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47. Les Béatitudes. Discours inaugural.

Matthieu 5, 2-24. 5, 27 – 6, 8. 6, 14-18. 7, 6. 7, 12. 7, 15-20. (7, 1-2). (10, 24-25). (7, 3-5). 7, 21-29.

Luc 6, 20-49.

Levant alors les yeux sur ses disciples et prenant la parole, il les enseignait en disant :

« Heureux les pauvres en esprit car le Royaume des Cieux est à eux.

Heureux les doux car ils recevront la terre en héritage.

Heureux les affligés, car ils seront consolés.

Heureux les affamés et assoiffés de justice, car ils seront rassasiés.

Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.

Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.

Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu.

Heureux les persécutés pour la justice car le Royaume des Cieux est à eux.

Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on vous calomnie de toutes manières à cause de moi. Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux : C’est bien ainsi qu’on a persécuté les prophètes vos devanciers.

Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous.

Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés.

Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez.

Heureux êtes-vous, si les hommes vous haïssent, s’ils vous frappent d’exclusion et s’ils insultent et proscrivent votre nom comme infâme à cause du Fils de l’homme. Réjouissez-vous ce jour-là et exultez car alors votre récompense sera grande dans le ciel. C’est bien de cette manière que leurs pères traitaient les prophètes.

Mais malheur à vous, les riches ! car vous avez votre consolation.

Malheur à vous, qui êtes repus maintenant ! car vous aurez faim.

Malheur à vous, qui riez maintenant ! car vous connaîtrez le deuil et les larmes.

Malheur à vous quand tout le monde dira du bien de vous ! C’est bien de cette manière que leurs pères traitaient les faux prophètes.

« Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi va-t-on le saler ? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds par les gens.

« Vous êtes la lumière du monde. Une ville ne se peut cacher qui est sise au sommet d’un mont. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. Ainsi votre lumière doit-elle briller aux yeux des hommes pour que, voyant vos bonnes œuvres, ils en rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux.

« N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi et les Prophètes : je ne suis pas venu abolir mais accomplir. Car je vous le dis en vérité : avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l’i ne passera de la Loi, que tout ne soit réalisé. Celui donc qui violera l’un de ces moindres préceptes, et enseignera aux autres à faire de même, sera tenu pour le moindre dans le Royaume des Cieux ; au contraire, celui qui les exécutera et les enseignera, celui-la sera tenu pour grand dans le Royaume des Cieux.

« Car je vous le dis : si votre justice ne surpasse celle des scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez certainement pas dans le Royaume des Cieux.

« Vous avez appris qu’il a été dit aux ancêtres : Tu ne tueras pas ; et si quelqu’un tue, il en répondra au tribunal. Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque se fâche contre son frère en répondra au tribunal ; mais s’il dit à son frère : ‘Crétin !’, il en répondra au Sanhédrin ; et s’il lui dit : ‘ Renégat !’, il en répondra dans la géhenne de feu. Quand donc tu présentes  ton offrande à l’autel, si là tu te souviens d’un grief que ton frère a contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis reviens, et alors présente ton offrande.

« Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère. Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l’adultère avec elle.

« Si ton œil droit est pour toi une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi : il t’est plus avantageux de perdre un seul de tes membres que de voir tout ton corps jeté dans la géhenne. Et si ta main droite est pour toi une occasion de péché, coupe-la et jette-la loin de toi ; il t’est plus avantageux de perdre un seul de tes membres que de voir tout ton corps s’en aller dans la géhenne.

« Il a été dit d’autre part : Celui qui répudie sa femme doit lui remettre un acte de divorce. Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque répudie sa femme, hormis le cas de fornication, la voue à devenir adultère ; et si quelqu’un épouse une répudiée, il commet un adultère.

« Vous avez encore appris qu’il a été dit aux ancêtres : Tu ne te parjureras pas, mais tu t’acquitteras envers le Seigneur de tes serments. Eh bien ! moi je vous dis de ne pas jurer du tout : ni par le ciel, car c’est le trône de Dieu ; ni par la terre, car c’est l’escabeau de ses pieds ; ni par Jérusalem, car c’est la Ville du grand Roi. Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux pas en rendre un seul cheveu blanc ou noir. Que votre langage soit : ‘Oui ? oui’, ‘Non ? non’ : ce qu’on dit de plus vient du Mauvais.

« Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Œil pour œil et dent pour dent’. Eh bien ! moi je vois dit de ne pas tenir tête au méchant : au contraire, quelqu’un te donne-t-il un soufflet sur la joue droite, tends-lui encore l’autre ; veut-il te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui même ton manteau ; te requiert-il pour une course d’un mille, fais-en deux avec lui. A qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos.

« Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis, priez pour vos persécuteurs ; ainsi serez-vous fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous réservez vos saluts à vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.

« Gardez-vous d’afficher votre justice devant les hommes, pour vous faire remarquer d’eux ; ce serait perdre toute récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux. Quand donc tu fais l’aumône, ne va pas le claironner devant toi ; ainsi font les hypocrites, dans les synagogues et dans les rues, afin d’être honorés des hommes ; en vérité je vous le dis, ils ont déjà leur récompense. Pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône soit secrète ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

« Et quand vous priez, n’imitez pas les hypocrites : ils aiment, pour faire leurs prières, à se camper dans les synagogues et les carrefours, afin qu’on les voie. En vérité je vous le dis, ils ont déjà leur récompense. Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là dans le secret ; et ton Père qui voit dans le secret, te le rendra.

« Dans vos prières, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’en parlant beaucoup ils se feront mieux écouter. N’allez pas faire comme eux ; car votre Père sait bien ce qu’il vous faut, avant que vous le lui demandiez.

« Oui, si vous pardonnez aux hommes leurs manquements, votre Père céleste vous pardonnera aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos manquements.

« Quand vous jeûnez, ne vous donnez pas un air sombre comme font les hypocrites : ils prennent une mine défaite, pour qu’on voie bien qu’ils jeûnent. En vérité je vous le dis, ils ont déjà leur récompense. Pour toi, quant tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là, dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

« Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré, ne jetez pas vos perles devant les porcs : ils pourraient bien les piétiner, puis se retourner contre vous pour vous déchirer.

« Ainsi, tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : voilà la Loi et les Prophètes.

« Méfiez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous déguisés en brebis, mais au dedans sont des loups rapaces. C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Cueille-t-on des raisins sur des épines ? ou des figues sur des chardons ? Ainsi, tout arbre bon donne de bons fruits, tandis que l’arbre mauvais donne de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais porter de bons fruits. Tout arbre qui ne donne pas un bon fruit, on le coupe et on le jette au feu. Ainsi donc, c’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez.

« Mais je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous maltraitent. A qui te frappe sur une joue présente encore l’autre ; à qui t’enlève ton manteau, ne refuse pas ta tunique. Donne à quiconque te demande, et à qui te prend ton bien, ne le réclame pas. Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le semblablement pour eux. Que si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on ? Car même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel gré vous en saura-t-on ? Même les pécheurs en font autant. Et si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on ? Même des pécheurs prêtent à des pécheurs pour en recevoir l’équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour. Votre récompense alors sera grande, et vous serez les fils du Très-haut, car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants.

« Montrez-vous miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés, car, du jugement dont vous jugez, on vous jugera ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés ; remettez, et il vous sera remis. Donnez, et l’on vous donnera ; car c’est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu’on versera dans les plis de votre vêtement ; car la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous en retour. »

Il leur dit encore une parabole : « Un aveugle peut-il guider un aveugle ? Ne tomberont-ils pas tous les deux dans un trou ?  

 « Le disciple n’est pas au-dessus du maître, ni le serviteur au-dessus de son patron. Il suffit que tout disciple accompli devienne comme son maître, et le serviteur comme son patron. Du moment qu’ils ont traité de Béelzéboul le maître de maison, que ne diront-ils pas de sa maisonnée !

« Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ! Comment peux-tu dire à ton frère : ‘Mon frère, attends, que j’enlève la paille qui est dans ton œil’, toi qui ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite, enlève d’abord la poutre de ton œil ; et alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.

« Il n’y a pas de bon arbre qui donne un mauvais fruit, ni inversement de mauvais arbre qui donne un bon fruit. Chaque arbre en effet se reconnaît à son propre fruit ; on ne cueille pas de figues sur des épines, on ne vendange pas non plus de raisin sur des ronces. L’homme bon, du bon trésor de son cœur, tire ce qui est bon, et celui qui est mauvais, de son mauvais fond, tire ce qui est mauvais ; car sa bouche parle du trop-plein de son cœur.

« Ce n’est pas en me disant : ‘Seigneur, Seigneur’, qu’on entrera dans le Royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux. Beaucoup me diront en ce jours-là : ‘Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton Nom que nous avons prophétisé ? en ton Nom que nous avons chassé les démons ? en ton Nom que nous avons fait bien des miracles ?’. Alors je leur dirai en face : Jamais je ne vous ai connus ; écartez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité.

