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23. Entretien de nuit avec Nicodème.

Jean 3, 1-21.

Or il y avait parmi les Pharisiens un homme, qui s’appelait Nicodème, un des notables Juifs. Il vint de nuit à Jésus et lui dit : « Rabbi, nous le savons, tu es un maître qui vient de la part de Dieu : personne ne peut accomplir les signes que tu accomplis, si Dieu n’est avec lui. » Jésus lui répondit :

« En vérité, en vérité, je vous le dis,

à moins de naître d’en haut,

nul ne peut voir le Royaume de Dieu. »

Nicodème lui dit : « Comment un homme peut-il naître, une fois qu’il est vieux ? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître ? » Jésus répondit :

« En vérité, en vérité, je te le dis,

à moins de naître d’eau et d’Esprit,

nul ne peut entrer au Royaume de Dieu.

Ce qui est né de la chair est chair,

ce qui est né de l’Esprit est esprit.

Ne t’étonne pas, si je t’ai dit :

Il vous faut naître d’en haut.

Le vent souffle où il veut ;

tu entends sa voix,

mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. 

Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. »

-- « Comment cela peut-il se faire ? » reprit Nicodème. Jésus lui répondit : « Tu es Maître en Israël et tu ignores ces choses ?

« En vérité, en vérité, je te le dis,

nous parlons de ce que nous savons

et nous attestons ce que nous avons vu,

mais vous ne recevez pas notre témoignage. 

« Si vous ne croyez pas

quand je vous dis les choses de la terre,

quand je vous dirais les choses du ciel

comment croirez-vous ?

« Nul n’est monté au ciel

hormis celui qui est descendu du ciel,

le Fils de l’homme qui est au ciel.

Comme Moïse éleva le serpent au désert,

aussi faut-il que soit élevé le Fils de l’homme,

afin que tout homme qui croit

ait par lui la vie éternelle.

Oui, Dieu a tant aimé le monde

qu’il a donné son Fils unique,

pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas

mais ait la vie éternelle.

Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde

pour condamner le monde,

mais pour que le monde soit sauvé par lui.

Qui croit en lui n’est pas condamné ;

qui ne croit pas est déjà condamné,

parce qu’il n’a pas cru

au Nom du Fils unique de Dieu.

Et le jugement, le voici :

la lumière est venue dans le monde

et les hommes ont mieux aimé

les ténèbres que la lumière,

parce que leurs œuvres étaient mauvaises.

En effet, quiconque fait le mal

hait la lumière et ne vient pas à la lumière,

de peur que ses œuvres ne soient dévoilées ;

mais celui qui agit dans la vérité

vient à la lumière,

pour qu’il apparaisse au grand jour

que ses œuvres sont faites en Dieu. »

Episode 23. Commentaire.

Ah ! L’entretien avec Nicodème, quel chapitre ! Pour bien le comprendre il faut le replacer dans l’ensemble de l’évangile de Jean. Il appartient en effet à la deuxième partie, sur sept, du plan septénaire de cet évangile, la partie qu’on peut intituler : Première Pâque à Jérusalem (Jn 2, 13 – 4, 54). Alors que la première partie, qu’on désigne couramment (d’après la Bible de Jérusalem) sous le nom de Semaine inaugurale (Jn 1, 19 – 2, 12), avait pour thème le choix des premiers disciples, et le changement : de même en effet que les disciples du Baptiste étaient changés en disciples du Seigneur, de même que Simon était changé en Pierre, et de même que l’eau ordinaire de Cana était changée en vin succulent, prémices du Royaume, la deuxième partie, quant à elle, aura pour thème le baptême, et la théorie du baptême trinitaire, déjà !

Alors que d’après l’évangile on constate que Jésus n’a pas encore inventé formellement son baptême trinitaire, cependant il en livre ici, selon le rapport fidèle de l’évangéliste Jean, une théologie hardie, approfondie, déjà presque complète. Tel est l’objet de l’entretien avec le vieux sage du judaïsme, Nicodème. Et cette théologie ainsi définie, il ne va tarder, tout de suite après l’entretien, à la mettre lui-même en pratique, dans le val du Jourdain.

