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Enfin il se manifesta aux Onze eux-mêmes pendant qu’ils étaient à table. Le soir de ce même jour, le premier de la semaine, toutes portes étant closes par crainte des Juifs là où se trouvaient les disciples, ils parlaient encore quand Jésus vint et se tint en personne au milieu d’eux ; et il leur dit : « Paix soit à vous ! » Saisis de stupeur et d’effroi, ils s’imaginaient voir un esprit. Mais il leur dit : « Pourquoi tout ce trouble, et pourquoi des doutes s’élèvent-ils en vos cœurs ? Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi et rendez-vous compte qu’un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai. » Et il leur reprocha leur incrédulité et leur obstination à ne pas ajouter foi à ceux qui l’avaient vu ressuscité. Ce disant, il leur montra ses mains, ses pieds et son côté. Les disciples furent remplis de joie à la vue du Seigneur et, comme dans leur joie ils se refusaient à croire et demeuraient ébahis, il leur dit : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? » Ils lui présentèrent un morceau de poisson grillé. Il le prit et le mangea sous leurs yeux. Et il leur dit encore une fois : « Paix soit à vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Allez par le monde entier, proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création. Celui qui croira et qui sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera condamné. Et voici les miracles qui accompagneront ceux qui auront cru : par mon Nom ils chasseront les démons, ils parleront en langues, ils prendront des serpents dans leurs mains, et s’ils boivent quelque poison mortel, ils n’en éprouveront aucun mal ; ils imposeront les mains aux malades et ceux-ci seront guéris. » Cela dit, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. » Thomas, l’un des Douze, appelé Didyme, n’était pas avec eux, quand vint Jésus. Les disciples lui dirent : « Nous avons vu le Seigneur ! » Il leur répondit : « Si je ne vois à ses mains la marque des clous, si je ne mets le doigt dans la marque des clous et si je ne mets la main dans son côté, non, je ne croirai pas. » |
Evénement capital, et central pour notre foi, puisque c’est la première rencontre du Christ ressuscité avec le groupe apostolique, le jour même de la Résurrection, saint Jean le souligne : « Le soir de ce même jour, le premier de la semaine » (Jn 20, 19), dimanche 5 avril de l’an 33, 16 de Nisan pour les juifs de Jérusalem. Le groupe apostolique allait être envoyé dans le monde entier avec la mission de prêcher la foi en la Résurrection du Christ. Mais encore fallait-il qu’il en fût lui-même le témoin ! Ce jour verra en outre l’institution du sacrement proprement divin de l’absolution des péchés pour les fidèles déjà baptisés.
Matthieu grec est absent de cet épisode. En effet, il passe directement aux apparitions en Galilée, après avoir raconté la supercherie des chefs juifs (notre épisode 233). Il reste dans la logique du message de l’ange : « Il est ressuscité d’entre les morts, et le voilà qui vous précède en Galilée » (Mt 28, 7) et du message de Jésus lui-même aux saintes femmes : « Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent partir pour la Galilée, et là ils me verront. » (Mt 28, 10).
De même Marc annonçait les apparitions du Christ en Galilée, puisqu’il faisait dire à l’ange : « Allez dire à ses disciples, et notamment à Pierre, qu’il vous précède en Galilée : là vous le verrez, comme il vous l’a dit. » (Mc 16, 7). Mais à partir du verset 16, 9 son évangile s’interrompt. Et il n’est pas question, dans la finale ajoutée à Marc, d’apparition en Galilée.
Mais les apparitions de Jésus à Jérusalem, le jour même de la Résurrection ne sont pas une invention de Luc, puisqu’elles sont confirmées de la façon la plus formelle par l’évangéliste Jean. Il placera même une deuxième apparition (notre épisode suivant) à Jérusalem huit jours plus tard au groupe des apôtres, Thomas compris, puisque ce dernier avait manqué, on ne sait pourquoi, l’apparition du dimanche de Pâques.
Quant au continuateur de Marc, il est ambigu. Mais il semble qu’il suive plutôt l’évangile de Luc puisque, comme lui, il ne parle pas de la Galilée. L’apparition qu’il décrit est bien celle survenue à Jérusalem, le premier jour, bien qu’il rapporte des paroles qui sont assez parallèles avec ce que dira Jésus en Galilée, d’après Matthieu grec. Mais Jésus a pu effectivement prononcer des paroles semblables, aussi bien à Jérusalem, dès le premier soir, qu’en Galilée. C’est l’hypothèse que nous adoptons dans la synthèse, et à ce compte les textes des trois hagiographes : Luc, Jean et le continuateur de Marc donc, se fondent harmonieusement pour l’épisode présent. La symphonie des évangiles continue à se faire entendre, et le continuateur de Marc y joue sa partition avec bonheur, apportant au passage des informations originales.
« Enfin il se manifesta aux Onze eux-mêmes pendant qu’ils étaient à table » nous dit le continuateur de Marc (16, 14a). Il a mentionné les autres événements de la première journée : l’apparition à Marie de Magdala ; sa démarche auprès des apôtres ; l’apparition aux pèlerins d’Emmaüs « sous d’autres traits » (Mc 16, 12) ; il en vient enfin à l’apparition aux Onze, pendant qu’ils étaient à table.
