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Il leur proposa une autre parabole : « Il en va du Royaume des Cieux comme d’un homme qui a semé du bon grain dans son champ. Or, pendant que les gens dormaient, son ennemi est venu, il a semé à son tour de l’ivraie, au beau milieu du blé, et il s’en est allé. Quand le blé est monté en herbe, puis en épis, alors l’ivraie est apparue aussi. Les serviteurs sont allés trouver le propriétaire pour lui dire : ‘Maître, n’est-ce pas du bon grain que tu as semé dans ton champ ? D’où vient donc qu’il s’y trouve de l’ivraie ?’ – ‘C’est quelque ennemi qui a fait cela’, leur répond-il. - ‘Veux-tu donc que nous allions la ramasser ?’ reprennent les serviteurs. -- ‘Non, dit-il, vous risqueriez, en ramassant l’ivraie, d’arracher en même temps le blé. Laissez l’un et l’autre croître ensemble jusqu’à la moisson, et au moment de la moisson je dirai aux moissonneurs : ‘Ramassez d’abord l’ivraie et liez-la en bottes que l’on fera brûler, et puis vous recueillerez le blé dans mon grenier. » |
Matthieu grec rajoute de son cru cette admirable parabole de l’ivraie, qu’il est le seul à rapporter. Selon lui, Jésus, revenu à la maison, sera même obligé d’en donner un très long commentaire, comme il l’avait déjà fait, d’ailleurs, pour la parabole du semeur. Heureux les prédicateurs futurs, qui n’auront pas à se torturer les méninges pour décrypter tous les symbolismes cachés. Le Maître l’a d’avance fait pour eux.
De qui le diacre Philippe tenait-il cet apologue qui paraît tout aussi authentique, tout aussi ‘christique’ que les autres ? Sans doute de l’apôtre Matthieu en personne, soit par écrit, en araméen, soit par oral. Car la source Q, écrite en araméen, n’a pas forcément était reprise en entier par Matthieu grec ou Luc. Ils en ont simplement retenu des morceaux, et encore sous des formes variées, chacun à leur convenance. Matthieu grec aurait donc retranscrit cet apologue, mais pas Luc.
Cependant, une abondante tradition orale, transmise directement de Matthieu l’apôtre, ou même d’autres apôtres, au diacre Philippe reste, en toute hypothèse, plus que probable. On sait pertinemment, par exemple, que le diacre Philippe, en Palestine, a fréquenté longtemps les apôtres Pierre et Jean, qui ont dû lui faire part de maints souvenirs, et qu’il a dû interroger souvent.
C’est l’aventure d’un riche propriétaire qui nous est contée ici. Il a emblavé ses champs avec soin. Mais par son arrogance, ou du fait de sa trop grande réussite, il s’est attiré des envieux, qui lui en veulent à mort. Et de nuit, après le diligent travail de ses ouvriers, on est venu semer de l’ivraie dans son champ, à pleines poignées. C’est un attentat. Le sabotage a été bien fait. On ne découvre le méfait qu’au printemps, au moment de la croissance de la récolte, quand elle est presque arrivée à maturité. Un gérant attentif n’a pas manqué de s’en apercevoir. Il vient aussitôt alerter le Maître. Trop tard pour arrêter les voyous. Ils ont déguerpi depuis belle lurette. Avertir la police ? Elle ne pourrait pas réparer le préjudice subi.
On imagine la conversation, le long du champ encore vert. « Tes champs sont propres, dit le régisseur, qui est lui-même au-dessus de tout soupçon. Tes semences sont soigneusement sélectionnées. Comment se fait-il qu’il y a de l’ivraie ? – C’est un ennemi qui a fait cela », répond tout songeur le propriétaire. Et en même temps, il cherche dans sa mémoire quel ennemi aurait bien pu perpétrer, ou encore commanditer, cet acte.
Les serviteurs, affichant la mine de circonstance, s’approchent du maître : « Voulez-vous que nous allions, tout de suite, arracher la mauvaise herbe ? »
Cela témoigne de leur part d’un immense dévouement, d’une compassion sans faille. Tout au moins en apparence. Mais cela ne résout pas le problème. Le remède serait pire que le mal.
« Laissez mûrir ensemble, conclut philosophe le propriétaire. Nous ferons le tri à la moisson. »
Il n’est pas évident, à première vue, que ce fait divers banal concerne le Royaume de Dieu. Et pourtant si !
Jésus lui-même en produira une explication exhaustive à l’adresse de ses disciples revenus à la maison : notre épisode 64.