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Il descendit alors à Capharnaüm, ville de Galilée, et il enseignait le jour du sabbat, et, quittant Nazareth, vint s’établir à Capharnaüm, au bord de la mer, sur les confins de Zabulon et de Nephtali. Ainsi devait s’accomplir l’oracle du prophète Isaïe : Terre de Zabulon, Terre de Nephtali, route de la mer, pays de la Transjordane, Galilée des nations ! Le peuple qui se trouvait dans les ténèbres a vu une grande lumière ; sur ceux qui habitaient les obscurs parages de la mort, une lumière s’est levée. A partir de ce moment Jésus se mit à prêcher et à dire : « Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche. » Et l’on était vivement frappé de son enseignement, car il parlait avec autorité. |
Matthieu grec, le diacre Philippe veux-je dire, a consulté la carte des douze tribus d’Israël, telles qu’elles furent réparties sous Josué, avant de rédiger son évangile. (Faites vous-mêmes cette expérience, je vous le conseille. Vous trouvez cette carte à la fin de la Bible de Jérusalem, par exemple). En effet, le pays, où va principalement s’exercer l’action de Jésus, pendant presque deux ans, correspond assez exactement au territoire primitif des deux tribus : Zabulon et Nephtali. Nephtali s’étendait des bords du lac, à l’ouest, en remontant au nord jusqu’au Liban. Tandis que Zabulon couvrait à peu près la région de Nazareth et de Cana, de Naïm et du mont Thabor.
Cette région avait connu un sort tragique, en 732, du temps de Téglath-Phalasar, roi d’Assyrie, qui avait déporté tous les habitants. Ce fut la première déportation israélite, qui précéda de peu la fin du royaume de Samarie, en 722. D’où la complainte du prophète Isaïe, citée par Matthieu grec (4, 15-16), mais qui annonçait cependant un avenir radieux, succédant aux ténèbres.
Le pays avait été repeuplé par des tribus mêlées, et païennes, d’où l’existence pendant longtemps d’un syncrétisme religieux dans ces contrées. Mais plus tard, les princes de la dynastie hasmonéenne, Jean Hyrcan et ses successeurs, pratiquèrent une politique de judaïsation intensive, avec apport de nouveaux colons israélites, obligation pour les résidents d’accepter la circoncision, ou de quitter le pays.
On peut dire qu’à l’époque du Christ la Galilée, district des nations selon l’étymologie de son nom, était globalement fidèle au Temple de Jérusalem et à la Torah, contrairement à la Samarie voisine, considérée alors comme hérétique et même hostile. Chaque année, au moins pour la Pâque, on montait par groupes à Jérusalem, et des synagogues étaient installées dans les plus petites bourgades, où l’on pratiquait un culte hebdomadaire.
C’est donc ce pays, les confins de Zabulon et de Nephtali, que le Christ a décidé d’évangéliser, de lui apporter la Bonne Nouvelle du salut.
Dans l’épisode en cours, on voit Matthieu grec et Luc commenter séparément le retour en Galilée de Jésus, signalé par Marc aux versets 1, 14-15 (notre épisode 28). On discerne cependant, entre Matthieu grec et Luc, un contact littéraire indépendant de Marc : ils affirment tous deux que Jésus vient de Nazara (même orthographe en Mt 4, 13 et en Lc 4, 16) pour s’installer à Capharnaüm. Ce n’est pas dans Marc, certes, mais cela y est fortement suggéré, car nous voyons, chez lui, Jésus enseigner à Capharnaüm quelques versets plus bas.
Néanmoins, la même utilisation du mot Nazara, et la mention explicite de Capharnaüm, laissent entendre une concertation préalable pour commenter Marc, en cet endroit, chez Matthieu grec et Luc. Nous en constaterons d’autres. Il ne fait pas de doute cependant, et la suite le confirmera, qu’ils suivent tous deux la séquence de Marc.
« Il descendit à Capharnaüm, ville de Galilée » dit très justement Luc (4, 31), après le récit de la première visite à Nazareth. L’expression est pittoresque. En effet Capharnaüm, au bord du lac, était déjà située 208 m au dessous du niveau des mers. La dénivellation, par rapport à Nazareth, représentait quelque 550 m.
Ces environs du lac sont aujourd’hui déserts, et désolés. Alors qu’autrefois ils étaient particulièrement denses. Mais il ne fait aucun doute que la cité évangélique de Capharnaüm doive être identifiée avec les ruines de Telhum, à 4 km seulement de l’embouchure du Jourdain. Mgr Clemens Kopp montre bien l’évolution onomastique ininterrompue, entre Kaphar Nahum, du Midrash, puis Nahum, puis Tanhum, puis Telhum. Et, confirmant cette identification, Petitfils nous décrit l’état des nombreuses fouilles archéologiques dont ce site a fait l’objet.
Il est émouvant de penser qu’on a retrouvé la maison de saint Pierre, où Jésus fixa son quartier général en Galilée. C’était une bâtisse rudimentaire en basalte, comme d’ailleurs les maisons environnantes. Une première salle de prière y fut édifiée au IIIe siècle, puis au Ve siècle une basilique orthogonale. La moniale Ethérie visita les lieux en 383. Elle écrivait dans son journal : « La maison du Prince des Apôtres a été transformée en église, dont les murs sont demeurés tels qu’ils étaient autrefois. C’est là que le Seigneur a guéri le paralytique. » (Cf. Clemens Kopp, I.E. page 321).
La riche synagogue, en pierres calcaires, dont on voit les ruines, ne remonte guère qu’au IIe ou IIIe siècle de notre ère. Mais sous ces ruines, nous dit Petitfils, les fondations d’une synagogue plus modeste, en basalte, antérieure à l’an 70, ont été repérées. Ce serait celle du chapitre 6 de saint Jean.
« A partir de ce moment Jésus se mit à prêcher et à dire : ‘Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche’. » (Mt 4, 17). Matthieu grec reprend ici l’expression qu’il a d’abord mise dans la bouche de Jean. (cf. Mt 3, 2). Marc, lui, parlait de Royaume de Dieu (cf. Mc 1, 15).
La notion de ‘Royaume des Cieux’ tiendra une grande place dans notre premier évangile, celui de Matthieu grec. Il est tout entier bâti pour illustrer la venue de ce Royaume. Son plan septénaire, comme l’explique la Bible de Jérusalem, au moins dans son édition originale de 1956, s’organise autour de cette annonce :
I. La naissance et l’enfance du Christ, qui sont les préludes du Royaume : 1 et 2.
II. La promulgation de la charte du Royaume des Cieux, avec le discours évangélique sur la montagne : 3, 1 à 7, 27.
III. La prédication du Royaume des Cieux. Miracles et discours apostolique : 7, 28 à 10, 42.
IV. Le mystère du Royaume des Cieux, expliqué dans le discours parabolique : 11, 1 à 13, 52.
V. L’Eglise, prémices de ce Royaume, avec le discours ecclésiastique : 13, 53 à 18, 35.
VI. L’avènement prochain du Royaume, avec le discours eschatologique : 19, 1 à 25, 46.
VII. La Passion et la Résurrection du Christ, qui marquent la réalisation de ce Royaume, dans la souffrance comme dans la gloire : 26 à 28.
Le plan détaillé du 1er évangile montrerait bien plus encore la prégnance du chiffre 7, et la symbolique qui s’y rattache.