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27. Deuxième fête à Jérusalem. Deuxième Pâque ? Guérison d’un infirme à la piscine de Bézatha.

Jean 5, 1-47.

Après cela, il y eut une fête des Juifs et Jésus monta à Jérusalem. Or il existe à Jérusalem, à la piscine des Brebis, le bâtiment qu’on appelle en hébreu Bézatha. Il a cinq portiques. Sous ces portiques gisaient une foule d’infirmes, aveugles, boiteux, impotents, qui attendaient le bouillonnement de l’eau. Car l’ange du Seigneur descendait par intervalles dans la piscine ; l’eau s’agitait et le premier qui y entrait, après que l’eau avait bouillonné, se trouvait guéri, quelque fût son mal. Il y avait là un homme qui depuis trente-huit ans était infirme. Jésus, le voyant étendu et sachant qu’il était dans cet état depuis longtemps déjà, lui dit : « Veux-tu guérir ? » -- « Seigneur, lui répondit l’infirme, je n’ai personne pour me plonger dans la piscine, quand l’eau se met à bouillonner ; et, le temps que j’y aille, un autre descend avant moi. » Jésus lui dit : « Lève-toi, prends ton grabat et marche. » A l’instant l’homme fut guéri ; il prit son grabat ; il marchait.

Or c’était un jour de sabbat. Les Juifs dirent à celui qui venait d’être guéri : « C’est le sabbat. Il ne t’est pas permis de porter ton grabat. » Il leur répondit : « Celui qui m’a guéri m’a dit : Prends ton grabat et marche. » Ils lui demandèrent : « Quel est l’homme qui t’a dit : Prends ton grabat et marche ? » Mais l’infirme l’ignorait, car Jésus avait disparu dans la foule qui se pressait en cet endroit. Plus tard, Jésus le rencontre dans le Temple et lui dit : « Te voilà guéri ; ne pèche plus désormais : il t’arriverait pis encore. » L’homme s’en alla dire aux Juifs que c’était Jésus qui l’avait guéri. C’est pourquoi les Juifs harcelaient Jésus, parce qu’il faisait cela le jour du sabbat. Mais il leur répliqua : « Mon Père travaille toujours et moi aussi je travaille. » Mais c’était pour les Juifs une raison de plus de vouloir le tuer, puisque, non content de violer le sabbat, il appelait encore Dieu son propre Père, se faisant ainsi l’égal de Dieu.

Jésus reprit donc la parole et leur dit :

« En vérité, en vérité, je vous le dis,

le Fils ne peut faire de lui-même

rien qu’il ne voie faire au Père :

ce que fait celui-ci,

le Fils le fait pareillement.

Car le Père aime le Fils

et lui montre tout ce qu’il fait.

Il lui montrera des œuvres plus grandes encore que celles-ci :

vous en serez stupéfaits.

Comme le Père en effet ressuscite les morts

et les rend à la vie,

ainsi le Fils donne vie à qui il veut.

Car le Père ne juge personne :

tout le jugement, il l’a remis au Fils,

afin que tous honorent le Fils

comme ils honorent le Père.

Qui n’honore pas le Fils

n’honore pas le Père qui l’a envoyé.

En vérité, en vérité, je vous le dis,

celui qui écoute ma parole

et croit à celui qui m’a envoyé

a la vie éternelle

et n’est pas soumis au jugement,

mais il est passé de la mort à la vie.

En vérité, en vérité, je vous le dis,

l’heure vient -- et nous y sommes --

où les morts entendront la voix du Fils de Dieu

et ceux qui l’auront entendu vivront.

Comme le Père en effet dispose de la vie,

ainsi a-t-il donné au Fils d’en disposer lui aussi

et l’a constitué souverain juge

parce qu’il est Fils de l’homme.

N’en soyez pas surpris :

l’heure vient

où tous ceux qui gisent dans la tombe

en sortiront à l’appel de sa voix ;

ceux qui auront fait le bien

ressusciteront pour la vie,

ceux qui auront fait le mal,

pour la damnation.

Je ne puis rien faire de moi-même.

Je juge selon ce que j’entends ;

et mon jugement est juste,

car ce n’est pas ma volonté que je cherche,

mais la volonté de celui qui m’a envoyé.

« Si je me rends témoignage à moi-même,

mon témoignage ne vaut rien.

