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8. Naissance de Jésus à Bethléem, au temps d’Hérode.

Luc 2, 1-38.

Or, en ces jours-là parut un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de toute la terre. Ce recensement, le premier, eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville. Joseph, lui aussi, quittant la ville de Nazareth en Galilée, monta en Judée, à la ville de David, appelée Bethléem, -- parce qu’il était de la maison et de la lignée de David, -- afin de s’y faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter se trouva révolu. Elle mit au monde son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux à l’hôtellerie.

Il y avait dans la contrée des bergers qui vivaient aux champs et qui la nuit veillaient tour à tour à la garde de leur troupeau. L’Ange du Seigneur leur apparut et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa clarté ; et ils furent saisis d’une grande frayeur. Mais l’ange leur dit : « Rassurez-vous, car voici que je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple : aujourd’hui, dans la cité de David, un Sauveur vous est né, qui est le Christ Seigneur. Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche. » Et soudain se joignit à l’ange une troupe nombreuse de l’armée céleste, qui louait Dieu, en disant :

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux

et paix sur la terre aux hommes qu’il aime ! »

Or, lorsque les anges les eurent quittés pour le ciel, les bergers se dirent entre eux : « Allons donc à Bethléem et voyons ce qui est arrivé et que le Seigneur nous a fait connaître. » Ils vinrent donc en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la crèche. Et l’ayant vu, ils firent connaître ce qui leur avait été dit de cet enfant ; et tous ceux qui les entendirent furent émerveillés de ce que leur racontaient les bergers. Quant à Marie, elle conservait avec soin tous ces souvenirs et les méditait en son cœur. Puis les bergers s’en retournèrent, glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient vu et entendu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé.

Quand vint le huitième jour, où l’on devait circoncire l’enfant, on lui donna le nom de Jésus, nom qu’avait indiqué l’ange avant sa conception.

Et quand vint le jour où, selon la Loi de Moïse, ils devaient être purifiés, ils le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, ainsi qu’il est écrit dans la Loi du Seigneur : Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur, et pour offrir en sacrifice, suivant ce qui est dit dans la Loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux jeunes colombes. Or il y avait à Jérusalem un homme du nom de Syméon. Cet homme était juste et pieux ; il attendait la consolation d’Israël et l’Esprit Saint reposait sur lui. Et il lui avait été révélé par l’Esprit Saint qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ du Seigneur. Il vint donc au Temple, poussé par l’Esprit, et quand les parents apportèrent le petit enfant Jésus pour accomplir à son égard les prescriptions de la Loi, il le reçut dans ses bras, bénit Dieu et dit :

« Maintenant, ô Maître, tu peux, selon ta parole,

laisser ton serviteur s’en aller en paix ;

car mes yeux ont vu ton salut,

que tu as préparé à la face de tous les peuples,

lumière pour éclairer les nations

et gloire de ton peuple Israël. »

Son père et sa mère étaient dans l’émerveillement de ce qui se disait de lui. Syméon les bénit et dit à Marie, sa mère : « Vois ! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction, -- et toi-même, un glaive te transpercera l’âme ! -- afin que se révèlent les pensées intimes d’un grand nombre. »

Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanouel, de la tribu d’Aser. Elle était fort avancée en âge. Après avoir, depuis sa virginité, vécu sept ans avec son mari, elle était restée veuve ; parvenue à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, elle ne quittait pas le Temple, servant Dieu nuit et jour dans le jeûne et la prière. Survenant au même moment, elle se mit à louer Dieu et à parler de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.     

Episode 8. Commentaire.

Pour suivre la chaîne historique de la synopse, nous revenons à saint Luc.

Nous le rappelons. La naissance de Jésus-Christ est placée par la chronologie de Gérard Gertoux au 29 septembre de l’année – 2, 1er Tishri, ou premier jour de l’année civile, six mois après celle de Jean-Baptiste, le 1er Nisan, premier jour de l’année religieuse. (Ces dates sont à entendre à quelques jours près). Nous sommes à la fin du règne d’Hérode qui mourra le 26 janvier de l’année suivante, dans moins de 4 mois donc.  Mais les événements vont se précipiter.

