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64. Explication de la parabole de l’ivraie. A la maison. Autres paraboles.

(Matthieu 13, 36-52).

Alors, laissant les foules, il vint à la maison ; et ses disciples s’approchant lui demandèrent : « Dis-nous en clair la parabole de l’ivraie dans le champ. » En réponse il leur dit : « Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme ; le champ, c’est le monde ; le bon grain, ce sont les sujets du Royaume ; l’ivraie, ce sont les sujets du Mauvais ; l’ennemi qui la sème, c’est le Diable ; la moisson, c’est la fin du monde ; et les moissonneurs, ce sont les anges. De même donc qu’on enlève l’ivraie et qu’on la consume au feu, de même en sera-t-il à la fin du monde : le Fils de l’homme enverra ses anges, qui ramasseront de son Royaume tous les scandales et tous les fauteurs d’iniquité, et les jetteront dans la fournaise ardente : là seront les pleurs et les grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père. Entende, qui a des oreilles ! 

« Le Royaume des Cieux est semblable à un trésor qui était caché dans un champ et qu’un homme vient à trouver : il le recache, s’en va ravi de joie vendre tout ce qu’il possède, et achète ce champ.

« Le Royaume des Cieux est encore semblable à un négociant en quête de perles fines : en a-t-il trouvé une de grand prix, il s’en va vendre tout ce qu’il possède et achète cette perle.

« Le Royaume des Cieux est encore semblable à un filet qu’on jette en mer et qui ramène toutes sortes de choses. Quand il est plein, les pécheurs le tirent sur le rivage, puis ils s’asseyent, recueillent dans des paniers ce qu’il y a de bon, et rejettent ce qui ne vaut rien. Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les anges se présenteront et sépareront les méchants des justes pour les jeter dans la fournaise ardente : là seront les pleurs et les grincements de dents.

« Avez-vous compris tout cela ? » -- « Oui », lui répondent-ils. Et il leur dit : « Ainsi donc tout scribe devenu disciple du Royaume des Cieux est semblable à un propriétaire qui tire de son trésor du neuf et du vieux. »

Episode 64. Commentaire.

Enfin l’explication de la parabole de l’ivraie ! Elle s’est fait attendre. Matthieu grec nous répète une fois de plus que Jésus laisse les foules, et qu’il s’en vient à la maison, la sienne, celle de Pierre et d’André, celle de la belle-mère de Pierre, hôtesse autrefois guérie, et sans doute veuve, qui prépare, après la journée bien remplie, un bon thé beurré pour tout le monde (ou si ce n’était pas du thé, l’équivalent qui existait en Palestine).

Les disciples restent intrigués par l’apologue du riche propriétaire qui ne récolte guère que de l’ivraie, alors qu’il a semé du bon grain. « Dis-nous en clair la parabole de l’ivraie dans le champ. » (Mt 13, 36).

L’explication, pour nous chrétiens, coule de source. Nous la connaissons par cœur. Mais comme elle est bien amenée ! Comme elle est vraie ! Chaque détail de la parabole, sans exception, et non seulement la pointe du récit, trouve son application exacte. Le semeur. Le champ. La semence. L’ivraie. L’ennemi. La moisson. Les moissonneurs. L’ivraie jetée au feu. On pourrait ajouter : le bon grain récolté, et le grenier. L’apologue se transforme en une apocalypse eschatologique, à dimension grandiose. Toute l’histoire du monde est résumée. L’enfer et le ciel. « Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le Royaume de leur Père. » (Mt 13, 43). Notons que Matthieu grec, pourtant seul ici, ne parle pas du Royaume des Cieux, mais bien du Royaume du Père, qui est Dieu.

Et Jésus de conclure par son apostrophe souvent reprise : « Entende, qui a des oreilles ! » (Mt 13, 43).

C’est que, sous la plume de Matthieu grec, la l’exhortation s’adresse visiblement au monde entier.

Mais, sous la plume – ou le stylet – de Matthieu grec, encore, ce n’est pas fini !

Pour compléter son septénaire, le diacre Philippe rajoute trois paraboles qui ne figurent pas dans Marc : celle du trésor enfoui dans un champ, celle de la perle de grand prix, et celle du filet qu’on tire sur la plage, empli de poissons divers, bons et mauvais.

Elles ne sont pas non plus citées dans la grande insertion de Luc. Peut-être le diacre Philippe les tient-il directement de la tradition orale. En tous les cas, elles sont typiques de son évangile, et inséparables de la mémoire qu’on en garde.

Matthieu grec reprend pour annoncer chacune d’elle son expression favorite : « Le Royaume des Cieux ».

