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38. Guérison d’un paralytique. A Capharnaüm.

(Matthieu 9, 2-8). Marc 2, 1-12. Luc 5, 17-26.

Or, comme après quelque temps il était entré à Capharnaüm, un jour qu’il était en train d’enseigner, on apprit qu’il était à la maison. Et il s’y rassembla tant de monde qu’il n’y avait plus de place même devant la porte et il leur annonçait la Parole.

Il y avait dans l’assistance des Pharisiens et des docteurs de la Loi venus de tous les bourgs de Galilée, de Judée et de Jérusalem ; et la puissance du Seigneur lui faisait opérer des guérisons.

Or voici qu’on lui apportait un paralytique étendu sur un lit. On vient lui amener un paralytique porté par quatre hommes. Surviennent des gens portant sur un lit un homme qui était paralysé et ils cherchaient à le faire entrer pour le placer devant lui.

Et comme ils ne pouvaient pas le lui présenter en raison de la foule, ils ne savaient par où l’introduire, ils le montèrent sur la terrasse, ils défirent le toit au-dessus de l’endroit où il se trouvait et, ayant creusé un trou à travers les tuiles, ils firent descendre le grabat où gisait le paralytique. Ils le descendirent avec sa civière au milieu de l’assistance devant Jésus.

Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : « Confiance, mon enfant, mon ami, tes péchés te sont remis. »

Or, il y avait là, dans l’assistance, quelques scribes qui pensaient en eux-mêmes, quelques scribes se dirent par devers eux, les scribes et les Pharisiens se mirent à penser : « Comment celui-là peut-il parler ainsi ? Il blasphème ! Qui est-il celui-là qui profère des blasphèmes ? Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul ? »

Aussitôt Jésus, se rendant compte intérieurement qu’ils pensaient ainsi en eux-mêmes, connaissant leurs sentiments, prit la parole et leur dit : « Pourquoi de telles pensées ? Pourquoi ces mauvais sentiments dans vos cœurs ? Quel est donc le plus facile de dire au paralytique : Tes péchés te sont remis, ou de lui dire : Lève-toi, prends ton grabat et marche ? Eh bien ! pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, je te l’ordonne, dit-il alors au paralytique, lève-toi, prends ton lit, ton grabat, ta civière, et va-t-en chez toi, retourne chez toi. » Et à l’instant même, il se leva sous leurs yeux et aussitôt, prenant son grabat, ce sur quoi il gisait, il sortit devant tout le monde et s’en alla chez lui en glorifiant Dieu, de sorte que tous étaient hors d’eux-mêmes. A cette vue, les foules, tous, furent alors saisis de crainte, de stupeur et ils glorifiaient Dieu. Ils furent remplis de crainte et ils disaient : « Nous avons vu d’étranges choses aujourd’hui. Jamais nous n’avons rien vu de pareil. » Et ils rendirent gloire à Dieu d’avoir donné un tel pouvoir aux hommes.  

Episode 38. Commentaire.

Dès après la guérison du lépreux, on revoit Jésus à Capharnaüm, qui reste le centre de son activité missionnaire.

Si Matthieu grec a rejeté plus loin, comme on l’a dit, la guérison d’un lépreux (épisode précédent : 37) et la guérison d’un paralytique (épisode présent : 38), c’est pour une raison simple : il voulait regrouper ces deux miracles dans la série de dix miracles qui illustrent la troisième partie de son plan septénaire : consacrée à la prédication du Royaume des Cieux.

Série des dix miracles. Voir Mt 8 et 9. Juste avant le discours apostolique : Mt 10.

Matthieu grec a laissé à la suite de cette guérison d’un paralytique (notre épisode présent : 38), l’appel de Matthieu-Lévi à Bethsaïde (épisode 39), le repas chez Matthieu-Lévi (épisode 40) et les discussions sur le jeûne (épisode 41).

Si bien que la péricope toute entière : Mt 9, 2-17, bien que déplacée, peut se lire en continu dans sa narration, aussi bien que chez Marc et que chez Luc. Autrement dit Matthieu grec respecte la séquence de Marc même quand il déplace ses épisodes. On touche là du doigt sa méthode de composition, et combien est précieuse la Théorie des deux sources, qui nous en éclaire.

Mais nous, dans la synopse comme dans la synthèse, nous respectons l’ordre primitif de Marc.

Cette nouvelle journée de Capharnaüm sera, elle aussi, mémorable.

Marc nous précise bien : « Comme après quelque temps il était rentré à Capharnaüm, on apprit qu’il était à la maison.» (Mc 2, 1). Jésus rentre au logis, après une tournée en Galilée de durée incertaine, et l’évangéliste laisse entendre qu’il n’en rapporte pas toutes les péripéties. Il y a des lacunes dans nos évangiles canoniques. Seul l’essentiel sera dit.

Luc est encore moins précis. Il parle d’ « jour qu’il était en train d’enseigner. » (Lc 5, 17). Et Matthieu, qui a déplacé l’épisode, dit : « S’étant embarqué, il passa l’eau et vint dans sa ville. » (Mt 9, 1). Effectivement, dans son récit, on croit que Jésus débarque de la côte est du lac. Mais « sa ville », c’est bien Capharnaüm.