Un autre me rend témoignage,

et il vaut, je le sais,

le témoignage qu’il me rend.

Vous avez envoyé trouver Jean

et il a rendu témoignage à la vérité.

Non que je relève du témoignage d’un homme ;

si je dis cela, c’est pour votre salut.

Jean était la lampe qui brûle et qui luit,

et vous avez voulu jouir un instant de sa lumière.

Mais pour moi, j’ai plus haut que le témoignage de Jean :

les œuvres que le Père m’a donné d’accomplir ;

ces œuvres mêmes que je fais

me rendent ce témoignage que le Père m’a envoyé.

Et le Père qui m’envoyé,

lui, me rend témoignage.

Vous n’avez jamais entendu sa voix,

vous n’avez jamais vu sa face,

et sa parole n’habite pas en vous,

puisque vous ne croyez pas

à celui qu’il a envoyé.

« Vous scrutez les Ecritures,

dans lesquelles vous pensez avoir la vie éternelle ;

or ce sont elles qui me rendent témoignage ;

et vous ne voulez pas venir à moi

pour avoir la vie !

La gloire, je ne la tiens pas des hommes.

D’ailleurs je vous connais :

l’amour de Dieu n’est pas en vous.

Je suis venu au nom de mon Père

et vous ne me recevez pas ;

qu’un autre vienne en son nom,

celui-là vous le recevrez.

Comment pourriez-vous croire,

vous qui tirez les uns des autres votre gloire,

et de la gloire qui vient du seul Dieu

n’avez nul souci.

Ne pensez pas que c’est moi qui vous accuserez auprès du Père.

Votre accusateur sera Moïse,

en qui vous mettez votre espoir.

Car si vous croyiez Moïse,

vous me croiriez aussi ;

car c’est de moi qu’il a écrit.

Mais si vous ne croyez pas ses écrits,

Comment croirez-vous mes paroles ? »

Episode 27. Commentaire.

« Après cela – poursuit saint Jean, tout de suite après le deuxième miracle de Cana – il y eut une fête des juifs. » (Jn 5, 1).

Quelle fête ? Nous l’avons déjà signalé (voir commentaire de l’épisode 15), la nature de cette fête est l’une des plus grandes incertitudes de la chronologie relative, aussi bien qu’absolue, de la vie publique de Jésus. Cette question a fait couler beaucoup d’encre. Nous-même, nous ne prétendons pas parvenir à une certitude totale, mais seulement à une vraisemblance. 

Voyons d’abord ce que dit l’apparat critique de ce verset (Jn 5, 1), dans les éditions savantes. Car les manuscrits souvent divergent. Les différentes leçons proposées peuvent nous éclairer.

La leçon ‘une fête des juifs’, sans l’article en grec, est soutenue par les papyrus P 66 (début IIe siècle) et P 75 (IIIe siècle), l’Alexandrinus, le Vaticanus, le Codex Bezae, etc.… Mais la leçon ‘la fête des juifs’, avec l’article, est défendue aussi par d’excellents manuscrits : le Sinaïticus, le Codex Ephrem, etc.… On ne saurait trancher. Le latin n’a pas d’article et la traduction de la Vulgate ne peut nous aider. 

Les avis des commentateurs sont partagés. Gérard Gertoux, chronologiste patenté (mais non infaillible : il est parfois trop systématique) tient pour la fête de Nikanor ou des Purim, qui se célébrait les 13, 14 et 15 du dernier mois de l’année, ou Adar, correspondant à peu près à nos mois de février/mars, donc autour du 1er mars de l’an 31. Mais Arthur Loth objecte avec raison, contre une telle hypothèse, que ce n’était pas l’une des fêtes d’obligation des juifs. Jésus n’aurait-il pas scandalisé le peuple en se rendant à une fête mineure, et non pas à l’importante et obligatoire fête de Pâque qui suivait de peu ? L’argument porte.

Daniel-Rops refuse de s’immiscer dans la discussion. De toute façon, il tient pour un ministère simplement biennal de Jésus, dans les années 28 à 30. En quelque sorte il n’a pas besoin de cette fête, comme d’une fête de Pâque intermédiaire.