Il reste important de dire que Jésus est né du temps d’Hérode. Les deux évangélistes, Matthieu et Luc, le soulignent. C’est l’ancrage historique.

« Or, il advint, en ces jours-là, que parut un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de tout le monde habité. Ce recensement, le premier, eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. » (Lc 2,1-2) Auguste a passé sa vie à recenser le monde ! Les historiens ne devraient pas s’offusquer d’entendre Luc évoquer un recensement universel sous Auguste. Ces recensements généraux avaient lieu tous les 5 ans. En effet, ils donnaient lieu à des rites de purification appelés lustres, en principe tous les 5 ans. Il s’agissait de connaître le nombre des citoyens et des alliés sous les armes, selon l’expression du Bréviarum d’Auguste (résumé de sa gestion gouvernementale). Les divers recensements opérés par Auguste, selon un rythme quinquennal, nous sont décrits par l’historien Dion Cassius : en – 28 ; en -23 (reporté à – 22, à cause de la maladie d’Auguste) ; en – 18 (reporté car Auguste refusa d’être censeur) ; en – 13 (en réalité ce cens dura de – 13 à – 11) ; en – 8. L’œuvre de Dion Cassius est perdue pour la décennie – 6 à 4. On passe à 4, cens limité à l’Italie, à 9 (cens suspendu en raison du désastre de Varus, en Germanie), puis à 14. Le rythme quinquennal, celui des lustrations, laisse donc supposer qu’il y eut bien un recensement en – 3, -2. Il correspondrait à l’inventaire du monde, signalé par saint Luc.

Ce recensement de – 2 a-t-il concerné les provinces, et plus particulièrement la province de Syrie ? L’inscription d’Apamée, trouvée à Venise, confirme trois points du récit de Luc : 1) Il y eut bien un recensement dans la province de Syrie. 2) Le gouverneur de l’époque s’appelait Quirinius. 3) Ces événements datent bien d’avant la mort d’Hérode.

L’inscription est ainsi libellée : « Q. Aemilius Secundus fils de Quintus, de la tribu Palatina qui a servi dans les camps du divin Auguste sous P. Sulpicius Quirinius, légat de César en Syrie, décoré des distinctions honorifiques, préfet de la cohorte I Augusta, préfet de la cohorte II Classica. En outre, par ordre de Quirinius, j’ai fait le recensement de 117 mille citoyens d’Apamée. En outre, envoyé par Quirinius en mission, contre les Ituréens, j’ai pris leur citadelle sur le mont Liban etc.… »

L’Iturée fut cédée à Hérode, par Auguste, de son vivant, puisque son fils Philippe en hérita. Donc ce recensement d’Apamée se situe avant la mort d’Hérode. On doit en conclure qu’il y eut bien en Syrie, sous le premier gouvernement de Quirinius, un recensement des personnes, dans les années – 3 et – 2. La Palestine, alors sous le protectorat de Quirinius, a dû connaître ce même recensement des personnes. Mais Hérode étant roi, quoique sujet de Rome, le recensement s’effectua à la mode juive, et non romaine. C’est-à-dire que les familles se déplacèrent vers leur lieu d’origine, et non pas vers leur chef-lieu d’habitation. Pour saint Joseph et sainte Marie, d’ascendance davidique, c’était bien sûr à Bethléem qu’il fallait se rendre.

Ce recensement, de population et non de biens, ne peut pas, et ne doit pas être confondu avec le second recensement, ce dernier de biens, auquel procéda Quirinius en 6 et 7 de notre ère après la déposition d’Archélaüs, en Samarie et en Judée, mais non pas en Galilée (donc ne concernant pas la sainte famille), et que l’on connaît par Flavius Josèphe.

D’ailleurs, Luc parle bien du premier recensement, à ne pas confondre avec le second.

En Actes 5, 37  il est question d’un recensement qui provoqua la révolte de Judas le Galiléen. Il s’agit cette fois du second, celui de 6-7, qui suivit la déposition d’Archélaüs.