Matthieu et Marc notent la présence de quelques scribes. Mais Luc insiste : « Il y avait dans l’assistance des Pharisiens et des docteurs de la Loi venus de tous les bourgs de Galilée, de Judée, et de Jérusalem. » (Lc 5, 17).  La notoriété de Jésus était si grande que non seulement les foules, mais aussi les autorités religieuses, se préoccupaient de lui. On arrivait par délégations entières. Et le point de rassemblement de ces notables, je n’ose pas dire encore enquêteurs, c’était bel et bien le bourg de Capharnaüm. C’était là qu’on avait le plus de chances de le trouver. Effectivement, l’affluence est énorme, à Capharnaüm, quand il y revient. La « maison » est prise d’assaut. Le peuple est aux portes. Quant aux Docteurs, poliment, on les a invités à entrer. Ils sont au premier rang dans l’assistance. A la fois très obséquieux, comme on l’est envers des hôtes, qui vous offrent un rafraîchissement. Mais en même temps, attentifs, et sur leur garde.

Calmement, quelques que soient les auditeurs, Jésus continue d’annoncer la « Parole » (Mc 2, 2). Il reste, lui aussi, très poli, très mesuré, élevant sans doute le débat, en présence de ces lettrés, des spécialistes de la religion.

Mais voilà que le peuple, dehors, est beaucoup moins poli, moins patient. On manifeste. Comme d’habitude, quand le Maître est là, des brancardiers arrivent, fendant d’autorité l’assistance. Laissez passer le malade ! On s’exécute, tout en rechignant un peu. La porte d’entrée est bloquée. Qu’à cela ne tienne ! On passe par derrière la maison. On emprunte l’escalier extérieur qui donne sur la terrasse : juste au-dessus de Jésus.

Et là, comble de l’audace, les intrépides brancardiers défont le toit de branchages et entreprennent de descendre le paralysé, toujours allongé, grâce à des cordes. Comme on descend un cercueil dans une tombe ! Tant pis pour les gravats. Les Docteurs de la Loi sont obligés d’épousseter leurs belles robes. Pierre doit rouspéter de voir abîmer sa belle maison. Mais impossible de faire respecter le moindre ordre. La cohue est trop pressante.

Les porteurs ont fait descendre la civière, dit Luc. Marc, lui, parle de grabat. Ils ont défait les tuiles, dit Luc, qui s’adresse à un public d’occidentaux. Marc, plus oriental, témoin à travers le souvenir de Pierre, parle de trou dans le toit, à travers le clayonnage. Quoi qu’il en soit, les témoins durent être stupéfaits.

Jésus, lui, se contente de sourire ! Décidemment, pensent les Docteurs, ce jeune prophète manque de maîtrise sur ses ‘fans’, je veux dire ses fidèles, et ses enthousiastes. Pourvu qu’on ne soit pas écrasé dans la mêlée !

Mais le dialogue de Jésus avec le paralytique est bref : « Mon enfant, tes péchés sont remis. » (Mc 2, 5).

Jésus ne voit pas d’abord le paralysé, qui l’implore des yeux. Il voit le pénitent, et le pécheur. Il a pénétré sa conscience. Sa foi, et la foi de ses porteurs, le touchent. Il guérit son âme bien avant de guérir son corps. Il n’a pas besoin d’aveux, pour la confession, car les cœurs lui sont ouverts. Mais cette absolution, inouïe dans le judaïsme, ne plaît guère aux Docteurs de la Loi. Elle les surprend. Elle les choque. Toute leur casuistique leur remonte en tête. Toute la doctrine qu’ils enseignent à longueur de vie : « Qui, je vous le demande, peut bien remettre les péchés, sinon Dieu seul ? Béni soit-il ! »

Ils n’osent pas s’exprimer tout haut. Ils ne sont pas chez eux. Ils sont des invités. Mais leurs visages plissés n’en trahissent pas moins leurs sentiments. Mauvaise note pour le Maître, pensent-ils. Doctrine hautement suspecte. Est-ce seulement compatible avec la Torah ? Cela ne frise-t-il pas le blasphème proprement dit ?

Mais Jésus lit à livre ouvert  dans leurs raisonnements, comme dans leurs cœurs. Ils le sentent bien. Son visage est devenu grave. La tension, soudain, est forte. Deux théologies sont en présence. L’ancienne et la nouvelle.

Jésus leur déclare comme un défi, comme une charade élémentaire à résoudre, telle qu’on en pose couramment dans les écoles rabbiniques : « Quel est le facile, de dire au  paralytique : Tes péchés te sont remis, ou de lui dire : Lève-toi, prends ton grabat, et marche ? ». (Mc 2, 9).

Les Docteurs restent muets, car ils connaissent la réputation de thaumaturge de Jésus-Christ. On peut bien dire : Jésus-Christ, à cet instant.

Et Jésus de conclure la confrontation, tacite d’un côté, par ce qui  est pour lui une évidence : « Eh bien ! pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la terre, je te l’ordonne, dit-il au paralytique, lève-toi, prends ton grabat et va-t-en chez toi. » (Mc 2, 10-11).

Et l’autre de s’exécuter !

Le délire de la foule explose. Le paralysé à la mine triomphante sort sous les ovations, brandissant à bouts de bras son brancard, comme un trophée. Tous louent Dieu à haute voix. « Jamais, concluent-ils, nous n’avons rien vu de pareil ! » (Mc 2, 12). 

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