Arthur Loth, quant à lui, tient fermement pour un ministère triennal de Jésus, encadré par quatre fêtes de Pâque, de l’an 30 à l’an 33. Ce qui semble en effet le plus obvie, le baptême de Jésus ne pouvant être fixé qu’en 29, d’après Luc, et sa mort/résurrection en 33 de notre ère, d’après l’astronomie. La fête des juifs, du chapitre 5 de saint Jean, serait donc bien la Pâque de l’an 31. D’ailleurs, au chapitre précédent, quand saint Jean parle de la fête sans autre précision : « … ils avaient vu tout ce qu’il avait fait à Jérusalem lors de la fête ; car eux aussi étaient allés à la fête » (Jn 4, 45), c’est bien de la fête de Pâque qu’il s’agit, la Pâque précédente.

Saint Irénée dans l’Adversus Haereses (II, 22, 3) compte sans ambiguïté cette fête des juifs (de Jn 5, 1) au nombre des Pâques du ministère public de Jésus. Et il réfute par le fait les gnostiques de son temps qui tenaient pour un ministère à la portion congrue, réduit à quelques semaines. Ces gnostiques, par parenthèse, ont trouvé nombre d’imitateurs parmi les exégètes de notre temps, spécialement en Allemagne. C’est ce qu’Arthur Loth fait remarquer avec quelque ironie…

Pour ma part, dans la synopse, comme dans la synthèse qui s’y conforme, je suis obligé de maintenir cette fête anonyme tout de suite après le second miracle de Cana (selon saint Jean, épisode 26) et tout de suite avant le retour de Jésus en Galilée après l’arrestation de Jean (selon les synoptiques, cf. épisode 28), pour maintenir la cohérence du récit. J’explique ainsi que Jésus soit monté en Galilée, à travers la Samarie, avant l’arrestation de Jean, et que, par contre, après la Pâque de l’an 31, cette fête des juifs, il partit s’installer à Capharnaüm, chez son disciple Pierre donc et ses amis du lac, après la mention explicite de l’arrestation de Jean par les synoptiques : Matthieu (4, 12) et Marc (1, 14). Luc quant à lui avait marqué par avance cette arrestation dès avant le baptême de Jésus : cf. Lc 3, 19-20.

Ce qui corrobore notre intuition, c’est que, au cours de cette fête de Pâque de l’an 31, Jésus, dans saint Jean, parle nettement de l’apostolat de Jean-Baptiste au passé. Dans l’entrefaite, ce dernier venait donc d’être arrêté. « Jean était la lampe qui brûle et qui luit, et vous avez voulu jouir une heure de sa lumière. Mais pour moi, j’ai plus grand que le témoignage de Jean. » (Jn 5, 35-36). En même temps qu’il rend hommage à son précurseur, Jésus affirme nettement qu’il n’a plus besoin de son témoignage, et qu’il peut voler de ses propres ailes. Ses miracles éclatants – ses œuvres – suffisent largement à l’accréditer aux yeux du peuple, de la part du Père.

Aucun des évangélistes ne raconte l’arrestation du Baptiste à sa vraie place. Luc, nous l’avons vu, le fait par anticipation. Marc (6, 17-29), imité par Matthieu grec (14, 3-12), le fait a posteriori, à l’occasion de l’exécution de Jean par Hérode. L’historien Josèphe lui-même ne la mentionne que plus tard, à propos d’une guerre victorieuse soutenue par le roi Arétas IV contre Hérode Antipas, dans laquelle le bon peuple de Palestine vit une vengeance divine contre le méchant tétrarque, assassin de Jean.

Nous-même, dans cette synthèse, nous la laissons aux endroits indiqués par les synoptiques : épisode 15, d’après Luc, avant l’échéance, et épisode 75, d’après Matthieu et Marc, au moment de la décollation du Baptiste.

Le chapitre 5 de saint Jean (dans la numérotation actuelle qui n’est pas primitive) tient une grande place dans ce IVe évangile. Il n’est rien moins, à lui seul, que la troisième partie de son plan septénaire, le troisième, donc, des sept tonnerres dont nous parle le livre de l’Apocalypse (10, 1-7) dans sa prophétie, ou plutôt son anticipation du IVe évangile : lequel n’est autre que ce fameux petit livre ouvert (révélé), mais non encore écrit, dont il est question dans les lignes suivantes (cf. Ap 10, 8-11).