Nous savons par une autre inscription, celle de Tibur, que Quirinius fut deux fois gouverneur de Syrie. Le second mandat, connu par l’histoire, se place de 6 à 11, et c’est là qu’il régla la succession d’Archélaüs. Le premier ne peut se situer qu’en – 3 et – 2. Car les gouverneurs de Syrie des autres années sont connus. En – 1/1, Quirinius, proconsul d’Asie, n’était déjà plus en Syrie. Jésus n’a pu naître qu’en – 3 et – 2. Vraisemblablement, sûrement même, fin – 2, quelques mois avant la mort d’Hérode.

Il est vrai que le nom même de Quirinius n’apparaît pas sur l’inscription de Tibur, qui est mutilée et incomplète. Mais les états de service et les distinctions honorifiques, qu’on y déchiffre, ne peuvent concerner que Quirinius. C’est le grand savant allemand, Mommsen, qui, au XIXe siècle, en a apporté la démonstration.

Pourquoi Marie a-t-elle suivi Joseph à Nazareth, alors qu’elle n’était pas, théoriquement, soumise au recensement ? Certains disent que c’était pour ne pas être soupçonnée d’adultère, en l’absence de son mari. Cette explication est bien peu crédible. La venue de Marie à Bethléem, elle alerte voyageuse, se situe dans la continuité de sa visite à Elisabeth sa cousine, au début de sa gestation miraculeuse – et divine ! Marie a voulu suivre celui dont elle était désormais l’épouse fidèle et soumise. Elle savait qu’elle allait accoucher au cours du voyage. Quel héroïsme, donc, de sa part ! Elle était animée par la charité. Elle voulait d’autre part que son fils, sur le point de naître, fût également recensé à Bethléem la ville des davidiques, comme fils et héritier de David, et qu’il soit enregistré comme tel dans les archives publiques, aussi bien celles de Rome que celle de Jérusalem. Jésus, né en justes noces, bénéficiait de la légitimité la plus insoupçonnable. Il se trouvait l’héritier de David à un double titre. Légalement comme fils putatif de Joseph. Charnellement et réellement comme fils de Marie (de Marie accouchant à Bethléem !), elle-même authentique descendante de David, comme le montrera la généalogie consignée par Luc. Elle était descendante de David par Nathan, lignage privé, tandis que Joseph était descendant de David par Salomon, lignage royal. La venue de Marie à Bethléem fut donc concertée, non seulement par la Providence (bien sûr !), mais par Marie elle-même, très consciemment.

Marie nous dit par deux fois qu’elle conservait tous ses souvenirs dans son cœur, et qu’elle les méditait. C’est par le témoignage de Marie seule, dans Luc, que nous connaissons tous ces événements. Elle en a fait la confidence, et le récit, à l’apôtre Jean qui l’avait recueillie chez lui. Mais aussi probablement à l’évangéliste Luc lui-même, qui a pu l’interroger, certainement à Ephèse, où elle avait suivi l’apôtre. Point n’est besoin, pour cela, de faire appel à un quelconque document araméen qui aurait été conservé par l’Eglise-mère de Jérusalem. Ce document araméen, c’était Marie elle-même. Les souvenirs qu’on doit attribuer à la famille de Joseph, et conservés par les ‘frères de Jésus’, qui deviendront les dirigeants de l’Eglise hiérosolymitaine, sont consignés dans l’évangile de Matthieu (par les soins du diacre Philippe).

« Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth. » (Lc 2,4). Il habitait donc bien Nazareth, et non Bethléem, contrairement à ce que soutient la Bible de Jérusalem (1998). Et le voyage fut pour lui et son épouse un dépaysement, en même temps qu’un retour aux sources. Une sorte de pèlerinage imposé. Un devoir de citoyen aussi. Par eux, déjà, Jésus se soumettait aux autorités temporelles.