« Pourquoi m’appelez-vous : ‘Seigneur, Seigneur’, et ne faites-vous pas ce que je dis ? Quiconque vient à moi, écoute ces paroles que je viens de dire et les met en pratique, je vais vous montrer à quoi il ressemble. Il ressemble à un homme avisé qui, bâtissant sa maison, a creusé, creusé profond et posé les fondations sur le roc. La crue survenant, le torrent s’est rué sur cette maison mais il n’a pas pu l’ébranler. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison et elle n’a pas croulé, c’est qu’elle était bien bâtie, elle avait été fondée sur le roc. Celui au contraire qui a écouté et n’a pas mis en pratique, en revanche quiconque entend ces paroles que je viens de dire et ne les met pas en pratique peut se comparer à un homme insensé qui aurait bâti sa maison sur le sable, à même le sol, sans fondations. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les flots se sont rués sur elle, les vents ont soufflé et sont venus battre cette maison et aussitôt elle s’est écroulée ; et le désastre survenu à cette maison a été grand ! Grande a été sa ruine ! »

Et il arriva, quand Jésus eut achevé ces discours, que les foules étaient vivement frappées de son enseignement : c’est qu’il les enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme leurs scribes. 

Episode 47. Commentaire.

Ici, ou même dès l’épisode précédent, le récit de Marc s’interrompt dans la synopse et dans la synthèse, jusqu’à l’épisode 54, pour laisser place aux ajouts parallèles de Matthieu grec et de Luc, qui ont puisé principalement dans la source Q, l évangile araméen de Matthieu, pour enrichir la narration de Marc.

Le sermon des Béatitudes, que nous avons dans nos deux synoptiques de Matthieu grec et Luc, fut-il composé par Jésus lui-même, ou bien par Matthieu ou par Luc ? A cette question un peu naïve il faut répondre que le Sermon sur la montagne tel que nous le lisons dans Matthieu grec fut évidemment composé par Matthieu grec, et celui que nous rapporte Luc est évidemment de la rédaction de Luc, puisque leur teneur, avec des éléments communs, est très dissemblable dans l’un et l’autre évangile. Cela frappe du premier coup d’œil. Mais ce qu’il faut dire, c’est que les deux évangélistes l’ont recomposé, chacun à sa manière, en utilisant des paroles authentiques de Jésus, qui leur étaient transmises par la tradition, et qu’il avait prononcées à cette occasion ou à une autre.

Le discours évangélique, dans le plan septénaire de Matthieu grec, constitue le premier de ses cinq discours, qui rythment toute la vie publique du Christ. Ce discours illustre la seconde partie de l’évangile, que l’on peut intituler : la promulgation du Royaume des cieux.

Comme toujours chez Matthieu grec, ce discours lui-même est admirablement charpenté. Il est construit lui aussi sur un plan septénaire.

On peut ainsi le subdiviser en 7 parties, nettement distinctes :

1.)    La Loi nouvelle promulguée. Mt 5, 1-16.

2.) La Loi ancienne maintenue. Mt 5, 17-19.

3.) La justice nouvelle supérieure à l’ancienne. Mt 5, 20-48.

4.) Les pratiques renouvelées du judaïsme : aumône, prière, jeûne. Mt 6, 1-18.

5.) Le détachement, exigé, des richesses. Mt 6, 19-34.

6.) Les relations avec le prochain dans la Loi nouvelle. Mt 7, 1-12.

7.) La nécessité de la mise en pratique. Mt 7, 13-27.

Mais ici, dans cette synopse et dans la synthèse qui la suit, nous ne lisons pas ce discours dans son intégralité, ni même dans son entière séquence textuelle. En effet, nous avons pris pour principe, dans la synopse, de suivre toujours, en l’absence de Marc, l’ordre de Luc et le parallélisme avec lui. Et ceci jusque dans le détail. Nous maintiendrons donc le discours inaugural tel qu’il est dans Luc, en l’entremêlant des passages parallèles de Matthieu grec. Quant aux passages de Matthieu grec, ou même de simples sentences, qui, dans ce discours, sont synoptiques avec d’autres endroits de Luc, surtout dans sa grande insertion dont nous avons parlée (cf. Lc 9, 51 – 18, 14), nous les transférons systématiquement à ces endroits-là, pour les mettre en parallèle avec Luc. Il en est ainsi, par exemple, de la promulgation du Pater (cf. Mt 6, 9-13), que nous enlevons du discours inaugural. 