« Le Royaume des Cieux est semblable à un trésor qui était caché dans un champ. » (Mt 13, 44). L’heureux inventeur le recache aussitôt. Il ne cherche pas à le dérober, car il est honnête. Comment se fait-il qu’il a prospecté dans ce champ ? Disposait-il d’un compteur Geiger ? Non, mais sans doute était-il le fermier de ce champ qui ne lui appartenait pas. Ou tout simplement un pauvre ouvrier agricole, qui a repéré par hasard la cachette. Il achète le champ pour ne pas avoir à partager le trésor avec le propriétaire légitime. Il y consacre toutes ses maigres économies, il fait des emprunts, car il sait qu’il va récupérer bien au-delà. De même le Royaume de Dieu est-il un investissement pour personnes réfléchies.

« Le Royaume des Cieux est encore semblable à un négociant en quête de perles fines. » (Mt 13, 45). Celui-là est littéralement tombé amoureux d’une perle à ses yeux sans prix. Il vend tous ses immeubles, tout son fonds de commerce, même sa femme et ses serviteurs. Il emprunte à très gros intérêts. On lui dit : « Tu es fou ! ». Il répond : « Oui, je suis fou ! »,  et il achète la perle. Il n’est pas de folie qu’on ne dût commettre quand on a seulement entrevu le Royaume de Dieu.

« Le Royaume des Cieux est encore semblable à un filet. » (Mt 13, 47). Enfin une parabole marine. On désespérait d’en entendre une dans ce milieu de pêcheurs. Et Jésus l’a prononcée dans le secret de la maison de Pierre, confidentiellement. Il est vrai qu’il s’adressait à des professionnels. N’est-ce pas votre expérience quotidienne la plus banale ? Vous tirez péniblement le filet sur la berge et vous vous asseyez sans penser à rien. C’est en même temps, pour vous, un instant de pause. Et hop ! Ce poisson retourne à la mer. Et hop ! Celui-là dans les paniers. Puis on revient à la maison, l’air las, pour casser la croûte. Qui vous aurait dit que vous veniez de mimer le jugement dernier ? 

Matthieu grec donne la parole à Jésus-Christ pour conclure tout son discours parabolique. Il introduit ainsi, sans y penser, comme l’esquisse d’une autre parabole. Du coup il trace de lui-même un début d’autoportrait psychologique. Il donne une signature discrète de son œuvre, ira jusqu’à dire la Bible de Jérusalem.

« Avez-vous compris tout cela ? – Oui, lui répondent-ils » (Mt 13, 51), sans que même les interlocuteurs de ce bref dialogue fussent nommés.

« Ainsi donc tout scribe devenu disciple du Royaume des Cieux est semblable à un propriétaire qui tire de son trésor du neuf et du vieux. » (Mt 13, 52). Quel neuf ? Et quel vieux ? Sans doute du vin nouveau comme du vin vieux. Du blé ancien, et bien sec, comme des récoltes récentes, encore humides et susceptibles de fermenter. Des fourrages de l’été dernier que les bêtes mangeront en hiver, comme l’herbe encore tendre de cet automne. Des viandes fraîches, ainsi que des viandes faisandées. Des fruits de saison comme des fruits de l’autre saison. Des habits neufs pour la fête, comme des vêtements rapiécés, mais propres, qu’on met pour le travail. Ces linges lustrés qu’on vient d’acheter sur le marché, ou ces draps inusables, bien rangés dans les armoires, et qu’on se transmet de génération en génération. 

Mais la Bible de Jérusalem affine encore le sens à donner à l’apologue. Le docteur juif, devenu disciple du Christ, possède et administre toute la richesse de l’Ancienne Alliance augmentée par les perfectionnements de la Nouvelle. Il cumule l’ancienne et de la nouvelle Loi. « Cet éloge du ‘scribe chrétien’ résume tout l’idéal de l’évangéliste Matthieu » écrit la Bible de Jérusalem (note ad locum). Mais de quel Matthieu s’agit-il ? va-t-on demander. Le grec ou l’hébraïsant ?

Ici, pour le coup, il semble bien qu’il s’agisse du rédacteur ultime de notre premier évangile, donc de Matthieu grec, donc, pour nous, du diacre Philippe. Il emploie son expression favorite, en nommant le ‘Royaume des Cieux’. Il récapitule l’ensemble de son propos qui est de prouver la divinité du Christ en montrant qu’il accomplit les prophéties faites sous l’Ancienne Alliance. Typiquement, il est un scribe, c’est-à-dire un lettré, mais qui serait devenu disciple de Jésus-Christ. Un évangéliste, quoi. Un rédacteur d’évangile. Un helléniste juif, devenu chrétien. Expert aussi bien en araméen, ou en hébreu, qu’en grec. Mémoire vivante de la première communauté chrétienne.

Le diacre Philippe fut en l’occurrence aidé par ses quatre filles qui étaient prophétesses, et certainement lettrées. (Cf. Ac 21, 9).

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