Retour au plan : PLAN
Et voici comment Jésus Christ fut engendré. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph : or, avant qu’ils eussent mené vie commune, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint. Joseph, son époux, qui était un homme droit et ne voulait pas la dénoncer publiquement, résolut de la répudier sans bruit. Il avait formé ce dessein, quand l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils, auquel tu donneras le nom de Jésus : car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Or, tout ceci advint pour accomplir cet oracle prophétique du Seigneur : Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils, auquel on donnera le nom d’Emmanuel, nom qui se traduit : « Dieu avec nous ». Une fois réveillé, Joseph fit comme l’Ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse ; et, sans qu’il l’eût connue, elle enfanta un fils, auquel il donna le nom de Jésus. |
L’évangile de Matthieu est bâti symétriquement par rapport à celui de Luc. Comme il y eut, dans Luc, une annonciation à Marie, il y a ici une annonciation à Joseph. Matthieu grec, et c’est probablement le diacre Philippe qui parle, a recueilli les souvenirs de l’enfance du Christ, auprès des ‘frères du Seigneur’, les apôtres Jacques, Simon et Jude, qui gouvernaient pour l’heure l’Eglise de Jérusalem, dont Philippe, quoique résidant à Césarée maritime, était le diacre fidèle. Eusèbe de Césarée nous apprend que Jacques le mineur (ou le second), ‘frère du Seigneur’ et apôtre, fut le premier évêque de Jérusalem par délégation des autres apôtres. Simon, ou Siméon, son frère devait lui succéder. Jude ‘frère de Jacques’ est l’auteur de l’épître.
La généalogie de saint Joseph, citée dans l’épisode précédent, était aussi la leur. Car ils étaient fils de Clopas, et de Marie femme de Clopas, Clopas étant lui-même le frère de saint Joseph. Et les souvenirs de l’enfance du Christ, vus du point de vue de saint Joseph, étaient pour eux des traditions de famille, conservées pieusement. Ils étaient en réalité quatre frères : Jacques, Joset (ou Joseph), Simon et Jude. Mais l’un d’eux, Joset (ou Joseph), pour une raison qu’on ignore, n’est pas devenu apôtre.
Le texte dit que Marie était fiancée à Joseph. C’est bien la traduction habituelle qu’on donne des mots mnêsteutheisês, desponsata. Mais le sens serait plutôt : accordée en mariage. Les fiançailles dans le monde juif étaient un engagement si réel, qu’il ne pouvait être rompu que par la répudiation, et le ‘fiancé’ était déjà appelé mari, et la ‘fiancée’ femme, comme on le voit dans le texte. Si Joseph avait résolu de répudier Marie sans bruit, c’est qu’il était persuadé de son innocence. Seulement, il ne s’expliquait pas le mystère. Ce dut être pour lui une grande souffrance.
En réalité, le contrat de mariage était signé au moment des fiançailles. Le temps d’attente avant la cohabitation durait en général un an pour les jeunes filles nubiles, et trois mois pour les femmes qui avaient déjà été mariées. Pour les enfants accordés très jeunes, l’attente pouvait bien sûr être beaucoup plus longue.
« Voici que la vierge concevra et enfantera un fils, et on l’appellera du nom d’Emmanuel. » (Mt 1, 23). Première citation des prophètes, par Matthieu grec, pour montrer, ou démontrer, que le Christ Jésus réalisait l’attente de l’Ancienne Alliance. Elles seront nombreuses. L’évangile de Matthieu grec n’est qu’une immense dissertation, un discours, une plaidoirie, en sept parties bien agencées, pour prouver que Jésus est le Fils de Dieu. Elle s’adresse aux opposants de la synagogue, comme aux fidèles de l’Eglise, les uns pour les réfuter, les autres pour les convaincre et les enseigner. Sa préoccupation simplement historique, ou biographique, passe au second plan. C’est pourquoi il n’hésitera pas à remanier profondément l’ordonnance de Marc.
La citation, comme la plupart, est prise dans la Septante, version biblique utilisée par les chrétiens de la primitive Eglise. La traduction écrit : « parthénos », la vierge, alors que le texte original hébreu d’Isaïe portait simplement : « almah », la jeune femme. « Jamais, dit Petitfils (page 473), ce passage d’Isaïe n’avait été interprété comme signifiant une conception virginale. » Ce n’est pas sûr ! La traduction de la Septante, bien antérieure à l’ère chrétienne, montre bien que c’est ainsi, à Alexandrie, qu’on entendait le passage biblique. D’ailleurs l’hébreu, s’il était un peu ambigu, n’excluait pas cette signification.
Reportons-nous à l’original : Isaïe 7,14 : « C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici, la jeune fille est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. » Quel signe extraordinaire qu’une jeune mariée mette au monde un fils ? Rien de plus banal. C’est le sort commun des épousées. Par contre, c’en est un qu’une vierge enfante et qu’elle appelle son fils Dieu !
C’est ainsi que l’avait compris ce passage des Testaments des douze patriarches, que nous citions dans le commentaire précédent : « Je vis – c’est le patriarche Joseph qui parlait – que de Juda était née une vierge portant une robe de lin ; d’elle surgit un agneau sans tache, et à sa gauche se tenait comme un lion ; toutes les bêtes sauvages s’élancèrent contre lui, et l’agneau les vainquit, les détruisit et les foula aux pieds. Les anges, les hommes et toute la terre se réjouirent à cause de lui. Tous ces événements arriveront en leur temps, au dernier jour. » (Testament de Joseph XIX, 8-10). Telle était l’attente messianique, si précise, dans les derniers siècles.