Contrairement à l’habitude de Jean, dans cette fête anonyme, aucun jour n’est distingué. Tout semble se passer, en effet, dans la même journée. Le thème de cette troisième partie d’évangile, n’est autre que le travail de Dieu, qui est imité par Jésus-Christ, même un jour de sabbat. Cet enseignement tend à montrer que Jésus-Christ n’est pas, certes, l’ennemi du sabbat, mais bien le maître du sabbat. Le miracle, car à chaque partie, comme à chaque thème principal, doit correspondre un miracle (c’est ainsi qu’est universellement construit le IVe évangile) est ici, celui de l’infirme de la piscine de Bézatha, ou Bethzata, ou encore piscine probatique (ou piscine des brebis). Il est guéri par Jésus-Christ le jour du sabbat et Jésus-Christ lui ordonne, le jour du sabbat, de porter lui-même son grabat.

Tout le monde se trouvera en infraction à l’égard de la loi juive : l’infirme, Jésus-Christ lui-même, et Dieu le Père dans les cieux. C’est là le paradoxe.

Intenter un procès à Dieu, c’est quand même un comble pour des esprits religieux ! C’est pourtant ce que font ces maîtres du Temple, qui se prenaient pour les détenteurs de la vérité (cf. Jn 5, 10).

Dieu mon Père travaille toujours, même le jour du sabbat, leur réplique Jésus. Car, en effet, s’il ne travaillait plus, le monde cesserait d’exister. Les bêtes et les gens ne respireraient plus. Et vous-mêmes ne pourriez plus vivre.

Les auditeurs n’ont rien à répliquer sur ce point. C’est trop obvie. Mais aussi parler de Dieu comme de son propre Père, quelle prétention ! N’est-ce pas à la limite un blasphème ? Car Jésus comme toujours a déplacé le débat. Si je nomme Dieu mon Père, et s’il m’exauce de façon éclatante, comme aujourd’hui, n’est-ce pas la preuve que j’ai raison ? Et que je ne blasphème pas ? Dieu ne saurait exaucer un blasphémateur. Vos insinuations sont malveillantes.

Vous scrutez les Saintes Ecritures, poursuit Jésus. Vous passez votre temps à interroger Moïse et vous trouvez chez lui des motifs d’accusation contre moi. En effet, c’est Moïse qui sur le mont Sinaï vous a donné la loi du repos hebdomadaire. Mais ce repos hebdomadaire n’a jamais été un prétexte pour ne rien faire ! C’était plutôt, pour vous, un moyen de vous libérer de vos occupations serviles, et terre à terre, afin de mieux travailler au règne de Dieu. Serait-on dispensé des bonnes œuvres, et de la glorification de Dieu, le jour du sabbat ? Allons donc. C’est ce jour-là plus que jamais qu’il faut travailler pour Dieu. N’est-ce pas d’ailleurs ce que font les prêtres dans le Temple tous les sabbats ?

Les chefs juifs, alors, abandonnent leur procès. Mais ce n’était que partie remise ! Et Jésus de développer longuement son discours, plutôt à l’intention de la postérité, nous-mêmes, qu’à l’attention de ses auditeurs immédiats, apparemment butés, et fermés pour l’heure à la vérité. Heureusement que Jean l’évangéliste était là, avec son excellente mémoire, pour consigner cet enseignement primordial.

En supposant (avec Arthur Loth et saint Irénée, je le rappelle) que cette fête anonyme de saint Jean fut bien la Pâque de l’an 31, essayons de calculer sa date, astronomiquement parlant, et selon le calendrier juif.

Nous procèderons comme pour la Pâque de l’an 30 (épisode 22).

L’équinoxe de printemps, en 31, tomba le 23 mars, à 4 h 25, en temps universel (http://www.imcce.fr/fr/grandpublic/temps/saisons.php). Nous rajoutons 2 h 20 pour tenir compte de la longitude de Jérusalem. Ce qui nous donne le 23 mars 31 à 6 h 45.

La néoménie (nouvelle lune) se produisit le 11 mars 31 à 22 h 03 (http://www.imcce.fr/fr/grandpublic/phenomenes/phases_lune/index.php),  soit à Jérusalem le 12 mars 31 à 0 h 23 

Le premier croissant de la lune fut visible le lendemain, le 13 mars 31. Ce fut le 1er Nisan des juifs. La Pâque (le 14 Nisan) survint donc le 26 mars 31, après l’équinoxe de printemps. C’était un lundi.

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