« Elle enfanta son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie. » (Lc 2,7). Marie et Joseph avaient prévu de longue date l’accouchement. Si Joseph eût habité à Bethléem, il serait bien extraordinaire qu’il n’eût pas trouvé une chambre dans sa propre maison, pour y faire accoucher son épouse ! Manifestement, Marie et Joseph sont arrivés dans un « patelin » où ils n’étaient pas attendus. Ils ont improvisé ingénument, comme des pauvres, mais débrouillards. Certainement l’hôtellerie de ce bourg modeste devait être exiguë. Aussi bien, en ces jours de recensement, devait-elle être complète. Et, de fait, le Roi du monde naîtra dans une étable. Quoi de plus romantique ? De quoi faire rêver toutes les générations des enfants des hommes, tant qu’il y aura des enfants. De plus, une étable, autre avantage, était un lieu plus discret qu’une éventuelle salle commune.

L’étable se trouvait provisoirement vide. Les bergers, avec leurs troupeaux, étaient aux champs, en cette belle soirée du 28 septembre de l’année – 2. Remarquons bien que si la naissance eût eu lieu un 25 décembre (le Noël catholique et latin) ou un 6 janvier (l’Epiphanie des orientaux) la présence des bergers aux champs serait infiniment moins justifiable. Les journées étaient froides, en hiver, et quelquefois neigeuses. La saison des pluies commençait en automne : cf. Jérémie 36, 22 ; Esdras 10, 9-13. Et l’on mettait les troupeaux à l’abri.

Tout à coup les bergers, gens simples et un peu rêveurs, sont éveillés par des lueurs insolites, des chants ineffables dans le ciel nocturne, qu’ils contemplent à longueur d’années. « Retournez vite à Bethléem. Il y a du nouveau dans vos étables. Quelque chose d’extraordinaire : non pas un agneau, nouveau-né et bêlant, mais tout simplement un petit enfant vagissant, surveillé par une gente dame ». Quoi de plus merveilleux pour eux ! Vite à l’étable ! Jamais la nature ne fut tant en fête. « Aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. » (Lc 2, 11). Dès le principe, pour ces gens incultes, la révélation est entière : Sauveur, Christ et Dieu. Ce que la majorité de l’humanité, 2.000 après, ignore encore (ou feint d’ignorer), ils le savent d’emblée. Et ils ne peuvent s’empêcher de le communiquer à tous.

La circoncision de l’enfant, à Bethléem, par l’officiant de service dans la synagogue, eut lieu huit jours après, le lundi 6 octobre – 2. Et la présentation, au Temple de Jérusalem, 40 jours après la naissance, le vendredi 7 novembre – 2. 

Remarquons, à cette occasion,  la naïveté sainte, et la foi extraordinaire du vieillard Syméon. Dans ce petit enfant très semblable aux autres, porté par un couple modeste et pauvre (ils n’ont qu’une paire de tourterelles à offrir), il reconnaît d’emblée le Messie.  C’est que les yeux des simples sont ouverts. Ils vont au-delà des apparences. Les humbles sont accordés aux humbles. Il est vrai que Joseph, Marie et l’enfant Jésus, aux yeux des cœurs, devaient présenter un spectacle bien extraordinaire. Ils devaient rayonner de jeunesse et de sainteté. Mais il fallait être un saint pour le percevoir. Il fallait avoir une âme désencombrée. Gloire, à jamais, au vieillard Syméon, et à la prophétesse Anne, d’avoir révélé aux hommes, après les anges, le Messie.  Ils avaient vécu toute une longue vie, rien que pour cet instant fugitif. Ils ont tenu Dieu dans leurs bras.

« Il doit être un signe en butte à la contradiction – et toi-même, une épée te transpercera l’âme ! » (Lc 2, 34-35). Le vieillard s’adresse directement à Marie. Preuve que c’est bien elle, et elle seule, qui rapporte ces propos. Prophétie directe, et presque abrupte, de la croix. Le signe en butte à la contradiction des hommes, c’est évidemment la croix. Une épée te transpercera l’âme, aux pieds de cette même croix, quand tu verras ton fils mourir.  Notons pourtant que c’est l’évangéliste Jean, et non pas Luc, qui montrera Marie aux pieds de la croix. Marie est accordée d’avance à la souffrance de la Passion. Comme son Fils, elle vivra toute sa vie dans cette perspective. Il est le Sauveur, nous a-t-on dit. Elle est la mère, très consciente, du Sauveur, et elle contribue au salut. Mais ce n’est pas sans qu’ils y mettent, tous deux, le prix !

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