C’est un pharisien nous dit-on, mais sans doute un peu plus ouvert que les autres, un des notables même. Un homme bien en vue. Un docteur de la loi, puisque Jésus lui donne ce titre : « Tu es maître en Israël… » (Jn 3, 10). « Des sources rabbiniques nous apprennent que cet homme était non seulement membre du Sanhédrin, mais l’un des plus riches patriciens de la ville. » (Petitfils, page 122). Daniel-Rops nous dit que, d’après le Talmud, il aurait pu nourrir pendant dix jours tout le peuple d’Israël. Wikipédia en anglais, et Petitfils, ont tendance à l’identifier avec un certain Naqdimon ben Gourion, très riche propriétaire terrien du 1er siècle de notre ère. C’est possible, à moins qu’il ne s’agisse d’une homonymie…

C’était donc un homme en vue, et pour cette raison il vint de nuit, justement pour ne pas se faire voir. Sa réputation pourrait en être compromise. Par cette attitude timorée, il se mettait d’emblée en état d’infériorité dans la discussion avec le jeune, et semble-t-il, ambitieux prophète qui venait de se manifester à deux reprises, Cana et le Temple, par des actions d’éclat. Néanmoins ce Nicodème est un homme de bonne volonté, bien disposé à l’égard de Jésus. Il le montrera à plusieurs reprises dans la suite de l’évangile de Jean. Il le montrera au Calvaire où il jouera un rôle, moment suprême et pour lui grâce insigne.

Le Maître, poli mais sincère, exprime sa foi naissante : « Personne ne peut accomplir les signes que tu accomplis, si Dieu n’est avec lui. » (Jn 3, 2). Il a compris d’emblée, lui, l’argumentation centrale du Nouveau Messie, avant même qu’on ne lui explique : les signes, venant de Dieu, appelle évidemment la foi. Ce sera d’ailleurs toute la dialectique du IVe évangile. Et c’est d’ailleurs pour cela que Jésus posait ces signes, ces faits extraordinaires. Il y avait eu Cana, dont tout le monde parlait, mais aussi l’expulsion des vendeurs du Temple. Ce coup d’audace, réussi, ne pouvait venir que d’un authentique prophète. Un nouvel Elie, sans doute, prêt à détruire les prêtres de Baal, et à purger la religion sainte d’Israël. Nicodème avoue qu’il est subjugué. Sa science, ou sa morgue éventuelle de professeur – mais il ne devait pas être très arrogant –, s’inclinent.

Sans préambule, à brûle-pourpoint, Jésus l’interpelle : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu. » (Jn 3, 3).

Nicodème, le docteur juif, est abasourdi. Il pensait qu’une démarche polie auprès du nouveau Messie, s’il l’était vraiment, et il n’en excluait pas l’hypothèse, suffirait à se concilier ses faveurs. Il se croyait tout prêt du fameux Royaume de Dieu, et même déjà dedans, en sa qualité de bon juif.

Patatras. J’en suis encore loin. Moi, vieux, il me faudrait renaître ? Quelle est donc cette doctrine, ou ce charabia, nouveaux ?

N’y comprenant rien, désarçonné, il s’en tient au sens littéral, pour lui, seul accessible : « Faudrait-il que je retourne dans le sein de ma mère ? », laquelle est morte depuis longtemps déjà, par parenthèse. Il fallait bien qu’il trouvât quelque chose à répondre.

« A moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer au Royaume de Dieu. » (Jn 3, 5). Et voilà toute la théorie du nouveau baptême, exposée en ce peu de mots. Le baptême d’eau, seulement, de Jean-Baptiste, ne suffisait pas pour accéder au Royaume de Dieu. Il n’en était qu’une préparation, une annonce. Comme pour le Christ lui-même, au Jourdain, il y faut l’eau et l’Esprit Saint. Donc un baptême d’eau, mais administré au nom de l’Esprit. Un baptême charismatique, en quelque sorte.

Et Nicodème de balbutier. Non seulement il s’est fait clouer le bec par le nouveau Messie, mais encore il se fait enguirlander sérieusement, lui qui pourtant fut bien le seul de ses pairs à se déranger pour lui parler.

« Tu es Maître en Israël et tu ne connais pas ces choses-là ? Vous ne recevez pas notre témoignage. » Comme s’il portait, à lui seul, le poids de l’incrédulité de tout son peuple ! Et Jésus de développer longuement sa doctrine. Le Royaume de Dieu, c’est le Royaume de l’Esprit. Par conséquent, après être né une première fois de la chair, comme tout le monde, faut-il encore renaître de l’Esprit Saint, par une effusion céleste, pour entrer dans ledit Royaume. Le Fils de l’homme, et c’est lui qui te parle, est descendu du ciel sur la terre pour annoncer cette vérité aux hommes, avant qu’il n’y retourne. Car seul celui qui en est descendu peut y remonter, n’est-ce pas ? Mais avant qu’il n’y remonte, faut-il encore qu’il soit élevé sur un poteau, tel le serpent de bronze montré par Moïse aux hébreux dans le désert. Car il n’est pas venu condamner ce monde, mais bien le sauver. C’est-à-dire souffrir pour lui.