Ces derniers ont dû prolonger leur repas tard dans la nuit, car les pèlerins d’Emmaüs n’arriveront guère, après leur course folle, que vers 10 heures ou peut-être onze heures du soir. Jean (20, 19) et Luc (24, 36) nous confirment que, le soir de ce même jour, Jésus vint en personne et se tint au milieu d’eux. Il leur dit : « Paix soit à vous ! » selon Jean (Id.) ; « Paix à vous ! » selon Luc (Id.).
Luc seul (24, 37-39) nous rapporte que, saisis de stupeur et d’effroi, ils croyaient voir un esprit. Mais il leur dit : « C’est bien moi ! » (Lc 24, 39) Et il leur montre ses mains et ses pieds, transpercés depuis la Passion. Il se fait toucher.
Selon le continuateur de Marc (16, 14b), il leur reproche alors leur incrédulité.
Selon Luc (24, 40) et Jean (20, 20a), il leur montre de nouveau « ses mains et ses pieds », d’après Luc, « ses mains et son côté » d’après Jean. Et encore d’après Luc (24, 41-43) et Jean (20, 20b), les disciples sont remplis de joie. Dans leur joie, nous dit Luc, ils se refusaient à croire, si bien que Jésus, pour les convaincre, leur demande : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? » (Lc 24, 41). Il ne réclame pas une place à table, ce qui indique bien que les disciples avaient fini de manger depuis longtemps et qu’ils s’étaient attardés à table, tout à leurs conversations. Jésus s’enquiert seulement s’ils n’avaient pas quelque chose en réserve, un reste du repas. Ils lui présentent alors un morceau de poisson grillé. Même s’il est froid, il est encore bon. Le barbecue ne date que de quelques heures. Jésus mange devant eux, sans doute debout, avec appétit. Il montre bien par là que, même dans l’au-delà, on apprécie les nourritures terrestres.
Selon Jean, il leur dit encore une fois : « Paix soit à vous ! » (Jn 20, 21). Puis il les envoie en mission : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » (Id.). Mais le continuateur de Marc développe beaucoup cet envoi : « Allez par le monde entier, proclamez la Bonne Nouvelle à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui ne croira pas sera condamné. » (Mc 16, 15-16). Jésus décrit longuement (cf. Mc 16, 17-18) les miracles qu’accompliront ceux qui croient en son nom.
Ici, Jean (20, 22-25) reprend seul la parole pour d’importants compléments. Jésus souffle sur ses apôtres, et leur communique par le fait son Esprit. Non seulement son esprit naturel, créé, mais plus encore son Esprit surnaturel, incréé, l’Esprit Saint, qui procède de lui, Jésus, aussi bien que du Père. Il délègue à quelques disciples choisis le pouvoir inouï, et jusque ici strictement réservé à Dieu, de remettre tous les péchés. Sont signifiés par là aussi bien le baptême qui remet les péchés des païens, ou des juifs, convertis que la Pénitence qui remettra dans l’avenir les péchés des baptisés, pour ceux d’entre eux qui seront, hélas, retombés dans la faute. Pouvoir donc absolument universel et qui reste divin (dans son essence).
Mais ce don divin accordé aux membres du collège apostolique, Thomas, pourtant l’un des Douze, ne l’avait accidentellement pas reçu, puisqu’il était absent ce soir-là, nous dit Jean. Quand donc recevra-t-il en sa qualité d’apôtre le pouvoir de remettre les péchés ? Il faut considérer d’abord qu’il était déjà prêtre de l’Eglise de Dieu, puisqu’il avait participé jusqu’au bout (à la différence de Judas) à la Sainte Cène. Il avait comme les autres entendu ces paroles : « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19) qui l’ordonnaient prêtre. Sans doute, dans la pensée de Jésus, le pouvoir d’absoudre les péchés était-il inhérent au caractère sacerdotal reçu ce jour-là. En toute hypothèse, Thomas sera ordonné évêque, avec la plénitude du pouvoir sacerdotal, comme les autres apôtres (Matthias remplaçant Judas) le jour de la Pentecôte, quand l’Esprit descendra sur eux, non plus sous la forme d’un souffle de Jésus, mais sous la forme de langues de feu venues du ciel. A partir de ce jour-là seulement, l’ayant eux-mêmes reçu, les apôtres pourront à leur tour transmettre l’Esprit Saint.
Mais Thomas n’en est pas encore là ! Sur le rapport des dix apôtres restants, qui lui font part de l’apparition de Jésus-Christ dont ils ont bénéficié, il refuse absolument de croire en la Résurrection. Il veut pouvoir vérifier lui-même aussi bien les mains, les pieds que le côté du crucifié. On ne réchappe pas si facilement, selon lui, du supplice de la croix ! « Si je ne vois à ses mains la marque des clous, si je ne mets le doigt dans la marque des clous et si je ne mets la main dans son côté, non, je ne croirai pas. » (Jn 20, 25). Décidemment, la vision des stigmates de Jésus était nécessaire à la foi, comme au témoignage subséquent, des apôtres.
On l’aura remarqué : Jean est le seul des évangélistes qui fasse allusion, et avec insistance, au côté transpercé de Jésus. Les autres n’en parlent pas.