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Or Jésus était dans une ville, quand survint un homme tout couvert de lèpre. A la vue de Jésus, il le supplie et, tombant à genoux, vint se prosterner devant lui la face contre terre et lui fit cette prière : « Seigneur, si tu le veux, tu peux me guérir. » Emu de compassion, Jésus étendit la main, le toucha en disant : « Je le veux, sois guéri. » Et aussitôt sa lèpre le quitta et il fut guéri. Mais il lui enjoignit de n’en parler à personne. Le rudoyant, Jésus le chassa aussitôt en lui disant : « Garde-toi de rien dire à personne ; mais va-t-en au contraire te montrer au prêtre et présente pour ta guérison l’offrande telle que Moïse l’a prescrite, pour leur servir d’attestation. » Mais lui, une fois parti, se mit à proclamer hautement et à divulguer la nouvelle, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais il se tenait en dehors, dans des lieux déserts ; et l’on venait à lui de toutes parts. Sa réputation se répandait de plus en plus, et des foules nombreuses accouraient pour l’entendre et se faire guérir de leurs maladies. Mais lui se retirait dans les solitudes, et priait. |
Nous nous laissons guider par la synopse, qui place ici la guérison d’un lépreux anonyme. Manifestement, Jésus et son équipe ont quitté Capharnaüm. Ils sont quelque part en Galilée, dans une ville inconnue. Mais ils y reviendront dès l’épisode suivant !
Matthieu grec a très profondément relégué ce miracle dans l’avenir, si l’on peut dire, puisqu’il le situe – vérifiez – juste après le discours sur la montagne, en descendant de la montagne (verset Mt 8, 1), alors que dans cette synopse, qui suit Marc, conforté par Luc, nous en sommes encore loin : ce sera notre épisode 48.
On ne peut pas prétendre que c’est un accident, ou un double miracle, rapporté l’un par Marc et Luc, et l’autre qui le serait par Matthieu grec. Il s’agit bel et bien d’un artifice littéraire. La preuve, c’est que dès l’épisode suivant (38) jusqu’à, et y compris, l’épisode 41 (péricope : Mt 9, 2-17), Matthieu grec rejettera tout le paquet encore plus loin, après la tempête apaisée et après l’histoire des démoniaques Gadaréniens. Vérifiez une fois de plus ! Nous serons alors dans l’épisode 67 : loin dans l’avenir. On doit ici le répéter : la préoccupation chronologique n’est pas le souci primordial de Matthieu grec (notre diacre Philippe). Il est tout à sa démonstration apologétique, et polémique, de la divinité de Jésus et de l’avènement de son Royaume céleste sur la terre. Il est tout à son discours ‘ecclésiastique’, si l’on peut dire. On a appelé le 1er évangile, l’évangile ecclésiastique. De fait il fut, dans l’Eglise ancienne, de loin le plus populaire.
Un homme tout couvert de lèpre s’approche de Jésus. La lèpre, quelle plaie ! Quelle honte ! Même un Raoul Follereau, en notre temps, n’a pas réussi à l’éradiquer complètement.
D’après les recommandations du Lévitique (13, 45-46), les lépreux vivaient en marge de la société, dans des endroits écartés. Ils se regroupaient pour survivre comme on verra faire aux dix lépreux que Jésus rencontrera un jour aux confins de la Samarie et de la Galilée (cf. Lc 17, 11-19), donc dans un lieu en principe désert. Ils se déplaçaient par troupes pour mendier, les vêtements en lambeaux, les cheveux hirsutes et ils criaient : « Impurs ! Impurs ! », en se couvrant la bouche pour ne pas postillonner. Sans doute, devait-on leur jeter de loin leur pitance, ou quelques pièces de menue monnaie, ou un croûton de pain.
Un lépreux, qui a entendu parler de Jésus, qui connaît sa réputation de thaumaturge – qui ne l’aurait sue ! – fend la foule au mépris, ou dans l’oubli, du Lévitique et se jette à ses pieds, prosterné, en pleurant à haute voix : « Si tu veux, tu peux ! Sauve-moi ! » Les spectateurs ont dû avoir un mouvement de recul, presque d’effroi, tant l’élan fut imprévu. « Je le veux ! Sois guéri ! » et, geste inouï de miséricorde, qui a dû faire frémir d’horreur les plus rapprochés, il le toucha. A l’instant, il fut guéri.
C’était le baiser au lépreux, que renouvellera saint François d’Assise et, dans une mise en scène théâtrale, le général Bonaparte, à Jaffa.
Chose extrêmement curieuse, Jésus le rudoie. C’est que l’autre devait avoir une propension au geste théâtral (comme Bonaparte, plus tard !) Il devait crier : « Je suis guéri ! Je suis guéri ! » Jésus l’invite au silence. Lui commande le silence, et d’obéir d’abord à la Torah qui prescrit d’aller se montrer au prêtre.
Les prescriptions du Lévitique valent pour les malades, mais aussi pour les guéris (cf. Lv 14). Certes, Jésus n’a pas besoin de l’attestation d’un prêtre de l’Ancienne Loi ; il est déjà dans la Nouvelle. Mais elle reste en vigueur, provisoirement, pour les non baptisés, les circoncis. « Pour leur servir d’attestation » (identique dans Mt 8, 4 ; Mc 1, 44 ; et Lc 5, 14), ajoute-t-il. Les prêtres, aussi, ont besoin d’être évangélisés. S’ils sont de bonne foi, ils ne pourront douter du miracle.
Daniel-Rops nous apprend qu’en Galilée il fallait se rendre à Kadès, la ville des prêtres. Je ne situe pas cette ville sur une carte. Et Google ne connaît guère que la Cadès du désert.
Mais l’ex-lépreux n’en fait qu’à sa tête. Il continue à bondir de joie. Que voulez-vous ? Il est fou de joie !
Les évangélistes (Marc et Luc) nous avertissent avec insistance que Jésus lui-même, dès ce moment-là, se retirait de préférence dans les solitudes, et qu’il y priait. Les foules accouraient vers lui, de plus en plus nombreuses, et de toutes parts.