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40. Repas chez Matthieu-Lévi.

(Matthieu 9, 10-13). Marc 2, 15-17. Luc 5, 29-32.

Puis Lévi lui offrit un grand festin. Alors qu’il était à table dans sa maison, une foule nombreuse de publicains, de pécheurs et autres gens vinrent se mettre à table avec Jésus et ses disciples ; car il y en avait beaucoup qui le suivaient. Les scribes du parti des Pharisiens, les Pharisiens et leurs scribes, le voyant manger avec les pécheurs et les publicains, murmuraient et disaient à ses disciples : « Pourquoi votre maître mange-t-il, pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs ? » Mais Jésus, qui avait entendu, prit la parole et leur répliqua : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Allez donc apprendre le sens de cette parole : C’est la miséricorde que je désire, et non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs au repentir. »

Episode 40. Commentaire.

Le Matthieu-Lévi en question, avant de suivre Jésus, offre un repas somptueux à ses congénères publicains, auquel il invite Jésus. Un bon moyen de commencer l’évangélisation de ses compatriotes de la Trachonitide, sujets du tétrarque Philippe.

Qui étaient donc ces publicains ?

Il faut bien voir que le terme ‘publicain’ est un mot latin qui n’existe pas en grec. L’original de l’évangile parle de ‘télônês’, qui signifie proprement receveur d’impôts, et qu’on traduit aussi bien par ‘douanier’, par ‘publicain’, et par ‘receveur des impôts’, selon le contexte. C’étaient donc, en réalité, des fonctionnaires qui s’acquittaient le plus légalement du monde de leurs tâches administratives, au bénéfice de la société, comme de l’Etat. Mais pourquoi donc les fonctionnaires d’argent étaient-ils si mal vus dans la société juive, traités comme des pécheurs publics, mal considérés surtout de la part des religieux qui, eux, se regardaient comme des purs ? On le constatera surtout dans l’exemple de Zachée qui lui, circonstance aggravante, se trouvait être un chef de publicains, percepteur en chef.

C’est parce dans la société antique, et jusque tard dans la civilisation, même encore sous l’ancien régime, les impôts étaient affermés. Le collecteur payait d’avance une redevance à l’Etat, qui y trouvait tout bénéfice, quitte à lui de se dédommager par tous les moyens, honnêtes ou pas, sur le bon peuple abandonné à ses extorsions, sur le territoire dont il avait la charge. C’est pourquoi les collecteurs, et même les simples employés qui se trouvaient directement en contact avec les populations, étaient si mal vus, et même exécrés. On les assimilait volontiers à des voleurs, et on les chargeait de tous les péchés du monde. Autrement dit, on était en quelque sorte damné par état. Ou, si le mot n’existait pas, maudit par fonction.

C’est cette charge de malédiction que le Christ est venu supprimer. D’un mot, il renverse la situation. « Suis-moi ! » (Mt 9, 9), dit-il au douanier Matthieu-Lévi, avec un geste impératif de la main. « Descends vite, car il me faut aujourd’hui demeurer chez toi » (Lc 19, 5) criera-t-il au chef de collecteurs, Zachée, juché tout en haut de son sycomore.

 Pour eux, c’était une véritable charte de libération. On ne s’étonne pas de leur réponse empressée.

Tout à sa joie, le publicain Matthieu-Lévi a décidé de faire les choses en grand. Pour fêter ses adieux auprès de ses collègues, il organise sur les fonds publics (après tout n’en avait-il pas le fermage ?) un immense banquet dont Jésus (chef émérite des voleurs ?) assume la présidence. En réalité, on ne volera pas l’argent : c’est déjà fait. Il ne s’agit que d’en faire un bon usage.

Lui-même ne risque rien auprès de l’administration supérieure, puisqu’il s’est déjà acquitté, et largement, de la somme convenue. De plus, il est démissionnaire. Il abandonne dès aujourd’hui ses fonctions. Il laisse absolument tout.

C’était véritablement un festin somptueux. Pourquoi se priver ? On devait même faire table ouverte, un peu comme à la noce de Cana. « Puis Lévi, raconte Luc, lui offrit un grand festin dans sa maison, et il y avait à table avec eux une foule nombreuse de publicains et autres gens. » (Lc 5, 29). La maison était supposée vaste. Peut-être mangeait-on sous les tonnelles, au bord de la rue. Les passants étaient sensés spectateurs. Ils pouvaient même interpeller les convives. Jésus trônait, avec Lévi Matthieu à sa droite. Les disciples, pas encore douze mais l’équipe se renforçait, étaient aux premières loges. Mais ils n’hésitaient pas à se lever pour faire l’honneur du repas, entre les services. Ou même à discuter dans la rue. Il n’y avait pas d’orchestre, mais peut-être bien quelques joueurs de flûtes. L’ambiance était festive. Comme une noce ; décidemment l’idée revient.

Voilà-t-il pas que les Pharisiens docteurs de la Loi sont là ! Ils suivent de près le nouveau prophète. Ils n’osent pas apostropher directement  le Christ, ni même Matthieu-Lévi. Mais ils ne se gênent pas auprès des apôtres, qu’ils ont repérés depuis longtemps. « Comment ? Votre Maître ? Un si saint personnage ? Un parangon de vertu ? S’attabler aussi bruyamment avec une telle tourbe de pécheurs ? C’est bien le comble ! Serait-il tombé si bas, qu’il dût s’acoquiner avec la lie du peuple ?  Sans doute veut-il se faire élire par les masses populaires ? Est-ce un bon calcul ? Etc.… Etc.… » J’omets sûrement plusieurs de leurs réflexions désobligeantes. Mais je n’étais pas là pour les enregistrer.  

Jésus, dont l’œil est très vif, et l’oreille exercée, n’a rien manqué de leurs manœuvres, ni de leurs propos. Il se lève comme pour un toast, et n’hésite pas à prendre la parole à haute voix, réclamant un moment de silence : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin du médecin, mais les malades. » (Lc 5, 31). Bien parlé, interrompt-on, il a raison. Bravo ! « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs au repentir ! » (Lc 5, 32). Vous vous croyiez déjà au paradis, dit-on, en se tournant un instant vers les Pharisiens aux longues robes. Mais aujourd’hui, c’est nous qui y sommes !

Saint Matthieu fait citer à Jésus le prophète Osée : « C’est la miséricorde que je désire, et non le sacrifice. » (Mt 9, 13 ; cf. Os 6, 6). La miséricorde, voilà bien le maître mot de Dieu, et de son Christ. Jésus est venu ratisser large.

Déjà Vatican II se profilait à l’horizon, au grand dépit des traditionalistes !

(Et c’est un traditionaliste qui écrit ces lignes). 

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