La lumière est survenue dans le monde, ce monde de ténèbres et d’ignorance, pour éclairer les consciences. Mais en même temps elle exerce un jugement sur les hommes. Ceux qui ont une âme droite viennent spontanément à elle pour en recevoir l’instruction – comme toi, d’ailleurs, tu l’as fait, et cela te sera compté. Mais les autres, aux agissements tortueux, s’enfuient devant la lumière afin qu’elle ne dévoile pas aux yeux de tout le monde le mal qui réside en eux. Non seulement ils la fuient, mais ils la haïssent et la combattent. Ils cherchent à l’éliminer.

Cette lumière n’est autre que le Fils unique de Dieu descendu du ciel et dont la présence vient juste d’être révélée aux hommes dans les eaux du Jourdain. Car c’est sur lui qu’est descendu l’Esprit, au témoignage de Jean-Baptiste. Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique. Et voilà le nom des Trois Personnes divines, maintenant révélé aux hommes : Dieu le Père, dans les cieux, qui a parlé, le Fils sur la terre qui est la lumière des hommes, et l’Esprit Saint qui repose sur le Fils et qui est descendu visiblement sur lui. Les noms du Père, du Fils et de l’Esprit sont ici clairement suggérés. Si Dieu a un Fils, en effet, c’est bien qu’il est Père.

C’est donc bien au nom de ces Trois Personnes divines que le nouveau baptême d’eau – emprunté d’ailleurs à Jean-Baptiste quant au rite matériel – devra être administré.

On ignore si Nicodème a reçu personnellement ce baptême trinitaire, dont il vient d’entendre, ici, le premier la révélation. On ignore même s’il était au préalable descendu dans le val du Jourdain pour recevoir celui du Baptiste. C’est probable dans les deux cas. La suite de l’évangile atteste qu’il fut un disciple du Christ, au moins caché.

On peut féliciter l’évangéliste Jean, en tout cas, d’avoir tenu le micro de sa mémoire ouvert pour bien enregistrer tous ces discours. 

Nous avions déjà rencontré dans Jean, et pour la première fois, aussi, dans la synthèse, cette expression de « Fils de l’homme », rappelons-nous, lors de l’appel des premiers disciples (épisode 20). Nous entendions le Christ dire : « Vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme. » (Jn 1, 51). Nous ne l’avions pas alors commentée.

Cette expression qui sera reprise par les synoptiques, et placée presque uniquement dans la bouche de Jésus, provient tout droit du prophète Daniel (chapitre 7) et des pseudépigraphes de l’Ancien Testament, I Hénoch, IV Esdras, qui tenaient alors une si grande place dans la fantasmagorie de la pensée juive.

Que signifie donc le « Fils de l’homme » ? Il ne désigne pas seulement un fils d’Adam ordinaire, un petit d’homme, autrement dit un simple mortel. Dans le vocabulaire pauvre de l’hébreu, il veut dire tout simplement une Personne, comme une Personne humaine, une ressemblance d’homme. C’est pourquoi il est souvent accompagné du comparatif ‘comme’. Dieu ressemble à un homme en ce sens qu’il est une Personne comme lui. L’Ancien des jours, c’était déjà Dieu dans son éternité. Et le Fils de l’homme, c’est aussi une Personne éternelle mystérieuse, destinée à régner éternellement avec Dieu. On a là un pressentiment très net de ce que nous appelons le Fils éternel de Dieu. Selon le prophète Daniel, et plus explicitement encore selon les pseudépigraphes, Yahvé devait venir régner sur terre sous forme humaine, comme un homme issu du clan de David, un rameau sorti de la souche de Jessé. Ce serait alors le jour de Yahvé.

En parlant du Fils de l’homme descendu sur terre, Jésus-Christ affirme posément qu’il est ce Fils de l’homme éternel, appelé à régner sur le cosmos entier et que les humains doivent reconnaître spontanément comme leur Roi, en même temps que leur Sauveur et leur Dieu.

Plusieurs prophéties, les plus explicites étant celle d’Isaïe, laissaient entendre que ce mystérieux Fils de l’homme pourrait connaître un sort tragique sur cette terre, être persécuté, souffrir, mourir, avant d’accéder définitivement à la gloire éternelle qui lui est due, et dont il disposait déjà, avant même la création du monde.  

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