Ce procédé peut sembler arbitraire surtout peut-être dans l’analyse du Sermon sur la montagne. Mais notre seule excuse, c’est que ce procédé était nécessaire. Nous étions obligés de prendre une option rigoureuse et de nous y tenir. Il le fallait pour la cohérence de la synopse comme de la synthèse.

En résumé, ce qu’on lit ici, dans la synthèse, c’est le Sermon tel qu’il est dans Luc, sauvegardé intégralement, mais entremêlé des passages parallèles de Matthieu. Toutefois, les passages de Matthieu grec qui ne trouvent pas de parallélisme ailleurs dans la synopse sont maintenus tels quels et dans leur ordre. Le résultat obtenu est un texte assez composite, mais qui ne sort pas de la vraisemblance. L’essentiel était de ne laisser perdre aucune des sentences évangéliques. C’était bien le souci premier, d’ailleurs, de Luc aussi bien que du diacre Philippe, en composant leurs évangiles respectifs.

Nous commençons donc par les Béatitudes telles qu’elles sont dans Matthieu grec, puis nous les faisons suivre des Béatitudes, accompagnées des malédictions, telles qu’elles figurent dans Luc. Nous ne les mélangeons pas. Le texte, comme on sait, est assez dissemblable. Nous préférons les juxtaposer.

Nous faisons suivre par les textes de Matthieu qui ne trouvent pas de parallèle ailleurs (Mt 5, 13-24 ; 5, 27 – 6, 8 ; 6, 14-18). Nous poursuivons par le texte de Luc, dans son intégralité et dans son ordre, mélangé avec quelques textes parallèles de Matthieu. La dernière partie, sur la nécessité de la mise en pratique, est synoptique dans Matthieu (7, 21-27) et dans Luc (6, 46-49). Enfin nous terminons par la formule finale empruntée à Matthieu grec (7, 28-29), formule stéréotypée que ce dernier emploie volontiers pour conclure les cinq grands discours de Jésus et qui rythme, par conséquent, tout son évangile (comparer avec Mt 11, 1 ; 13, 53 ; 19, 1 et 26, 1).

Toutes les sentences, toutes les paraboles, ou tous les apophtegmes, qui composent ce discours, sont réputés authentiques, quel que soit le canal par lequel ils nous sont parvenus. On remarque d’ailleurs que dans leur majorité ils ne se superposent pas. Il nous paraît assez vain d’essayer de déterminer sous quelle forme exacte ils furent réellement prononcés par Jésus ce jour-là, ni même s’ils le furent ce dit jour, ou bien à une autre occasion.

Matthieu grec comme Luc les ont rapportés avec leur génie propre, avec le souci évident de ne rien laisser perdre de la tradition issue du Christ, et dont ils étaient des témoins, sinon directs, du moins très rapprochés et bien informés. Chacun d’eux avait pu interroger les apôtres, et ils disposaient en commun d’une documentation proprement apostolique (Marc faisant ici défaut) à savoir les logia du Seigneur, transmises personnellement à eux par saint Matthieu, soit par écrit soit encore de vive voix. Beaucoup de ces traditions, en effet, semblent avoir été transmises oralement, car bien que semblables pour le fonds, elles ne revêtent pas forcément la même tournure littéraire. Elles ont été prêchées bien des fois, avant d’être couchées finalement sur le papyrus.

Les Béatitudes, par exemple, ont-elles été données sous la forme de huit macarismes (le neuvième, Mt 5, 11-12, pouvant être considérée comme un commentaire du huitième), d’aspect assez spirituel (bienheureux les pauvres par l’esprit…) tels que nous les présentent Matthieu grec, ou bien de quatre macarismes seulement, plus triviaux, ou  plus sociologiques, (heureux les pauvres…), suivis de quatre malédictions antinomiques, tels que nous les proposent saint Luc ? On remarque que les deux formules sont également rythmées du point de vue littéraire : deux groupes de quatre. Les aphorismes de Matthieu grec, dit-on, seraient plus proches des précédents littéraires que l’on pourrait trouver dans les textes esséniens de Qumran. Mais l’on ne sache pas que le diacre Philippe (Matthieu grec) ou encore Jésus-Christ lui-même eussent eu des contacts quelconques avec les esséniens. Ils puisaient tous, il est vrai, dans un fonds culturel commun.

Nous faisons, toute fausse modestie mise à part, comme Matthieu grec et Luc : nous laissons les textes subsister dans leur intégralité. Pour l’ordre seulement dans lequel ils se présentent, et en cas de parallélisme précis, nous avons donné la priorité à Luc.

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