamais un dû, mais bien un cadeau du ciel purement immérité. Qui es-tu pour exiger un miracle, toi qui n’es même pas une fille d’Israël ? Te voilà dans la situation des petits toutous sous la table, par rapport aux enfants de la maison. A ces derniers seuls on donne le pain. « Même les petits chiens sous la table mange les miettes des enfants. » (Mc 7, 28). Jésus ne peut que céder devant une telle foi. Elle est exaucée sur le champ.
Ce qu’il a refusé à l’agressivité, il le concède à la foi.