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Et il leur proposa donc une autre parabole : « A quoi allons-nous comparer le Royaume de Dieu, le Royaume des Cieux ? ou par quelle parabole allons-nous le figurer ? A quoi le Royaume de Dieu est-il semblable et à quoi puis-je le comparer ? Il est semblable à un grain de sénevé qu’un homme a pris et jeté dans son jardin, semé dans son champ. Lorsqu’on le sème sur le sol, c’est bien la plus petite de toutes les graines qui sont sur la terre ; mais une fois semé, quand il a poussé, il monte et devient la plus grande de toutes les plantes potagères et il pousse de grandes branches. Il devient même un arbre au point que les oiseaux du ciel peuvent s’abriter dans ses branches, sous son ombre. » |
Cette parabole est dans Matthieu, à la suite, dans Marc, à la suite, et insérée dans la séquence, de part et d’autre. Mais pas du tout dans Luc où elle se lit ailleurs, dans sa grande insertion : cf. Lc 13, 18-19.
Dans la synopse, nous avons mis cette péricope de Luc en parallèle de Marc et, par le fait, de Matthieu grec, en vertu du procédé drastique qui préside à la composition de cette synopse : accorder la priorité absolue à l’ordre de Marc quand Marc est présent.
Mais ici, pour le coup, le principe est peut-être trop rigide, sûrement même. Nous aurions dû plutôt laisser cette péricope de Luc à sa place, dans la grande insertion, c’est-à-dire en réalité dans la source Q. Elle aurait ainsi figuré deux fois dans la synopse, comme dans la synthèse qui en découle, une fois comme provenant de Marc, et l’autre fois comme provenant de la source Q. Et c’est bien ainsi qu’en réalité les choses se sont passées : la courte parabole du grain de sénevé (et il n’y a rien d’étonnant pour le cas présent) nous a été transmise à la fois par la source Marc et par la source Q, l’évangile supposé araméen de Matthieu : cela arrive exceptionnellement.
Matthieu grec, dans son discours parabolique (ici même), montre bien qu’il lisait la parabole aussi bien dans la source Q que dans Marc. La preuve, c’est qu’il la fait suivre immédiatement de la parabole du levain (Mt 13, 33) qui ne figure pas dans Marc, mais qui figure dans Luc (13, 20-21) précisément à la suite de la parabole du grain de sénevé. Celle du grain de sénevé a entraîné l’autre. Elles se suivent dans Matthieu grec comme elles se suivent dans Luc. Preuve qu’elles se suivaient déjà dans la source Q.
Devrions-nous réévaluer de fond en comble notre synopse chiffrée, rédigée il y a plus de vingt ans à l’heure où j’écris, puisque elle implique manifestement comme ici quelques erreurs probables ?
Nous ne le ferons en aucun cas. Nous n’y procéderons en aucune manière, car ce serait tomber dans l’arbitraire le plus incontrôlable. Les quelques erreurs (probables) qu’elle génère sont repérables comme le nez au milieu de la figure. Il suffit de les signaler. Il faut nous servir de cette synopse comme d’un instrument de travail, avec ses limites, compte tenu des principes a priori dont elle procède.
La graine de moutarde passe pour la plus minuscule des semences. Mais quand elle est semée, elle devient la plus grande des plantes potagères. Elle atteindrait facilement 1, 50 m au Moyen Orient. Il paraît que les chardonnerets sont friands de ses graines et viennent souvent folâtrer dans son feuillage. Remarquons bien que c’est Matthieu grec, imitant Luc dans sa grande insertion, c’est-à-dire la source Q, et non pas Marc, qui parle d’‘arbre’, ce qui semble, botaniquement parlant, exagéré. C’est donc bien dans la traduction en grec de la source Q, et non pas dans Marc, que ce serait produite cette faute de lecture de l’original hébreu qu’évoque l’abbé Carmignac, et qui expliquerait le vocable arbre (dendron) présent dans Matthieu grec (13, 32) et dans Luc (13, 19) mais absent de Marc.
Selon l’abbé Carmignac en effet, le verbe hébreu qui se traduit ‘produit des branches’ pourrait se transformer en ‘devient un arbre’, par une simple faute de lecture. Et cette erreur se serait répercutée dans Luc et dans Matthieu grec, mais non dans Marc qui est original. Cela laisserait supposer que l’évangile primitif de Matthieu (la source Q) eût été écrit en hébreu, et non pas en araméen comme nous l’avons admis jusqu’ici.
Dans Marc d’ailleurs, comme dans ce Matthieu hébreu, le Royaume de Dieu est comparé à l’humble graine de moutarde, ainsi qu’à l’humble plante potagère, mais si utile, et que même les oiseaux du ciel viennent peupler. Tout est humble dans le Royaume, dans son commencement comme dans son développement. Et c’est souvent cette apparence qu’il offre, même aujourd’hui.